Sep 2 2022

Roca Rey

Andrés Roca Rey est né dans la capitale péruvienne le 21 octobre 1996. A 25 ans, il a déjà écrit une page de l’histoire taurine, ce qui lui vaut amplement une première rétrospection. Véritable phénomène dépassant l’orbite taurine en ces temps d’ostracisme, sa courte carrière est en effet fulgurante. Son toreo a parfois cassé les shémas pré-établis et il est actuellement le seul à remplir les arènes (José Tomás mis à part mais dans de très rares occasions). Il a une personnalité charismatique dont l’aguante est la traduction la plus torera. Le Roi s’est d’ores et déjà taillé un empire car il n’a pas de rival, tant dans l’ancienne génération qu’il ringardise un tant soit peu, que dans la nouvelle où les talents ne manquent pourtant pas, Ginés Marín en tête. Tomás Rufo, peut-être, on ne peut pour l’heure que le souhaiter, sera-t-il capable d’établir la comparaison ? Andrés est un roc, son toreo est solide, dominateur mais il ressemble parfois aussi à un roseau, flexible jusqu’à l’élasticité, il fait passer une masse de plus d’une demi-tonne dans des trous de souris, se jouant des terrains, toréant la mort comme s’il s’agissait d’un jeu, leurrant le toro de son seul bout de tissu en oubliant son corps tout en connaissant la douleur infligée par la corne. Torero en or, il révèle un grand nombre de toros, en se plaçant au plus près, en supportant le frôlement des pointes et en conduisant la charge puis en recommençant jusqu’à apprendre au toro. Voilà le sens de la phrase : « Torear no es engañar al toro, es desengañarlo ». C’est en ce sens que certains indultos sont dus aux toreros qui permettent de découvrir un toro pour peu que celui-ci consente à se livrer. Depuis El Juli aucun torero n’était arrivé avec autant de force et c’est celui-ci qui lui a cédé le sceptre après vingt années passées sur le trône.

Il reçoit son premier coup de corne en août 2013 à Villarcayo alors qu’il n’en est qu’au premier stade de son apprentissage. C’est en France que le petit péruvien, dont l’oncle était torero à cheval, alors sous la houlette d’un faiseur de rois comme José Antonio Campuzano, fit ses débuts avec les cavaliers au castoreño, précisément à Captieux, le 1er juin 2014, obtenant un triomphe retentissant avec trois trophées. Les aficionados de notre pays auront aussi l’occasion d’apprécier sa projection à Hagetmau, Béziers ou Bayonne, sans jamais repartir bredouille.

Après un rodage de 12 spectacles en Europe, l’année suivante sera suffisante pour arriver avec la préparation et la force suffisantes pour l’alternative en en rajoutant 22 de plus. Lors de sa présentation à Madrid, le 19 avril, il sort insolemment en triomphe par la Grande Porte, avant d’en faire de même à Aire sur l’Adour (dans une tout autre catégorie bien-sûr) puis à Séville (par la porte des quadrilles) et un certain nombre d’autres « places » comme Captieux , Tarascon ou Roquefort pour la France et outre-Pyrénées Santander, Villaseca et surtout Bilbao (trois oreilles).

Le 19 septembre 2015 il fit son entrée dans la cour des grands sans complexe, au contraire, en défiant l’establishment de la montera. C’était encore en territoire « gaulois », ou plutôt gallo-romain, dans l’amphithéâtre nîmois, parrainé par Enrique Ponce et sous les yeux de Juan Bautista. Il obtint là son premier triomphe de matador avec un trophée de chaque adversaire de Victoriano del Río, dont Pocosol, le toro de la cérémonie d’ouverture. Sa présentation en Espagne, tout aussi triomphale, a lieu trois jours plus tard à Logroño. Cette dynamique se poursuivra dans ses Amériques, notamment à Lima le 29 novembre puis à Cali malgré un coup de corne reçu dans la Mexicaine Guadalajara, son baptême du sang en tant que matador.

Le début de saison 2016 est imparable avec un triomphe à Valence puis Arles et le 13 mai suivant, il confirme son doctorat des mains de Sébastien Castella et en présence d’Alejandro Talavante et sort pour la première fois par la Grande Porte madrilène en coupant les deux oreilles d’un animal de Conde de Mayalde. Les succès se succèdent comme à Grenade, Alicante, Burgos puis Pampelune (5 oreilles en tout), Mont de Marsan, Valence à nouveau, Santander, Vitoria, Pontevedra, Huesca, Béziers, Dax, Saint-Sébastien avant de connaître un coup d’arrêt en plein mois d’août, à Malaga.

En 2017, il commence bien la temporada à Valence puis essorille un toro à Séville le 5 mai avant d’obtenir un appendice lors de la feria de San Isidro puis de sortir par la Grande Porte de Pampelune pour la troisième fois. En France, c’est à Béziers qu’il obtient sa meilleure prestation avant Bilbao (3 oreilles en deux corridas) puis un trophée pour la feria du Pilar.

Il triomphe pour la troisième année consécutive pour les Fallas 2018 avant de toucher du poil à Séville (il recommencera pour San Miguel) comme à Madrid. C’est toutefois à Pampelune qu’il obtient son plus gros triomphe (6 oreilles en deux corridas) avant de les enchaîner en été comme à Saint-Sébastien, Malaga et surtout Bilbao où il coupe les deux oreilles d’un toro de Victoriano del Río puis Valladolid, Murcie, Albacete et Salamanque. Au bout du compte, il montre à qui de droit que le n°1, à partir de là, c’est lui, qui remplit les arènes et donc qu’on cherche à engager en premier pour quelque feria que ce soit.

En 2019, il arrive à se hisser encore un cran au-dessus pour écraser la concurrence (peut-être au-dessus des ses moyens, de ceux d’aucun être humain), il triomphe encore en Valence en début de saison puis coupe les deux oreilles d’un toro de Cuvillo à Séville le 3 mai alors que la queue avait été sollicitée (plus une autre une semaine plus tard) puis celles d’un toro de Parladé le 22 à Madrid juste après avoir été retourné et blessé par son premier. S’il se remettra bien du coup de corne peu profond, la lésion aux cervicales le poursuivra et s’aggravera même au point de devoir interrompre sa saison début juillet. L’année du confinement est pour lui une page blanche et la suivante qui n’est qu’une demi-saison ne le montre pas aussi pléthorique.

Il faut attendre le « retour à la normalité » pour voir Roca Rey donner sa pleine mesure avec un toreo plus mature que donne probablement l’assurance d’avoir atteint le sommet alliée à la volonté de vouloir y rester et la certitude d’en être capable, vienne qui vienne essayer de l’y déloger. Les changements de trajectoire intempestifs dans le dos ou par bernadinas se sont plus aussi systématiques, les formes deviennent plus classiques. Même sans obtenir de trophées à Madrid où l’épée lui a joué des tours, il est apparu à tout moment en figura, tenant son rang. Cette saison 2022 est assurément l’une des tout meilleures de sa jeune carrière avec un succès à Valence pour l’ouverture de la saison dans les grandes arènes, un double trophée à Séville où il frôle à nouveau la Porte du Prince, cinq oreilles à Pampelune et une grande faena face au toro Jaceno de Victoriano del Río, jusqu’à sa prestation épique de Bilbao du 25 août où il ressort de l’infirmerie blessé pour obtenir les deux oreilles après celle coupée à feu et à sang à son premier. Mais contrairement à la saison précédente, ce n’est pas que dans les cols de montagne qu’on voit Roca Rey dans sa pleine mesure : il arrache les oreilles par poignées, avec les dents s’il le faut, à peu près partout, pour culminer sa saison par une nouvelle Grande Porte madrilène le 12 octobre en essorillant un toro de Victoriano del Río.

Le 21 avril 2023 il obtient une sortie par la Porte du Prince qui lui avait tendu les bras à plusieurs reprises. Le 11 juin, vêtu d’un habit lie de vin et fil noir pour honorer la mémoire de El Yiyo il frôle la sortie en triomphe par la plus grande des portes en toréant blessé et en se faisant prendre tragiquement mais en se relevant pour s’imposer coûte que coûte, vaille que vaille et ainsi maintenir son rang. 

 


Jan 13 2022

Jaime OSTOS

 

La décennie 60 aura été marquée par un grand nombre de bons toreros parmi lesquels figure en bonne place « El Corazón de León«  qui vient de nous quitter à l’orée de ses 90 printemps.

______________________________________________

Jaime Ostos Carmona est né à Écija (Sevilla) le 8 avril 1933 et son décès est survenu le 8 janvier 2022.

C’est dans sa petite ville qu’il toréa sa première novillada non piquée, le 1er juin 1952 avant de se présenter en novillada formelle au printemps suivant à Osuna puis à Séville le 5 juillet en coupant trois trophées. Ce n’est que deux ans plus tard, le 23 juin 1955 qu’il le fit à Madrid avant de prendre l’alternative à Saragosse des mains de El Litri et en présence d’Antonio Ordóñez, le 13  octobre de l’année suivante. Il la confirma le 17 mai 1958 avec Antonio Bienvenida comme parrain qui lui cèda Famosito de Juan Cobaleda auquel il coupa une oreille, en présence de Gregorio Sánchez. Cette année là il reçut deux coups de corne puis un autre très grave à Pampelune en 1960. L’année précédente avait été l’une des plus triomphales de sa carrière. Le 16 mai 1961 il réalise à Madrid une grande faena puis un toro lui inflige une blessure en août. En 1962 il est à la fois le triomphateur de la feria d’Avril et de San Isidro où il obtient deux francs succès, les 16 et 23 mai mais reçoit un coup de corne à Saragosse en fin de saison, ce qui ne l’empêche de finir en tête de l’escalafón. En 1963 il est encorné pas moins de trois fois, la plus grave étant la blessure de Tarazona de Aragón, au point de recevoir l’extrême onction. Il coupa ensuite deux oreilles à Séville le 25 avril 1965, saison où il reçoit encore deux nouveaux coups de cornes. Il triomphera à nouveau dans la capitale andalouse le 23 avril 1968 et surtout le 23 mai où il essorille doublement son lot de Garrido. Son dernier succès sévillan aura lieu le 30 septembre 1972 avant son retrait de 1974. Il réapparaître cependant en 1977 puis lors des saisons 1979 et 1980 avant un dernier retour en 1985-86.

Jaime Ostos a été un torero d’un grand courage qui, chose rare, semblait croître à chaque blessure. Il fut un véritable exemple de pundonor mais n’était pas pour autant exempt de certaines qualités artistiques qui en font un torero très complet quoique relativement méconnu dans l’actualité. A Séville il est assurément considéré comme un torero de premier plan avec ses 26 oreilles obtenues et une sortie par la Porte du Prince.


Août 15 2020

Emilio De Justo

Il est né à Cáceres le 16 février 1983. Ses débuts en public se sont déroulés à Valdecín dans sa province natale le 18 juillet 1998 et il a revêtu son premier habit de lumières dans sa ville le 16 avril 2000 avant d’y débuter avec picadors le 22 avril 2002 en sortant a hombros.

C’est cinq ans plus tard, le 26 mai 2007, qu’il reçut l’alternative, après avoir foulé le sable de la plupart des grandes arènes, des mains de Talavante et en présence de Cayetano, essorillant un toro de Vegahermosa.

La confirmation eut lieu l’année suivante, le 29 juin 2008 dans une affiche partagée avec Aníbal Ruiz et Sergio Martínez qui comatirent du bétail de Juan Luis Fraile puis coupe une oreille venteña la saison d’après.

Malgré les succès prometteurs qu’il a obtenu, les 5 années qui suivent sont misérables en contrats, la crise n’expliquant qu’en partie cet état de fait.  En 2010 et 2011 il reste en Colombie puis revient en Espagne sans parvenir à rentrer dans le circuit. Il se fit cependant remarquer à Hervas en 2015 en coupant les deux oreilles d’un toro de Victorino Martín.

L’année suivante, sous l’égide de Luisito, avec lequel il sera lié professionnellement quatre années durant, il « rentre » en France à Vic où il triomphe dans une corrida de Palha puis à Mont de Marsan (deux fois une oreille des toros gris d’Adolfo puis de Victorino) et surtout à Dax avec du bétail de ce dernier fer qui sans faire de cadeaux lui permettra de gravir peu à peu les échelons.

En 2018 il est déjà considéré comme le torero révélation avec toujours des triomphes en France, notamment à Mont de Marsan et à Dax mais aussi en Espagne où on commence à le regarder d’un tout autre œil, en particulier à Pampelune où il obtient un trophée d’un toro de José Escolar. A la fin de la saison, le jour de la mort de son père, il fit preuve d’un dépassement de soi remarquable, autant d’un point de vue de la force mentale que d’un stoïcisme impressionnant face à la douleur après une blessure sérieuse qui lui permettent de triompher une nouvelle fois dans la capitale des Landes. Cet esprit de sacrifice eut sa récompense la semaine suivante avec une sortie par la Grande Porte madrilène dans une corrida de Puerto de San Lorenzo.

En septembre 2019 il triomphe pleinement à Dax dans un solo face à 6 victorinos après avoir obtenu un trophée à Bilbao et s’être remis d’un problème à la clavicule. A la fin de la saison, le « producteur » Simon Casas devient son nouvel apoderado.

Le 4 juillet 2021 il coupe trois oreilles à son lot de Victoriano del Río, dont deux de Duende et obtient sa deuxième Grande Porte madrilène. Le 23 septembre il complète une saison magnifique en coupant deux oreilles à un toro de Victorino Martín après une excellente faena qui le fait « rentrer » à Séville. Le 2 octobre suivant il obtient aussi un double trophée d’un toro de Garcigrande et sort en triomphe des arènes de Las Ventas pour la troisième fois.

Au début de la saison 2022 il est gravement blessé au cervicale en estoquant le premier toro de son solo madrilène ce qui le mettra hors-jeu pour l’essentiel de la temporada mais il revient tel qu’il était parti et obtient un triomphe majeur à Séville le 24 avril 2023 et un autre à Madrid, le 11 mai, bravant le vent et le brave Valentón.

De Justo est un torero à l’ancienne qui torée avec vérité du bétail de respect. Il est incontestablement devenu le meilleur spécialiste actuel de l’encaste Albaserrada. Il est surprenant qu’un torero de cette qualité et de cette capacité soit passé si longtemps inaperçu. Il est dans la ligne du Cid, de Fandiño, de Ferrera, d’Urdiales ou d’Ureña : justice a finalement été faite alors que rien ne leur avait été facilité. C’est un torero classique qui torée avec une grande classe et temple mais sans concessions pour la galerie. Il ne sera peut-être jamais une figura tout public mais les entendidos comme ses collègues le jugent à sa juste valeur. Comme dit un autre Emilio avant sa révélation définitive : « Attention à ce torero ! »


Mai 16 2020

Joselito « el Gallo »

Il y a 100 ans, « le plus grand torero de l’histoire » mourait sous la corne. Portrait.

José  GÓMEZ ORTEGA  “GALLITO”

[1]

Il est né à Gelves (Séville) le 8 mai 1895. Sa mort survint à Talavera de la Reina (Tolède) le 16 de mai 1920.

Son père, le torero Fernando “El Gallo”, meurt alors que Joselito n’a que deux ans. A 8 ans, il torée sa première vachette et il s’habille pour la première fois de lumières le 19 avril 1908 à Xérès. Il fera ensuite partie d’un quadrille d’enfants toreros. Le 24 octobre 1911, sans encore avoir reçu l’alternative, il tue le toro Avellanito de Moreno Santa María, à Séville. Il se présente à Madrid le 13 de juin 1912 pour toréer une corrida de toros, la novillada ne lui paraissant pas suffisamment sérieuse : les critiques déjà voient en lui un torero d’exception. Le 23 du même mois, il triomphe également à Séville. Joselito reçoit un coup de corne le 1er septembre à Bilbao et prend l’alternative dans sa ville natale des mains de son frère Rafael le 28 septembre 1912 avec le toro Caballero de Moreno Santa María. Ce n’est que le lendemain qu’il triomphera pour la première fois à la Maestranza.

Il la confirme le 1er octobre à Madrid face à Ciervo de Veragua. Il rivalise avec Bombita lors de la Feria d’Abril 1913. Le 1er  juin Rafael “el Gallo”, Machaquito et Gallito sortent par la grande porte à Madrid. Le 5 juin le plus jeunes des gallos coupe un appendice auriculaire d’une grande valeur dans la capitale espagnole. Jusqu’à cette date, seuls Bombita, Machaquito, Vicente Pastor (deux fois) et Rafael “el Gallo” avaient obtenu une oreille dans lesdites arènes. Il obtient en outre d’importants triomphes à Saint Sébastien et à Saragosse. A partir de la saison 1914 commence sa rivalité avec Juan Belmonte. Il torée admirablement lors de la Feria d’Abril  le toro Almendrito de Santa Coloma, alors qu’il affronte pour la première fois en mano a mano celui qu’on appellerait « el Pasmo de Triana » (ils s’étaient rencontrés face à des miuras quelques jours avant). Il coupe une oreille à Madrid le 2 mai dans le premier épisode de leur opposition  dans la capitale. Il sort ensuite a hombros des arènes de la route d’Aragon le 3 juillet dans une corrida en solo. Il fut blessé à Barcelone le 5 du même mois par le toro Coletero de Pérez de la Concha et il triomphe à Bilbao où il est à nouveau blessé. En 1915, à Séville, il réalise un faenón au toro Napoleón de Gamero Cívico, tant à la cape, qu’aux banderilles, qu’avec la muleta et l’épée. Il coupe aussi des oreilles à Madrid puis revient dans l’ancienne Hispalis pour y triompher face aux miuras le 29 avant de s’enfermer face à 6 toros 6 le lendemain : la présidence lui accordera l’oreille du cinquième Cantinero, de Santa Coloma, une première dans ces arènes. Il termine la saison avec 102 corridas au compteur, un record qu’il battra l’année qu’il dépassera encore  suivante (105) et qu’il dépassera encore deux ans plus tard (103). Le 15 mai 1916, à Madrid, il parvient à enchaîner sept naturelles (apparemment, seul Florentino Ballesteros avait réussi à en enchaîner plus, à Barcelone, en 1913)[2]. Le 8 octobre de la même année, il triomphe dans les mêmes arènes avec du bétail de Gamero Cívico, en coupant les oreilles de ses deux toros. En 1917 il connaît un grand succès à Barcelone et surtout à Séville où il coupe les oreilles à quatre des six toros qu’il tue en solitaire. Il reçoit un coup de corne à Saragosse en 1918 et un autre le 1er mai 1919 à Madrid, mais il connaît l’autre face de la monnaie à Séville, Valence et Bilbao.

[4]

En cette année 1919, après avoir perdu sa mère, le caractère mélancolique de José Gómez s’accentue. Le toro Bailador, de l’élévage connu comme celui de “la veuve Ortega”, fut la cinquième à sortir en piste à  Talavera de la Reina le 16 mai 1920. Ce toro supposément burriciego[3] allait mettre fin à la vie de cet immense toreo nommé Joselito “El Gallo”, pour beaucoup le plus grand de tous les temps, en lui introduisant toute la corne dans le ventre. Il avait à peine 25 ans.

Torero très dominateur, Joselito commencera à bien toréer avec la cape à partir de 1916. Il fut un spécialiste de la larga cambiada à genoux et des recortes avec la cape pliée sur le bras. C’était également un torero avec un répertoire très large et un banderillero exceptionnel. Ses naturelles en rond, ce qui fait de lui un des précurseurs du toreo lié en séries, étaient célèbres. Sans être un matador hors du commun, il tuait avec une rapidité, une agilité et une sécurité exceptionnelles. Ses meilleures estocades sans doute furent-elles données dans la suerte a recibir. Statistiquement, il a coupé un total de 17 oreilles dans les arènes de Madrid. Il était en quelque sorte le Miquel Ange des toreros, un mythe de perfection.


[1] et [1bis] Photos 6 TOROS 6.

[2] Cf. l’article “El ritmo por dentro” de J.C. Arévalo dans la revue 6 TOROS 6 n°720 p.62.

[3] Animal ayant un problème visuel.

[4] Demi-véronique de “Gallito”. Photo 6 TOROS 6.


Mar 14 2020

Don Temple

Urdiales est un artiste dans le sens le plus noble du terme. Il n’y a pas chez lui la recherche d’une beauté artificielle, points de poses et de pointes, de postures à distance ou à toro passé mais du lourd, de la maîtrise, du naturel et du courage pour réaliser, face à des animaux souvent difficiles un toreo de réduction : réduire l’adversaire à sa volonté pour lui permettre de montrer toute l’étendu de sa bravoure, le montrer pour le mettre en valeur et par là-même la dimension incommensurable de son toreo fait de réduction de la vitesse. Avec Puerta nous avions Diego Valor et là nous sommes en présence de Diego Temple, car c’est bien le don premier de Monsieur Urdiales. Ce n’est pas un hasard si Curro Romero himself le suit un peu partout, comme une résurgence de lui-même. Des déplacements réduits à l’essentiel même s’il pratique le toreo de mouvement et le macheteo avec un art – je sais que cela semble un oxymore pour certains – et un classicisme un brin surannés incluant ce temple d’une extrême rareté en font un maître, un torero de torero, un idéal à atteindre plus qu’un modèle à suivre. Heureusement pour les figuras, la qualité et la quantité sont souvent incompatibles. Son toreo est possible avec divers encastes mais pas avec tous les toros. A la véronique c’est un aussi un géant et même face à des pupilles d’encaste Albaserrada il donne de cette suerte une interprétation magnifiée ; il est donc en ce sens meilleur que Curro et Morante réunis.

Diego Urdiales est né à Arnedo, dans la Rioja, le 31 mai 1975. Le 21 mars 1992 il débute avec picadors dans son village où il obtiendra le prestigieux Zapato de Oro en 98.

Il prend l’alternative le 15 août 1999 à Dax des mains du maestro Paco Ojeda et avec un lot de Diego Puerta. Quoique considéré depuis toujours comme un torero de classe, celui que l’on doit désormais appeler Don Diego a été confiné longtemps à des corridas de village et quelques prestations dans des arènes de saison sans grand succès jusqu’au jour où tel un ouragan il a tout balayé sur son passage démontrant qu’il était à lui seul, comme disait Rafael de Paula, une classe de torero.

C’est le 8 juillet 2001 qu’il avait confirmé ce doctorat des mains de Frascuelo et face à des toros de Guardiola. En 2005, c’est aussi d’un guardiola qu’il obtient une oreille chez lui à Logroño, pourtant la campagne suivante se résumera à un unique festival. En 2007, il obtient la grâce à la maison de Molinito de Victorino Martín en coupant une queue symbolique (plus deux oreilles de plus à des toros de Victorino et Cebada). La campagne suivante est bien plus prolifique avec des ponctuations à Saint-Sébastien et Bilbao, où on aperçoit la dimension qu’il va acquérir, mais surtout à Madrid devant un victorino pour la feria d’Automne.

Le 2 mai 2009, il renouvelle ce succès dans la capitale espagnole puis en fait de même à Bilbao (là avec un autre victorino), qui seront dès lors ses deux arènes de prédilection; il donne aussi un aperçu de son art à Saint-Sébastien avant d’essoriller un Torrestrella à Logroño et de donner une vuelta dans la capitale des Espagnes. La capitale économique du Pays-Basque le verra encore toucher du poil en 2010, 2012 et 2013 (Victorino à chaque fois), année où il réalise à Vic-Fezensac une faena mémorable mais c’est à Dax trois ans plus tôt qu’il était « rentré » en France en sortant a hombros des arènes qui l’avaient vu devenir matador avant d’obtenir aussi un trophée lors de la feria du riz. En 2014, Urdiales triomphe à Mont de Marsan et à Dax puis à Logroño avant de couper une grosse oreille à Madrid à un toro d’Adolfo et une autre à Saragosse.

C’est la saison suivante qu’il obtient son premier succès d’envergure lors de l’Aste Nagusia face à des toros d’Alcurrucén. Il avait aussi coupé un appendice auriculaire à Dax et aussi à Saragosse après avoir triomphé à nouveau chez lui par deux fois. Nouveau triomphe à Bilbao en 2016, encore avec les núñez d’Alcurrucén. Après une temporada 2017 très discrète, c’est celle d’après qu’il casse la baraque, renaissant tel le sphinx : Grandes Portes à Bilbao et Madrid avec un toreo stratosphérique en 6 corridas seulement, se consacrant définitivement après 20 ans de métier, le temps de la maîtrise en toutes choses il est vrai. Si quantitativement 2019 a été une bonne moisson elle n’aura pas donné lieu à de réels chef-d’œuvres, quelques esquisses tout au plus mais après la crise sanitaire le Sphinx se consacre dans le temple du toreo en coupant deux oreilles à un toro de Garcigrande le 2 octobre 2021. Premier épisode pour devenir torero de Séville ? Malgré ses origines boréales il en a les moyens.


Déc 1 2019

El Cid matatoros

Manuel Jesús Cid, alias “EL CID” s’en va : rétrospective d’une carrière.

          Ce Paco Camino du XXIe siècle s’est incontestablement fait un nom durant ses vingt ans d’alternative à partir d’une capacité remarquable et surtout d’un poignet gauche exceptionnel. Torero de Madrid, il y a perdu un certain nombre de triomphes à l’épée mais maintenant qu’on a un regard sur l’ensemble de sa carrière on peut dire qu’il a manqué d’ambition ou de personnalité au moment où il aurait pu devenir un torero d’époque. Son toreo de qualité ne s’est jamais départi d’une certaine froideur et c’est ce qui a empêché Séville de se livrer pleinement à lui malgré son concept classique et sévillan, ses 4 Portes du Prince et ses 23 oreilles.

         Il est né à Salteras, près de la capitale andalouse, le 10 mars 1974. Le 2 mai 1999 il coupe un trophée pour sa présentation comme novillero dans les arènes de la Maestranza, cinq après ses débuts avec picadors.

         L’année suivante, il prend l’alternative à Madrid des mains de David Luguillano et en présence de Finito de Córdoba le 23 avril 2000 avec le toro Gracioso de José Vázquez, avant de recevoir un grave coup de corne dans ces mêmes arènes qui deviendront les siennes, bien plus que celles de sa ville natale.

         Spécialiste des corridas dures durant ses premières années de matador, il acquiert la catégorie de figura en 2005 en sortant par deux fois en triomphe des arènes de Séville, le 27 mars, Dimanche de Résurrection puis le 7 avril, cette fois avec des toros de Victorino Martín, avant d’en fairede même à Madrid le 3 juin avec le même fer.

         En 2006, il ouvre à nouveau la Grande Porte de Las Ventas le 22 mai puis obtient sa troisième Porte du Prince le 23 septembre pour son encerrona qui se solde par un bilan de 4 trophées (deux d’un victorino).

         Il est dans la meilleure partie de sa carrière et les triomphes s’enchaînent l’année suivante : triomphe sévillan le 19 avril, à nouveau avec les toros du A couronné, puis trois autres oreilles à Pampelune et quatre à Bilbao (deux du cinquième) pour son encerrona avec les toros du « Cateto », qui lui doivent tant. La saison se clôt avec un nouvel appendice pour la feria de San Miguel.

El Cid lors de sa geste basque : libération de la tension après

l’intensité de la solitude épique

La saison 2008 débute bien avec une oreille de plus à la Maestranza à Pâques puis se poursuite avec une grande faena à Madrid avec un toro de El Pilar même si c’est d’un victorino qu’il obtient une oreille.

         Le déclin du Cid commence en 2009 et même s’il se maintiendra dans les ferias pendant 10 ans il ne sera plus que l’ombre de lui-même. Il reçoit cette année là un coup de corne à la cuisse à Pampelune puis une autre à Navalvarnero au mois de septembre.

         L’année 2010 fait renaître l’espoir, à Madrid et à Pampelune et la saison suivante est meilleure faisant penser à un torero retrouvé : il coupe une oreille à Séville à la fois pour la feria d’Avril puis pour celle de San Miguel et aussi à Madrid et à Bilbao.

         Il faut attendre le 4 octobre 2013 pour le voir réaliser une grande faena à Madrid mais son talent d’Achille aux aciers, qui avait retardé son ascension dans les premières années de sa carrière, l’empêche de triompher. En 2014 il coupe une oreille d’un victorino à Bilbao, des toros qu’il torée de moins en moins puis échoue dans un 6 contre 1 madrilène en 2015 face à des toros de ce fer.

         Les dernières années sont encore un cran en-dessous sauf la toute dernière où le torero fait honneur à son nom surtout dans la deuxième partie de la temporada : oreille à Séville pour sa despedida, vuelta à Madrid et double trophée à Saragosse.


Oct 5 2018

Ode au Pharaon

Le temps passe inexorablement et les plus jeunes d’entre nous ne savent peut-être pas suffisamment qui a été la légende dont nous parlerons aujourd’hui. Voici une esquisse.

A la fois légère et profonde : pharaonique ! (photo ABC)

      Curro Romero fut un cas à part, du point de vu artistique mais aussi de sa longévité. Son temple était quelque chose d’incompréhensible : il endormait littéralement les toros avec la cape ou la muleta. Il fut l’exemple même du torero court; il faisait lever les aficionados de leurs sièges ou liquidait ses adversaires sans même essayer de les montrer. Il a ramené de Madrid des broncas mémorables, sortant souvent sous des jets de coussinets. Son répertoire était on ne peut plus limité, mais ce qu’il faisait frisait la perfection. Avec la cape sa véronique et sa « demie » étaient d’authentiques parangons, avec la muleta ses passes droitières et ses naturelles d’une extrême lenteur, à mi-hauteur, restent dans nos esprits comme un modèle de temple mais nous n’oublions pas non plus ses célèbres détails : trincherilla, kikirikí, recorte et changement de main à gauche, firma, passes aidées à mi-hauteur avec la muleta glissant langoureusement sur l’épaule et les côtes du toro, son jeu de poignets ou sa passe aidée un genou à terre au temps de sa jeunesse… et aussi l’ineffable. Il avait besoin de son toro – pas toujours celui qui paraissait le plus facile – pour réaliser son Art, un toreo pur, sans concessions, sans trucages, recours ou avantages – la dizaine de coups de corne graves qu’il a subies sont là pour en témoigner – souvent sans toques, le leurre lisse, et le compas légèrement ouvert.

     Il est sorti cinq fois par la Porte du Prince de sa Séville natale où plus qu’un Roi il était un Pharaon, lui le payo, vénéré par les Gitans que les Espagnols ont confondu avec les Egyptiens. Mais c’est dans toutes les sphères de la société qu’il recrutait ses partisans, remplissant ses arènes jusqu’à la fin malgré ses longues traversées du désert (du Sinaï ?). Il y a coupé pas moins de 49 oreilles pour son étape de matador. A Madrid aussi il a été compris (chose dont il avait besoin pour se lâcher comme on dirait aujourd’hui), ce qui n’a pas été le cas  partout, et il y a triomphé en 7 occasions (3 fois pendant la feria de San Isidro) plus deux sorties a hombros par la porte des quadrilles. Mais ce torero classique avait les contrastes du baroque : pour les zones d’ombre, on ne peut passer sous silence les 7 toros qu’il n’a pas réussi à tuer, ce qui n’est finalement pas tant pour une carrière si longue. Peu importait d’ailleurs aux curristas, ses fidèles partisans au brin de romarin, son emblème, qui, patients, payaient leur entrée pour le voir au moins réaliser le paseo avec son incomparable majesté mais qui avaient toujours le secret espoir qu’il réalise trois passes et un détail ou, pourquoi pas, l’une de ses géniales faenas quand bien même il aurait comme tant de fois, perdu les trophées à l’épée, un outil qui fut toujours son talon d’Achille. Il réalisait cependant parfois la suerte suprême avec une apparente facilité mais sans s’engager, ce qui est peu dire, a paso de banderilles, en partant sur le côté et en clouant l’estoc avec la pointe des doigts. Cet esthète raffiné n’appréciait d’ailleurs pas de se rapprocher suffisamment du toro pour se tâcher de sang et même lorsqu’il coupait une oreille il la changeait aussitôt pour un rameau éponyme dont son toreo renfermait les essences. Les jours où il était à l’affiche dans sa Maestranza, on disait d’ailleurs : « huele a romero » (ça sent le romarin) et il est vrai qu’il y avait toujours une Gitane dans le quartier d’El Arenal pour nous vendre un brin de cette plante tellement méditerranéenne.

      Bref, Curro Romero était la grâce incarnée, une idée toute andalouse d’une facilité innée et il suscitait l’attente comme personne par sa personnalité naturellement fantasque. Il n’était pas LE TORERO par antonomase mais il était un torero nécessaire, loin du toreo stéréotypé, oscillant entre des bassesses bien humaines et une grandeur toute pharaonique. Comment un être aussi couard et désastreux pouvait-il se transfigurer quelques fois, se piquer au vif pour déboucher le flacon secret et nous donner ce spectacle de beauté pure à partir du chaos ? Lui parlait des duendes, autant parler de mystère.


Sep 15 2018

L’enfant prodige devenu roi

Julián LÓPEZ  ESCOBAR  “EL JULI

Ce fils de torero est né à Madrid le 3 octobre 1982. Il a été élève de l’Ecole taurine de Madrid avant de réaliser une étape météoritique en tant que novillero. Il a en effet pris l’alternative à Nîmes le 18 septembre 1998 à seulement 16 ans. Le 5 février 1999 il a coupé trois oreilles dans les arènes de la capitale mexicaine et le 23 avril suivant il a obtenu les trois trophées qui lui auraient permis de sortir par la mythique Porte du Prince s’il n’avait pas été blessé. Le 15 juin 2000 il remporte sa première oreille madrilène comme matador puis une queue à Saragosse le 12 octobre pour clore une première saison triomphale. En 2001, il obtient un double trophée à Séville le 3 mai puis il sort deux fois consécutives par la Grande Porte de Pampelune. Le 22 août il coupe deux fois une oreille à Bilbao à des toros de Victorino Martín, une prestation qui lui donne une dimension de lidiador, car c’est un torero doué d’une aussi grande technique que d’un grand courage. Les aficionados auraient cependant aimé le voir plus souvent face aux élevages réputés les plus difficiles à partir de cette date. Le jour suivant il écrivit un paragraphe de plus pour construire sa légende en étant le premier torero en quinze ans à essoriller un toro dans les arènes basques de Vista Alegre : ce toro lui laissera des stigmates à la bouche et au nez. En 2002, il sortit deux fois en triomphe de la Monumental de Insurgentes, coupant une queue le 5 février. Il triompha aussi dans ses arènes fétiches de Pampelune et Bilbao où il coupa trois oreilles à son lot de Torrestrella le 23 août après avoir gagné un appendice d’un victorino deux jours avant. Le 5 février 2005, il gracie Trojano de Montecristo à Mexico en réalisant une grande faena. Lors de l’Aste Nagusia 2005, il triomphe à nouveau avant d’attaquer la saison suivante en obtenant une oreille de poids pendant la San Isidro puis de rééditer ses exploits à Bilbao fin août. Le 5 février 2007 il triomphe une nouvelle fois dans l’ancienne Tenochtitlan puis sort enfin a hombros des arènes de Las Ventas le 23 mai. En 2009, il est l’auteur d’une bonne prestation à Séville où il perd la Porte du Prince aux aciers mais coupe deux fois une oreille en deux corridas; s’ensuivent trois trophées pour les sanfermines et un pour l’Aste Nagusia lors d’une corrida en solo suite au forfait de Perera.

El Juli débute la deuxième décennie du XXIe siècle sur le même rythme que la précédente avec un triomphe dans la capitale aztèque puis obtient une Porte du Prince le 16 avril avant un double trophée quatre jours plus tard. Le 12 juillet il obtient deux fois une oreille à Pampelune mais reçoit un coup de corne au  niveau du scrotum. Il passe ensuite par Bilbao en marquant un point. En 2011, il coupe deux oreilles à la Maestranza lors de la traditionnelle corrida du dimanche de Pâques avant d’obtenir une nouvelle Porte du Prince le 29 avril. Le 18 mai il fait en sorte de ne pas être en reste en coupant une oreille face à un Manzanares qui obtient l’ouverture des battants couleur sang de toro de Las Ventas. Il triomphe aussi doublement pour les sanfermines : 3 oreilles le 12 juillet et 2 le 14 mais on doit lui faire 15 points de suture à Bayonne le 5 août, ce qui ne l’empêche pas de sortir par la Grande Porte à Bilbao le 23. En 2013, il sort en triomphe des arènes de Séville lors du dimanche de Résurrection après que le public ait sollicité l’octroi d’une queue mais le 19 avril il est encorné au niveau de la cuisse. En août, il rajoute à son palmarès une nouvelle Grande Porte à Bilbao. L’année suivante il remporte une oreille à Madrid et à Bilbao et triomphe à Pampelune, témoignant encore d’une grande régularité même lorsqu’il ne triomphe pas de manière absolue. C’est ce qu’il fera par exemple pour les Fallas de 2015 en repartant avec 5 appendices dans sa besace. A Séville, il connaît cette année-là les deux faces de la monnaie : une oreille et un coup de corne dans le fessier. En 2018 et 2019 il est à nouveau imparable avec deux nouvelles Porte du Prince  puis une septième quelque peu contestée en 2022 (41 oreilles comme matador à Séville sur l’ensemble de sa carrière en mai 2022) autant que le double trophée accordé le dimanche de Résurrection suivant.

Le 30 septembre 2023, pour sa dernière corrida à Madrid, il obtient les deux oreilles du toro Faraón de Puerto de san Lorenzo sans doute demadées par le public autant pour son après-midi que pour l’ensemble de sa carrière.

On annonce son déclin depuis longtemps et pourtant, Julián López est toujours là et il a même été le Roi des deux premières décennies du XXIe siècle (au moins jusqu’à l’apparition de Roca Rey le bien nommé), celui qui décide, sinon de tout, de beaucoup, notamment de la confortation du mono-encaste.  Instigateur du G10 puis du G5 il entend maintenir son influence et a réussi après son boycott des arènes de Séville à faire partir l’héritier Canorea. Il a arrêté de banderiller lors de la saison 2005 de manière à ce que la variété de son toreo de cape et la puissance de sa muleta soient mieux appréciées. Torero moderne, il n’a rien d’un artiste mais ne manque assurément pas de personnalité. Toréant parfois de manière baroque, il laisse traîner le leurre pour mieux dominer ses adversaires et enchaîne, tel Ojeda, les passes dans un mouchoir de poche. On peut toutefois lui reprocher un toreo profilé et une manière de tuer sortant de la suerte. Torero intelligent et habile, il s’engage quand l’occasion le requiert et si son torero manque de pureté il n’a rien de léger. El Juli, qu’on le veuille ou non, est un torero d’époque, au même titre qu’Enrique Ponce ou José Tomás, un incontournable de la tauromachie du XXIe siècle.


Août 27 2017

Dámaso : le chaînon manquant

Dámaso González Carrasco, né à Albacete le 11 de septembre 1948, s’est éteint à Madrid le 26 août 2017.

Il a revêtu l’habit de lumières pour la première fois en 1966, après avoir participé à de nombreuses capeas, se forgeant à l’ancienne. Il a ensuite débuté avec picadors dans sa ville natale le 8 septembre 1968. Sa présentation madrilène eut lieu le 1er juin 1969 puis il sortit par la Porte du Prince le 15 de même mois. Notons également, pour son étape de novillero, l’octroi de deux queues dans des arènes aussi importantes que Barcelone ou Valence. Il reçut l’alternative à Alicante des mains de Miguelín et en présence de Paquirri, le 24 juin 1969 avec le toro Gañolote de Flores Cubero.  Il la confirma le 14 mai 1970 parrainé par El Viti qui lui céda Barranquillo, de Francisco Galache, mais c’est de son adversaire suivant qu’il obtiendra son premier trophée à Las Ventas. Il devra attendre le 25 mai 1979 pour y couper les deux oreilles d’un toro de La Laguna avant de renouveler un triomphe, dans une corrida de Torrestrella, le 21 mai 1981. Il se retira des arènes en 1988 après avoir été encorné au ventre, une blessure infligée par un toro de Miura. Il s’agissait là de son neuvième coup de corne grave. En 1992 il réapparut pour prendre définitivement sa retraite en 1994.

Dámaso face à un mastodonte de Miura (photo Aplausos)

Dámaso González a été un torero dominateur qui peut être considéré comme le précurseur du toreo de Paco Ojeda, basé sur l’immobilité absolue. Il s’agissait d’un torero tremendista, débordant de courage et de pundonor. Si son esthétique était pour le moins discutable il était capable de toréer les toros les plus compliqués en leur appliquant la recette (secrète) du temple. Il a coupé 9 oreilles à Madrid, en sortant deux fois a hombros lors de la feria de San Isidro contre deux trophées à Séville.


Août 13 2017

Il y a 20 ans…

… ou presque, prenait l’alternative José Antonio Morante Camacho,

« MORANTE de LA PUEBLA »

 Il est né à La Puebla del Río (Séville) le 2 octobre 1978.

Il a pris l’alternative à Burgos le 29 juin 1997 des mains de César Rincón, qui lui a cédé Guerrero de Juan Pedro Domecq. Le 21 avril 1998 il a coupé les deux oreilles de Parón de Gavira lors de sa présentation comme matador à Séville ce qui lui valut d’être déclaré triomphateur de la feria. Il fit sa confirmation d’alternative le 14 mai 1998 quand Aparicio lui céda Hospedero de Sepúlveda. En été, il coupa une queue au Puerto de Santa María et termina sa première saison complète en coupant les deux appendices d’un toro à Saragosse. Le 19 avril 1999, il sortit par la Porte du Prince lors d’une course de Guadalest avant de réaliser une grande faena à Malaga en plus de couper une oreille à Bilbao où il tua recibiendo comme à Dax; à la fin de la temporada, il se fractura plusieurs vertèbres. Le 29 avril 2000, il coupa dans ses arènes de la Maestranza les deux oreilles d’un toro de Victoriano del Río après là aussi avoir tué a recibir. Son second lui infligea malheureusement deux coups de corne. En 2001, il obtint une oreille à Madrid et perdit la Grande Porte à l’épée après une faena importante à un toro de Javier Pérez Tabernero. Il réalisa une autre grande faena en 2003 et créa un chef d’œuvre à Xérès le 12 octobre en coupant une queue lors du dernier toro d’une corrida en solo. Après une nouvelle encerrona, à Madrid cette fois, il interrompit sa saison 2004 en raison d’une dépression causée dit-on par des problèmes biologiques qui avaient commencé à se manifester l’année précédente mais il revint en 2005 pour notre plus grand régal comme le 7 mai à Xérès où il obtint à nouveau une queue après une estocade recibiendo. A Grenade aussi il y eut du ‘chant profond’ le 24 du même mois et à Aranjuez le 30 mais aussi dans des arènes importantes comme Valence, Barcelone ou Salamanque. En 2006, il obtint un nouveau trophée madrilène le 6 juin. Le 26 novembre, il réalisa une bonne faena à Mexico et reçut un double trophée. En 2007, pour ses dix ans de doctorat taurin, il coupe deux oreilles à Séville le 23 avril – une course triomphale où Talavante sort par la Porte du Prince -, à base de courage comme le démontre sa réception a portagayola. Il en va de même avec l’appendice gagné le 6 juin pour la Corrida de Beneficencia où il s’afficha comme unique matador : après avoir été blessé par le cinquième, le dernier toro lui permit un excellent toreo de cape, il le banderilla et le début de faena fut d’anthologie, à base de domination, avant que l’animal ne s’éteigne. Il se retira fin juin après avoir rompu professionnellement avec son apoderado, Rafael de Paula. Il réapparut cependant l’année suivante et coupa une oreille à Madrid pendant la feria de San Isidro et une autre pour la corrida de Beneficencia. 2009 fut une de ses meilleures saisons avec tout d’abord une oreille de poids à Séville le 26 avril quelques jours après y avoir toréé une corrida de Victorino Martín avec des réminiscences de temps oubliés cape en mains puis il fut déclaré triomphateur de San Isidro après avoir rêvé le toreo par véroniques le 21 mai. Il obtient un autre appendice à Pampelune le 14 juillet mais il reçoit un double coup de corne dans la cuisse le 7 août au Puerto et un autre à San Sebastián de los Reyes le 28 du même mois.

En 2010, il reçoit une oreille pour le dimanche de Pâques sévillan et triomphe à Xérès, Nîmes (une queue pour la faena de la chaise) et se montre sous son meilleur jour à la cape pour la corrida de Beneficencia dans une rivalité avec Daniel Luque. Le 23 août 2011, il obtient l’un de ses plus grands succès en essorillant un toro à Bilbao pour une faena commencée par des doblones d’antan. Le 19 novembre 2012, c’est à México qu’il triomphe mais connaît le revers de la médaille à Huesca en 2013 en recevant un coup de corne de trois trajectoires, l’une d’elles de 30 cm, ce qui ne l’empêche pas de couper une oreille de poids à Bilbao. Le 15 avril 2016, il obtient à nouveau un double trophée chez lui malgré un toro sans gaz dont il a par contre tiré tout le parti possible. Le 13 août 2017, au Puerto de Santa María, il annonce interrompre sa saison après une bronca. En 2021 il devient le leader de l’escalafón et réalise probablement sa meilleure faena à Séville le 1er octobre où il se montre aussi inventif qu’engagé. Douze jours plus tard il renoue avec le succès à Madrid en obtenant un appendice d’un toro de Alcurrucén. Le 7 mai 2022 il essorille à nouveau un toro dans ses arènes après avoir obtenu un  nouvel appendice la veille et il récidive en septembre pour une faena encore plus grande mais il hisse son art un peu plus vers les cieux le 26 avril 2023 avec l’obtention d’une queue, 52 ans après celle de Ruiz Miguel.

Adulé par les uns, honni par d’autres, cet immense torero est capable de réaliser n’importe quelle suerte avec une saveur d’éternité. C’est un torero d’Art en majuscule mais il est beaucoup plus que cela. Ce n’est pas par hasard qu’il a triomphé dans des arènes comme Bilbao. Nous ne détaillerons pas ici son toreo car par définition l’ineffable ne peut être exprimé et cela un autre grand génie, Rafael El Gallo l’avait déjà dit. Une grande faena de Morante est rare, de plus en plus j’ai envie de dire, mais certains lances ou muletazos sont capables à eux seuls, pris individuellement, de nous transporter, de raviver la flamme du toreo qui sommeille parfois en nous. Pour l’anecdote et pour donner un aperçu du sentiment sévillan, cette phrase d’un vieil aficionado de la Maestranza s’adressant au jeune Maestro : « Fais-nous pleurer mon cœur ! » (¡Haznos llorá mi arma !).

Pour le bilan comptable, il a réalisé 7 faenas primées d’un double trophée à Séville plus une autre qui lui a permis de couper une queue avec deux sorties par la Porte du Prince contre 6 oreilles isolées à Madrid.