Mise à mort

La mort du toro est-elle nécessaire ?

            En sachant qu’aujourd’hui les phases du « combat » à la cape et surtout à la muleta sont les plus appréciées, avant la mise à mort, et qu’on juge les qualités artistiques des toreros à partir de celles-ci, on peut poser la question de la nécessité de l’estocade dans une société qui protège chaque fois plus l’animal, dans une civilisation moderne qui tend à supprimer tous les barbarismes supposés.

            En tant qu’aficionado je me déclare en faveur de la préservation de la tauromachie sous ses formes actuelles – au moins pour cet aspect – et je pense que sa survie est liée à la mort du toro et ce pour plusieurs raisons :

–          « Le moment de vérité » est, comme l’indique l’appellation, le moment crucial, bien qu’il ne s’agisse peut-être pas du plus esthétique de la lidia, mais ceci peut se discuter. C’est en effet le seul moment où le matador perd de vue le regard du toro, c’est donc indéniablement le plus tragique. Sans estocade, la tauromachie perdrait la suerte qui a toujours été considérée comme la plus importante. Il y eut d’ailleurs une époque où tout tournait autour d’elle.

–          Qu’arriverait-il aux toros après la lidia ? La tauromachie est basée sur le fait que le toro ne connaît pas les règles, c’est-à-dire il ne doit jamais avoir été toréé avant une corrida. Qui, dans ces conditions, pourrait se permettre le luxe de maintenir en vie des animaux sans avoir aucune possibilité de gain ? Il est clair qu’ils iraient directement à l’abattoir.

–          La mort du toro est nécessaire dans le sens où la tauromachie est une victoire sur la Mort. Tuer un toro c’est tuer la Mort. Sans le tuer, l’homme reste face à sa réalité mortuaire qu’il sait inexorable. La tauromachie est l’utopie de l’immortalité, c’est quelque chose comme occuper la place du divin.

–          Sans la mise à mort, le torero jouerait sa vie, certains mourraient et les toros seraient toujours saufs, inversant ainsi toutes les valeurs taurines. Il ne resterait donc plus qu’un spectacle dans lequel l’homme risque sa vie pour le seul plaisir d’un public.

Imaginons qu’une loi supprime l’estocade. On interdirait aussi rapidement les piques et les banderilles, et le toreo de muleta, sans que l’animal soit châtié, deviendrait impossible avec des toros dignes de ce nom. Il n’y aurait donc plus que des sortes de novilladas sans picadors. Cela conduirait inexorablement à une décadence du bétail brave et clairement à la disparition de la tauromachie. Les novilladas sont des spectacles mineurs, un apprentissage pour les toreros et les aficionados sont unanimes pour dire qu’il ne doit pas y avoir de corridas sans vrais toros. Nous défendons l’intégrité, donc la substance de ce que les Espagnols appellent los Toros.

***

L’estocade, “l’heure de vérité”, comme on l’appelle souvent, est le seul moment de la lidia où le matador perd de vue les yeux du toro. On dit qu’on tue avec l’épée dans la main droite, la muleta dans la main gauche et le cœur au milieu, ce qui exprime toute la difficulté et le danger de la “suerte suprême”.

Il existe trois manières essentielles de pratiquer la mise à mort (et six si nous prenons en compte toutes les nuances possibles, bien qu’il soit nécessaire de dire qu’il n’est pas toujours très facile de toutes les distinguer étant donné la rapidité de l’exécution) : a recibir, c’est-à-dire en recevant la charge, a un tiempo, dans laquelle le toro et le torero s’avancent l’un vers l’autre, et a volapié, l’homme se lançant sur l’animal.

Une grande faena ne comptera pour un triomphe que si elle est couronnée d’une bonne estocade, plantée selon les règles établies, dans la « croix », derrière le garrot, et avec un angle de 45º approximativement. Tuer un toro dûment ne se fait pas sans danger, le torero devant « se jeter à la piscine », pour reprendre une expression très taurine, bien en face des cornes, après s’être profilé au dernier moment, et esquiver la corne droite. Pour cela, le toro ne devra pas porter la tête trop basse (ce qui provoquerait un coup de tête vers le haut), ni être trop « entier ». De plus, l’animal devra être cadré, avec les sabots joints (pour éviter qu’il avance une patte, ce qui lui ferait gagner un temps précieux lors du démarrage, rendant la suerte plus difficile).

Il existe une façon de tuer qui réduit le danger au minimum, il s’agit de l’estocade a paso de banderillas. Il y a peu de temps encore, elle a été pratiquée assez fréquemment par le génial artiste sévillan Curro Romero. Mais cette suerte de “recours” ne devrait être acceptée qu’avec des toros acculés aux planches. Si le toro regarde vers celles-ci on parlera de dentro por fuera (vers l’extérieur), qui n’est rien d’autre qu’une variante de cette suerte a paso de banderillas, de même que l’estocade a la media vuelta. S’il se trouve complètement collé aux planches on dira qu’il s’agit  d’une estocade al hilo de las tablas. José María de Cossío[1] distingue également une autre suerte de “recours”, suivant en cela Montes, appelée estocade a la carrera – le torero profitant de la course du toro sans la provoquer -, qu’il divise en deux : a toro levantado, avec des toros impossibles ou qui fuient, et a toro corrido (ou al relance), avec un animal de sentido.

Lorsque le toro et le torero se trouvent au tiers de l’arène, ce qui est la norme, l’estocade peut se réaliser dans la « suerte naturelle », le toro sortant vers le centre, ou « contraire », s’il sort vers l’intérieur. Cette dernière manière est plus compliquée pour le torero et se pratique avec des animaux qui ont tendance à chercher les planches.

Les estocades au centre de l’arène sont impressionnantes et on les considère plus méritoires.

Si le torero pique l’animal avec l’épée sans la planter on parle de pinchazo (piqûre), et si la pointe seulement est plantée il s’agit d’un pinchazo profond. Avec un tiers d’épée nous avons une « estocade courte » et une « demi-estocade » avec la moitié. On dit qu’elle est « profonde » si elle est presque entière.

Si elle n’est pas plantée droit il faut dire qu’elle est atravesada lorsqu’elle part vers la droite[2] et cruzada de l’autre côté. Si elle plantée juste derrière la « croix » c’est une estocade pasada et trasera s’il elle est encore plus en arrière. Au contraire, si elle se trouve avant cet endroit elle sera delantera et pescuecera à une distance encore plus éloignée. Dans le cas où elle se situerait à droite de la « croix », elle serait « contraire » et à côté de celle-ci, « basse du côté contraire ». Du côté gauche elle sera caída, ou, plus loin, « basse », et encore plus éloignée de l’endroit idéal on parle de bajonazo. Antonio Ordóñez avait trouvé une manière très efficace de tuer les toros, en plaçant l’épée à droite de la « croix ». Il s’agit en fait d’une estocade « contraire », c’est-à-dire une manière incorrecte de pratiquer la mise à mort. Cet endroit a été appelé par le critique Antonio Díaz-Cañabate, « le coin d’Ordóñez » (el rincón de Ordóñez).

L’estocade peut aussi être plantée droite et « perpendiculaire » (à 90º), donc très effective, ou tendida (tendue).

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L’estocade, “l’heure de vérité”, comme on l’appelle souvent, est le seul moment de la lidia où le matador perd de vue les yeux du toro. On dit qu’on tue avec l’épée dans la main droite, la muleta dans la main gauche et le cœur au milieu, ce qui exprime toute la difficulté et le danger de la “suerte suprême”.

Il existe trois manières essentielles de pratiquer la mise à mort (et six si nous prenons en compte toutes les nuances possibles, bien qu’il soit nécessaire de dire qu’il n’est pas toujours très facile de toutes les distinguer étant donné la rapidité de l’exécution) : a recibir, c’est-à-dire en recevant la charge, a un tiempo, dans laquelle le toro et le torero s’avancent l’un vers l’autre, et a volapié, l’homme se lançant sur l’animal.

Une grande faena ne comptera pour un triomphe que si elle est couronnée d’une bonne estocade, plantée selon les règles établies, dans la « croix », derrière le garrot, et avec un angle de 45º approximativement. Tuer un toro dûment ne se fait pas sans danger, le torero devant « se jeter à la piscine », pour reprendre une expression très taurine, bien en face des cornes, après s’être profilé au dernier moment, et esquiver la corne droite. Pour cela, le toro ne devra pas porter la tête trop basse (ce qui provoquerait un coup de tête vers le haut), ni être trop « entier ». De plus, l’animal devra être cadré, avec les sabots joints (pour éviter qu’il avance une patte, ce qui lui ferait gagner un temps précieux lors du démarrage, rendant la suerte plus difficile).

Il existe une façon de tuer qui réduit le danger au minimum, il s’agit de l’estocade a paso de banderillas. Il y a peu de temps encore, elle a été pratiquée assez fréquemment par le génial artiste sévillan Curro Romero. Mais cette suerte de “recours” ne devrait être acceptée qu’avec des toros acculés aux planches. Si le toro regarde vers celles-ci on parlera de dentro por fuera (vers l’extérieur), qui n’est rien d’autre qu’une variante de cette suerte a paso de banderillas, de même que l’estocade a la media vuelta. S’il se trouve complètement collé aux planches on dira qu’il s’agit  d’une estocade al hilo de las tablas. José María de Cossío[1] distingue également une autre suerte de “recours”, suivant en cela Montes, appelée estocade a la carrera – le torero profitant de la course du toro sans la provoquer -, qu’il divise en deux : a toro levantado, avec des toros impossibles ou qui fuient, et a toro corrido (ou al relance), avec un animal de sentido.

Lorsque le toro et le torero se trouvent au tiers de l’arène, ce qui est la norme, l’estocade peut se réaliser dans la « suerte naturelle », le toro sortant vers le centre, ou « contraire », s’il sort vers l’intérieur. Cette dernière manière est plus compliquée pour le torero et se pratique avec des animaux qui ont tendance à chercher les planches.

Les estocades au centre de l’arène sont impressionnantes et on les considère plus méritoires.

Si le torero pique l’animal avec l’épée sans la planter on parle de pinchazo (piqûre), et si la pointe seulement est plantée il s’agit d’un pinchazo profond. Avec un tiers d’épée nous avons une « estocade courte » et une « demi-estocade » avec la moitié. On dit qu’elle est « profonde » si elle est presque entière.

Si elle n’est pas plantée droit il faut dire qu’elle est atravesada lorsqu’elle part vers la droite[2] et cruzada de l’autre côté. Si elle plantée juste derrière la « croix » c’est une estocade pasada et trasera s’il elle est encore plus en arrière. Au contraire, si elle se trouve avant cet endroit elle sera delantera et pescuecera à une distance encore plus éloignée. Dans le cas où elle se situerait à droite de la « croix », elle serait « contraire » et à côté de celle-ci, « basse du côté contraire ». Du côté gauche elle sera caída, ou, plus loin, « basse », et encore plus éloignée de l’endroit idéal on parle de bajonazo. Antonio Ordóñez avait trouvé une manière très efficace de tuer les toros, en plaçant l’épée à droite de la « croix ». Il s’agit en fait d’une estocade « contraire », c’est-à-dire une manière incorrecte de pratiquer la mise à mort. Cet endroit a été appelé par le critique Antonio Díaz-Cañabate, « le coin d’Ordóñez » (el rincón de Ordóñez).

L’estocade peut aussi être plantée droite et « perpendiculaire » (à 90º), donc très effective, ou tendida (tendue).

Suerte de recibir : Cossío dit que “la suerte la plus illustre et habituelle de tuer les toros dans le toreo à pied était jusqu’alors (au temps de“Pepe-Hillo”) la suerte de recibir, qu’on appelait la véritable estocade, au moins depuis le XVIIe siècle, comme cela apparaît dans la “Cartilla de torear”[3] de la bibliothèque d’Osuna[4]”. Dans le premier mouvement, comme pour toutes les mises à mort, le matador se placera de profil, bien en face des cornes, il enroulera la muleta au bout du bâton et avancera la jambe gauche. Pour « l’estocade véritable » c’est le torero qui doit appeler le toro et l’attendre sans bouger, bien qu’autrefois les toreros frappaient souvent du pied en avançant la jambe gauche. Il apparaît en effet qu’elle s’est peu souvent pratiquée avec la perfection décrite dans la théorie. En outre, le placement de l’épée était semble-t-il souvent imparfait. De nos jours, il est difficile qu’un toro arrive avec la mobilité suffisante pour charger lors de ce moment final de la lidia. L’estocade aguantando peut être considérée comme une variante de l’estocade recibiendo et elle est encore plus méritoire s’il est possible. José María de Cossío la décrit ainsi :

“Il me reste à éclaircir que, selon moi, on doit appeler aguantando non seulement l’estocade qui se porte lorsque le toro démarre alors que le torero n’est pas prêt pour la suerte, mais également celle qui est administrée en résistant à la charge de l’animal, sans aucune rectification; et cela, même après que le matador ait commencé à avancer pour le volapié, la rencontre, naturellement, ayant lieu dans le terrain le plus proche à celui initialement occupé par le torero”.[5]

Suerte al encuentro : pour José María de Cossío ou José Sánchez de Neira[6] l’estocade al encuentro est semblable à l’estocade aguantando mais je préfère, suivant en cela José Antonio del Moral – même s’il les confond, comme bon nombre d’autres aficionados, en employant ces deux termes comme synonymes -, considérer qu’elle se rapproche plus de l’estocade a un tiempo, ne serait-ce que parce que, comme son nom l’indique, le toro et le torero doivent se rencontrer, même si la rencontre se réalise sur un terrain plus proche de celui de l’homme. Voici cependant les mots de Cossío :

“Le manque de rigueur dans la terminologie taurine, en particulier pour les suertes qui ne furent pas prise en charge par les traités classiques, a fait que l’estocade appelée al encuentro, et qui en réalité est une suerte hybride ou une réalisation imparfaite de la suerte de recibir, se confonde parfois avec l’estocade aguatando et d’autres fois avec les suertes a un tiempo.  En réalité, l’estocade al encuentro n’est rien d’autre que l’estocade aguantando, mais en attendant avec un temps d’avance (…). De la comparaison de plusieurs opinions nous pouvons déduire qu’il est essentiel dans la suerte al encuentro: 1.º Que le toro démarre. 2.º Que le matador ait un avantage sur son terrain. 3.º Que la rencontre s’effectue sur un terrain proche de celui qui était occupé par le torero au début de la suerte.”[7] 

 

L’estocade a un tiempo, également appelée de poder a poder, est généralement improvisée, et si c’est le cas, très méritoire, car elle débute comme le volapié mais le toro démarrant en même temps que le torero, les deux font la moitié du chemin. Pour l’estocade arrancando le toro part un peu plus tard que le torero, ce qui fait que le croisement a lieu plus près de la position initiale du toro.

[8]           Suerte du volapié ou a toro parado (toro à l’arrêt) : d’après “Pepe-Hillo”, “Costillares” serait l’inventeur de l’estocade “a vuelapiés”[9], qui finira par détrôner l’estocade a recibir, le toro arrivant, avec l’évolution du toreo, de plus en plus aplomado à la « suerte suprême ». Après s’être profilé, le matador démarrera rapidement, devant faire tout l’effort, et il baissera la muleta au centre de la suerte pour que l’animal suive le leurre et qu’il « se découvre » (montre la croix en baissant la tête), le matador devant se dégager « en faisant la croix ». En réalité, le volapié se réalise très peu souvent; il finit généralement en estocade arrancando.

Lorsque le toro tarde à mourir, le matador utilise le descabello, qui se différencie de l’épée par son extrémité en forme de croix. Cet instrument, également appelé verduguillo, a pour fonction de sectionner la moelle épinière entre les premières vertèbres cervicales. Pour cela, l’animal doit être obligé à baisser la tête le plus possible et c’est pour cela que les matadors lui donnent des petits coups sur le museau. Si le descabello est bien utilisé il provoque la mort immédiate de l’animal.

[10]        Quand l’animal est au sol, pour mettre fin au supplice, et s’il n’est pas tombé « sans puntilla », soit d’une manière foudroyante, un subalterne utilise le puntillo, qui est une sorte de poignard devant sectionner la moelle épinière comme l’aurait fait le descabello.

L’estocade doit être entière et bien placée pour permettre un triomphe et le descabello n’enlève en rien le mérite d’un bon coup d’épée si le matador se voit dans l’obligation de l’utiliser, mais il devra mettre fin à la vie de l’animal dès le premier essai. Une demi-estocade bien placée peut également permettre le triomphe du torero après une bonne faena de muleta.

estocadas

Document extrait de Los Toros en fascicules, de J. M. de Cossío


[1] Cf. le tome “El Toreo” de l’encyclopédie Los Toros en fascicules pp. 196-197.

[2] Cf. document infra.

[3] Premier traité de tauromachie pour le toreo à pied à la fin du XVIIe siècle ou au début du suivant.

[4] Tome “El Toreo” de l’encyclopédie Los Toros en fascicules p. 194.

[5] Tome “El Toreo” de l’encyclopédie Los Toros en fascicules p. 190.

[6] Ecrivain et historien taurin du XIXe siècle.

[7] Tome “El Toreo” de l’encyclopédie Los Toros en fascicules p. 190.

[8] Grande estocade d’Enrique Ponce.

[9] Ancienne orthographe.

[10] Utilisation du descabello par Antonio Ferrera.