Otto Dix »Les joueurs de SKAT » ou  » invalides de guerre jouant aux cartes ».

Otto Dix ,peinture. « Les joueurs de skat » ou « invalides de guerre jouant aux cartes » Otto Dix,1920.

La guerre en quelques chiffres.

« Pendant la Grande Guerre, un million et demi de Poilus meurent dans les lignes françaises, trois millions en reviennent invalides, dont trois cent mille mutilés et quinze mille « blessés de la face ».

Militaires + civils= 10 millions de morts.

Allemagne=2.4 millions (1300 soldats tués par jour.)

France =1,375 millions (900 soldats tués par jour.)

(……)

La guerre, comme le mal peut sembler comme une opacité, elle semble au delà du chiffre « indéchiffrable » dans les deux sens du mot : « qui ne peut pas être déchiffré » et « illisible; irregardable, inintelligible ». Comme un texte écrit à partir de caractères inconnus, elle ne être compris du simple profane, de celui qui  n’a pas reçu ce batême effroyable du feu. « L’artiste travaillera déclarait en 1961 Otto Dix  pour que les autres voient comment une chose pareille a existé ». 

« Aux mutilés de guerre, l’Allemagne de Weimar offrit des prothèses… » Catherine Wermester. Maître de conférence HDR à l’université Paris1 Panthéon-Sorbonne,

« Ce serait effroyable si toutes ses destructions et ses souffrances ne donnaient pas naissance à une ère nouvelle, si n’en résultait aucune forme de vie nouvelle.«  Le comte Harry Kessler. (Cité par C. Wermester).

https://hicsa.univ-paris1.fr › Livre_Je_Figuratifs_01
  • Le sort des artistes figuratifs dans les années 1950 – HiCSA
  • Comment je peins un tableau : deux leçons de peinture / Otto Dix ; traduites par Catherine Wermester, 2011

La grande inflation de 1923  les classes moyennes sont ruinées.

1923 de députés nazis siègent au Reichstag.

1923 écriture de  Mein Kampf.

De la « rencontre » avec l’oeuvre à la rencontre avec l’image.

« Le nationalisme moderne est un faux Messie, dont le culte mène à la violence et aux guerres entre États-nations.« Michael Löwy,« Communauté », Archives de sciences sociales des religions, 188 | 2019, 185-191

« Bien des grands témoins des époques tragiques ont écrit sur la nécessité d’une mémoire charnelle du vécu de la mort.« 

« Peindre c’est mettre de l’ordre » Otto Dix.

.

Cette image une représentation ordinaire (gewöhnlich) d’une scène quotidienne Jouer aux cartes entre anciens soldats, devient sous le pinceau du peintre une scène extraordinaire. On prendra ce prédicat dans son sens étymologique (extra ordinem), « qui sort de l’ordre » de l’ordre des choses. Cette scène à la fois étonne et surprend par sa singularité, nous sommes dans une circonstance tout à fait inhabituelle, mais également elle choque par sa bizarrerie (ungewöhnliche) son caractère extravagant. C’est plutôt déconcertant.(befremdlich)
Nous sommes loin des images de soldats, des vaillant guerriers que la propagande du front aimait propager. Cette représentation deviendrait presque grotesque à travers ces trognes proches de la déformation caricaturale. Pour pouvoir s’adapter et composer avec le tableau du réel, une activité normale, ils doivent à cause des amputations être sujet à des contorsions. Avec les séquelles physiques graves, mastication, déglutition, phonation, gesticulation toutes les activités anodines nécessitent désormais outre les jeux d’équilibriste tout un appareillage de prothèses. Si dans un premier temps l’image nous affecte d’un sentiment de dégoût, le spectacle de l’horreur est rapidement désamorcé par un rictus. 

« On raconte explique France Renucci dans La construction des Gueules cassées que la vue des « gueules cassées » inspire aux médecins du front une irrépressible répulsion. La répulsion, c’est l’action involontaire  » « de repousser » et de détourner (aversion), du regard immédiat l’Intensité d’un spectacle insoutenable. Sans filtre, il agit sur l’esprit comme une effraction. Nous sommes encore dans l’ordre du Trauma.
Il y a dans cette représentation chargée des invalides une représentation peu réaliste qui désamorce l’horreur. La manifestation en ligne devient carnavalesque.

Avec toutes ces prothèses qui transforment l’homme devenu hybride en automate, » placage de la mécanique sur du vivant devient réel au sens littéral du terme.
Le comique qu’en 1924 Bergson analysait en comparant la fluidité de l’action normalisée et ce « placage de la mécanique sur du vivant. Être capable de rire exige une attitude détachée, une distance émotionnelle par rapport à l’objet qui déclenche le rire expliquait le philosophe.Otto Dix »Les joueurs de SKAT » ou » invalides de guerre jouant aux cartes  ». – Histoire des arts ,Ni l'un ni l'autre

Dix à partir de la monstration des corps de ces trois invalides de guerre, écorchés, blessés, mutilés, démantibulés, la mâchoire arrachée pour l’un, le nez coupé pour l’autre, le crâne trépané pour le troisième, dévoile jusqu’à l’excès dans une large palette, un concentré de toutes les blessures possibles. On découvre toutes les conséquences traumatiques de la guerre sur la peau, elles sont encore à vifs dans leur chaire malgré les diverses réparations de fortune  « des prothésistes, « mécanothérapeutes, et autres chirurgiens maxillo-faciaux ». A ces corps reconstruit par les l’artifice médicale de la colle, l’artiste par un pied de nez ironique, utilise la technique du collage, devient créateur de prothèse.

Les Tableau sur ce sujet en 1920 prennent une teneur très sociale. La rue de Prague, Pragerstrasse en  révèle le contraste entre les bricolages auxquels les soldats peu fortunés ont droit et ceux que les vitrines des boutiques d’accessoires proposent comme des accessoires de luxes tendances avec la haute technicité mécanique et mimétique. À l’injustice et l’affront guerrier, vient s’adjoindre celui de l’injustice sociale et cynique de la nation reconnaissante. Dix témoigne de la difficile réinsertion des invalides de guerre dans la vie sociale. le Marchand d’allumette daté de 1920, illustre la condition très précaire de ces invalides et le peu de reconnaissance auxquels ont droit les anciens combattants, ignorés, humiliés. 

Dix à partir de la monstration des corps de ces trois invalides de guerre, écorchés, blessés, mutilés, démantibulés, mâchoire arrachée, nez coupé que cache ou remplace l’artifice prothéique, dévoile jusqu’à l’excès dans une large palette, un concentré de toutes les blessures possibles, toutes les conséquences traumatiques de la guerre sur la peau, elles sont encore à vifs dans leur chaire malgré les diverses réparations de fortune. « Blessés de la face et du corps », Traces, cicatrices, la guerre marque de son empreinte indélébile et mortifère les glorieux survivants de 14. Le moi-peau, cette barrière de protection est désormais affectée, altéré perturbant les limites entre le dedans et le dehors. Mises à nus, ils semblent sans barrière de protection. Qu’en est-il désormais de cette interface de communication avec l’autre, ne sont-ils condamnés qu’à ne rester qu’entre semblables ? Parias parmi les parias, bêtes, monstre de foire, plus épiés que regardés, ont-ils encore leur place au sein des vivants ? Se sentent-ils encore comme des personnes avec la perte de leur intégrité physique, se sentiment d’unité, cette pleine jouissance de leurs capacité naturelles .

Le tableau de Dix semble tout de même dévoiler toute leur ingéniosité à tenir leur rôle d’humanité.

sont-ils désormais condamnés qu’à ne rester qu’entre semblables ? En 1921 est crée en France l’Union des Blessés de la Face, c’est delà que viendra l’appellation  » Gueules Cassées
Ces être s explique  France Renucci sont devenus « méconnaissables, ils n’ont plus figure humaine, ils sont à peine identifiables ». En 1921 est crée en France l’Union des Blessés de la Face, c’est delà que viendra l’appellation  » Gueules Cassées « . » Un grand nombre de Gueules cassées raconte, F Renucci, finiront leurs jours dans les Maisons de repos qui leur sont réservées, choisissant de rester entre eux plutôt que de supporter l’enfer de l’autre.« 

l‘esthétique a déserté la scène de l’art, pour la seule exposition de l’horreur ? Comme le souligne justement Annie Lebrun, tout comme la beauté, la laideur n’est pas neutre » elle peuvent devenir « une charges politique ».

Chapitre 2 – Freud et la mythologie,1970,Didier Anzieu Dans Le travail de l’Inconscient (2009), pages 72 à 112      ou     Didier Anzieu – « Le Moi-peau –« , Ed : Dunod, 1995, p61

La construction des Gueules cassées, France Renucci ,Dans Les cahiers de médiologie 2003/1 (N° 15), pages 103 à 111

 

 »  Ce tableau, c’est vraiment un choc, c’est horrible, c’est d’une telle violence (unvorstellbar). On a envie de détourner le regard. » Ce que l’on voit, quand-il s’agit de guerre est si monstrueux, si inimaginable, que le cerveau nous dit : Non, une telle chose n’a pas pu se produire, ne doit pas se produire, ne devra plus se produire ! Si l’on veut saisir la puissance de cette oeuvre, il ne faut pas se contenter de l’image plate mais revivre son processus de construction sensible entre peinture et collages. Le peintre a collé de vraies cartes à jouer, ainsi qu’une une sorte de toile de jute afin de représenter le bras d’un des anciens militaires. Pour donner un surplus de réalisme, Otto Dix utilise une teinte de couleur métallique sur certaines parties du tableau telles la représentation des prothèses. paradoxalement, c’est à la fois proche de la caricature et il s’agit là d’un réalisme terrifiant qui nous est proposé par l’artiste. la corporéité est ici incontestablement laide. Qu’inspirerait-il à l’époque dans la société allemande? du dégoût et de la peur. ? »

 Commentaire d’une amie professeur retraçant sa découverte face au tableau à Berlin.

Cette expérience confirme la réelle nécessité pour les élèves de découvrir l’œuvre dans sa corporalité  sa   matérialité. Il faut se confronter au corps de l’oeuvre. Même si la noirceur de cette vision peut-^tre« la compréhension expliquait Arendt est productrice de sens ».Les multiples reproductions, dans les livres, ne peuvent qu’amoindrir, aseptiser, cette perception immédiate, in-situ de l’image. On a comme expliquait Walter Benjamin à l’ère de la reproduction technique une déperdition auratique , un appauvrissement, un assèchement de l’expérience faces aux reproduites à x exemplaires.

L’expérience de l’effroi (schreklich) tel que le vécu le peintre soldat trouva dans le médium artistique comme les eaux-fortes et la peinture des supports privilégiés pour conjurer (exorciser) le mal. « Je n’ai pas peint des scènes de guerre expliquait O.Dix, pour empêcher la guerre […]. Je les ai peintes pour conjurer la guerre. » Le peintre après deux conflits mondiaux, en 1946, est très lucide, sur les possibilités concrètes que pourrait avoir son art d’influer sur de tels événements. « Je les ai peintes pour conjurer la guerre.  » Que faut-il entendre par conjurer ? L’art par ces procédés surnaturels, pourrait-il écarter les influences néfastes ? Au XIIème siècle l’action de conjurer était définie par le fait de  » prononcer des paroles magiques sur quelqu’un, quelque chose pour obtenir tel effet « . la Parole, l’objet doué de pouvoir magique ou mystique pouvait selon la croyance « écarter un mal, un danger par des pratiques magiques. Nous retournerions aux sources de la praxis artistique. (https://www.cnrtl.fr/definition/conjures//1)
Dix croit-il au pouvoir magique et salvateur de l’art sur les consciences ? Face à la catastrophe sociale  l’art aide-t-il à mieux comprendre nos passions guerrières *?

la découverte des oeuvres au musée de la grande guerre de Meaux, ces création graphiques et picturales auraient-elles  pour  vocation de nous faire comprendre les dangers et ressorts funestes que nourrie  le la pulsion ressentimentiste  ou les passions guerrière? Serions-nous quelque peu utopique de croire qu’il pourrait-être le lieu véritable d’un surgissement éclairé, d’une nouvelle configuration de pensée ?  pour l’artiste et tout « survivants », il n’y a pas doute, l’art sert à conjurer le mal en soi, il est une nécessité  impérieuse et thérapeutique .Il faut pour Dix d’éviter l’effondrement, Peindre, gravé, dessiner ce lieu où pourra se manifester une possible résilience. Que faut-il entendre par produire un ordre, un ordre en soi? Serait-ce le maintien constant de son être, une tentative pour maintenir un fragile processus de normalisation? l’art est une résistance contre sa décomposition. L’artiste lui aussi est une gueule-cassée.

*C’est la question que se pose Jérôme Bazin,  enseignant-chercheur à l’université de Paris-Est Créteil dans le titre de son article « Guerre, art et idéologie : l’art aide-t-il à comprendre les passions guerrières ? », Critique d’art, 50 | 2018, 42-52.

 Qu’est-ce que ce trauma dont parle l’artiste »? c’est   » une blessure avec effraction » peut-on lire dans la définition de Laplanche et Pontalis ( « Vocabulaire de la psychanalyse »). En grec, trauma, est dérivé du verbe « percer ». Il signifie stricto sensu une « blessure ». L’expérience de la guerre fut par un « effet de choc » une déflagration, un anéantissement, une rupture entre deux temps, un nouveau hors-temps.Elle demeure une plaie à jamais ouverte, un percement continue dans l’organisation corporelle et psychique. C’est un trouble dans le fonctionnement énergétique tout entier, dirait Freud). Les gueules cassées sont exemplaires de cette double brisure. « Le traumatisme apparaît aussi comme un moment de rupture «  Il y a cette difficile gestion de l’après-coup (Nachträglichkeit). Que faut-il faire pour dépasser cet état de détresse psychique (Hilflösigkeit) ? La médecine, la  psychiatrie, la  psychanalyse porteront un regard sur ces pathologies et leurs effets destructeurs pour la vie psychique, il tenteront de diagnostiquer et de soigner cette pathologie nouvelle. « De nombreux psychanalystes travaillaient aux armées, faisant fonction de psychiatre, apportant leur savoir faire dans le traitement de ces névroses traumatiques d’un genre particulier qu’étaient les névroses de guerre. « François Marty.Les diverses études psychiatriques tenteront de cerner ces pathologies post-traumatiques -La nouvelle science de l’âme parlera volontier de « psychose traumatique », d’ « hystérie de guerre », de « syndrome d’épuisement », ou encore de « névrose de guerre ». (« The post-traumatic stress disorder (PTSD).« ces pathologies et leurs effets destructeurs pour la vie psychique Comment face à son intégrité fragmentée, « l’amputation du moi » l’artiste peut-il retrouver un semblant d’unité ? « Produire un ordre, un ordre en soit face au chaos » expliquait l’artiste. Les Joueurs de skat sont l’expression de cette double amputation physique et psychique. Dix trouvera, certainement dans le parti-pris esthétique d’une représentation volontairement satirique et grotesque (ironie mordante des aquarelles des années 20 puis hyperréaliste voire quasi-clinique pendant les année 30, les deux moyens d’expression possibles et salubres, face à cette tâche impossible que serait la  suppression ou son assimilation par les voies normales du trauma. 

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A travers ce geste obsessionnel, la précision du scalpel, le peintre devant sa toile, le nez collé à l’horreur pendant plusieurs heures, dans ce temps dilaté de la création dans un style volontairement naturaliste et vériste, met-il  à distance le spectacle de l’effroyable . Il décrit les images toujours présentes dans sa mémoire avec la précision et l’exactitude du réel. Le choix d’un format volontairement panoramique à l’ampleur quasi cinématographique et homérique dans son tryptique de 1930 témoigne d’une grande ironie à travers ce récit héroique d’un voyage au bout de la nuit dont il serait le héro.

Ernst Friedrich: War Against War! Krieg dem Kriege! Guerre a la Guerre!  Oorlog Aan Den Oorlog! by samzdat - Issuu

CF lecture :Stéphane DouaillerGuerre et Culture : situation de la philosophie contemporaineAnthropology & Materialism [Online], 3 | 2016, Online erschienen am: 01 Dezember 2016, abgerufen am 15 Dezember 2022URL: http://journals.openedition.org/am/661; DOI: https://doi.org/10.4000/am.661

ll faut donc qu’ils puissent y avoir cette « perception quasi-tactile », haptique, un accès direct et quasi organique avec l’oeuvre . Comment créer une impression de vérité en jouant sur la mimesis? Cette expérience sera d’autant plus signifiante devant une œuvre comme où la thématique du corps altéré et de son remplacement « prothéique » est questionné. la figuration devient donc un enjeu problématique’ face à l’expression de l »in-supporté, l’in-touchable… »

le spectateur pourra interroger l’usage artistique et thérapeutique qui peut être fait de la violence. Mais aussi se positionner sur les possibilités de sa représentation, de sa transmission dans une société de plus en plus scopique où sa production, sa consommation divertissante à échelle industrielle virtualise doublement ce qui ne peut être vu de tout façon que sous le voile de l’artifice. Tout événement médiatisé se dissout désormais en flux, à travers des filtres médiatiques multiples, Oto dix en était-il conscient quand il réalise ses gravures?

I A. Warhol le montrera bien à travers ses travaux sur ces toiles  » Cars craches » de la série des Disasters ou la répétition d’une même image en neutralise la signification et l’expression. C’est intéressant de faire noter aux élèves que cette « tactilité » de l’œuvre d’art, est constitutive de la volonté de ce réapproprié l’expérience esthétique. L’usage du choc dadaïste tout autant que le retour à l’usage de matériau à l’époque du constructivisme, des collages cubistes témoignent de cette réflexion sur la matérialité de l’image. L’artiste veut nous faire toucher du doigt cette peinture. Elle vient vers nous, comme une effraction dans l’espace réel. Nous vivons ce que Freud nommera l’expérience de  l’effroi Schreck.

« L’effroi est un réel qui laisse le sujet sans recours, sans protection, sans les mots pour dire ni même un imaginaire pour narrer. »
Cf. « L’œuvre d’art à l’époque de sa productivité technique » Walter Benjamin, 1935/1939

« La violence de la grande guerre a marqué la population, au point d’imprimer longtemps la vie publique ».

Pour une visite audio de l’oeuvre.

https://www.moma.org/multimedia/audio/29/702

Carte d’identité du tableau 

Titre :« les joueurs de Skat » = (Die skatspieler ou kartenspielend kriegskrüpell)
Peintre: Otto Dix
Date:    1920
Technique:  Technique mixte
Support:  Huile sur toile.
Lieu de conservation et d’exposition: Neue nationalgalerie Berlin
Mouvement artistique : Expressionniste/ Dadaïsme.
À quel mouvement artistique peut-on rattacher la peinture « les joueurs de SKAT« ?

Les élèves m’annoncent une œuvre expressionniste, d’autres une peinture proche du courant de la nouvelle objectivité, voire Dadaïste. (???) . Ils ne savent pas à quel mouvement rattacher cette peinture. Le peintre a été influencé au départ par le futurisme, le cubisme et le rayonnisme. Ses premières peintures de la guerre montrent une fascination, similaires aux artistes italiens, pour le spectacle des machines de guerre en action.( Cf. Gino Severini, Canons en action , 1915, peinture à l’huile, 50cm x 61cm,
Cologne, Musée Ludwig).Dans cette œuvre de 1915, assez proche de celle d’oto Dix retrouve les lignes brisées et rayonnistes, l’espace cubo-futuriste.
Le spectateur, rentre dans la peinture ? Il est placé au centre du carnage qui se déroule sous ses yeux. Dans dans la peinture spectacle comme  souhaitait Umberto Boccioni le spectateur est désormais en immersion. Le peintre traduit-il ce déluge de feu, cette barbarie mécanique, avec autant de fascination que de sidération? En 1916-1917, la guerre entre dans ce que l’historien François Cochet dans son ouvrage clair et assez pédagogique « la grande Guerre » nomme les « hyper batailles« . « Il s’agit d’expérimenter la technique du marteau-pilon à l’égard de l’ennemi sur des fronts étroits pour rendre l’attaque plus puissante encore. » pages 261 à 328,  Comme Otto Dix qui fut incorporé dans l’artillerie en France, en,1916 , Ernst Jünger témoin aux avant-poste, en 1914 s’engage et fit la guerre en première ligne, il évoquera au de là de la mobilisation totale de la société, ce primat désormais accordé dans ce nouveau type de guerre à la puissance technique. Il constate cette inflation guerrière, elle nécessite la mise en mouvement d’une quantités d’énergies de plus en plus considérable et meurtrière.

La Grande Guerre : fin d'un monde, début d'un siècle : 1914-1918 par CochetLa tranchée, gouache sur peinture, 1918, 41 x 39cm

Déjà dans son huile sur carton de 1914, canon, le peintre allemand, témoin direct de cet affrontement dantesque, au temps des hécatombes de 1914 et de 1915…  représente à travers la monstrueuse machine de guerre en action « cette montée en surpuissance » de la guerre moderne et son mode de développement quasi industriel. Dans sa retranscription picturale, le paysage disparaît sous les obus et la mitraille. Les multiples explosions décrites sous le pinceau fiévreux de l’artiste, la scène campée, ne seraient-elle pas assez proche de celle qu’évoque d’autres témoins, cette fois-ci présents dans la tranchée adverse Félix Vallonton avec son Verdun ou Henri BARBUSSE à travers ses carnets fameux de guerre de 1916 ?. Revenons sur cette scène édifiante du » barrage de feu » qu’un soldat doit traverser .« C´est le barrage. Il faut passer dans ce tourbillon de flammes et ces horribles nuées verticales. (…) j´ai vu, çà et là, des formes tournoyer, s´enlever et se coucher, éclairées d´un brusque reflet d´au-delà…«  Chaque artiste par les moyens de son art tente de traduire le plus fidèlement possible, cette sensation multisensorielle, que fut l’expérience vécu hic et nunc de cet anéantissement. Comme le rythme du texte, la toile peinte n‘est plus que vacarme fracassant, expérience immersive pour le spectateur. « Un brasier avec d´immenses et furieuses masses rouge et noir tombait autour de moi, creusant la terre, l´ôtant de dessous mes pieds, et me jetant de côté, comme un jouet rebondissant. 

Verdun de Félix Valloton

 » Face à ce jouet rebondissant trône effroyable, le canon .Est-ce la très grosse pièce d’artillerie de siège la  » Dicke Bertha » , « Pariser Kanone « qu’ O.Dix présente en bas de la peinture ? L’obusier, fierté de l’armée allemande, arme psychologique contre l’ennemie devient l’acteur principal de l’œuvre, source infernale de destruction, elle symbolise parfaitement ce que Ernest Jünger nomme  Materialschlacht -une guerre où intervient l’importance matériel du combat et le phénomène de la guerre d’usure). Il  y aura le canon, mais également le tank et les avions de combat.
? Tout comme les mots chez Barbusse, certains dessins de Dix réalisés pendant la guerre ou des gravures réalisés en 1924 montreront avec une vivacité encore très présente dans la mémoire cette expérience commune du front entre l’écrivain et le peintre allemand. L’expérience des tranchées et des escouades dans ce no man’s land, par l’intermède de l’art et la littérature permet le dévoilement du trauma de l’expérience au plus près du réel. Nous descendons dans les tranchées boueuses de Crouy, le boyau 97, sous la pluie et le feu de la mitraille allemande, suivons l’escouade, les hommes du 231e régiment. En contre-point E.Jünger dans “Kriegstagebuch / Journal de guerre”, dans un récit de 1920 à caractère autobiographique « In Stahlgewittern » Orages d’acier développe une vision héroïque du guerrier. le polemos devient lieu de découverte et de dévoilement de l’homme véritable.« On ne connaît pas un homme avant de l’avoir vu au danger. » écrivait-il, de poursuivre[…] même le plus colossal affrontement n’est jamais que la balance où l’on pèse, aujourd’hui comme toujours, le poids des hommes. en 1922 il publiera “(Der Kampf als inneres Erlebnis – 1922), Le Combat devient l’espace privilégié d’une expérience intérieure. Berd Weisbrod décèle dans cette idéologie une forme de » fondamentalisme masculin. »

A consulter sur ce sujet: l’article

Violence et culture politique en Allemagne entre les deux guerres

Bernd Weisbrod

Dans Vingtième Siècle. Revue d’histoire 1992/2 (n° 34)

 d’infanterie. Der Krieg (K. 70 – 119)Der Krieg (K. 70 - 119) | Otto Dix: Haunted Visions | Graphic Masterworks  from an Important Private Collection | 2021 | Sotheby'sView full screen - View 3 of Lot 19. Der Krieg (K. 70 - 119).Otto Dix

Der Krieg (K. 70 – 119)

Canon ,de Otto dix, huile sur carton,1914. vision très futuriste.

Comment sont les coloris ? Le peintre choisit des couleurs vives et des coloris acides : le rouge se marie au vert et au jaune. Le blanc lumineux des explosions se multiplie dans l’espace de la toile.
Comment sont les lignes ? : nous avons une dominante de lignes droites, angulaires et brisées.
Comment est l’espace ? : confus, disloqué, brisé, saturé.
La composition s’articule autour de cette pièce d’artillerie en action.( Les 4 soldats dont nous apercevons les visages, semblent minuscules et coincés intégrés à cette énorme machine d’artillerie.

http://www.clham.org/images06/TIII_10_35b.jpgImage illustrative de l'article Grosse BerthaPD-icon.svg

Natalia Gontcharova , Pastel et fusain sur papier teinté (28 x22 cm) Circa.

Composition rayonniste , Michel Larionov, 1916/17 (gouaches sur papier) 28.5 x 19 cm.

« Ces formes naissent de l’intersection des rayons lumineux émis par différents objets.  » M. Larionov, La Queue d’âne, 1913

Rayonnisme Rouge de Mikhail Fiodorovich Larionov (1881-1964, Russia)

Rayonnisme rouge.

SEVERINI, Synthèse plastique de l’idée « guerre » (1915)
Huile sur toile (60 x 50).

Comment sont les premières oeuvres de cet artiste? Quel est le style des Joueurs de Skat?

Dans un premier temps, son œuvre est expressionniste jusqu’en 1919. À partir du milieu des années vingt sous la république de Weimar, l’artiste opte pour une représentation radicalement différente avec un style foncièrement plus réaliste, assez proche du travail et du savoir faire des peintres Flamands de la Renaissance, époque où l’invention de la peinture à l’huile institua par sa technique de nouveaux paradigmes picturaux. O.Dix participa à un mouvement très présent en Allemagne dès l’après-guerre, celui de la Neue Sachlichkeit (nouvelle objectivité). Il partage avec ses acolytes de gauche un vision politique et militante de l’art qui s’exprime dans le choix d’un « vérisme esthétique ». Je pense que « les joueurs de Skat » est une œuvre de transition. L’expressionnisme est encore très présent dans le travail de la couleur et de la forme, cette vision apocalyptique en clair-obscur. O.Dix, conserve l’attention que ces artistes du mouvement Die Brück ,apportaient à la souffrance humaine, une vision  post apocalyptique du monde se dessinait déjà au début du siècle. L’usage du collage, peut faire penser aux inventions cubistes voire Dadaïstes. Ce dernier mouvement très iconoclaste intéressa O. Dix par ses satires mordantes très antimilitaristes, son atmosphère nihiliste et tragi-comique. La nouvelle objectivité, sera un autre pendant de son œuvre. Avec son hyperréalisme froid, le peintre tentera de toucher le public Allemand, sensible aux démagogies guerrières ambiantes, sur le nouveau drame qui s’annonce. L’artiste alerte son époque d’une autre façon, mais avec la même volonté dans chaqu’un de ses styles de mettre à distance la vision traumatique. Œuvre de mixité, carrefour des tendances, elle est à la fois Expressionniste par l’utilisation des déformations, l’expression de la douleur, mais elle prend ses distances par le choix délibéré de donner au tragique une représentation exagérément grotesques. Peint-il la cruauté du monde en s’inspirant des graffitis des pissotières comme son ami G.Grosz et Erwin Blumenfeld ?

George Grosz, Strassenszene, 1919Lithograph,10.5 X 15.25 in. Otto Dix, Café Couple (Paar im Café), 1921. Watercolor and pencil on paper, 20 x 16 1/8” (50.8 x 41 cm). Purchase. © 2012 Artists Rights Society (ARS), New York / VG Bild-Kunst, Bonn

George Grosz, Strassenszene, 1919 Lithographie,10.5 X 15.25 cm

George Grosz, Knotenstock, 1918,  Encre de chine sur papier, 35 x 27,8 cm, Paris, Centre Pompidou.

Otto dix ,couple dans un café, aquarelle, 50.8 x 41 cm. Purchase. © 2012 Artists Rights Society (ARS), New York / VG Bild-Kunst, Bonn. Association de la femme et de l’homme aux multiples cicatrices. la femme est-elle un ange consolateur?

Représentation caricaturale de la rue berlinoise à l’heure du « brutalisme ». Cette même rue où se promène les gueules cassées à Dresde.

Otto Dix, Fleischerladen, drypoint, 29,8 x 25,6 cm, 1920

Otto Dix, Fleischerladen, drypoint, 29,8 x 25,6 cm, 1920.

Vision grotesque tirée d’une vision de la boucherie .Après cette vaste boucherie de la première guerre, la société moderne n’est-elle pas également par sa chosification capitaliste une nouvelle boucherie moderne?

Dans « Rue de Prague », huile sur toile de 1920 conservé aujourd’hui à  Stuttgart dans la galerie der Stadt, on découvre, déjà, les motifs récurrents des collages, du soldat mutilé avec ses prothèses. Exclus de la société, comme les vagabonds, les chômeurs, les anciens soldats de 14 sont condamnés à vivre en marge. Ici, son espace social s’est désormais la rue à hauteur de sol. Comme le vendeur d’allumette, la mendicité sera sa seule source d’existence. Dans les vitrines de magasins, les prothèses deviennent le nouveau vêtement à la mode sans nous dire avec une certaine ironie Oto Dix. Produit de luxe auquel le soldat précaire n’a pas accès. Oto Dix questionne cette place assignée aux mutilés de guerre, cette nouvelle visibilité dans l’espace social de l’époque qui suit la catastrophe. Le spectateur adoptera t’il une  une disposition critique face aux peinture de l’artiste?

 Autoportrait en soldat.

 Trait caricatural
Absence d’expression
Air désabusé

Huile sur toile, 69,5 x 60,5 cm, Allen Memorial Art MuseumOberlin, Etats-Unis.

Voici l’interprétation qui est faite de l’œuvre au Collège Wallon.

« L’artiste s’est peint mutilé à une époque où il est mobilisé. Cette mutilation est symbolique. Elle exprime avec force l’angoisse de la mort ou de la blessure que peut éprouver un homme qui va partir à la guerre. En même temps, elle manifeste le désarroi de l’artiste qui se trouvera dans l’incapacité matérielle et peut-être morale de continuer à exercer son art pendant qu’il est soldat. C’est pourquoi, paradoxalement, il se représente à la fois dans son atelier en train de peindre et dans l’incapacité de le faire, privé de main droite. (…) La blessure provoque un sentiment de répulsion et de dégoût. C’est une image sombre qui dément la propagande en faveur de la guerre exaltante, glorieuse et héroïque »
COL58-WALLON.AC-DIJON.FR/IMG/PDF/HDA-KIRCHNER. PDF ?

Le peintre expressionniste E.L. Kirchner, en 1915, dans cet autoportrait saisissant, se représente dans son espace de travail amputé de son outil de travail. La question de l’amputation et de la blessure sera un thème de préoccupation de nombreux artistes. pensons au portrait du poète apollinaire. De nombreux esprits de leur temps reviendront pas de la guerre :

  • Alain-Fournier (corps identifié en 1991).

Tandis que d’autres reviendront blessés:

  • Apollinaire blessé à la tempe en 1916 et décédé en 1918 (grippe espagnole),
  • Cendras amputé du bras droit
  • L.F. Céline…(70%)

chirico apollinaire Victor Brauner : le pictopoète des yeux et la subersion du regard

Le peintre Chirico réalise une peinture prémonitoire. (sur la blessure du poète)

Ma main coupée brille au ciel dans la constellation d’Orion.
420/journal du 28 septembre 1915: Blaise Cendrars perd son bras à la ferme  de Navarin (Marne) | 1914-1918: Reims dans la Grande GuerreSold'art : la Légion honore ses guerriers devenus créateurs - Gomet'Alors que Blaise Cendars est amputé d’un bras, Alexandre Zinoview représente un soldat dont le bras a été arraché dans les combats. Photo ci-dessus de Blaise Cendrars en uniforme du régiment de marche de la Légion étrangère.

… tous étaient revenus de tout. Pourtant ils étaient durs et leur discipline était de fer. C’étaient des hommes de métier. Et le métier d’homme de guerre est une chose abominable et pleine de cicatrice, comme la poésie.

Cendrars – La Main coupée

Il porte à sa gauche comme l’un des joueurs de Skat des décorations (médaille militaire et croix de guerre avec palmes). Ce portrait est réalisé le « Dimanche de Pâques  en 1916, seulement  quelques mois à peine, après son amputation du bras droit, son bras droit d’écrivain et de guerrier » advenu le 28 septembre 1915.« Il devient correspondant de guerre.(grand reporter).
Il écrit en 1946 un texte en prose: « la main coupée.
Un magnifique poème  » Au coeur du monde  » il évoque son sentiment , à l’époque de son amputation.

« Ma main coupée brille au ciel dans la constellation d’Orion.
(…)

Pas un bruit. Pas un passant. C’est le lourd silence de guerre.
Mon œil va des pissotières à l’œil violet des réverbères.
C’est le seul espace éclairé où traîner mon inquiétude.

(…)

Je suis l’homme qui n’a plus de passé. —Seul mon moignon me fait mal. —
J’ai loué une chambre d’hôtel pour être bien seul avec moi-même. »

On pourrait peut être retrouver les mots de ces joueurs de skats, s’ils étaient poètes.

E.L Kirchner, Autoportrait en soldat (1915) Huile sur toile, (69 x 61).

File:Paris mutilé de guerre 14 juillet 1919.jpg

Côté français , en 1919, certains mutilés de guerre vendant des bleuets le 14 juillet. (cette fleur symbolise des soldats français.) Pour Clemenceau, le président :« ils ont tous les droits », pour la nation reconnaissante.

Une peinture Dadaïste ?

Le peintre utilise, comme bons nombres d’artistes Dadaïstes berlinois, la technique du collage et du photomontage. Par exemple, il colle pour le vêtement bleu du soldat un ersatz. Au fond, derrière les personnages, plutôt qu’une représentation peinte de journaux, il colle à l’instar d’un Picasso, ou d’un futuriste comme U. Boccioni, trois morceaux de journaux, des cartes à jouer. Une photo de l’artiste est même collée sur la mâchoire métallique du soldat de droite. Otto devient créateur de prothèse. Dans un autre tableau des années 20, « la rue de Prague », le papier journal intervient comme un vecteur informatif mais aussi formel.

Le peintre dans les années 20, à l’instar d’un George Grosz, ou Rudolf  Schlichter, utilise un dessin caricatural, proche du portrait charge, pour évoquer le monde des anciens combattants, des militaires…en somme, on retrouve dans les multiples œuvres des années d’après-guerre, cette satire de la société, cette vision critique, antimilitariste que certains Dadaïstes (comme Hulsenbeck développaient déjà quelques années au part avant). On retrouve le langage nouveau, cette esthétique révolutionnaire et nihiliste.
Cette peinture est une œuvre antimilitariste comparable à ce mannequin d’un officier allemand à tête de porc, suspendue au plafond lors de l’exposition Dada. Cette dernière, après son exposition, fut à l’objet d’un procès. (cf. reconstitution, ci-dessous).

John Heartfield and Rudolf Schlichter, Preussischer Erzengel (Prussian Archangel), 2004 (reconstruction of lost 1920 original)
papier-mâché (pig’s head); wire mesh (body); palm grass, hemp,  and horse hair (filling); uniform cut from field gray material,  following original pattern; World War I field cap, boots, and shoulder lapels; woodcut (signs) height c. 180 cm (70 7/8 in.) Neue Galerie New York

(John Heartfield and Rudolf SchlichterPreussischer Erzengel Archange prussien), de 2004 (reconstitition de l’oeuvre originale perdue en 1920.

Matériaux: papier-mâché pour la tête de cochon ; wire mesh (body); palm grasshemp,
and horse hair (filling); uniform cut from field gray material,
following original pattern; World War I field cap, boots, and shoulder lapels; woodcut (signs)
Dimension : 180 cm
Neue Galerie de New York

Les autorités y voyaient une évocation déshonorante du ministre de la Défense de la République de Weimar (CF. Le cliché photographique de l’expo salle 1). Comment ne pas confronter cet archange obscène et les combattants, les sans-grades. À la même période, Otto Dix critiquera d’une façon mordante le caractère concupiscent et corrompu d’une certaine armée, en rapprochant dans l’espace d’un café bordel bruxellois, l’officier gradé (un général de la Reichswehret) et la prostituée. Ce tableau  » souvenirs de la galerie des glaces à Bruxelles  » est visible au centre Georges Pompidou à Paris. Otto Dix profite du jeu des miroirs pour dans une parodie quelque peu cubiste, nous montrer les ébats du couple.

Composition avec des jeux de miroirs.

À cette époque (le 5 juin 1920) invité par G. Grosz, et  J.Heartfield, il participe à la première foire internationale Dada à Berlin (- Erste International dada-messe) dans la galerie du Dr. Otto Burchard. O.DIX y expose une œuvre picturale « mutilés de guerre », un défilé de soldats allemands dans une rue, dont le physique, le caractère grotesque est assez proche des joueurs de skat. On peut faire des rapprochements entre les personnages des deux tableaux.

  • Peut-on voir dans l’acceptation de Dix à cette invitation à confronter son œuvre à ceux des Dadaïste ? slogans, photomontages. Une reconnaissance et une filiation avec la démarche de ces confrères berlinois ?
    O. DIX s’engage. Que peut représenter ce petit sexe d’ange, dont est affublée cette gueule cassée à droite dans le tableau ? Une grivoiserie à la Duchamp ? (L.O.O.Q.) Une provocation ? Dans la représentation de ce couple militaire/prostituée. Dix se servaient du stratagème visuel (un jeu de miroirs) pour exhiber, d’une façon un peu crue, le sexe féminin. L’artiste, ne fait-il pas dialoguer, en contraste, ce détail au départ peu visible, obscène, avec la décoration ostentatoire d’une croix de guerre que l’on montre fièrement ? Quand est-il de cette virilité glorieuse du soldat allemand, dans une Allemagne de la défaite ? . Ici, une certaine vision du guerrier, l’icône héroïque, d’un corps glorieux, qu’il désamorce, qu’il raille (ne mènera-t-elle pas au désastre ?). Ce détail impudique, évoque-t-il la façon dont la nouvelle propagande de l’État allemand, certaines associations d’anciens combattants, exhibent sans pudeur, les blessures, les stigmates de cette guerre passée, comme autant de manques héroïques, comme autant de médailles. Comme disait Berthold Brecht dans sa pièce « la vie de Galilée » : « Malheur aux peuples qui ont besoin de héros « . Chez Otto dix, cette exposition de la plaie guerrière devient le lieu d’un théâtre grotesque.

    Ce soldat, mis à nu a-t-il encore sa dignité ? Qu’elle peut être leur place dans cette société, Que nous laisse apparaître la tête scalpée du soldat de la partie centrale ? ses propres désirs ? ses fantasmes…ses obsessions, un espace d’intimité désormais à la vue de tous ?

    l‘estropié ou la gueule cassée est associée à la prostituée dans certaines œuvres d’Otto Dix.

    Le soldat de retour du front à Bruxelles, retrouve cet ange déchu pour satisfaire sa misère sexuelle.

    Prostituée et mutilé de guerre.

    En 1924, à travers ses gravures, il évoque les atrocités de la guerre.

    III)Contexte historique : 

  • Nous sommes en Allemagne, en 1920. De retour du front, nous entrons après l’horreur dans la période des premiers Bilans . Après l’échec de la révolution spartakiste, la possible construction d’un lendemain, commence  la république de Weimar (Ier république allemande) . Les artistes communistes du Kpd constatent avec désillusion l’échec des révolutions promises. La croyance en une Allemagne nouvelle s’éloigne. En 1918, l’Allemagne défaite est obligée de payer de lourdes réparations avec le traité de Versailles en 1919 –  (Elle n’a plus d’armée et cède une partie de ses territoires.). La scène peinte se situe à Dresde (cf. les journaux). Le peintre y vit. A-t-il observé cette scène de bar ou l’ a-t-il imaginé ?

IV description iconographique

  • Les joueurs de cartes, 1920, Otto dix, gravure N° 4 sur 11.On peut remarquer l’inversion de gauche à droite dans la disposition des figures.IV )DESCRIPTION ICONOGRAPHIQUE« Ce qui est représenté au premier niveau, ce sont « des gueules cassées » et des corps amputés complètement appareillés. Il n’y a presque plus que des prothèses : auditives, jambes de bois, minerve à vis, nez remplacé, mâchoires mécaniques, bras articulés avec des poulies, œil de verre, peau du crâne recousue. Corps raccourcis, corps réticulés, corps fait de pièces réagencées. Ce sont des corps artificiels aussi fabriqués que la table et les chaises puisque leur jambe de bois se confond et est identique aux pieds de la table et des chaises. » Henri jacques Stiker, Alain Blanc, le handicap en imagesAu centre du tableau, trois soldats sont en train de jouer aux cartes pour se divertir. Deux personnages sont de profil et se font face, tandis qu’un autre est face au spectateur. Ils sont autour d’une table, un guéridon, assis sur des chaises cannées.
     Le personnage de gauche a une jambe de bois, il joue avec son pied-droit, celui-ci faisant vacance du bras absent. Il a une prothèse à la place de la main gauche pour tenir les trois cartes. Un tuyau relie l’organe auditif à la table pour qu’il puisse entendre la scène. Une partie du visage est très abîmée.
     Le personnage de droite porte un uniforme avec une croix de guerre de 2e Classe. (la croix de fer= »Eisernes Kreuz« ). (la décoration allemande crée en 1913 par Frédéric Guillaume III de Prusse pour récompenser la bravoure guerrière sous Napoléon.). Rétablis en 1914 par Guillaume II, elle était donnée après des actes méritoires aux militaires ou civils. (+ de 5 millions l’on obtenus pour la 2e classe et 218 000 pour la 1re classe , ce qui atténue son prestige. (Informat. Wikipédia).File:EK II 1914.jpg
  • 1ère  Classe= épinglée                      2ème classe avec ruban.
  • Personnage de droite. Pour remplacer la partie basse du visage qui a disparu, il porte une mâchoire en fer.
  • Une prothèse métallique crée par l’artiste lui même. (elle porte sa marque et sa photo). Un cache-nez en cuir permet de cacher sa vacuité. Il porte un uniforme militaire  bleu, c’est un héros de guerre (mais nulle information sur son unité est apparente. L’artiste laisse apparaître un petit sexe grivois qui remet en cause sa virilité héroïque. son vêtement est fait en collage. Il joue aux cartes comme une machine .Il lui manque un bras , l’une des deux est remplacé par une prothèse en bois  articulée par une poulie.
  • -le personnage central :  a été scalpé, blessé sur la partie gauche il laisse apparaître une grande cicatrice. Le cerveau à vif laisse entrevoir dans sa partie une scène dansante ou érotique?. Sans jambe  il a des moignons à la place des jambes .Sans bras , il  n’est plus qu’un homme tronc. Seule  sa bouche lui permet de jouer aux cartes. Comme un écorché, il n’a presque plus de peau sur certaines parties su visage, son cou laissé entrevoir les os, des veines… Il a perdu son oreille gauche et semble fixer le monde avec son œil de verre. Il est devenu être hybride mi-mécanique, mi humain.
Toutes ces prothèse semblent bien sommaires? Où sont ces morceaux de prothèses réalistes que l’on découvrait en vitrine?
La prothèse permet t’elle ici de faire disparaître la blessure? N’ont-ils pas accès à la véritable réparation du corps?
  • Description du lieu: l’espace est clos, sombre. Il y a un porte manteau, un rideau, et une lampe . Des articles de journaux  de DRESDE sont suspendus.

V. Analyse plastique

  • LA LUMIERE : O. Dix crée  un contraste lumineux entre le fond sombre et la  lumière frontale au premier plan, qui se focalise sur les personnages. Il y a deux sources  lumineuses . Qu’est-ce qui est mis en lumière ? La chair, les blessures? Pourquoi ce jeu de lumière? L’artiste veut mettre en pleine lumière ce qu’on ne veut pas voir . Comme muni d’un projecteur il éclaire l’horreur, depuis l’extérieur du tableau. l’espace devient  une scène de théâtre avec son rideau. Les gueules cassés sont-ils des acteurs de leur propre rôle,  celui d’une théâtrologie dramatique? Cette lumière crue exhibe  avec outrance les plaies béantes des soldats, comme si l’on devait faire l’étude clinique de blessures. Nous somme entre Exhibitions cliniques et spectacle  d’un petit théâtre des horreurs ? (Le film de Frankenstein apparaît dans les années 30, des barnum des cirques n’exposaient t’il pas les monstruosités) .Et la lumière de ce lampadaire du fond? Elle n’éclaire pas réellement la scène. Avec sa tête de mort en fausse image subliminale, elle prend des airs fantomatiques. Lumière symbolique, elle rayonne sur la scène comme une incandescence macabre… Les soldats sont enfermés dans un espace. Nulle terrasse ou lumière naturelle. Leur vie est prend une forme funeste.
  • LA COULEURS: la palette est relativement restreinte: Le Marron pour le décor, le vert et le bleu des vêtements de l’uniformes…le rose vif des chairs. La dominante terreuse du décor rappelle celle des tranchées .Ne sont- il pas encore sur le terrain? Une analogie qui nous laisse à penser que l’espace  mental , mémoriel, et la temporalité sont confus. le présent c’est encore le passé. Les soldats sont  dans cette mémoire traumatique qui vous fait revivre les choses avec la même acuité. Comme Dix a pu le vivre, pendant des années, les anciens soldats doivent apprendre à vivre avec. l’artiste possède la peinture pour exorciser, mais qu’en est-il pour ces anciens combattants? (flash-back, illusions sensorielles, cauchemars, tout n’est que réminiscence intrusive pour ces combattants. c’est, peut être, ce que tente de traduire le peintre. Ce trouble de la mémoire psycho émotionnelle est comparable à un nouveau champ de bataille.
  • LA REPRESENTATION DE L’ESPACE . Nous sommes face à un espace clos, fermé. Les personnages occupent tout l’espace .Sombre ,étroit, il nous rappelle les boyaux dont parle Henri Barbusse , celui des tranchées. (Sommes – nous en 1920 ou encore pendant la guerre?).La mémoire, des moments terribles, hante les anciens soldats. Ils sont marqués dans leur corps par les tourments de l’histoire dont ils ont été les acteurs, les victimes. la guerre est-elle finie pour eux, où sont- il en attente d’une prochaine attaque du front?. Les personnages sont coincés dans cet espace peu  profond, proche des images de carte à jouer, des cartes d’état major. -Planéité de la peinture- que découvriront avant 1914 dans  les peintures cubistes, planéité d’un E. Manet qui faisait dire à certains critiques  que  « l’ Olympia », qu’ elle n’était qu’un vulgaire panneau publicitaire.  Avec cet espace rabattu, nous sommes dans ce type d’image. L’absence de perspective, l’espace non illusionniste est renforcée par l’utilisation des collages, qui ramènent tout au plan. L’espace  est à l’image de ses locataires . Enfermée dans leur douleur,ils ne dévoilent qu’un jeu de surfaces brisées. Nulle émotion intérieure semble visible, la souffrance s’étale en surface. Les formes s’organisent dans une composition centripète, fermée: signe redondant  de la solitude, de l’incommunicabilité avec l’extérieur. Communiquent-ils réellement entre eux? Communiquent-ils réellement avec le spectateur? Le personnage de gauche n’a plus d’œil pour nous regarder, celui du centre tente de nous fixer avec son œil de verre.  Il y a déficience des sens ,tout autant physique que psychologique.Quelle est la place instituée pour nous spectateur? l’empathie est elle possible?. Nous sommes face à un espace à l’image des gueules cassées, construit à partir de ces prothèses plastiques que sont les collages  .la composition des trois  personnages, comme une mise en abyme, reprend celle des trois cartes du jeu de skat, les trois morceaux de journaux…(Cf:Schémas au dessus). Ces trois soldats sont  comme trois figures d’un jeu de cartes que l’on tient dans une main….Sommes-nous spectateur, figurant  ou acteur?  joueur?  Future gueule cassée  et chaire à canon?…

George Grosz, John Heartfield, Corrected Picasso, The Happy Life (dedicated to Dr Karl Einstein), 1920, reproduction of lost photomontage appearing in the Dada Fair exhibition catalogue, New York, Elaine Lustig Cohen collection.

George Grosz, John Heartfield, Corrected Picasso, The Happy Life (dedicated to Dr Karl Einstein), 1920, reproduction of lost photomontage appearing in the Dada Fair exhibition catalogue, New York, Elaine Lustig Cohen collection.

D’autres dadaïstes berlinois en 1920 questionnent de façon humoristique l’héritage cubiste de Picasso des papiers collés , à travers cette oeuvre photomontage , un Picasso recorrigé par les nouvelles découvertes constructivistes (diagonale) et Dada.Un nouveau portrait dada se surajoute au portrait cubiste, avec la nouvelle esthétique de la photographie collée.

VI ANALYSE et INTERPRETATION DE L’OEUVRE:

  • Qu’est ce que le skat? C’est un jeu de 32 cartes d’origine allemande, inventé au XIXe siècle, se jouant à trois. c’est un jeu d’enchères. Le mot Skat signifie « écarter ». C’est un jeu dit de « l’écarté ».
  • Le mutilé est -il un héros? une figure à réadapter ou un exclu?

 » … Alors  même que les mythes et légendes germaniques encore très vivaces accordent une place particulièrement importante aux dieux et champions mutilés, les soldats ainsi rendus à la vie civile y sont traités moins comme des héros que comme un problème qu’il va falloir régler à grand renfort de prothèses fonctionnelles. »  explique Catherine Wermester. Elle démontre que le terme a une connotation négative dans la société. »KRIEGSKRÜPPELS est « estropié, avorton,infirme, invalide, impotent et parfois être rabougri » l’utilisation de la terminologie  est discutée, car péjorative. « dans tous les textes « consacrée au problèmes des mutilés de guerre…le kriegsküppel est décrit comme un être sans volonté, vivant de la mendicité ou de ces rentes à la charge de la société, incapable de tenir son rôle de père et d’époux, voir sombrer dans la folie, tout à la fois infirme, improductif, impotent etc. Il concentre implicitement toutes les formes négatives comme autant de sources possibles de relégation ». s’y oppose l’homme actif. « c’est au mutilé de sortir de la position d’exclu dans laquelle, il s’est, dit-on, installé lui même. »

Une guerre pas comme les autres annonce désormais les heures sombres de la « désillusion ». Qu’en est-il du projet civilisationnel des lumières, d’une société cosmopolite et de paix perpétuelle kantienne face aux triomphe des pulsions mortifères?

Freud l’évoquera dans son ouvrage le malaise de la civilisation ou au delà du principe de plaisir.

« Et voilà que la guerre, à laquelle nous ne voulions pas croire, fit irruption et apporta la… désillusion. Elle n’est pas seulement plus sanglante et cause plus de pertes qu’aucune des guerres antérieures en raison du puissant perfectionnement des armes offensives et défensives, mais elle est pour le moins aussi cruelle, acharnée, impitoyable que toutes celles qui l’ont précédée […] elle renverse dans une rage aveugle tout ce qui lui barre le chemin comme si après elle il ne devait y avoir parmi les hommes ni avenir ni paix. »
S. Freud, Actuelles sur la guerre et sur la mort, 1915.
  • Le peintre dénonce, l’absurdité de la guerre, la brutalité des combats, de ce nouveau type de guerre moderne (utilisation massive de l’artillerie/obus, bombardements,), symbolisés, incarnés dans leur chair par ces soldats. Il ne montre pas les combats, mais les conséquences sur les corps .Il remet en cause, démythifie, démystifie le mythe guerrier nationaliste
  • DIX critiques la récupération du drame et des souffrances militaires par l’État et les associations d’anciens combattants, qui décident à l’après-guerre de montrer les blessures des gueules cassées dans un but de propagande (politique).
  • Qui sont-ils dans cette peinture? Des victimes, des témoins, des pantins, les pions d’une manipulation, d’un jeu dont ils n’auront jamais les cartes. Ce sont les figures dupées d’un jeu de guerre. Qui est le tricheur?
  • Mais ils sont, aussi, les figures consentantes des nouvelles manipulations, des récupérations de l’État. On retrouve en eux les figures des 3 singes. « Je n’ai rien vu, rien entendu, rien dit ».
  • DIX donne une représentation caricaturale. Il passe par la forme du grotesque, pour montrer le caractère ridicule et dangereux de ce nationalisme de cet héroïsme d’après-guerre. Il ridiculise les ports de la croix de fer en, les récompenses en la jouxtant avec un zizi grivois. Ces trois soldats sont posés sur cette scène, ces chaises comme des trophées. Ces soldats cultivent la rancœur, mais retiennent il encore les leçons de la guerre?
  • Il interroge la place des anciens combattants dans la société (triptyque « la ville »), mais aussi des mutilés présent dans ces toiles comme des exclu monstrueux, sur le même lieu que les prostituées.
  • Qui sont-ils? Les compagnons d’infortune des prostituées? Des monstres incompris par leurs contemporains? Des exclus condamnés à se côtoyer qu’entre eux. Des inadaptés sociaux? Dix dénonce leur difficulté d’insertion dans cette société qui doit travailler avec le mémoire (en France on publie des cartes postales).
  • Face a une politique de disparition de la mutilation, du morcellement, une société avide de réconcilier l’homme et l’industrie (Bauhaus). le corps mutilé apparaît ou disparaît. Pour certains artistes Dadaïste , il est une source de réflexion la machine sera « tournée en dérision ». Une figure que l’artiste met en avant. (Catherine Wermester souligne qu’ « ainsi en 1919, l’expressionnisme toujours en quête de renouveau et d’une réconciliation n’ y aura plus recours. Au Bauhaus la même et, à partir de 1923, l’affirmation du principe d’une collaboration avec l’industrie excluront de fait l’iconographie du corps mutilé. »
  • Elle montre comment on peut assimiler la guerre moderne (industrialisée) au travail à la chaîne. « De la guerre industrielle à l’armée des ouvriers d’usines le sentiment qui domine est celui d’un corps humain investi par la discipline et ravalé au rôle d’instrument. » entre le soldat instrumentalisé et l’ouvrier il y a un même combat.
  • La guerre a posé sur la technique et la machine une certaine suspicion tout autant que la fascination. certains artistes n’utilisent ‘ils pas la technique machiniste du montage? Pour C.Wersmester , pour certains artistes communistes, « le modèle machiniste cristallise … l’aspiration à une expression collective, » antibourgeoise.
« …Une fois la paix revenue, les figures de mutilés surgissent dans les arts comme les images intuitives du désarroi et du sentiment d’impuissance qui submergent  des générations perdues ».Initialement liées à l’expérience traumatisante de la grande guerre, elles ne vont plus cesser d’assumer une fonction critique dans l’art de l’Allemagne pacifiée de la république de Weimar.(…) Figures de crise qui parlent d’un monde disloqué, figure de deuil qui racontent l’histoire d’une perte irrémédiable, les images de victimes de la guerre industrielles crée durant près de Quinze années seront le fait d’artistes qui ne voudrons ou ne pourrons de « recoller les morceaux ».
explique Catherine Wermester
« Ainsi nous réussirons à réparer autant qu’il est humainement possible les lourds dommages causés par la guerre; tous les cercles de la population devront contribuer activement à ce que les innombrables mutilés de guerre (KriegsKrüppel) se fondent dans la masse de la population comme si rien ne s’était passé, et entourés de leurs frères, redeviennent des membres à part entière de notre peuple, et de son destin. » Konrad Biesalski, cité
 
par Catherine Wermester. « Des mutilés et des machines. images de corps mutilés et rationalisation industrielle sous la république de Weimar. (allez lire l’article.)
George Grosz, John Heartfield, Der wildgewordene Spiesser Heartfield. Elektro-mecanische Tatlin-Plastik (Le Petit Bourgeois Heartfield devenu fou. Sculpture Tatline électro-mécanique), 1920/1988, reconstitution par Michael Sellmann, Berlin, 1988. Original exposé à la Dada-Messe, Berlin, 1920.
Assemblage. Mannequin : 130 cm en hauteur. Socle : 90 x 45 x 45 cm. Berlinische Galerie, Landesmuseum für Moderne kunst, Fotografie und Architektur, Berlin.
Comme Raoul Hausmann avec sa tête mécanique, les dadaïste dans une société de combattant à prothèses, et de mécanisation, pensons au mythe du robot chez « Métropolis », de Fritz Lang, recrée l’être hybride humanoïde.(dans la peinture le mannequin est très présent.) l’artiste devient, ici, un personnages aux multiples prothèses sarcastiques, et satiriques.

George Grosz et John Heartfield, « Der wildgewordene Spiesser Heartfield. » Elektro-mecanische Tatlin-Plastik (Le Petit Bourgeois Heartfield devenu fou. Sculpture Tatline électro-mécanique), 1920/1988, reconstitution par Michael Sellmann, Berlin, 1988. Original exposé à la Dada-Messe, Berlin, 1920.

Assemblage. Mannequin : 130 cm en hauteur. Socle : 90 x 45 x 45 cm.

Berlinische Galerie, Landesmuseum für Moderne kunst, Fotografie und Architektur, Berlin

VII Conséquence de L’engagement?
  • En 33 avec l’avènement d’Hitler ses œuvres sont qualifiés de « crime contre le régime », d’art dégénéré.
  • Ses œuvres détruites (Autodafé)
  • L’artiste est arrêté par la Gestapo.
  • Il perd son travail d’enseignant à l’académie des beaux-arts de Dresde.
  • Il doit s’exiler sur le lac de constance pour peindre désormais des motifs et sujets « apolitiques »: des chalets,  des paysages avec sapins et vaches.

VIII Contexte historique, Contexte de l’œuvre.
C’est celui de l‘après-guerre: l’époque qui doit soigner ses traumatismes .
« Les traumatismes à long terme sont les blessures à soigner, l’incapacité à reprendre un travail, les bruits et visions d’horreur toujours présent dans la mémoire des combattants. Ce n’est pas un hasard si les Ces années constituent un moment privilégié dans le développement de la psychiatrie et  de la chirurgie réparatrice en Europe.«   François cochet, Première Guerre mondiale, principes de culture générale.
Freud parlera à l’époque du concept de  » Psyché maniaco-dépressive.

         Y a-t-il un développement des associations d’anciens combattants ?
Les ligues d’anciens soldats se développent dès le milieu du XIXe siècle, en Allemagne, mais c’est en 1870, avec la guerre franco-prussienne, que se multiplient ces associations qui se poursuivront après 14.

Comment est la société d’après-guerre ? Est-elle relativement pacifiste ?

« Symboliquement, l’État admet volontiers ce qu’il doit à ses blessés. Il prend le sacrifice pour modèle, honore les survivants, les propulse en tête de toute cérémonie ou défilé, mais concrètement, face au réel, au quotidien, quand les drapeaux sont repliés et les fanfares rangées, les mêmes – défroqués de leur héroïsme – doivent, et vite, se fondre dans le lot commun comme si le crime de la guerre n’avait pas eu lieu. Homme-symbole, sa hideur est affichée ; bonhomme au quotidien, elle est niée. La double contrainte est intenable. « Ils ont des droits sur nous » déclare Clemenceau à la Chambre. Des droits ? Vœux pieux ! Concrètement, financièrement, l’État concède mesquinement des pensions de misère. »

Otto Dix  lutte pendant cette descénie d’après-guerre contre une idéologie ambiante de plus en plus « disposée à la guerre » (Polemikos). Dans son article « Violence et culture politique en Allemagne entre les deux guerres » Bernd Weisbrod développe cette idée intéressante. Selon lui, la légitimation de la violence politique dans l’Allemagne de l’entre-deux guerre ne se limite pas aux seuls partis extrêmes, elle parcourt l’ensemble de la société et une majorité des élites économiques ou politiques. Elle se caractérise « par l’acceptation d’une certaine violence politique illégale « Nous assistons une nouvelle célébration civilisatrice du polemos. Au nationalisme bourgeois s’ajoute un profond ressentiment des masses qui trouvent dans le retour à de la parole guerrière et antimoderniste (conservatrice) une réponse aisée à ses frustrations . (ceci est aggravé par la crise et l’effritement des institutions démocratiques. )

Que proposera Hitler dans les années 30 ?  Faisant fi de tout passé, il prose une relecture du présent, recycle l’histoire tout en proposant une véritable tabula rasa apocalyptique, un nouveau millénaire dont il serait le messie. « Nous n’avons pas de passé », affirmera Hitler. Le peintre veut conjurer la violence guerrière, elle passe directement par l’exposition visuelle des conséquences de celle-ci. Dans une société de plus en plus brutale, Otto Dix désir éveiller les consciences. Bernd Weisbrod souligne la naisssance « d’un nouveau paradigme de la violence » ainsi qu’un fait nouveau « l’intégration de la violence dans la société bourgeoise » .

Après 1918 : l’artiste assiste à une forme de « brutalisation » dans la société allemande. Qu’entend-on derrière cette notion que théorisa l’historien Mosse ? « Processus historique », il faut l’entendre dans le sens de « rendre brutale ». Elle se manifeste particulièrement dans les codes de conduite de la vie en société. Malgré les ravages de la guerre, le témoignage des soldats, on assiste à la poursuite de cet état régressif où triomphe la violence brute. Celle-ci se retrouve symptomatiquement dans l’organisation économique et sociétale, mais également à travers la nouvelle élaboration idéologique du langage et son usage. Les mots, le vocabulaire, les discours sont les lieux privilégiés dans lesquels l’on agit quand il s’agit de manipuler les masses. Les sophistes, déjà, enseignaient la force politique de celui qui en maîtrisait les effets et la rhétorique. La novlangue de George Orwell est un éclatant exemplaire de son usage : dans son roman dystopique 1984, elle devient un instrument de domination. Comment modifier le langage pour s’assurer du contrôle des masses ? (newspeak) contre (oldspeak),l‘ étouffer, le remplacer, l’appauvrir, l’automatiser, en corrompt le sens. La sémiologie plastique des artistes d’après-guerre consistera à travailler justement dans ce creuset du sens. L’artiste vient apporter avec son propre langage un contre-point, par sa création une forme de résistance. Pensons à Heartfield qui réussit d’une façon très efficace à travers son usage du collage à déconstruire la propagande nazie. Otto Dix présent dès les années 1920 « ce mécontentement sourd qui gangrène  » les esprits germaniques. Ce temps de paix sous la république de Weimar n’est qu’illusoire, à nouveau des mouvements anti-républicains cultivent « une culture de guerre ». Face à cet  » auto-empoisonnement » sociétal « Max Scheler« , sa peinture même si elle n’apporte pas un remède tente d’éveiller les consciences « nuire à la bêtise, résister à la bêtise » dirait Deleuze.

Qu’en est-il des anciens combattants allemands et français?

L’historien américain d’origine allemande, George Lachmann Mosse constate également dans son exploration de la guerre la difficulté et l’impossible reconversion des anciens combattants à cause de comportements façonnés par « les conditions de guerre et l’éducation à des pratiques criminelles ». « La majorité des Anciens combattants, selon Robert Franck dans l’introduction de l’ouvrage « le XXe siècle des guerres » chapitre IV, » Après guerre et culture de paix« , adhère à l’association liée au parti-démocrate dont le discours est fondamentalement pacifiste ».

L’ historien du culturel démontre comment dans la situation allemande d’après-guerre se met en place une nouvelle idéologie guerrière et nationaliste à partir du d’un profond ressentiment. « Georges Mosse  explique Jean-Jacques Tyszler dans son article  » Freud et le traumatisme », raconte par le menu comment, dans la plupart des pays de l’Europe, se prépare, à peine la boucherie terminée, le réarmement langagier pour la future hécatombe. On prétend déposer les armes, mais la « brutalisation » de la société suit inconsciemment son cours, pour reprendre le néologisme de l’auteur. L’expression « matériel humain », que personne n’utilisait avant 1914, s’imposera à partir de cette période et il faudrait en poursuivre la trace jusque dans le management moderne de l’entreprise. La langue travaille et porte la trace de l’effroi, la langue travaille et va plier les discours sociaux à la haine qui vient.« 

« La poursuite, dans la paix, des attitudes agressives de la guerre entraîna une « brutalisation » de la vie politique et accentua l’indifférence à l’égard de la vie humaine »(…)le régime de Weimar n’arrive pas à encadrer la violence et débouche sur un système de guerre civile larvée. » (…)« La paix de 1918 ne signe pas la fin, du culte de la guerre, tant s’en faut. Les arts et les décisions des autorités placent la mémoire du conflit au centre d’un dispositif  intellectuel et symbolique qui fait de la mort guerrière le modèle d’accomplissement de l’être humain (…) la société allemande se pense comme guerrière. « 
Livre noir du communisme, compte rendu de lecture du livre de Mosse George, de la guerre au totalitarisme. la « brutalisation » des sociétés européennes, par Sylvain Boulouque.
  • L’article 148 de la constitution de la république de Weimar imposera une politique de réconciliation, qui subira la contestation de nombreux politique conservateur. Le traité de Versailles et le caractère irréaliste pour les allemand du paiement des réparations de guerre suscite l’animosité. (En 1923, le gouvernement  restreint son remboursement exclusivement dans son paiement en nature.
  • 1919 traité de Versailles
  • 1920 Echec de la Révolution spartakiste
  • 1923 difficulté de conserver un discours pacifiste dans la société allemande.
  • 1923-24: Invasion de la Rhür ( cultive le sentiment antifrançais dans l’opinion.). elle donne une mauvaise image de la France qui au vue de l’opinion internationale semble belliciste.
  • Pourquoi représente-t-on des mutilés ?
    « … Une fois la paix revenue, les figures de mutilés surgissent dans les arts comme les images intuitives du désarroi et du sentiment d’impuissance qui submergent des générations perdues » . Initialement liées à l’expérience traumatisante de la grande guerre, elles ne vont plus cesser d’assumer une fonction critique dans l’art de l’Allemagne pacifiée de la république de Weimar.(…) Figures de crise qui parlent d’un monde disloqué. Explique Catherine Wermester.

    IX ouvertures

    Le film « L‘aube » de 1933, qui cultive l’esprit de sacrifice héroïque à partir de deux soldats qui sauvent un camarade pendant une attaque aérienne durant la première guerre.
    La chambre des officiers (Le livre de Marc Dugain ou le film inspiré du roman réalisé en 2001 par François Dupeyron.

    Notions de huis clos (protecteur ?) où les gueules cassées sont confrontées au regret de ne pas être mort. (volonté de suicide). Comment vivre ? Et l’amour doit-on y renoncer.

    Délégation des gueules cassés à Versailles en 1919. (Reçus par Clemenceau): « les gueules cassées ont tous les droits », affirme le président.

  • L’ouvrage « Krieg dem Krieg« , la guerre contre la guerre du pacifiste Ernest Fiedrich À l’instar d’un Henri Barbusse, il veut combattre et guérir l’humanité de « la peste de la guerre ». Il conçoit à Berlin en 1926 un musée d’histoire de la guerre, pour enseigner à un peuple aveugle et sourd les méfaits de la guerre. Il agit face au manque d’investissement des municipalités et du gouvernement pour cette cause. Cette tâche lui vaudra la censure, des amendes. En 1933 avec l’avènement du national-socialisme, son musée sera saccagé par les SS et transformé en caserne pour les S.A.
    « J’ai toujours partagé l’opinion de mon camarade et frère idéal français Barbusse :  » les hommes sont des machines à oublier !« , étant la triste réalité selon laquelle les autorités municipales et nationales ont complètement renoncées à ce terrain. Je mes suis permis de réaliser à Berlin un musée international de la guerre. je veux mettre ainsi sous les yeux de ces « machines à oublier la folie la plus complète et le plus grand des crimes: l’homicide de masses organisé (la guerre), dans sa pleine objectivité et froideur, afin qu’ils en conservent le souvenir et que cela réveille leur vision. En vérité, la plupart des hommes ont beau avoir des yeux, ils sont incapables de voir, ils ont des conduits auditifs pour la radio, mais ils n’ont pas d’oreilles, ils ont un corps, mais pas d’âme. »  Friedrich 1926.
    Finalement, le peuple allemand est comme ces gueules- cassées, mutilé par les sens de toute conscience. Cf. : l’article en entier

    « Ernest Friedrich, un antimilitariste dans l’Allemagne des années 1920, d’Enzo Collotti, tiré de l’ouvrage de « Le XXe siècle en guerre » sous la direction de Pietro Causanaro, … les éditions de l’atelier.(2004)

    Carte postale publiée par le gouvernement français pour obtenir des dons «. Autant les invalides, manchots, culs-de-jattes et autres mutilés sont omniprésents dès la fin de la guerre, représentés en mendiants ou en héros, autant on ne se résout pas à représenter les visages détruits, on les cache dans des pièces sans miroir . Il y a là un tabou, une limite dans la représentation de l’horreur, qui s’impose à tous. Ni photos, ni dessins jusqu’en 1924. (Avec la diffusion de l’ouvrage, « La guerre contre la guerre ».

En France, c’est l’union sacrée autour des combattants. Cf.: De Laporte pour la présentation des anciens combattants, des gueules cassées des deux nations, lors du traité de Versailles, par Clemenceau. Ils sont respectés. Loi pour les pensions des armées de terre et de mer. Mais les employeurs ne les intègrent pas dans le monde du travail.

À lire :  » Les gueules cassées : les blessés de la face de la grande guerre » de Sophie Delaporte, chez Agnès Vienot Editions.

Kader Attia à la Documenta 13 à Kassel

 »

Kader Attia’s « The Repair From Occident to Extra-Occidental Cultures, » a mixed-media work, was presented last summer at the international art festival Documenta in Kassel, Germany.By NAZANIN LANKARANI Published: June 11, 2013″

 »  Le film confronte des portraits de gueules cassées et des statues africaines brisées puis réparées tant bien que mal avec des agrafes. Les photos d’archives, très difficiles à regarder, sont doublées par leurs jumelles de bois. Le parallèle est saisissant, impressionnant. Le parallèle est saisissant, impressionnant. Il raconte une histoire sans paroles où l’on devine les liens complexes existant entre l’Occident et ses colonies et les traumatismes vécus en commun.(…) Kader Attia fait œuvre de syncrétisme. Il réunit deux cultures, deux histoires qui s’interpénètrent pour en faire une seule. Au final, ce qu’on croyait être une œuvre de dénonciation (de la domination occidentale, du mépris des troupes « noires » au sein de l’armée française) est un acte de réconciliation. En psychologie, on parlerait de résilience. » Céline Piettre « les gueule cassées de Kader Attia », 03/07/2012, Fluctua, première

Technique du montage après celle du photomontage. Question de la scénographie de l’histoire.L’artiste reprend le dispositif muséal de la scénographie mémorielle.

°Sophie Ristelhueber Every One # 14, 1994

°Sophie Ristelhueber Every One # 8

SOPHIE   RISTELHUEBER

Commentaires

2 réponses à “Otto Dix »Les joueurs de SKAT » ou  » invalides de guerre jouant aux cartes ».”

  1. Avatar de ardeois
    ardeois

    bonjour je voudrais savoire quelle est le style de cette oeuvre??? cordialement

    1. Avatar de penhouet
      penhouet

      Il est une mixité de plusieurs styles.Dans sa façon d’exploiter l’espace plan et le recours au papier journal,Dix reprend le travail des cubistes Picasso et braque avec l’introduction du papier collé et du journal .Pour ce qui est du tableau ,il se trouve à une période charnière entre le DADAISME dont il reprend ici manifestement l’idéologie antimilitariste et goût de la provocation, et la redéfinition des critères esthétiques et la nouvelle objectivité qui interviendra dès 1925 avec ce souci de réalisme froid et distant (distantiation).Nous sommes ici entre réalisme et carricature.

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