Avr 18 2014

Equilibre et vérité

Les positions médianes sont souvent décriées, on veut des prises de position claires. Donc je dirai sans ambages que la voie médiane du « toréisme », celle que je défends, exprime le fait que la mièvrerie et la superficialité n’est ni plus ni moins dommageable que la sauvagerie pure qui entraîne « l’intoréabilité ». On en est certes loin, mais si les postulats des tenants de cette dernière tendance s’imposait in fine ce serait assurément et à court terme la fin de la tauromachie et non son renouveau, supposément basé sur un retour aux sources. Lors de la dernière feria de Nîmes les deux tauromachies se sont données rendez-vous : d’un côté Manzanares face à un garcigrande, de l’autre Robleño face à un miura d’antan. En tant qu’aficionado il faut être capable de voir ce qu’il y a d’intéressant dans l’un et dans l’autre cas même si le point d’équilibre n’était sans doute nulle part. Ceci dit, entre grâce et mérite, si on m’obligeait à choisir, je choisirais la première. Robleño lui-même s’est cru obligé après sa lidia de déclarer, à l’intention des télespectateurs de Canal+ Toros, qu’il savait toréer, reconnaissant de facto que toréer n’était pas cela alors qu’on était bel et bien dans l’idéal du « torisme » intransigeant. Vous en vouliez de la vérité, voilà la mienne !

 Car La seule vérité possible se trouve dans le sentiment, par définition unique, d’un aficionado passionné, même s’il est une incarnation de l’individualisme contemporain, à moins qu’elle ne soit dans un lieu impossible à atteindre, celui de l’équidistance de l’ensemble de ces sentiments individuels.


Avr 11 2014

Papier et internet

Sans être de ceux qui croient que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes je ne pense pas que l’actuel soit aussi décadent qu’on le prétend. Comme on dit, il y a à manger et à boire, du bon et du moins bon. Et à propos des nouveaux supports, si d’aucuns veulent contribuer à améliorer le monde virtuel (pour peut-être finir par influer sur le réel), bienvenus soient-ils. Les portes sont grandes ouvertes. Aux anciennes générations qui critiquent à tout-va notre époque, je dirais la chose suivante : si vous voulez nous instruire, instruisez-nous ! Soyez des papis patients, faites-nous découvrir combien nous sommes dans l’erreur au lieu d’être de vieux grincheux nostalgiques. Et à l’être racontez-nous ce qui vous a précisément fait vibrer dans les temps anciens.

 J’ai la prétention d’apporter ici, comme d’autres bloggeurs, ma modeste contribution à une meilleure compréhension de la chose taurine et ceux qui ont des opinions contraires n’ont qu’à essayer de nous convaincre du bien-fondé de leurs positions. Comme dit un dicton bien connu en Espagne et qu’on attribue à la mère de Boabdil, souverain déchu de Grenade : « Ne pleure pas comme une femme ce que tu n’as pas su défendre comme un homme », ceci à l’adresse de ceux qui se lamentent que les générations montantes seraient plus incultes que la leur et qu’elles ne seraient pas capables de percevoir toute la profondeur d’une lidia vraie. Et si c’était vous qui aviez des œillères et qui ne perceviez pas les trésors que vous avez sous les yeux ! Enfin, je ne suis pas partisan de refaire la querelle des Anciens et des Modernes, je préférerais que nous arrivions à un terrain d’entente, mais il est parfois si difficile de croire que nous partageons la même passion.


Avr 4 2014

Critiques et aficionados

Si toutes les opinions ne se valent pas elles sont toutes en prendre en compte et il est certain qu’aujourd’hui la parole des soi-disant spécialistes est entrée dans l’ère du soupçon pour reprendre l’expression chère à Nathalie Sarraute. J’ai connu l’époque où on attendait impatient sa revue hebdomadaire et où on prenait souvent pour argent comptant ce que nous contaient les critiques. Si la longueur des reseñas s’est bien réduite c’est aussi parce que l’internaute est plus qu’un lecteur et qu’il veut voir des images pour se rendre compte du degré de concordance entre la vision du critique et la sienne propre. Elle est d’ailleurs d’autant plus sienne quand il n’est influencé par aucun groupuscule d’un côté ou par des amitiés taurines de l’autre. Personne n’est dupe, n’est pas plus indépendant celui qui prétend le plus l’être. Peut-on d’ailleurs être objectif tout en étant un acteur du mundillo ? Même les instances taurines sont hélas souvent imprégnées d’un esprit politicard avec ses courants et ses groupes de pression. A chacun sa vérité.

 


Mar 28 2014

Toros et l’intransigeance

indexQuelques temps après mon retour dans le pays de mon enfance, après avoir passé sept années en terres andalouses, je me suis abonné à une revue qu’un certain nombre d’aficionados décrivaient comme une référence.

J’avoue avoir été déçu et je finis par me désabonner en expliquant dans une lettre mon désaccord avec la ligne éditoriale. Car je crois qu’il faut chercher là la raison première de sa déliquescence et non dans d’éventuelles têtes de turcs. La vérité c’est que trop souvent, dans cet exemple comme dans d’autres, la presse taurine, bien avant internet, avait perdu son rôle pédagogique, jugeant sans doute qu’elle ne devait s’adresser qu’à des aficionados confirmés et érudits. La mort d’un organe de presse, quelle que soit ses opinions n’est jamais une bonne nouvelle et je le dis avec d’autant plus de sincérité que je me targue de défendre la diversité mais je ne m’associe pas pour autant aux lamentations des bienpensants. On a cru la « vielle dame » morte et on se sait désormais si elle va véritablement ressusciter ou si, après un acharnement thérapeutique, elle va agoniser de sa belle mort. En tous cas, personne ne l’aura tuée.

 Je reconnais toutefois le rôle de cette revue ou d’une partie de sa rédaction, ne serait-ce que par effet d’aimantation, dans la voie d’une tauromachie plus équilibrée et surtout dans le renouveau du tercio de piques. Le radicalisme peut être un moteur pour susciter des changements mais l’extrémisme qui n’accepte pas les opinions contradictoires ne conduit à rien de bon. Et malheureusement une partie de l’afición est victime d’une certaine tendance qui lui fait perdre ses repères au lieu de lui inculquer des valeurs. Elle crée un trouble qui ne profite à personne en faisant douter certains de la valeur de ce qu’ils ont sous les yeux car, disons-le clairement, si on doit se battre contre les abus, le vrai mensonge serait de ne pas reconnaître la valeur des œuvres réalisées par des toreros aussi différents qu’El Juli, Ponce ou Fandiño lors de la dernière feria de Bilbao même face à du bétail d’origine Domecq. Idem pour les Fallas qui viennent de se terminer. Et dire cela ne va en rien contre la pureté de la Fiesta ! Ce n’est pas non plus défendre les puissants !


Jan 5 2014

André Viard, la réponse (qui a au moins le mérite de la clarté)

Manzanares est un des plus élégants faussaires que l’on ait vu depuis longtemps, et il est en outre doué d’une technique défensive impeccable. Mais cela ne va pas au-delà, et cette opinion est partagée par de très nombreux professionnels qui sont, comme vous le savez, des critiques bien plus durs que les journalistes.

Qu’il soit un des meilleurs de sa génération à vos yeux, pose d’abord le problème du niveau de celle-ci. Visionnez ses meilleures faenas et cherchez les séries de quatre passes et plus. Cherchez bien.

Mais après, comme on dit, « des goûts et des couleurs… »

Bonne journée.

***

vidéo du « faussaire »


Jan 3 2014

Lettre ouverte à André Viard

Sur la manière unique de toréer

Monsieur Viard,

La revue Terres Taurines, au regard des moyens d’information actuels me paraît à ce jour, en France ou en Espagne, la seule d’intérêt. Non seulement elle décrypte l’actualité mais, constituant à elle-seule une véritable bibliothèque, elle nous fait rentrer mieux qu’aucun livre, au cœur des élevages et de leur histoire.

Ceci dit, je m’adresse à vous M. Viard, dans une forme que vous affectionnez, celle de la lettre ouverte, même si vous ne prendrez peut-être pas le temps de me lire, car depuis plus d’une semaine que j’ai fini de livre votre dernier numéro, une phrase (dont vous attendiez sans doute en l’écrivant qu’elle suscite des réactions) continue à me tarauder :

« Poser des muletazos élégants en restant en retrait de la ligne de partage où se décide l’issue du combat n’est pas toréer. L’illusion peut toutefois être parfaite, et la trajectoire triomphale de Manzanares junior montre à quel point  le public est peu regardant » (opus 48 p.39).

C’est à la mode, Manzanares, tout comme son écrin sévillan, est de plus en plus décrié et semble même, en compagnie d’El Juli, jouer le rôle de bouc-émissaire accablé de tous les maux. Je suis prêt à passer pour l’idiot du village (celui de ces irrésistibles Gaulois aux casques arborant des cornes bien astifinas) mais si j’apprécie le toreo en rond et la jambe en avant je reconnais sa valeur à un toreo en ligne et perfilé mais exécuté avec brio. Ce toreo dit moderne n’a d’ailleurs, soit dit en passant, pas grand chose de nouveau, ce qui l’est, et ce qui serait bon de rappeler, c’est sa systématisation.  

D’une manière comparable, Morante ou Ponce (que je ne mets pas dans le même sac, pas plus que Manzanares) ont longtemps été durement critiqués et je veux bien que leur toreo se soit bonifié mais la base était déjà là. Ce n’est pas en 2009 lorsque tout le monde s’est extasié devant les véroniques de José Antonio Morante à Madrid qu’il a appris à manier à la cape mais il a fallu beaucoup de temps et l’impression de le perdre pour que la vox populi, au-delà de Despeñaperros, le classe parmi les artistes d’exceptions.

Mais en ce qui vous concerne, je me souviens surtout de vos critiques acerbes (sans que vous soyez présent je crois étant le même jour à Millas) contre José Tomás lors de la dernière corrida du maestro à laquelle j’ai assisté, à Bayonne, en 2011, et je me demande quel retournement de situation extraordinaire s’est produit depuis lors. Nîmes 2012 a-t-il été un cataclysme plus grand encore que Séville 2001 ou Madrid 2008 ?

Sur votre point de vue actuel sur José Tomás et Morante je ne peux qu’être d’accord, leurs toreos respectifs représentent ce que j’aime le plus en tauromachie mais d’autres formes me paraissent acceptables. Lorsqu’une faena parvient à me donner ce sourire de béatitude des moments d’éternité, j’ai tendance à devenir partisan de l’auteur mais j’observe les autres en essayant d’être objectif. C’est l’attitude qui à mon sens doit primer surtout lorsqu’on a fait le choix d’écrire sur le sujet, même en tant qu’amateur et encore plus quand on est professionnel.

Qu’on défende, comme Boileau, le Classicisme contre le Modernisme, soit, cependant on peut fustiger sans dénigrer. Je n’ai peut-être pas l’entendement suffisant pour atteindre une totale compréhension de votre texte ou bien c’est que celui-ci manque sur ce point de clarté : faut-il comprendre, qu’à partir de votre théorie du point d’interrogation, Manzanares ne torée pas (et il faudrait préciser que pas plus que Manolete par exemple, pour bien mettre les choses en perspective) ou bien que sa tauromachie (si telle on peut la nommer, mais j’entends celle de ses plus grands succès) n’a aucune valeur mais au contraire une dangerosité limitée à l’extrême et que sa main n’a jamais pesé sur la charge d’un toro, bref qu’il s’agit d’une mascarade ?

Soyons clair, au risque de voir l’afición (la vraie, celle du réduit Vic-Céret-Parentis et l’autre, celle de la fête, du romarin et des œillets rouges) victime d’un schisme définitif. J’avais compris, que vous recherchiez l’équilibre (opus 47), ô combien difficile, entre un animal capable de pousser sous le fer de la pique et une certaine qualité ou classe dans la charge (la « toréabilité ») pour revenir à une vision globale de la lidia mais je me demande, peut-être à tort, si vous n’êtes pas en train de faire alliance avec « l’ultra-torisme » que vous critiquez parfois.

 Sans chercher une discussion sans fin, j’espère que vous pourrez apporter quelques précisions sur votre pensée profonde en vous envoyant un salut respectueux, cordial et surtout taurin (à ma manière).

Sébastien Giraldez

« El Giraldillo »,

auteur du blog éponyme,

lecteur assidu de Terres Taurines,

                                         et spectateur peu regardant

Déc 14 2013

Une bombe

Une bombe vient d’éclater : Morante, El Juli, Manzanares, Perera et Talavante (le G5 donc) refusent de toréer à Séville tant que Canorea sera à la tête des arènes. Ce dernier prétendait réduire les émoluments des toreros, ce que ces derniers qualifient de manque de respect. Ils dénoncent le fait que les « excellents messieurs » (auxquels ils ne manque, avec  leur organisation et leurs titres militaro-religieux surannés, que les perruques pour ressembler aux ridicules patriciens vénitiens du temps de Napoléon) de la Maestranza s’accrochent à leurs privilèges en récupérant un quart du produit brut. Mais y renonceront-ils en évinçant le dernier représentant de la famille Canorea (3e génération)? Toutes les parties devraient faire des efforts mais personne ne veut rien lâcher. Va s’installer maintenant un rapport de force. Qui en sortira vainqueur? Il y a peu de chance que ce soit la Corrida.


Juin 29 2013

Le fond et la forme

Après les ferias d’Alicante, Algeciras et Badajoz un constat s’impose une nouvelle fois : lorsque la Corrida est dépossédée, un à un, de ses atours et qu’elle se retrouve dans son plus simple appareil, ce n’est pas son essence, comme cela devrait être, mais sa frivolité qui apparaît clairement.

J’ai eu l’occasion de l’exprimer, je ne suis pas favorable au gros toro, non pour le volume en soi mais parce que celui-ci ne favorise pas les charges enjouées. Mais lorsque le toro est petit et qu’il est trop moyennement armé pour des arènes de seconde catégorie et surtout qu’il manque de force au point de ne pas voir de seconde pique en une dizaine de corridas (la grosse monopique n’explique pas tout) et ce qui est pire qu’aucun ou presque ne charge avec une vivacité suffisante à la muleta alors nous sommes bien dans ce que certains appellent la corrida light, une corrida qui ne crée pas d’afición et, qui plus est, une corrida qui ne donne pas à envie à une partie de ceux qui avaient fait l’effort de venir d’y retourner. Je ne vais pas moi aussi ajouter ma pierre à l’édifice de la décadence dont parlent certains car les années 60 avec leurs toros ridicules (pour les années précédentes on les mettra sur le compte de la guerre) ou les années 80 ainsi que la décennie suivante où les chutes des toros quel que soit leur encaste étaient légions me paraissent pire encore que l’époque actuelle. Tous les temps anciens n’étaient pas meilleurs (le XIXe siècle aussi a eu ses crises taurines), ceci dit la tauromachie ne doit jamais se satisfaire mais au contraire se parfaire. Il est urgent que la revalorisation du tercio de piques devienne une réalité en Espagne, au-delà d’occasions comptées dans quelques grandes arènes, et pas seulement pour la beauté oubliée de cette phase du « combat » mais surtout pour la recherche d’un toro demandant à être soumis et non mimé.

Ponce est le torero qui a le mieux su profiter des animaux impotents qui sortaient du toril dans les années 90 en leur appliquant une tauromachie superficielle en début de faena à laquelle on a toutefois tort de le réduire. Ses successeurs sont de nos jours nombreux et dans les ferias invoquées plus haut c’est cette tauromachie qui a encore prévalu, une tauromachie technique qui ne vaut que pour « mettre le toro dans le panier » comme disent les taurins, pour lui permettre de se récupérer et éviter qu’il ne s’éteigne trop vite mais qui n’a d’intérêt que si dans la deuxième partie de la faena le torero arrive à baisser la main et à conduire la charge. J’entends déjà les discours simplificateurs mais Domecq ou pas ce qu’il faut faire à mon humble avis c’est rehausser le niveau moyen de caste plutôt que de tout mettre au rebut.

Les figures ont leurs commodités, elles basent leur saison sur un petit nombre de grands rendez-vous où si le bétail qu’ils affrontent n’est pas au fond franchement différent ils font au moins l’effort d’essayer de toréer avec plus de profondeur. Qu’ils ne s’étonnent pas si les arènes ne se remplissent qu’à moitié ou aux trois-quarts. La crise est là, nul doute à cela, mais ce qui est pareillement certain c’est que demain se construit aujourd’hui et que trop d’éléments viennent à manquer pour imaginer un avenir radieux. Un bilan intermédiaire de cette temporada nous permet d’ores et déjà d’affirmer que comme il était à prévoir les manos a manos répétés, les affiches fermées, les gestes inachevés, les triomphes dévalués et le toreo stéréotypé sont autant de paillettes qu’on veut nous vendre pour de l’or.


Mai 26 2013

Les chiens du jardinier

Il y a un dicton espagnol (auquel fait référence une pièce de Lope de Vega) qui parle de ces chiens là qui ne mangent pas et ne laissent pas non plus les autres manger. C’est un peu ce que font les aficionados soi-disant puristes du tendido 7 madrilène sous prétexte qu’il y aurait une manière unique de toréer. Que Manzanares ait « cité » au fil de la corne, qu’il n’ait pas placé la muleta d’une manière absolument plane, qu’il n’ait pas toujours positionné la jambe de sortie en avant, d’accord. Mais il a  toréé, à sa manière, unique. Doit-on lui demander de faire du Fandiño ? Et quand bien même, il y aura toujours un abruti pour éructer un « se va sin torear » comme l’autre jour juste avant que le torero basque se fasse prendre. Que ceux qui ne veulent pas voir le toreo de Manzanares ne le regardent pas mais qu’il aient au moins l’amabilité d’éviter de nous les casser. Nous sommes un certain nombre à prendre un vrai plaisir à voir ses passes prendre naissance bien devant et être conduite derrière avec temple et enchaînées avec cadence, surtout à partir de la troisième passe quand le placement est idéal. La quiétude et la parcimonie de gestes du torero d’Alicante ne sont pas à mettre en doute, son temple non plus. Et ce toreo de ceinture qui conduit l’animal là où le veut le torero ne serait qu’une posture ? Il y a tant de façons pour mandar. Il est vrai que je n’y connais pas grand chose, je ne suis qu’un jeunot qui n’a qu’une vingtaine d’années d’afición dans les pattes. Mais j’espère garder longtemps la passion qui m’anime et ne jamais faire l’entendido grincheux revenu de tout.


Fév 8 2013

Toro et toreo

En peu de temps, pour le vingtième anniversaire de mon afición, j’ai eu la possibilité d’apprécier le meilleur de deux formes de tauromachie : Manzanares à Séville et Robleño à Céret. Et elles me semblent aussi méritoires et nécessaires l’une que l’autre, complémentaires, mais à choisir entre les deux, je clame ma préférence pour la première, c’est elle qui me transporte. Je continuerai à aller voir des encastes variés et des toreros aux styles et aux concepts divers mais j’ai la chance de savoir ce que j’aime par-dessus tout. Peut-être suis-je un mauvais aficionado ou pas un aficionado du tout si on suit les discours de la frange négationniste-révisionniste de l’afición (cf. mon article ‘Histoire toriste’), celle qui a la prétention de détenir la vérité. Si comme ils disent (et c’est peut-être en partie vrai) l’ennemi vient de l’intérieur je suis peut-être leur ennemi. En tous cas, s’ils sont quelquefois une source d’inspiration, je ne me fatigue plus à essayer de dialoguer. Etant dans l’impossibilité de partager ma passion avec eux, je préfère ne pas bouder mon plaisir et en profiter tranquillement, considérant qu’elle est bien plus qu’un combat entre un homme et un animal comme au temps des jeux du cirque.

 Selon moi, ce n’est pas en défendant ces thèses qu’on fera venir la jeunesse aux arènes mais je sais que d’aucuns veulent mourir avec leurs idées, des idées qui, dans la France taurine, s’insèrent d’ailleurs dans une tradition maintenant séculaire. Qu’on veuille un animal vif, avec suffisamment de puissance et même un brin de nerf, d’accord. Qu’on recherche le maximum de difficulté et le danger palpable qui interdit toute passe un peu propre, pour ressortir des arènes satisfait de se dire qu’on a vu un grand toro et qu’il n’y a plus de toreros, non ! Le taureau ne combat n’a jamais été un animal sauvage, ceux qui croient cela se trompent autant que ceux qui cherchent à en faire un animal docile. Tout est une question de dosage et de nuances.

 Malgré tout, il faut reconnaître que l’entêtement de certains fait quelques fois avancer les choses et la France devient même un exemple (n’en prenons quand même pas le melon) pour l’Espagne taurine dans le sens d’une présentation irréprochable (quelques fois même exagérée) quelque soit la catégorie (en général) et la priorité du triomphe sur le renom et l’influence d’un apoderado (ce n’est pas vrai partout). Tous les secteurs de l’afición ont sans doute leur utilité et le mérite d’exister, dommage qu’on ne puisse pas mieux se comprendre.

 Maintenant, si la qualité du spectacle est basée sur la revalorisation du tercio de piques il faudrait aussi penser à assurer un maximum de diversité (pas seulement en achetant des lots d’encastes minoritaires), par exemple en confectionnant des affiches avec des toreros complémentaires et en redécouvrant que la noblesse est une qualité si elle est accompagnée d’une puissance suffisante. Certains élevages, basant la sélection sur la pique et le tempérament, ne permettent pas un spectacle complet. L’erreur serait de passer d’un écueil (celui du manque de trapío et de la toréabilité à outrance) à un autre.