Paul Bert et ses manuels scolaires

Paul BERT

Un Auxerrois: Il est né en 1833 à Auxerre où il fait ses études secondaires. Il est mort à Hanoï en 1886. Ses obsèques nationales ont eu lieu à Auxerre où il repose sous un monument funéraire dû à Bartholdi.

Un savant: A Paris, après le droit, il entreprend des études scientifiques. Il soutient un doctorat de médecine sur les greffes animales puis un doctorat de sciences naturelles. Élève puis assistant de Claude Bernard, il en devient le successeur à la chaire de physiologie de la Sorbonne. Ses travaux sont particulièrement remarquables sur la respiration et les incidences de la pression barométrique.

Un homme politique républicain: Ami de Gambetta, il est nommé secrétaire de la Préfecture de l’Yonne, en septembre 1870. Il est élu conseiller général en 1871 puis député de juin 1872 à sa mort. Pour consolider la République, il est particulièrement actif dans la lutte anticléricale, dans la mise en place des lois scolaires pour le développement de l’enseignement public, dans la poursuite de l’entreprise coloniale qu’il considérait comme pacificatrice et émancipatrice.

Un auteur de manuels scolaires: C’est pour mieux diffuser sa façon de concevoir la science et la République qu’il rédige des manuels d’histoire naturelle, de géométrie et d’instruction civique. Il est remarquable qu’au début de la IIIème République des savants comme lui, comme Lavisse en histoire ou Foncin en géographie, ne négligeaient pas ou ne méprisaient pas de se préoccuper de l’enseignement primaire en plein essor.

1.      Les manuels de l’enseignement primaire:

a)   Manuels les plus répandus

•       La Première année d’enseignement scientifique, sciences naturelles et physiques, Colin, 1882, .336 p.

•       La Deuxième année d’enseignement scientifique, Colin, 1885, 368 p., (le même ouvrage que le précédent, appelé Deuxième année par suite d’un changement des programmes en 1882)

•       La Première année (nouvelle) d’enseignement scientifique, Colin, 1885, 167 p., (cours moyen)

•       L’Année préparatoire d’enseignement scientifique, Colin, 1887, 128 p., (cours élémentaire)

Les programmes de 1887 reprennent ceux de 1882 et les ouvrages de Paul Bert, au contenu inchangé, paraissent sous une nouvelle couverture.

•         L’Instruction civique à l’école, Picard-Bernheim, 1882, 178 p.

L’Instruction civique à l’école

H. Massy, Notions d’éducation civique à l’usage des jeunes filles, Picard-Bernheim, 1882, 204 p.

Notions d’éducation civique à l’usage des jeunes filles

b)   D’autres manuels

•        Lectures sur l’histoire naturelle des animaux, suivies d’un vocabulaire des mots techniques employés dans l’ouvrage, Hachette, 1882, .394 p.

•        Premiers éléments de géométrie expérimentale appliquée à la mesure des longueurs, des volumes et des surfaces, Delagrave, 1886, 92 p.

•       Lectures et leçons de choses avec 150 gravures expliquées, Picard­-Bernheim, 1887, 210 p. (à l’usage de l’enseignement primaire et des classes élémentaires des lycées et collèges)

H. Massy, Delamarche, Nouveau cours d’enseignement primaire, cours moyen et supérieur, nos devoirs et nos droits, Picard-Bernheim, 1884, 240 p.

2.      Les manuels de l’enseignement secondaire

•       Premières notions de zoologie, Masson, 1881, 229 p., (pour les classes de 8ème et 7ème des lycées et collèges)

•        Leçons de zoologie; Masson, 1881, .561 p., (enseignement secondaire des jeunes filles)

•       Histoire naturelle. Anatomie et physiologie animales, Masson, 1883, 378 p., (enseignement secondaire des jeunes filles, 4e année)

•       Leçons d’anatomie et de physiologie animales, Masson, 1886, 256 p.,(édition abrégée de l’ouvrage précédent)

Tous les manuels scolaires rédigés par Paul Bert rencontrent un grand succès dans les années 1880. « L’Instruction civique à l’école » a connu sept éditions en 1882. Les manuels scientifiques connaissent de nombreuses rééditions même bien après sa mort (11 novembre 1886); « La deuxième année » a eu soixante-cinq éditions jusqu’en 1927, « La Nouvelle première année » a eu soixante-quatorze éditions jusqu’en 1933 et « L’Année préparatoire » quarante tirages jusqu’en 1935.

Un nouvel état d’esprit

Un esprit scientifique: «… Les sciences naturelles exercent les sens, en donnant une habitude de voir juste et de tout voir, habitude qui devient une sorte d’instinct et les sciences physiques en outre de l’observation appellent à leur aide l’expérimentation et habituent ainsi à ne rien croire sans que la preuve suive immédiatement l’affirmation.

L’idée de la toute puissance des lois naturelles, de la régularité et de l’harmonie des phénomènes, de la continuité évolutive dans les faits, ressort, sans qu’il soit besoin de le dire, de l’étude des sciences naturelles et physiques, et s’empare de l’esprit… . Les sciences peuvent seules enseigner la non-crédulité sans enseigner le scepticisme, ce suicide de la raison » (Cette dernière phrase est citée sur la page de couverture)

Avant-propos de « La première année d’enseignement scientifique » p.3

Un esprit civique : Dans son manuel « L’Instruction civique à 1’école », Paul Bert s’y montre très patriote. L’exergue est significatif : « Par l’Ecole, Pour la Patrie » La première partie de l’ouvrage est consacrée à la patrie; la première leçon sur les impôts s’intitule : « L’impôt est nécessaire pour entretenir l’armée »

Il s’y montre très républicain. Les 15 dernières leçons portent sur les apports de la Révolution: souveraineté nationale, égalité devant la loi, suffrage universel, liberté de conscience… « Voyez quelle belle chose c’est que la devise républicaine. Tout y est. Et si vous enlevez un des trois mots, cela ne marche plus. Sans liberté l’égalité peut être le plus abominable des esclavages. Car tout le monde est égal sous un tyran. Sans la fraternité, la liberté conduit à l’égoïsme. Oui, c’est une belle devise, on fait bien de l’inscrfre sur nos édifices publics. Chacun doit la savoir par cœur, mais il faut bien comprendre ce qu’elle veut dire » p. 132

L’ouvrage est prohibé dans les écoles confessionnelles : il lui est reproché d’attaquer la religion en ne croyant pas aux miracles et en professant la liberté de conscience, en critiquant l’Ancien Régime et en exaltant la Révolution.

Dans la 11e édition, Paul Bert confirme, par des notes justificatives, les allégations historiques du chapitre sur la Révolution et ajoute une biographie de Gambetta mais apporte aussi quelques modifications sur l’attitude de l’Eglise catholique sous l’Ancien Régime.

Les changements dans l’avant-propos sont significatifs de sa volonté de modération. Paul Bert supprime un membre de phrase particulièrement contesté, ici mis entre parenthèses, « nous devons d’abord, dans l’école, former des hommes et des femmes dont l’âme, fortement trempée (ne subordonne pas l’idée de la morale aux croyances religieuses, et qui puissent être moraux sans avoir été ou après avoir cessé d’être croyants), notre premier souci doit être ensuite d’y former des citoyens ».

Un peu plus loin, il ne mentionne plus « La faute du Second Empire », la perte pour la nation « de ses droits et de sa dignité ».

Et surtout il supprime un paragraphe philosophique et politique :« Les sciences imprègnent profondément l’esprit des idées de règle, de loi, d’évolution destructive; des idées de caprice, de miracle, de révolution. Il se fait là comme une sorte d’instinct intellectuel qui met en garde contre la théorie des panacées et la pratique des changements à vue. De là d’importantes conséquences au point de vue civique. Lorsque l’enfant aura appris, dans l’étude des sciences d’observation et d’expérimentation, le culte de la loi; lorsqu’il saura, de source certaine, que tout effet a une cause antécédente, n’ayez plus peur que, ce caprice chassé de la nature, cet enfant devenu homme et citoyen l’admette dans la société. Non ! quand il ne croira plus aux miracles, il n’attendra plus rien du coup d’Etat, venant du pouvoir ou venant de la rue. Et en effet, qu’est-ce que le miracle, sinon un coup d’Etat dans la nature ? Qu’est-ce qu’un coup d’Etat, sinon un miracle dans la société ? Les deux idées sont corrélatives: venues à la suite d’un enseignement anti-scientifique, elles disparaîtront ensemble devant un enseignement scientifique ».

Toutefois il subsiste ce passage fondamental où il relie les deux domaines pour lesquels il a rédigé des manuels, l’éducation scientifique et l’éducation civique : « L’importance des sciences d’observation et d’expérimentation dans l’éducation du citoyen paraît moins manifeste. Et cependant elle est des plus considérables à mes yeux. Car l’habitude de voir juste, que donnent les sciences naturelles, et de mettre les choses en ordre correct, s’applique tout autant aux faits de la politique courante qu’aux êtres et aux choses de la nature. Et l’habitude de n’être satisfait que par les preuves expérimentales, que donnent les sciences physiques, rend tout aussi exigeant pour les théories économiques, politiquer et sociales, que pour celles du monde physique.

C’est pour cette raison que je fais paraître en même temps que le présent livre, et comme lui destiné aux enfants, un « Cours élémentaire de sciences physiques et naturelles » Je crois travailler de la sorte par deux moyens, en apparence bien différents, à une oeuvre commune: la préparation du citoyen.

C’est ainsi que deux pilotis, en apparence aussi, bien différents l’un de l’autre, concourent à une oeuvre commune : l’assiette de l’édifice ».

Toujours dans son avant-propos, Paul Bert juge que « la connaissance des droits et des devoirs civiques, des traits généraux de notre organisation sociale, et particulièrement des principes de liberté et d’égalité est tout aussi nécessaire aux femmes qu’aux hommes » et, en 1883, il fait paraître, chez le même éditeur, un manuel spécialement destiné aux filles, signé du pseudonyme d’Henriette Massy, le nom de sa mère. Dès le début de l’ouvrage se trouve justifiée l’utilité de l’éducation civique pour les filles, même s’il ne leur accorde pas un rôle égal à celui des garçons : « Comment ! a-t-elle dit, vous allez donner des leçons d’instruction civique à nos jeunes filles ? Mais c’est de la politique, cela, et ce n’est pas 1’affaire des filles de s’occuper de politique ! Les garçons y passent déjà bien trop de temps !  […] apprenez-leur à coudre, à lire; à écrire, à compter; apprenez-leur aussi de l’histoire et de la géographie, et tout le reste, puisque c’est la mode aujourd’hui, quoique dans mon temps, où l’on n’apprenait pas tout cela à l’école; on devenait tout de même honnête femme […] Sans doute; les filles ne votent pas; et ce n’est pas moi qui irai leur conseiller de parler politique et de se mêler des réunions publiques; non, ce n’est pas là la place ni le rôle d’une femme. Mais elles sont intéressées, tout autant que les hommes, à ce que tout se passe bien dans la commune et dans toute la France: elles ne peuvent rester ignorantes de ce qui se fait dans les conseils municipaux et dans les Chambres […] C’est en connaissant sa Patrie et en sachant que tout y est organisé en vue de la justice et de l’honnêteté, qu’on apprend à bien l’aimer, c’est-à-dire à toujours penser à elle, et à être prêt pour elle à tous les dévouements. Vos frères devront aller se battre, si cela est nécessaire, pour défendre ses frontières ou son honneur… Mais si vous n’êtes pas appelées, vous jeunes filles, à risquer votre vie sur les champs de bataille, vous pouvez avoir tout autant à souffrir pour la Patrie, car le sang des vôtres vous est aussi cher que celui qui coule dans vos veines. Il faut donc que, comme vos frères, vous appreniez l’instruction civique, pour connaître vos devoirs envers la Patrie ».

H.     Massy, « Notions de morale et d’éducation civique à l’usage des jeunes filles » pp. 5-8-10.

Une nouvelle pédagogie

Un enseignement élémentaire: Le mot élémentaire figure dans le titre du manuel de géométrie. Paul Bert oppose aussi en sciences élémentaire à abrégé : « J’ai voulu faire un livre élémentaire, et non un abrégé. Prendre dans chaque science les faits dominateurs, fondamentaux, les exposer avec assez de détails pour qu’ils apparaissent bien clairement à l’esprit de l’ enfant et se fixent solidement dans sa mémoire; négliger les faits secondaires, éviter les tendances, trop souvent exagérées, à des applications pratiques qui semblent intéressantes et sont très souvent incompréhensibles […] »

La première année d’enseignement scientifique ; Avant-propos, p.2.

Un enseignement concret: Paul Bert va à l’encontre des présentations habituelles où « l’étude des faits et des lois est précédée d’un interminable défilé de définitions qui ne sauraient en aucune façon intéresser un enfant […] où les auteurs « se croient obligés de sacrifier à la métaphysique, en serrant de très près la définition du point, de la ligne, de la surface […] Comment peut-on espérer faire comprendre à un enfant de dix ans qu’une surface n’a que deux dimensions, qu’une feuille de papier n’a pas d’épaisseur ? Et la ligne ! Et le point ! Le point n’a aucune dimension ! Dites cela à un philosophe, soit, mais à un enfant ! Pas de dimensions ! et à l’appui de son dire, le maître marque au tableau noir un rond blanc de la largeur d’une pièce de 50 centimes ! ».

« Le but de l’étude de la Géométrie dans les écoles primaires, ce n’est pas la connaissance des relations et des propriétés des diverses figures ou volumes, mais la mesure des objets qui nous entourent ».

Premiers éléments de géométrie expérimentale, p. V-VIII

Le souci du concret se marque également en éducation civique : « cet enseignement civique ne devra pas se borner à des leçons spéciales, toujours écoutées assez froidement par l’enfant; il devra, comme l’enseignement moral, ressortir de tous les incidents de la classe, de tous les exercices scolaires »

L’instruction civique à l’école ; Avant-propos, p. 6

Une méthode dialoguée : « Comme procédé d’enseignement, j’ai choisi la forme directe : le maître parle comme il le ferait dans sa classe ; interrompu de temps en temps par quelques réflexions, parfois embarrassantes, de ses meilleurs élèves. La leçon court ainsi, je m’y suis efforcé du moins, alerte et vivante »

La première année d’enseignement scientifique, p.2.

Ce procédé est également utilisé dans les manuels d’instruction civique

Une méthode expérimentale: Le mot « expérimentale » est dans le titre du manuel de géométrie et le chercheur scientifique qu’est Paul Bert recommande la méthode expérimentale dans les manuels de sciences.

On retrouve là tout à la fois l’esprit scientifique et le souci de l’élémentaire, du concret, du dialogue : « il est absolument indispensable que l’instituteur exécute devant les enfants quelques expériences… Quand les élèves lui en demanderont une, il faudra qu’il s’efforce de les satisfaire, dans les limites des moyens d’actions qu’il aura entre les mains… J’ai tâché de faire en sorte que les leçons pussent être répétées dans le plus humble hameau. Les instruments que j’emploie pour les expériences existent dans les plus modestes ménages, et pour quelques francs, la foire prochaine fournira à notre instituteur le peu dont il aura encore besoin… Pour l’histoire naturelle, il pourra trouver autour de lui beaucoup d’échantillons utiles de minéraux, végétaux, animaux… Je ne parle que pour mémoire des collections acquises à des prix toujours trop élevés, et que, pour cette raison, on regarde avec respect sans oser s’en servir. Il faut bien se mettre dans la tête qu’un objet d’histoire naturelle destiné à l’enseignement doit être manié, et par suite, fatalement disloqué et cassé »

La première année d’enseignement scientifique, pp.2-3

Conclusion: Ces extraits montrent la nouveauté et l’intérêt des idées de Paul Bert auteur de manuels scolaires.

Alain Bataille, pour le Musée du Livre Scolaire d’Auxerre

Sur le même sujet, on peut signaler « Paul Bert et l’Instruction publique« , de Stéphane Kotovtchikhine, éditions universitaires de Dijon, 4 boulevard Gabriel, 21000 Dijon. Cet ouvrage fournit une bibliographie exhaustive, des informations précises et une étude approfondie.

La Société Paul Bert, fondée en 1977 à l’initiative de Jean-Pierre Soisson, alors maire d’Auxerre, et du professeur Maurice Fontaine de l’Académie des sciences, se donne pour objectif de faire connaître l’oeuvre de Paul Bert.

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R. Timon, né en 1944 a été instituteur, maître formateur, auteur de manuels pédagogiques avant d’écrire pour le Webpédagogique des articles traitant de mathématiques et destinés aux élèves de CM1, CM2 et sixième.

Category(s): biographie

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