« Là, cette course, elle est suicidaire »

« L’Urgence de ralentir » – Philippe Borrel

84 minutes, 2004 à regarder sur ARTE

Première image, première phrase, celle d’Edgar Morin :

« Un suicidaire, au moins, il sait qu’il veut se suicider.

Là, cette course, elle est suicidaire, inconsciemment. »

Passées les images d’illustration, à base de billets verts en apesanteur et de poulets à la javel, le téléspectateur part à la rencontre des promoteurs d’un ralentissement de nos sociétés.

[youtube]http://youtu.be/aGtyV8ohV_c[/youtube]

 

Le réalisateur commence par montrer à quel point le temps de la finance s’est déconnecté du temps humain. Pour cela, direction le centre boursier mondial. Pas à Wall Street, mais dans le New Jersey, où sont entreposés les serveurs du New York Stock Exchange qui réalisent les transactions, sans attendre les ordres d’un trader mal réveillé.

Pas facile de faire rentrer le téléspectateur dans l’espace temporel des algorithmes aux noms barbares, comme « sniper » ou « guérilla ». Le documentaire propose une expérience visuelle pour tenter de capter notre attention une demi-seconde, et décortiquer, au ralenti, l’étendue des opérations réalisées dans ce laps de temps.

De New York à Roman-sur-Isère

Une fois que le déphasage, entre le temps de la finance et celui de l’économie, a été visualisé et expliqué, le documentaire propose un patchwork mondial d’initiatives locales.

En une fraction de seconde, nous nous retrouvons à Roman-sur-Isère, ville de 30 000 habitants qui s’est réappropriée sa monnaie. Les habitants peuvent payer en « mesures », devise locale acceptée par les commerçants volontaires. Une initiative qui fait échos à d’autres, aux Etats-Unis, ou a Bristol. Dans cette dernière ville, tout un écosystème durable se met en place.

[youtube]http://youtu.be/wa7oCBnTYS0[/youtube]

 Le documentaire mélange assez naturellement les interlocuteurs, d’une stagiaire d’exploitation agricole au PDG d’une entreprise cotée en Bourse. La multiplication des initiatives présentées permet de cerner la globalité que représente la tendance « slow ». Une des figures de ce mouvement, Pierre Rabhi, agriculteur et écrivain, explique cette idée :

« Le problème, c’est l’être humain. Je dis souvent aux gens : “Vous pouvez manger bio, recycler votre eau, vous chauffer à l’énergie solaire et exploiter votre prochain.” Ce n’est pas incompatible. »

Il ne reste plus que deux jours pour le revoir gratuitement sur ARTE. Dépêchez-vous !

http://tinyurl.com/lqzl3b6

Peut-on tuer le temps ? Faut-il se laisser vivre ?

ROMESTANT Jeanne

Terminale littéraire.

I. Peut-on tuer le temps ?

 

  • peut : Est-il possible, est-il légitime.
  • temps : Milieu indéfini et homogène, analogue à l’espace, dans lequel se déroulent les événements. Temps objectif: Mouvement continu et irréversible («flèche du temps ») par lequel le présent rejoint le passé. Temps subjectif: Sentiment intérieur de la temporalité, telle qu’elle est vécue par le sujet (synonyme : durée).

La question du temps est fondamentale en philosophie. Il y va de la compréhension de l’homme en tant qu’être temporel. Le temps n’est pas matériel, un objet saisissable. L’homme ne peut s’en détourner, il vit toujours sous le mode du temps qui passe. Ainsi l’expression « tuer le temps » désigne un acte impossible, mais elle renvoie plutôt aux manières pour l’homme de s’en dégager en s’employant à des tâches spécifiques. Dès lors, tuer le temps, c’est fuir le côté irrémédiable de ce flux ininterrompu en s’occupant par le loisir. Mais au sens propre, y a-t-il un moyen de se débarrasser de cette continuité irréversible ?

 

CITATIONS.

« Ils se contentent de tuer le temps en attendant que le temps les tue. » Simone de Beauvoir

 

 » L’essentiel dans la vie, c’est de tuer le temps, meubler les heures, trouver tous les prétextes possibles pour remplir les pages de l’inévitable biographie qu’on appelle la mémoire.  » Jean François Somain

D’autres travaux des élèves à cette page

                                                                                           II. Faut-il se laisser vivre ?

Se laisser vivre : ne pas faire beaucoup d’efforts; ne pas s’inquiéter de l’avenir; être indolent, insouciant.

  • Exister, pour un homme, n’est pas se laisser vivre : existence est pour chacun une tâche, une vocation.

« Il est impossible d’exister sans passion, quand on ne prend pas ce terme d’exister au sens banal. C’est pourquoi tout penseur grec était essentiellement aussi un penseur passionné. […] Je me suis dit encore que je parviendrais si l’on attelait à la voiture d’un cocher, le reste du temps impassible, une haridelle et un pégase, et qu’on dit à ce phéaton : « Et maintenant, en route ! » Et il en est pourtant bien ainsi d’exister, si l’ont doit en avoir conscience. Comme le coursier ailé, l’éternité a une vitesse infinie, la temporalité est une rose, et l’existant est le cocher, bien entendu quand on ne prend pas le terme d’exister au sens banal ; car, dans ce cas, l’existant n’est pas un cocher, mais un paysan ivre qui se couche et s’endort dans la voiture en laissant les chevaux se tirer d’affaire. Lui aussi conduit, cela va de soit ; lui aussi il est cocher ; et beaucoup peut-être existent ainsi. »

Sören KIERKEGAARD, le Concept d’angoisse (1844).

D’autres travaux des élèves de terminale L à cette page

Maître de toutes tes heures…

Sénèque écrit à son ami Lucilius qui lui demande comment vivre en philosophe. Dans la première lettre (ci-dessous) il s’agit de comprendre notre rapport au temps car « la plus grande partie de la vie se passe à mal faire, une grande part à ne rien faire et la totalité de la vie, à faire autre chose que ce qu’il faudrait. ».

Sénèque insiste sur la valeur du temps car on meurt un peu chaque jour, ce que nous laissons derrière nous appartient déjà à la mort. Si rien ne nous appartient, seul le temps est à nous, celui qui s’en accommode n’est pas pauvre.

LETTRES DE SÉNÈQUE, À LUCILIUS

LETTRE I

Sur l’emploi du temps

Suis ton plan, cher Lucilius ; reprends possession de toi-même : le temps qui jusqu’ici t’était ravi, ou dérobé, ou que tu laissais perdre, recueille et ménage-le. Persuade-toi que la chose a lieu comme je te l’écris : il est des heures qu’on nous enlève par force, d’autres par surprise, d’autres coulent de nos mains. Or la plus honteuse perte est celle qui vient de négligence et, si tu y prends garde, la plus grande part de la vie se passe à mal faire, une grande à ne rien faire, le tout à faire autre chose que ce qu’on devrait. Montre-moi un homme qui mette au temps le moindre prix, qui sache ce que vaut un jour, qui comprenne que chaque jour il meurt en détail ! Car c’est notre erreur de ne voir la mort que devant nous : en grande partie déjà on l’a laissée derrière ; tout l’espace franchi est à elle.

Persiste donc, ami, à faire ce que tu me mandes : sois complètement maître de toutes tes heures. Tu dépendras moins de demain si tu t’assures bien d’aujourd’hui. Tandis  qu’on l’ajourne, la vie passe. Cher Lucilius, tout le reste est d’emprunt, le temps seul est notre bien. C’est la seule chose, fugitive et glissante, dont la nature nous livre la propriété ; et nous en dépossède qui veut. Mais telle est la folie humaine : le don le plus mince et le plus futile dont la perte au moins se répare, on veut bien se croire obligé pour l’avoir obtenu ; et nul ne se juge redevable du temps qu’on lui donne, de ce seul trésor que la meilleure volonté ne peut rendre.

Tu demanderas peut-être comment je fais, moi qui t’adresse ces beaux préceptes. Je l’avouerai franchement : je fais comme un homme de grand luxe, mais qui a de l’ordre ; je tiens note de ma dépense. Je ne puis me flatter de ne rien perdre ; mais ce que je perds, et le pourquoi et le comment, je puis le dire, je puis rendre compte de ma gêne. Puis il m’arrive comme à la plupart des gens ruinés sans que ce soit leur faute : chacun les excuse, personne ne les aide. Mais quoi ! je n’estime point pauvre l’homme qui, si peu qu’il lui demeure, est content. Pourtant j’aime mieux te voir veiller sur ton bien, et le moment est bon pour commencer. Comme l’ont en effet jugé nos pères : ménager le fond du vase, c’est s’y prendre tard. Car la partie qui reste la dernière est non seulement la moindre, mais la pire.

Mesurer le temps

En expérimentant la vitesse d’une bille roulant sur un plan incliné, Galilée se trouve confronté au problème de la mesure du temps. Après plusieurs échecs, il décide de répartir sur toute la longueur du plan des clochettes qui tinteront au passage de la bille. C’est ainsi qu’il mettra en évidence l’existence du mouvement « uniformément accéléré ». Les bases de la physique moderne sont désormais jetées.

A suivre ici !

 

Quand Galilée fit rouler ses sphères sur un plan incliné avec un degré d’accélération dû à la pesanteur déterminé selon sa volonté, quand Torricelli fit supporter à l’air un poids qu’il savait d’avance lui-même être égal à celui d’une colonne d’eau à lui connue, (…) ce fut une révélation lumineuse pour tous les physiciens. Ils comprirent que la raison ne voit que ce qu’elle produit d’elle-même d’après ses propres plans et qu’elle doit prendre les devants avec les principes qui déterminent ses jugements, suivant des lois immuables, qu’elle doit obliger la nature à répondre à ses questions et ne pas se laisser pour ainsi dire conduire en laisse par elle ; car, autrement, faites au hasard et sans aucun plan tracé d’avance, nos observations ne se rattacheraient point à une loi nécessaire, chose que la raison demande et dont elle a besoin. Il faut donc que la raison se présente à la nature tenant, d’une main, ses principes qui seuls peuvent donner aux phénomènes concordant entre eux l’autorité de lois, et de l’autre, l’expérimentation, qu’elle a imaginée d’après ces principes, pour être instruite par elle, il est vrai, mais non pas comme un écolier qui se laisse dire tout ce qu’il plaît au maître, mais au contraire, comme un juge en fonctions qui force les témoins à répondre aux questions qu’il leur pose.

KANT, Critique de la raison pure