Les dormeurs du val

Parodiez, pastichez, il en restera toujours quelque chose

 
Dans un trou clair-obscur, où chantait un gros ru
S’accrochant tout foufou aux gazons sous l’abrupt
Cadran astral qui brillait d’un mont arrogant,
(Pas un grand val, mais un vallon, tout rayonnant),
 
Un fantassin, gamin, sans son calot, bâillait,
Son cou baignant dans du ray-grass, sur un talus.
Il dormait tout son saoul, sous un joli nimbus.
Pâli dans son dodo, un rayon l’arrosait.
 
Talons dans un chardon, il dormait, souriant.
Pourquoi dormir ainsi ? On l’aurait dit souffrant.
Il fallait l’assoupir, ô champs, il avait froid.
 
Nul odorat, son pif dormait sans un frisson.
Sous un rayon astral il pionçait, poings tout froids.
Il avait trois grands trous carmin au poumon droit.
 
 
 
Il habite à Passy sa maison en meulière,
Il a de l’ambition, être un écrivaillon.
La semaine il travaille dans un ministère
Et rentre tard le soir dans son beau pavillon.
 
Son épouse l’accueille, elle est un peu bourrue
Et s’extirpe en bâillant de son petit prie-Dieu
Où elle fait du lard, devient plutôt dodue
Et prie pour qu’il soit un jour moins graveleux.
 
Dès qu’il dit un gros mot, il chope un hématome,
Et ça compte pour rien qu’il soit bon agronome.
Tout ce qu’il a réussi, c’est d’être un gros bourgeois,
 
Mais il a échoué dans sa belle combine :
Il aurait dû jadis épouser l’orpheline
Qui lui aurait permis de vivre sans emploi.
 
 
C’est un cerveau qui flotte à des années-lumière.
Réfléchissant toujours à quelque question,
Il trouve des réponses dans sa tête altière :
Penser est son métier, penser est sa passion.
 
Les idées se pressant dans son âme ingénue,
Ses maîtres d’autrefois avaient émis le vœu
Qu’il fût recruté tôt par une école élue
Pour sa réputation, dans le lointain chef-lieu.
 
Cette décision prise, il apprit les axiomes,
Finit par obtenir la clé de ce royaume,
Réussit le concours, philosopha par foi,
 
Et puis il s’est épris d’une belle rouquine
Qui l’induisit bien vite à sniffer cocaïne,
Fumer du cannabis, et enfreindre la loi.
 
 
C’est le titre d’orgueil de la grande fruitière,
C’est aussi le fantasme de maint taurillon,
La gloire de Perrine, la belle vachère ;
C’est surtout le regret de tous les bouvillons
 
Qui regardent émus sa tétine tendue,
Mâchouillant mollement le bon sainfoin moelleux,
Bien plantée dans le pré sur sa jambe poilue,
Contemplant les wagons de ses yeux globuleux.
 
Rentrée à la maison, elle dort sur le chaume,
Et mûrit lentement le Beaufort gastronome
Qui rapportera gros à certain villageois.
 
Elle adore l’été secouer sa clarine,
Elle s’appelle Aurore et c’est une Tarine
Qui fait deux mille litres de lolo par mois.
 
 
C’est bien fou de chercher toujours dans l’adultère.
Il vaut mieux fantasmer un bonheur aiguillon :
On rêve l’aventure avec l’aventurière,
On l’imagine nue, aux ongles vermillon.
 
On s’invente une histoire avec une inconnue,
On devient un amant aux dons miraculeux,
Elle tombe en nos bras aussitôt entrevue,
Fascinée de trouver cet amant fabuleux.
 
Voilà comment il faut tenir son rôle d’homme !
Le rêve n’est-il pas le plus puissant arome
Qui nous fait savourer notre absence d’exploit ?
 
Même, on entend parfois cette voix argentine
A force de rêver la liaison clandestine.
Oui mais souvent ça rate, allez savoir pourquoi !

 

 
Dans la trouée du bois passe une cavalière,
Fouaillant follement l’étalon « Tourbillon »
Qui hennit au soleil. La farouche guerrière
Brandit une cravache acérée, aiguillon
 
Qui lui sert à dompter la cavale fourbue
À la nuque raidie, au profil musculeux.
Le rictus de la bête à la bouche tordue
Sous le mors qui lui met les gencives en feu
 
Semble le rire fou qu’on arrache à un gnome.
La tête du dragon qui garde le royaume
D’en bas n’inspire pas un plus terrible effroi
 
Aux voleurs de trésors. Mais sous sa zibeline
L’écuyère est si tendre, et la lèvre mutine,
Tranquille, elle galope en souriant vers moi.
 
 
La petite écolière
Attrape son brouillon,
Dessine une sorcière,
Prend son taille-crayon.
 
Sa blouse est décousue,
Devant, vers le milieu.
Elle est bien mal vêtue
Et tortille un cheveu
 
Tout en suçant sa gomme,
Puis, au mercurochrome,
Du bout de l’index droit
 
Colore une piscine
En rouge. Mais, taquine,
Elle y met un bleu-roi !
 
 
Sur la route pourrie qui longe la gravière,
Écartant pesamment les deux pieds des rayons
Brillants où le grand vent parfois met la poussière
Venant du dépotoir débordant de haillons,
 
Un gros facteur au souffle court, et tête nue,
La nuque cramoisie, le derrière tout bleu,
Pédale, à peine aussi vite que la tortue,
Et jure qu’il ira au fossé, nom de dieu !
 
Le nez dans le guidon, d’une voix de rogomme,
Il maudit sa sacoche (il n’est pas un surhomme !),
Évite un nid de poule et jure en son patois,
 
Puis s’arrête à la fin, descend de sa machine,
Déboutonne son pan, lâche un grand jet d’urine,
Et se mouille deux doigts tant il est maladroit.
 
 
C’est un fou de lecture, et qui voudrait bien faire,
Écrivant mollement des articles souillons
Pour l’argent. Il s’éveille, et fait une prière
Aux dieux Rank et Xérox, et taille ses crayons.
 
Il réfléchit, le cerveau vide, et éternue,
Met en route Internet, et fait un écran bleu,
Mort. Il n’a pas d’idée, alors il s’évertue,
Pâle, car il prétend écrire comme un dieu.
 
Les mains sur le clavier, il pleure, le bonhomme,
et puis l’idée arrive : il est trop bonne pomme,
Celui qui a déjà pondu l’article roi !
 
Il va tout simplement passer à la latrine,
(Le remords ne fait pas frissonner sa poitrine)
On va le recopier, et puis signer : « C’est moi ! » 
 
 
C’est un coin à friture où nage la bouvière,
Frétillant follement avec le barbillon
D’argent ; le vrai pêcheur y remplit sa soupière,
Lui : c’est un beau chenal, au bout d’un raidillon.
 
Un amateur à la casquette biscornue,
Les deux pieds bien calés dessous son pliant bleu,
Dort ; il digère un peu, la touche est si ténue,
Le goujon se fait rare, et la rousse, parbleu …
 
Sa nuque est à l’abri du soleil, le bonhomme
Sourit, l’estomac plein : il a mangé la tomme
Fermière, un saucisson, bu son demi Ladoix,
 
Il a fumé sa pipe et rêve à cette ondine
Aperçue au soleil, la belle gourgandine
A moitié nue ; et ça le gratte au bon endroit.
 
 
La carrure forgée par des kilos d’haltères
Presque nu, ne portant qu’un moulbite en nylon
Collant ; où la saillie – d’allure autrefois fière,
gît : ce boxeur en a filé et pris, des gnons.
 
Le cogneur rogue, arcade ouverte, âme bourrue,
Le bide enluminé de tout un tas de bleus
Râle ; approchons pour voir, mais pas trop, car ça pue :
Excès de sudation ? Sous son aisselle, il pleut.
 
Les poings au fond des gants, il râle. Ronflant comme
Ronflent d’aucuns d’avoir bu tant et tant de rhum.
Arbitre ! viens et compte : et un, et deux, et trois…
 
Le seau d’eau dans la poire emporte une canine
Qu’il avait conservée jusque-là, et sa mine
N’est pas bonne : l’œil pend du nerf optique droit.
 
Signé Jaacques !
 
 
C’est un roquet tout noir qui n’a pas de crinière,
Aboyant tout le temps, poursuivant le chaton,
Gueulant dès le réveil, reniflant le derrière
Des gens ; c’est un petit cabot, un rogaton.
 
Un facteur innocent, aux mollets très poilus,
Sur son vélo pesant à la sacoche bleue,
Pédale ; il pense aux livres qu’il n’a pas relus,
Se prépare à livrer une lettre en banlieue,
 
La main sur le guidon, et sourit.  C’est un tendre.
Il s’appelle Duval, et va bientôt descendre
De son cheval de fer aux armes de La Poste,
 
Pour livrer la missive au parfum entêtant,
Lorsque Médor, soudain, sans prévenir, l’accoste,
Et fait deux grands accrocs au costard éclatant.
 
C’est un boui-boui cra-cra où dort la serpillière.
Les tables écorchées aux coups de la souillon
Qui traine le balai sans grande conviction,
Brillent des souvenirs des sodas et des bières.
 
Une cliente, jeune, à la lippe pendante,
Et le coude appuyé sur le bord du comptoir,
Rêve qu’on lui refait le plein à l’arrosoir,
Pâle, et, le godet vide sous la main tremblante,
 
Appelle le serveur, demande un autre romme,
L’écluse en souriant, réclame un jus de pomme,
« Nature, s’il vous plait, mon vieux, et pas trop froid ! »
 
Elle renifle un peu, recale sa poitrine
Sur la planche du bar, suçote la bibine,
Et rote. Elle a sa dose : un gramme vingt-et-trois.
 
Dextre broyeuse du colosse, ou douloureuse du collègue que je serre,
Délurée et chercheuse, elle furète, obsédée, leste !
Dextre levée pour voter, pour fesser, pour les soufflets sur le bec,
Dextre douce pour dorloter bébé,
Dextre brute et cruelle, c’est celle du boxeur ou de l’hercule,
Dextre de fer, prothèse sous le velours, c’est celle du despote, elle peut lever les écrouelles,
Dextre dodue, fluette et fuselée, que j’effleure pour l’épouser, elle est trop belle sur ce cœur !
Dextre lourde et velue de l’égorgeur, du boucher, ou du tueur
Dextre dressée pour toquer, pour heurter, celle du loup peut-être ?
Dextre des pécheurs pour les coulpes,
Dextre désœuvrée sur les poches du cow-boy, elle est leste pour le colt,
Dextre bleue et gercée sous le gel, c’est celle de Cosette,
Dextres sèches ou osseuses, ou sveltes, je vous les serre et je vous les bécote.
 
Mon histoire est tragique : un œuf devenu grand.
 
Sorti de ma coquill’, pas une seule goutte
Du sein d’une nourrice, et pas de bras câlin
Pour me tenir au chaud. J’étais sous une ampoule
Qu’on appelle éleveuse, après avoir été
Au cœur d’une couveuse, au milieu des autres.
 
On m’a donné du grain, je me suis emplumé,
J’ai fait cocorico, je suis devenu gros
Et gras, nourri de bon maïs et de pâtée,
Au milieu d’un troupeau de garçons de mon âge.
Et je n’ai jamais su ce que c’est qu’une poule,
Ni au pot ni au pieu.
 
Dans ma cage en béton, à travers la fenêtre,
J’apercevais parfois un morceau de ciel bleu,
Mais la plupart du temps je grattais ma litière,
Les deux pieds dans la crotte et les plumes souillées,
Je m’approchais sans peur d’un destin ignoré.
 
Je m’appelais poulet, j’aimais bien mes parents,
Qui, en bleu de travail, et sans prendre de gants,
Nous prenaient dessous l’aile et puis nous retournaient,
Nous tâtaient le croupion et nous grattaient la tête,
Changeaient l’eau du bassin et remettaient du grain.
On jouait au bec fin, on s’envolait parfois
Pour monter au perchoir, place très convoitée.
 
À quarante-deux jours, après m’avoir saigné
On m’a déshabillé, puis vidé, puis rôti.
 
L’aile ou la cuisse ?
 
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PS : un kilo, ou kilogramme, est un texte de 1000 signes, pas un de plus.
 
 
Katadyomène
 
Un cercueil en fer-blanc ? Une boîte à sardines.
Une vieille baignoire ? Un Titanic troué.
Bien ou mal ravaudés, les déficits nous plombent.
Sembler prendre l’essor ? C’est pour mieux replonger.
La graisse sous la peau ? C’est un phoque en apnée.
S’il faut sonder les reins, c’est qu’ils sont bien profonds.
Croupe rime avec poupe, et c’est bateau sous l’eau.
Un ulcère à l’anus ? C’est un gros cul de plomb.
L’esthéticienne encore aura bien du boulot !
 
Archimède a raison : l’eau fait tout le travail.
Poids plume ou bien poids lourd, on remonte toujours.
Mais on est sur la terre, il faut un camion-grue,
Des quatrains bien pesants, et des rimes croisées,
Des rejets outranciers et toute une armature :
La Vénus à Rimbaud, elle est vraiment relou,
Portée par ses bouées, ou par ses bourrelets.
La poussée poétique a du mal à lever.
Phénomène de foire, il fallait la noyer !
Appuyons sur sa tête, et qu’elle boive la tasse !
Laissons-la retomber dans sa vieille baignoire,
Il faut l’évacuer, et puis tirer la chasse.
 
Vénus ne pèse rien, Vénus est montgolfière,
Ancrée dans mon cerveau, derrière mes paupières,
Et sa pulpe fictive, kilogrammes volants.
Et je ferme les yeux pour me baigner en elle.
 
 
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PS : un kilo, ou kilogramme, est un texte de 1000 signes, pas un de plus.
 

Le bonheur est tout blond et porte des lunettes.