Le faux en art

On imite la main d’un autre, mais on n’imite pas de même, pour parler ainsi, son esprit, et l’on n’apprend point à penser comme un autre, ainsi qu’on peut apprendre à prononcer comme lui. Le peintre médiocre qui voudrait contrefaire une grande composition du Dominiquin ou de Rubens, ne saurait imposer, non plus que celui qui voudrait faire un pastiche sous le nom du Georgione ou du Titien. Il faudrait avoir un génie presque égal à celui du peintre qu’on veut contrefaire, pour réussir à faire prendre notre ouvrage pour être de ce peintre. On ne saurait donc contrefaire le génie des grands hommes, mais on réussit quelquefois à contrefaire leur main, c’est-à-dire, leur manière de coucher la couleur et de tirer les traits, les airs de tête qu’ils répétaient et ce qui pouvait être de vicieux dans leur pratique. Il est plus facile d’imiter les défauts des hommes que leurs perfections. Par exemple, on reproche au Guide d’avoir fait ses têtes trop plates. Ses têtes manquent souvent de rondeur, parce que leurs parties ne se détachent point et ne s’élèvent pas assez l’une sur l’autre. Il suffit donc, pour lui ressembler en cela, de se négliger et de ne point se donner la peine de pratiquer ce que l’art enseigne à faire pour donner de la rondeur à ses têtes.

Abbé Du Bos, Réflexions critiques sur la poésie et sur la peinture, 2° partie, 11

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De l’art d’être faussaire