Afeitado et avenir

 L’AFEITADO

Au préalable, nous devons expliquer rapidement qu’une corne est formée par plusieurs couches, fines à la base et plus épaisses en allant vers la pointe où se trouve un bloc massif, et qu’il s’agit en réalité d’un prolongement de la peau. Les sensations cutanées dépendent donc partiellement de celle-ci[1].

La coupure de la pointe des cornes suppose pour le toro un changement des sensations tactiles. Un animal afeitado (« rasé ») appréhendera le remate contre les planches et la charge contre le cheval du picador. De plus, l’opération de l’afeitado suppose un traumatisme psychologique pour l’animal qui se voit impuissant, vaincu, après avoir vécu toute sa vie en liberté. Ceci peut amener un changement d’attitude au moment de la lidia.

Il est difficile de quantifier l’extension de ce problème. Il n’y a que peu de cas d’afeitado reconnus officiellement. Cependant aucun aficionado n’est dupe en ce sens, surtout si l’on parle de ce qui se pratique dans les localités les plus réduites. Seules l’amélioration des techniques de détection et l’accroissement du zèle administratif pourront mettre un terme à ce mal endémique.

 

LES PROBLÈMES CONCERNANT LE TORO DE LIDIA ET SON AVENIR

Le problème majeur qui se pose dans la campagne brave est celui du manque de force, responsable de nombreuses chutes de toros. Ce mal peut avoir plusieurs causes : d’une part le poids excessif de certains animaux, d’autre part des problèmes génétiques. En effet ce phénomène des chutes peut être dû à un gêne récessif lui-même dû à une altération enzymatique[2]. L’évolution de la génétique et la sélection des animaux qui ne présentent pas cette anomalie pourront peut-être supprimer ce problème.

La consanguinité n’est pas étrangère à tout cela, 90 % des élevages actuels ayant pour origine la seule caste Vistahermosa. De plus les animaux sont souvent reproduits entre les exemplaires d’une même famille.

D’autres anomalies comme la diminution de la taille de la boîte crânienne, ou la tendance à la perte du morrillo, ainsi que certaines maladies génétiques seront probablement éradiquées avec les progrès de la science des gènes [3].

Mais il existe d’autres maladies concernant le taureau brave, parmi lesquelles la fièvre aphteuse, la parasitose, avec une multitude de formes et qui est une des causes des chutes des toros, la piroplasmose (qui favorise l’apparition des tiques) et si cela n’était pas suffisant, dans l’actualité, la « langue bleue » (de laquelle est responsable un moustique et qui, bien qu’on ne connaisse aucun cas d’infection dans le cheptel brave, ont empêché de nombreux fers d’Estrémadure, de La Manche, et d’Andalousie de pouvoir « lidier » en France pendant les saisons 2005, 2006 et 2007).

La sélection du bétail dans le sens d’une noblesse parfois exagérée a produit ce qu’on a appelé un toro bobo (idiot), manquant de force, d’agressivité, donc de transmission. L’éleveur et ancien torero à cheval Alvaro Domecq écrit ce qui suit : « Ce qui paraît plus probable, c’est qu’un facteur héréditaire nous a échappé des mains dans la sélection et si ce n’est à tous, cela concerne sans aucun doute une majorité d’éleveurs. (…) Il y a donc deux problèmes à résoudre. L’un est le manque de force et l’autre est celui des chutes. Mais ils ne sont pas inévitablement liés, parce que même s’ils se ressemblent, ils ont des nuances différentes. C’est ainsi que l’on trouve des toros faibles qui ne tombent pas et d’autres qui tombent. » [4]

La réduction des espaces de pâturage est un problème supplémentaire quand on sait qu’au début du XXe siècle 67 élevages couvraient un total de 400 milles hectares[5] et qu’aujourd’hui l’ensemble des ganaderías, dont le nombre a plus que décuplé, ne totalise plus que la moitié de cette surface, souvent en terrains pauvres et montagneux, les espaces d’élevage ayant été réduits au profit de certaines cultures, plus rentables. La déviation de nombreux cours d’eau[6] a également été responsable de cette réduction, tout comme la loi de désamortissement de Mendizabal en 1835 où les toros fraileros sont passés de la propriété ecclésiastique à la propriété privée. D’après Álvaro Domecq, à cause de cette réduction de l’espace destiné au bétail brave, la reproduction des parasites est « fabuleuse ».[7]

L’apport de nutriments additionnels a produit un toro feignant qui ne fait plus l’effort d’aller chercher sa nourriture ou un point d’eau. L’agriculture moderne a de plus modifié la structure de la cape végétale des sols ce qui peut avoir eu une influence sur les modifications physiques et psychiques qu’a souffert l’animal brave ces dernières années.

Les problèmes historiques comme la guerre d’Indépendance de 1808 et surtout la guerre civile de 1936 ont eu aussi une importance considérable sur le bétail brave.

Dans l’actualité, un thème fait débat, celui des fundas, ces fourreaux protégeant les cornes, utilisés par la quasi totalité des ganaderos. Ils sont enlevés peu avant que les toros soient envoyés aux arènes. S’ils présentent un avantage économique pour l’éleveur (un toro peut valoir jusqu’à 15 000 euros), en empêchant ses animaux de s’entretuer ou plus simplement de s’abîmer une corne, ils multiplient les manipulations, rendent les cornes moins solides et ils modifient également la précision de l’attaque.

Le tercio de piques est le dernier problème auquel nous nous référerons; le châtiment donné dans la première et souvent unique pique est parfois excessif : une pique d’aujourd’hui équivaut à deux ou trois des anciennes, peut-être même plus[8], car cette suerte était jadis fort différente de l’actuelle. Le caparaçon, très dur, et les chevaux, trop gros, n’arrangent rien à la situation. Álvaro Domecq dénonçait à ce propos « l’autorisation d’utiliser des chevaux avec un poids supérieur à 500kg, exactement le double de ceux qui étaient autrefois utilisés[9]. Et le même auteur, autorité incontestée en ce qui concerne le taureau brave, ajoute : « Par ailleurs, on doit étudier aussi, conjointement, la manière de trouver une solution au problème des piques, afin de ne plus assister à ce qui est aujourd’hui devenu le plus dénigrant spectacle de la Corrida, consistant à une pique interminable et à deux autres généralement ridicules comme concession et exécution de ce que cette suerte signifie. Il semble même étrange qu’une suerte créée pour diminuer la force d’un toro soit convertie en une parodie absurde et mensongère. Si le toro n’a pas de force, à quoi bon lui faire subir une pique ? » [10]

L’insémination artificielle permet une plus grande productivité et c’est là une note positive en compagnie de la transplantation d’embryons qui permet de choisir le sexe des animaux : dans ce cas les mâles plus que les femelles. Les progrès de la science en général et plus spécialement de la génétique constituent un espoir pour améliorer dans un avenir proche une autre science, celle de l’élevage.

 


[1] Cf. “Afeitado” dans le dictionnaire de M. Ortiz Blasco, Madrid, Espasa Calpe, 1991.

[2] Voir El toro de lidia de R. Barga (p. 163), Madrid, Espasa Calpe, 1995.

[3] Voir El toro de lidia de R. Barga p. 160.

[4] Cf. El toro bravo de Álvaro Domecq (p. 342), Madrid, Espasa Calpe, 2001 .

[5] Voir El toro de lidia de R. Barga p. 38.

[6] Voir El toro de lidia de R. Barga p. 37.

[7] Voir El toro bravo de Álvaro Domecq p. 348.

[8] Pour José Antonio de Moral “une pique actuelle équivaut à dix de celles d’autrefois” : Cómo ver una corrida de toros (p. 117), Madrid, Alianza, 1994.

[9] Cf. El toro bravo de Álvaro Domecq p. 289.

[10] Cf. El toro bravo de Álvaro Domecq p. 292.