Les dormeurs du val

Parodiez, pastichez, il en restera toujours quelque chose

Le marmiton courbé encaisse la colère
Du chef, qui l’a surpris pissant dans le bouillon.
« On te paie ta semaine ! Et va voir la caissière !
Mais lave-toi les mains, car tu pues le graillon. »

En revenant d’auprès la caissière ventrue,
Tenant dans la main droite un billet pustuleux,
Il s’étale soudain sur l’huile répandue
Et quitte le restau sous les lazzis fielleux,

Rentre dans sa mansarde au beau linoléum,
Regarde son miroir, soigne son hématome.
Et puis les douze coups ont sonné au beffroi.

Il a mis son smoking, invité la voisine,
Et craqué son bifton contre une langoustine.
Il n’a jamais aimé ce boui-boui pékinois.

Son boulot le vieillit, déjà quadragénaire
Il n’a plus sa prestance, habillé de haillons.
Du temps qu’il était beau, quand il était stagiaire,
Il attirait vers lui bien plus qu’un oisillon …
 
Maintenant il attend, inquiet, une entrevue
Avec un parent riche ; il craint le désaveu
Du proviseur, et l’engueulade superflue.
Il a la trouille, il n’en peut plus, il est hors-jeu.
 
Ses élèves souvent lui redonnent du baume
Au cœur ; et il reprend confiance en son diplôme
Acquis voici vingt ans, à la force des doigts,
 
Quand il fallait savoir (sans prendre d’héroïne)
L’orthographe, et remplir de très longues tartines
Pour séduire au concours un jury pisse-froid.