« Un type comme tout le monde »

« Ce nom de Zatopek qui n’était rien, qui n’était rien qu’un drôle de nom, se met à claquer universellement en trois syllabes mobiles et mécaniques, valse impitoyable à trois temps, bruit de galop, vrombissement de turbine, cliquetis de bielles ou de soupapes scandé par le k final, précédé par le z initial qui va déjà très vite : on fait zzz et ça va tout de suite vite, comme si cette consonne était un starter. Sans compter que cette machine est lubrifiée par un prénom fluide : la burette d’huile Emile est fournie avec le moteur Zatopek. »

JEAN ECHENOZ fait un personnage de roman l’athlète tchèque ZATOPEK, athlète qui est entré dans la mythologie du sport . Ce n’est pas une biographie mais un roman où peu de choses est inventé et cependant un style épuré fait d’un parcours glorieux, une vie ordinaire. Zatopek, au début des années 50 est un adolescent de Moravie qui n’a rien d’exceptionnel. Apprenti dans une usine de chaussures, il est contraint, à son corps défendant, de participer à une épreuve sportive… La suite, c’est une succession de scènes drolatiques – parmi elles, nombre de reconstitutions de compétitions sportives, à Berlin, à Londres, à Helsinki, au Brésil… – qui s’enchaînent de façon virtuose.

Le contexte historique est omniprésent : l’occupation allemande, puis très vite et pour longtemps l’installation à Prague du régime stalinien qui ne sait trop que faire de ce Zatopek – certes, il porte haut et loin les couleurs de la Tchécoslovaquie communiste, mais, sous ses airs inoffensifs, n’est-il pas trop singulier, incontrôlable ?

Hors du stade, il est, on l’a dit, « un type comme tout le monde » – ni un modèle de courage, ni un monstre de lâcheté, les circonstances politiques le prouveront. Mais surtout, il est insaisissable, cet infatigable et laconique Zatopek, dont les motivations échappent et dont les performances sont aussi spectaculaires que l’est son absence de style : cette « petite foulée courte, heurtée, inégale, saccadée », ce visage grimaçant qu’il arbore invariablement sur la piste. Il est au fond, en dépit de ses exploits, un homme sans qualités – une figure remarquable de la mélancolie, et c’est en cela qu’il attache et bouleverse.

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Une réflexion sur « « Un type comme tout le monde » »

  1. Les journalistes sportifs surnommaient Zatopek la Locomotive parce que sur la piste il donnait l’ impression de tirer les autres derrière lui. Son seul adversaire sérieux était le français Alain Mimoun. Il fait penser au petit cheval blanc de la complainte de Paul Fort. Qu’ il avait donc du courage Tous derrière et lui devant. Être au premier rang…on préfère être au fond près du radiateur…pas vrai?

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