Corrigé Couleur et forme.

Corrigé Couleur et forme.

Voici une réflexion sur le sujet de Concours blanc :

Le rapport couleur – forme est une des questions fondamentales de la peinture  au moins depuis la Renaissance. Il n’est bien sûr pas question de séparer dans une partie la couleur et dans une deuxième la forme. C’est le rapport entre les deux qui doit être analysé et son évolution dans le temps.

Selon les périodes l’un peut prendre le dessus sur l’autre, mais d’une manière ou d’une autre couleur et ligne participent également à l’élaboration de la forme.

La question de la forme renvoie à plusieurs caractéristiques de l’art et en particulière de la peinture : la représentation, l’idéalisation, la symbolique, l’invention. Comment la couleur participe-t-elle à la représentation de la forme dans le passage de la réalité tridimensionnelle à sa représentation ? Le tracé du contour par le dessin qui fixe la forme depuis les viraux du Moyen-Age, s’est accompagné depuis Giotto de la volonté de donner l’illusion du relief par la variation de la lumière. Cependant, les Vénitiens, puis certains peintres du baroque dans le sillage de Rubens  et de Rembrandt, puis à l’époque de la Régence (Watteau) ont montré qu’on pouvait fonder la représentation sur le traitement par masses en jouant sur les contraste de lumière et de couleur plutôt que sur les formes fermées par le trait. A partir de la fin du XIXe siècle, la couleur s’éloigne de l’imitation au profit de la subjectivité de la perception, voire en se libérant totalement de la couleur naturelle. L’autonomisation de la couleur par rapport à la nature puis par rapport à la forme imitée est la grande révolution picturale du premier XXe siècle.

Plan possible.

Trois grandes tendances marquent le rapport de la couleur à la forme

I. La couleur sert la représentation du motif dans un esprit d’imitation de la nature : lumière et ombres, couleur locale, modelé.

Elle était justement opposée au dessin par le fait qu’elle suivait davantage la nature alors que ce dernier relevait de l’idée, de l’intention donc de l’esprit de l’artiste. Représentation de la figure, recherche de la profondeur par la perspective atmosphérique du paysage faisant virer les couleurs du fond vers le bleu, rendu fidèle de la couleur locale, la couleur se plaçait toujours du côté du sensible. Au préalable, le dessin servait à tracer les contours de la forme reconnaissable du motif avant que la couleur ne vienne ajouter l’appréhension sensible, visuelle des matières et des textures, mais ce n’était pas indispensable. La peinture flamande du XVe – XVIe siècle avec son réalisme analytique instaure une vison nouvelle, basée sur le rendu exact de la substance même dont se composent les objets en travaillant la lumière et la transparence des touches.

Le « réalisme » (ou plutôt illusionnisme) italien se fonde sur ce que l’œil comprend des corps, leurs éléments intelligibles notamment le contour de la forme. Mais la couleur a-t-elle toujours eu besoin du trait pour marquer la forme ? La couleur et à travers elle le jeu d’ombre et lumière peuvent contribuer à rendre fidèlement la forme mais peuvent aussi la brouiller voire la faire disparaître.

Les grands coloristes pouvaient se passer d’un dessin précis depuis les grands maîtres vénitiens du XVIe et du baroque européen (Rembrandt – Velasquez) jusqu’aux variations de Cézanne sur la Montagne Sainte Victoire où le tableau verse dans une quasi abstraction même si le motif ne disparaît jamais totalement (La Montagne Ste Victoire vue des Lauves Kunstmuseum de Bâle, 1904-1906). On a pu reprocher aux impressionnistes de faire disparaître justement le contour, la forme. Impressionnisme, néo-impressionnisme, fauvisme, papiers collés cubistes mais aussi découpages de Matisse interrogent le rapport entre couleur et forme.

Pour d’autres artistes au contraire, la peinture est d’abord une affaire de formes et peut se contenter d’être que cela. C’est le cas de tous ceux qui ont privilégié le dessin et la composition géométrique de l’espace depuis la Renaissance : florentins, Académies, néoclassicisme, voire les artistes  cubistes qui tout en restant attachés à la forme de l’objet la fragmentent jusqu’à la faire presque disparaître. En effet, pour Picasso, la forme imaginée de l’objet prime sur la couleur. D’où la série des tableaux cubistes en camaïeu de bruns et de gris – bistre et blanc. Les fauves avaient sacrifié les ombres au plaisir de la couleur, les cubistes prirent le chemin contraire sacrifiant le plaisir de la couleur au jeu de « cache cache » avec le modelé formel :

  » C’était cela la première peinture cubiste, la recherche de l’espace. La couleur n’avait qu’un petit rôle. De la couleur, il n’y avait que le côté lumière qui nous préoccupait. » G.Braque.

Le retour de la couleur à partir de 1912 se limite à des signes (Drapeau tricolore dans Souvenir du Havre 1912-13, cool; part. )

II. Mais que devient la forme quant  la couleur n’a plus de fonction imitative ? 

Ingres avait atteint un haut degré d’accord entre couleur et forme : son Odalisque couchée du Louvre associe le corps en position de repos  avec une couleur bleue qui l’accompagne pour mieux souligner cette idée de repos. La couleur reste encore liée à l’imitation ou au symbole.

Mais les « primitifs de la modernité » de la deuxième moitié du XIXe siècle. Maurice Denis entérine la révolution picturale en cours. En 1890 alors âgé de vingt ans et inconnu il lance cette idée – manifeste :

 « Se rappeler qu’un tableau – avant d’être un cheval de bataille, une femme nue, ou une quelconque anecdote – est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées »

Le Talisman de Paul Sérusier (1888, Orsay) ou Maurice Denis dans Taches de soleil sur la terrasse (Orsay 1890)

Symbolisme subjectif de Van Gogh et de Gauguin, Expressionnisme, Cubisme. Communication entre les plans dans les passages et les rappels de couleur dans chaque plan des tableaux de Cézanne.

La couleur peut en effet se détacher du motif pour chercher ses propres modes d’expression. Le tableau devient ainsi un « objet pictural » support d’expérimentations et d’inventions. Couleur et forme du motif restent toujours les préoccupations majeures des peintres mais elle semblent de plus en plus se dissocier.

Avec Gauguin (La vision après sermon), puis Matisse (La Desserte), la couleur  posée en aplats sans recherche du modelé acquiert une valeur décorative et s’éloigne de l’imitation. L’apogée de la couleur non imitative est atteint avec les fauves (et autres courants associés : Expressionnisme allemand de Die Brücke et Der Blau Reiter, ainsi que la Sécession viennoise : Kokochka, Schiele). Dans la série du Cri de Munch, les couleurs et les formes participent à l’intensification de l’expression plastique du cri dont les ondes se transmettent de la bouche vers la nature environnante la mer, le ciel. Même Picasso dans sa période primitivisme autour de 1906 -1908, période centrée sur les expérimentations menant au Demoiselles d’Avignon, utilise la variété des couleurs dans les hachures censées marquer les volumes et les ombres (Étude de nu à la draperie (1907, Musée Picasso). Picasso revient à la couleur dans une oeuvre emblématique Le portrait de jeune fille du Centre Pompidou (1914) voir ici

Cependant, les excès du cubisme dans le rejet de la couleur provoquent une réaction coloriste y compris chez des artistes abstraits comme Frantisek Kupka ou Robert et Sonia Delaunay -> orphisme, approche « optique » de la couleur. Refusant toute doctrine établie, les artistes contemporains jouissent d’une grande liberté jusqu’à utiliser la couleur de manière complètement décalé. C’est le cas d’artistes comme Arman qui, dans son  ready made La Vie dans la ville pour l’oeil (1966), choisit de représenter un assemblage de tubes de couleur écrasés. (voir ici)

III.  Le rejet de la représentation. La couleur crée ses propres formes indépendantes de toute référence à la nature.

 Avec l’abstraction, la couleur devient totalement autonome et prime même sur la forme comme dans le cas de l’orphisme (Sonia et Robert Delaunay) et plus généralement de l’abstraction. La suppression du sujet posa la question de ce qui devait le remplacer. La réponse généralement apportée par les artistes fut la couleur. Pourtant elle n’éclipsa pas totalement la forme. Elle pouvait désormais créer ses propres formes abstraites plutôt que calquées sur celles de la nature, afin d’exprimer des sensations liées au mouvement ou à la musique. Kandinsky ira plus loin dans ses cours du Bauhaus prônant un rapport direct entre formes primaires et soupeurs primaires (Triangle jaune, cercle bleu et carré rouge).

Lire sur ce point le petit chapitre du John Gage (L’art de la couleur) : 3. La forme de la Couleur. (Ici)

Kandinsky au Bauhaus : Il associe les couleurs primaires et les formes primaires (carré, triangle, cercle), Itten ajoute des éléments d’expression : le carré rouge symbolise la matière au repos, le cercle bleu le mouvement de l’esprit toujours en mouvement, le triangle jaune rayonnant de tous les côtés la pensée.

Anish Kapour Mother as a mountain : Œuvre étrange où le pigment lui même devient forme. On peut ajouter :

https://www.centrepompidou.fr/cpv/resource/cLj6Rj/rL57rg

et  https://www.centrepompidou.fr/cpv/resource/ck6EX4/r5GMgq

L’artiste anglaise Bridget Riley et sa série « Song of Orpheus » (voir ici et ici) : les rayures associent effets formels donnant l’illusion du volume et du mouvement et colorés par le travail sur les complémentaires par mélange optique. il affirmait qu’il était impossible de se passer de la forme même s’il s’agissait de mettre en valeur des relations entre couleurs. la base formelle du dessin était indispensable comme le montrent les oeuvres de Matisse. Ses « peintures optiques » associent de manière puissante formes et couleurs notamment dans les rayures. Voir extrait du Gage ici

La disparition de la forme jusqu’à l’abstraction n’est pas le propre des peintres abstraits du XXe siècle.  Quand la couleur -devient elle même matière dans la peinture  elle transforme la surface du tableau en objet – relief et surtout fait dissout le contour et et la forme comme ce fut le cas chez Velasquez ( ou chez Rembrandt)

 Faire oublier la surface plane du tableau au profit de l’illusion du volume et de la profondeur existait déjà dans l’Antiquité (Xénocrate loue Pausias capable de peindre le modelé des figures et en raccourci). Mais le christianisme médiéval a quelque peu pris ses distances avec la représentation des « images corporelles » pour mieux se démarquer des idoles antiques. Plutôt que le trompe l’oeil, c’est la matière même qui est mise en valeur rutilement des ors, étincellement des ors afin de frapper l’âme par la lumière. La Renaissance et le classicisme réaffirment la primauté de la surface lisse, de l’absence de trace du travail de l’artiste. Raphaël est érigé en modèle. Cependant, les vénitiens ont montré que la peinture à l’huile pouvait aussi permettre un travail sur la matière. Il s’agissait de montrer comment la couleur – matière pouvait contribuer au jeu d’orme et de lumière, attirer l’oeil du spectateur sur les parties du tableau peintes par empâtements : Titien, Rubens et surtout Velasquez et Rembrandt sont à développer ici. La touche devient tache et la forme se dissout complètement quand la surface du tableau est vue de près.

Voir page sur La technique picturale de Rembrandt :

 http://lewebpedagogique.com/khagnehida/archives/822

 Voir aussi diaporama sur Dessin et couleur :

http://lewebpedagogique.com/khagnehida2/archives/7719

Conclusion.

Longtemps subordonnée à la forme, donc au dessin, la couleur acquiert à partir du XVIe siècle et nonobstant la querelle du coloris, ses lettres de noblesse. D’abord comme « fard » indispensable complément de la forme dessinée dans une logique d’imitation de la nature, puis en acquérant son autonomie, son existence propre au gré des choix expressifs conscients ou inconscients des artistes. Le développement de la science des couleurs et de leur perception au XIXe siècle marque une rupture fondamentale, pas seulement en rationalisant le coloris des artistes mais bien au contraire en leur donnant une grande liberté de choix. Privilégier la forme cernée ou l’ouvrir grâce à la couleur, supprimer la référence à la couleur locale, dissoudre, fragmenter, voire supprimer la forme, au profit de la couleur pure. La phrase – manifeste de Maurice Denis, peintre pourtant attaché à la représentation, résume à elle seule la rupture moderniste dans l’histoire complexe et mouvementée du rapport entre forme et couleur. Une affirmation suffisamment polysémique pour ouvrir tous les possibles, jusqu’à l’abstraction au XXe siècle.

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