Rencontre avec Maylis de Kerangal

 

Ce jeudi 27 avril 2017, nous avons rencontré l’écrivain Maylis de Kerangal. Voici la retranscription de cette rencontre :

Sur la place de la lecture :

Enfant, elle lisait des séries, compulsivement, puis à partir de 13 ans, des classiques (Balzac, Hugo, Molière, Flaubert, Zola). Pour elle lecture et écriture sont intimement liées, elle n’aurait jamais écrit si elle n’avait pas autant lu. Il s’agit presque de la même activité. Quand on lit, on crée ce qui est dans le livre, par la lecture qui est quelque chose de puissant et d’actif.

Aujourd’hui elle lit aussi beaucoup de littérature contemporaine, de la poésie aussi, mais elle ne voit pas de différence avec les classiques : ce qu’elle recherche, plus que des histoires, ce sont des styles, des voix singulières.

Sur la présence des adolescents dans ses romans :

Pour elle, c’est une figure littéraire de l’être en devenir, très stimulante pour un écrivain ou un cinéaste. Elle ne cherche pas à revenir sur sa propre adolescence à travers eux, mais c’est un motif dynamique car c’est un moment de libération où on quitte la sphère privée ou familiale, on s’en échappe pour « se faire une vie », où on se reconfigure auprès de gens qu’on s’est choisi. On a des lieux à soi, on se constitue comme sujet, c’est un temps où l’énergie est très présente, l’appétit de vivre et le lien au corps. C’est excitant et angoissant, inconfortable mais puissant. L’idée c’est de montrer ces adolescents, de les exhiber.

Sur Corniche Kennedy :

Après Dans les rapides, elle voulait continuer à travailler sur l’adolescence. Elle a lu dans le journal que la mairie de Marseille avait créé une police spéciale pour sécuriser le littoral et interdire de plonger à certains endroits car dangereux et cela l’a inspirée. Le plongeon est un geste qui symbolise l’adolescence : la prise de risque, le rapport au corps, à la sensation…

Sur Réparer les vivants :

C’est une fiction mais basée sur une enquête dans des lieux très réels, le documentaire entre dans la fiction. Elle a cherché à déplier le champ social du livre en mélangeant les milieux sociaux, les cultures. Ce qui l’a le plus impressionnée : assister à l’opération en direct…

Sur son style d’écriture :

En tant qu’écrivain, elle se donne le droit de mobiliser tous les registres de la langue, technique, familier, documentaire, lyrique… même une notice de frigo peut être utilisée ! Il n’y a pas de hiérarchie. Elle revendique un style composite comme un miroir de la langue dont on dispose. Elle cherche à brasser très large pour créer des tensions, des effets. Pour elle, par exemple, on ne peut pas faire exister des adolescents dans le roman sans les entendre, donc de manière évidente, le langage familier doit s’enchâsser dans le récit. De plus la langue familière des adolescents est très créative et dans le débordement, donc intéressante.

Les phrases très longues, ce n’est pas pour avoir un style spécial mais pour accompagner les actions qui ne connaissent pas d’interruption, par exemple la rencontre entre Simon et Juliette dans Réparer les vivants comporte une phrase qui dure 5 pages et ne s’achève que par le baiser car elle ne voulait pas interrompre ce mouvement, cette respiration. Parfois dans la vie il y a de l’excès (de tristesse, de vie, d’amour) et l’écriture peut attester cela par ce genre de phrases.

Pour les tirets : c’est quand quelque chose entre dans la phrase, ou quand l’auteur commente ce qu’il vient d’écrire, c’est pour préciser, changer de registre, emboîter. Elle préfère les tirets, plus fluides que les parenthèses qui font des murs. Parfois, oui, elle reconnaît lorsqu’elle relit qu’il peut y avoir de l’abus dans l’utilisation des tirets !

Elle n’utilise pas la ponctuation du dialogue car c’est artificiel de séparer la parole de l’action et de ce qui se passe autour. Seules certaines phrases se détachent du texte entre guillemets, comme « Votre fils est dans un coma irréversible », ce genre de phrases ne peut se dire qu’à part, car le monde s’arrête.

Sur les titres :

Le titre c’est comme le nom de code d’un livre. Il y a ce que l’auteur a pensé à titre privé et le choix commercial de l’éditeur. De plus on ne peut pas prendre un titre déjà existant. Parfois on a le titre tout de suite, et ce titre va aimanter la fiction. Elle, elle a rarement les titres au début mais plutôt à la fin, parfois c’est même l’éditeur qui les trouve ! Le plus important c’est que le titre donne une idée juste du livre.

Sur les adaptations cinématographiques de ses romans :

Elle a cédé (vendu) des droits d’adaptation à quelqu’un donc elle estime qu’elle ne peut du coup pas forcément imposer des choses en plus ! Cela dit, elle n’est pas indifférente et donne son avis mais c’est la lecture et la création des réalisatrices et elle respecte cela. Elle a juste imposé que ce soit tourné dans les lieux réels de ses romans (Marseille pour Corniche Kennedy, Le Havre pour Réparer les vivants)

Une adaptation salue aussi l’énergie et la vitalité d’un texte qui montre sa capacité à devenir autre chose.

Le casting était compliqué car tout d’un coup, les personnages prennent chair ! De plus, dans Corniche Kennedy par exemple, Silvestre Opéra, un homme, est devenu une femme à l’écran ; dans Réparer les vivants, la réalisatrice a donné plus d’importance à la receveuse du cœur que dans le roman. Mais les différences allaient quand même dans le sens du livre.

Une fin en forme de portrait chinois…

Si vous étiez…

  • Un océan ou une mer ? L’Océan Pacifique
  • Un écrivain ? Diderot
  • Un héros de roman ? Dalva de J. Harrisson ou Fabrice Del Dongo de Stendhal

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