Le prix Abel 2018 et Joseph Fourier

 

Fourier et le prix Abel 2018

Robert Langlands (Wikipédia)

Nous avions annoncé ici le prix Abel 2017, attribué à Yves Meyer, c’est tout naturellement que nous avons attendu l’annonce du prix 2018 et découvert le nouveau lauréat : Robert Langlands. De la même génération qu’Yves Meyer, Robert Langlands, théoricien canadien, s’est orienté selon ses dires vers des questions mathématiques très actuelles, la haute culture mathématique, enracinée dans le monde classique mais surtout dans les XVIIIe et XIXe siècles, incluant notamment les sciences naturelles. En 1967, il formule un programme de recherches, le programme de Langlands visant à unifier des banches mathématiques jusque là séparées. Des concepts nouveaux sont introduits à l’occasion de ces recherches. Ses travaux ont renouvelé le lien ancien entre algèbre et arithmétique en connectant les travaux issus de Galois à ceux issus de Fourier en analyse harmonique, conjecturant une sorte d’unification profonde des mathématiques.

Lorsqu’il a présenté sa théorie de la Chaleur, Joseph Fourier a reçu un accueil réservé de la part notamment de Lagrange. Les méthodes développées par Joseph Fourier sortaient du cadre étroit et balisé du calcul fonctionnel : « Les causes primordiales ne nous sont point connues ; mais elles sont assujetties à des lois simples et constantes, que l’on peut découvrir par l’observation, et dont l’étude est l’objet de la philosophie naturelle. »

Un siècle de recherches théoriques ont permis de préciser le cadre de validation des méthodes de Fourier. Ce qui est passé par la définition de la notion d’intégrale (Riemann), puis sa redéfinition (Lebesgue), notion étendue au domaine des distributions (Schwartz). Le cadre théorique précisé, les méthodes de Fourier se sont imposées et leurs succès dans le domaine des applications techniques les a rendues incontournables ; en attestent, par exemple les recherches très actives dans des domaines variés : la théorie des ondelettes avec les travaux d’Yves Meyer et Ingrid Daubechies ; et le respect que lui vouent Cédric Villani ou Stéphane Mallat.

La réussite et l’efficacité des méthodes de Fourier dans les domaines techniques n’ont pas suffit à convaincre les théoriciens et on peut penser que les réticences exprimées par Lagrange ont perduré au XIXe siècle et une bonne partie du XXe. Ainsi, Bourbaki dans son traité ne laisse pas de place aux méthodes de Fourier ; Jean-Pierre Kahanne qui rappelle volontiers qu’en sa jeunesse il considérait Fourier avec condescendance, un Fourier qui n’était pas reconnu : l’Encyclopédia Universalis l’ignorait. Jean-Pierre Kahanne revenu tardivement sur son opinion a ensuite ardemment milité pour que Fourier soit reconnu à sa juste valeur.

Le programme de Langlands replace les méthodes de Fourier dans une vision beaucoup plus large du champ d’étude de la théorie mathématique. En effet, Robert Langlands est célèbre pour avoir proposé dans une lettre de 17 pages ce que certains considèrent, à l’instar du mathématicien d’origine russe Edward Frenkel, comme l’équivalent des théories de Grande unification de la physique des particules mais dans le domaine des mathématiques.

Début de la lettre de langlands

 

Sur le site de l’I.A.S., on trouve à la fois le fac-similé de la lettre manuscrite complète et sa transcription.

Baptisé Programme de Langlands, le contenu de cette lettre, une série de conjectures mathématiques, a été largement disséminé dans la communauté des mathématiciens à ce moment là par son destinataire. Il s’agissait d’un collègue de Langlands à l’université de Princeton, le légendaire André Weil, co-fondateur du groupe Bourbaki et à l’origine de travaux d’Alexandre Grothendieck, Weil était une autorité, les conjectures de Langlands attirèrent l’attention. Elles ont depuis inspiré bien des chercheurs dont certains reçurent des médailles Fields, comme les Français Laurent Lafforgue et Ngô Bao Châu, que l’on trouve en relation avec la démonstration du théorème de Fermat par le Britannique Andrew Wiles, lui-même lauréat du prix Abel 2016.

Un pont entre algèbre, arithmétique et analyse harmonique

Mais c’est quoi en fait le Programme de Langlands ? Il est probablement impossible de commencer à le comprendre dans les grandes lignes sans au moins une licence de mathématiques.

Le Programme de Langlands conjecture l’existence de liens très profonds entre plusieurs domaines fondamentaux des mathématiques, à savoir l’algèbre et l’arithmétique via notamment les travaux sur la théorie de la résolution des équations algébriques prenant naissance dans les travaux sur les groupes de Galois d’un côté, mais aussi avec l’analyse harmonique de l’autre, ce qui est déjà moins évident.

L’analyse harmonique a été sur le devant de la scène lorsque l’on a fêté les 250 ans de son fondateur, le mathématicien français Joseph Fourier. En contribuant à fonder la physique mathématique du XIXe siècle avec sa théorie de la propagation de la chaleur, Fourier avait découvert au passage, avec les séries et les transformations qui portent son nom, des outils très puissants pour analyser les phénomènes ondulatoires, qu’il s’agisse d’ondes sonores, lumineuses, et aujourd’hui gravitationnelles. Aujourd’hui l’analyse harmonique de Fourier est largement utilisée aussi bien en astronomie qu’en physique quantique mais aussi avec l’IRM, les téléphones portables et les données compressées (MP3). C’est la branche de l’analyse harmonique sur un groupe abélien fini qui intéresse plus particulièrement Langlands et ceux qui voudront se pencher sur une présentation moins schématique que l’article de Wikipedia précité pourront consulter la présentation que fait Abdellah Bechata, ou, pourquoi pas, un cours de l’école polytechnique.

Dans le cas du Programme de Langlands, c’est donc une branche bien particulière de l’analyse harmonique qui intervient et qui est liée aux travaux fondateurs d’Henri Poincaré sur les équations différentielles, les fonctions (fuchsiennes) et les formes dites automorphes.

 

Pour les courageux un peu équipés qui voudraient explorer en simple visiteur le paysage esquissé par Langlands, il est possible aussi de consulter le dossier que le CNRS avait consacré à son programme et que Futura avait repris : De Langlands à Lafforgue

 

Simon Singh dans le Dernier théorème de Fermat évoque la conjecture de Taniyama-Shimura, à la fois passage clé vers le grand théorème de Fermat et partie du programme de Langlands en des termes qui… renvoient à Fourier :

« Barry Mazur la compare à la pierre de Rosette, qui était écrite en démotique égyptien, en grec et en hiéroglyphes… C’est comme si vous connaissiez déjà une langue et que cette pierre de Rosette vous permettait de comprendre l’autre, dit Mazur… des problèmes très importants des fonctions elliptiques peuvent parfois être résolus quand ils sont traduits dans le domaine modulaire avec cette pierre de Rosette. » (p. 227)

Merci à Futura dont les articles nous ont beaucoup aidés.

Vidéos : Discours prononcés à l’Université d’Oslo, lors de la remise du prix Abel, le 23 mai 2018 par  : Robert Langlands, James Arthur et Edward Frenkel : http://www.abelprize.no/artikkel/vis.html?tid=73149

Notre suggestion : adopter l’ordre de lecture : a) James Arthur, b) Edward Frenkel, puis c) Robert Langlands.

About cm1

R. Timon, né en 1944 a été instituteur, maître formateur, auteur de manuels pédagogiques avant d’écrire pour le Webpédagogique des articles traitant de mathématiques et destinés aux élèves de CM1, CM2 et sixième.

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