Les dormeurs du val

Parodiez, pastichez, il en restera toujours quelque chose

 
La montagne endormeuse
 
Sous la nue qui l’accable, enfer du roux, chant d’eau,
Argile et chlorophylle mousseuse, argentine,
Du soleil fou d’orgueil l’épanoui plateau
Fait du vallon son nid trompeur d’aigue-marine :
 
Décasqué, mais bâillant sans haleine visible,
Renversé jusqu’au cou, l’essence ultramarine
L’endormant du parfum des plantes de cuisine,
Épave dans ce lit, soldat baveux, risible,
 
Pédestre iconoclaste au sourire fleuri,
L’air malade et perdu du petit enfant qui
Renverse furibond les glaïeuls du jardin,
 
Les cheveux dans le nez, insensible aux sirènes
Et troué dans son flanc à la double carène
Il se noie dans son sang, écume de pantin.
 
 
Note de l’éditeur : Arthur Rimbaud aurait eu connaissance de ce brouillon trouvé dans la corbeille à papiers du maître, et l’aurait ensuite lui-même jeté, avant que sa sœur Isabelle ne le retrouve. Il semble que l’admiration pour l’hermétisme de Mallarmé ait laissé place à un réalisme plus journalistique. Rimbaud, si c’est le cas, aurait alors transposé un style et modifié un thème. Les érudits restent sur la défensive devant ce qui apparaît aussi comme un plagiat, ou un faux.
D’autres hypothèses plus audacieuses hasardent que Mallarmé préparait L’après-midi d’un faune avec, en tête, le souvenir de la brève guerre contre la Prusse, et aurait changé de sujet suite à une visite au musée de la marine.
Des farfelus exagèrent en voyant ici l’origine de l’adieu à la Meuse endormeuse de Péguy. Il ne faut pas pousser le bouchon ; trop de coïncidences tuent la coïncidence !
 
Ce toutou qui chie dur, tortillant du derrière,
Accrochant à sa laisse un gros benêt couillon,
On voudrait le chasser à coups de lance-pierre,
Lui coudre le croupion, ou lui mettre un bouchon.
 
Sa crotte qui s’étale est souvent malvenue ;
Après de grands efforts jamais infructueux.
Quand il chie en marchant, elle est discontinue,
Et le passant souvent se trouve, malchanceux,
 
Sous peine de glisser, obligé au slalom,
Et s’il regarde en l’air, fou comme un astronome,
À coup sûr ses souliers sentiront le putois,
 
Et si le roquet pisse, ils sentiront l’urine.
Le gros couillon, bien sûr, se bouche la narine,
Fait semblant d’être aveugle, et part en tapinois.
 
 
« C’est tout, dit Laverdure, c’est tout c’que tu sais faire »
Causer, ça lui va bien, il a l’intonation.
Bien perchée au comptoir, la bête langagière
Règle chez Turandot les conversations.
 
Ignorant l’injonction « Tais-toi », il continue,
Il épate Zazie, l’animal duveteux.
Sa phrase préférée résonne, et l’ingénue
Hésite à lui lâcher un beau « Mon cul » scabreux.
 
Approuvant Gabriel, il écoute, bonhomme,
Expliquer au touriste, en un unique idiome,
Comme la France est belle aux yeux des non-gaulois.
 
Seul Trouscaillon – le flic – à la fin se chagrine,
Et le menace aussi de finir en terrine,
Ou bien, comme un pigeon, avec des petits pois.
 
Achat, Retrait, Échange … Pancarte SNCF à demi effacée. Chat, Trait, Ange : poésie du raccourcissement, un mot en contient un autre.
Bouts rimés : vieux jeu des rhétoriqueurs et poètes de la Renaissance, concours d’acrobatie visant à remplir les vers dont on ne vous donne que les rimes …
La métaphore sans fin, par association d’idées, d’images, de sons ?
Le Haïkaï, ou Haïku ? 5 et 7 et 5 syllabes, donc concentration extrême de la pensée et de l’image.
L’assonance à outrance ? Patience, ou élégance ? Enfance, ou indécence ?
La gonflette, ou boule de neige, pour montrer qu’on a du souffle, et qu’un mot entraîne un autre mot, une image une autre image.
L’essentiel est tout de même de faire violence au langage, pour éviter les clichés, les banalités. La rime n’est qu’un artifice, un « bijou d’un sou ».
L’importance du blanc dans la page, la ligne, comme dans la pensée ou l’image, est fondamentale.
Oui.
La mesure des syllabes ? A quoi sert de compter sur ses doigts, quand on a des oreilles ? A quoi sert de compter la mesure, quand on danse instinctivement ?
A vous.
De jouer, déjouer.
Une rime nouvelle ?
Un adjectif en « -elle ».
Le vol noir de corbeaux
Sur tes yeux jumeaux,
Qui me rendait fou et tournait en boucle
Autour de ton oreille.
La cacophonie.
Ludwig, oreille éclatée,
devient harmonie.
À Fukushima
C’était le blues des grenouilles
Mais longtemps après.
La regarder de loin prendre peur déjà de loin même avec des jumelles yeux rivés fascinés pupilles éclatées dans l’attente de l’explosion cils recroquevillés front plissé silhouette incertaine rêvée de loin plus que vraiment vue.
Est-elle belle ?
 
La certitude est molle l’angoisse approche. Faire un pas en avant provocation de loin choix libre-arbitre nécessité soumission ? L’attirance est formelle elle appelle on vient de loin. La regarder de loin  déjà  l’appeler comme le chien son maître.
Est-elle belle !
 
On se rince les yeux de loin on se remplit la tête. Appétit trompé estomac noué salive sèche parole coupée souffle court éblouissement mirage. On la toucherait – presque  – même de loin …
Est-elle vraiment belle ?
 
La timidité sans garantie. On hésite on est pleutre on renonce à sa place on la laisse aux plus forts ? Non. On y va. Tout droit. Tout près.
Elle est trop belle.
 
On s’approche on la frôle de près. Frôler est-ce si mal ? Le contact est fugace à peine ressenti on respire un peu fort on retient son souffle tout petit plaisir d’avoir essayé sans trop de risque on n’a pas encore vraiment décidé l’abordage recule on s’excuse il ne s’est rien passé. Quel courage on a eu de près … mais on est accroché on est eu ! On sait que ça viendra. Même pas peur. De près.
Est-elle vraiment belle ?
 
La regarder de loin être un peu fou déjà la regarder de près avoir perdu le sens mais on n’y pourra rien. On s’approche on la touche c’est déjà la fin tout près.
Est-elle encore belle ?
 
Qu’est-ce qu’on perd après tout ? Elle a gagné c’est l’essentiel. On l’aime par défaut puisqu’elle nous regarde de près quelle idée saugrenue de vouloir l’abolir elle est victorieuse avant même le combat. Partie truquée de loin plaisir mortel de près péché d’orgueil de loin masochisme peut-être de plus près. On n’aurait jamais dû savoir qu’elle existait si belle. Si près.
La regarder de près déjà ne plus rien sentir ne plus la voir se crever les yeux ?
 
Elle est trop belle.
On l’a trop vue.
De trop près.
Une fois de trop.
– De qui tu parles,  en rêve, si loin ?
Libation à Vénus, pluie fine improductive,
Sans parapluie, mauvais temps pour les gosses,
Plaisir de patauger, danse du ventre sous l’averse.
 
Juste quelques gouttes.
 
L’avenir est luisant au printemps des amours.
L’été sera tout sec, et l’hiver, on s’en fiche.
Mal visé, bien visé. Arme fourbie, charge puissante, trois coups au but, salve triomphante, cri de joie.
Mal visé, bien visé. Trois balles molles et chaudes dans la peau du kevlar, lamentable rafale aplatie, plomb perdu, inutile giclée, à recycler. On nettoie !
Mal visé, bien visé. Plaisir au tireur, plaisir au tiré, cible émouvante, palpitations jumelles, adrénalines jaillissantes, petite mort et renaissance. On recommence ?
 
L’avenir est dans l’immobilité.
Trois pépins sont tombés quand j’ai fendu la pomme,
orphelins avortés, sans crime, pas de sang.
Ni vu ni connu.
Quelques pommiers en moins sur cette fichue terre ?
Quelques chances de plus pour un nouvel Adam ?
Bouclier plein d’épines,
Collier garni de pointes,
Muraille aux pierres dures,
Frontières électriques,
Body-guards athlétiques …
 
Qu’est-ce qui m’empêche d’y arriver ?
 
Je mettrai des gants,
J’amadouerai Cerbère avec un peu de sucre,
Percerai des tunnels,
Je me ferai oiseau,
Prendrai des cours de boxe …
 
 Qu’est-ce qui m’empêche d’y arriver ?
Tes paupières baissées.
Assez des cafés :
Les tilleuls sentent si bon
Et j’ai dix-sept ans
 
Une étoile au ciel ?
Champagne, ivresse et baiser,
Et j’ai dix-sept ans.
 
Une demoiselle !
Et mon coeur de dix-sept ans
Qui va exploser …
 
Je suis amoureux …
Et puis un soir elle écrit !
Retour aux cafés !

Du crabe à l’enfer
Et du décapode à Dante
Il n’y a qu’un pas.

 
« C’est un trou qui perdure, et ça coule derrière !
Je vous l’avais bien dit qu’il y avait trop d’pression ! »
C’est ainsi qu’en gueulant s’exprime la rombière
Accueillant le plombier qui vient voir son siphon.
 
Celui-ci lui répond : « Je vous avais prév’nue,
Fallait pas l’nettoyer avec des trucs foireux ! »
« J’l’ai jamais nettoyé » lui répond l’ingénue,
« C’est votre faute à vous, vos tuyaux sont poreux ! »
 
« Vous voulez pas m’fair’croir’que j’ai mis du ch’wing-gum ?
Moi, quand j’répare un joint, j’y coll’ du chattertomme.
Si vous en voulez pas, z’avez qu’à mett’le doigt,
 
Pendant qu’vous appuierez, ça servira d’rustine. »
« Non mais quoi, ça suffit, lui répond la taquine,
C’était pour rigoler, perdez pas vot’sang-froid. »
 
 
Le jour de l’ouverture, il prend sa canardière,
Il approche en rampant sur l’herbe du layon.
Il a pris un nouveau passe-montagne hier
Pour ne pas alarmer même les papillons.
 
Comme un soldat, il a la touche et la tenue
Et la nuque rasée de frais des mecs en bleu
Qui débusquent la gouape ou bloquent l’avenue,
Calmes sous l’uniforme après le couvre-feu.
 
Le pied droit dans la botte, il sort. Oui, c’est un homme,
Un vrai, pas un enfant, madame ! — Il est vert pomme,
Il a la hure blette et la glotte en émoi.
 
Le parfum de son fute empeste un peu l’urine,
Il tord dans son sommeil son doudou Bécassine.
Tranquilles, les canards, avec ce maladroit !