Désir, plaisir

Roland Barthes, écrivain, sémiologue, (dans la fumée de ses cigarettes !) à propos de la parution de son texte Le plaisir du texte, 1973

Il est « difficile de proposer une loi générale du plaisir de la lecture ».

« La notion même de plaisir est assez mal connue. Toute la philosophie occidentale a plus ou moins censuré le concept de plaisir ».

« Les philosophes du plaisir sont extrêmement rares : on peut citer des philosophes ou très anciens ou marginaux comme Épicure ou Sade ou peut-être même comme Diderot. Quand nous parlons de plaisir, nous devons lutter avec une certaine résistance culturelle »

« Je me suis servi d’une opposition, psychanalytique, entre le plaisir et la jouissance. Ce qui est du côté du plaisir, ce sont les textes qui apportent une forme d’euphorie, de confort, qui renforcent son moi. C’est pourquoi le plaisir est tout à fait compatible avec la culture. Il y a incontestablement un plaisir de la culture. La jouissance, c’est quelque chose de beaucoup plus radical, absolu, qui ébranle le sujet, qui le divise, qui le pluralise, qui le dépersonnalise. C’est une expérience de type très différente et qui va très souvent contre la culture en ce sens que les textes de jouissance, très rares et variables selon les sujets, ont la valeur d’expérience-limite et marginale ».

René Girard explique le désir mimétique créateur de rivalité. (Là, c’est le présentateur qui fume…)

Mensonge romantique et vérité romanesque, René Girard

L’anthropologue René Girard est mort mercredi 4 novembre, à Stanford, aux Etats-Unis. Il avait 91 ans. De nombreux médias le présentent comme fondateur de la « théorie mimétique » mais qu’en est-il exactement ? Comment l’aborder en cours de philosophie en particulier quand l’actualité rejoint notre programme puisque nous sommes en train de traiter du thème du désir ?
Voici un texte qui, d’après une analyse littéraire minutieuse de grands romans, affirme une distinction essentielle entre ce que l’auteur appelle « le mensonge romantique » et la « vérité romanesque ». Le premier consiste à faire passer le désir pour un phénomène spontané. La seconde, montre que l’on n’est bien moins libre qu’on ne le pense dans le choix des objets que l’on désire. Cette analyse permet également de comprendre l’origine de la haine comme retournement du sujet contre le médiateur : « Seul l’être qui nous empêche de satisfaire un désir qu’il nous a lui-même suggéré est vraiment objet de haine. »

 

Le héros de la médiation externe proclame bien haut la vraie nature de son désir. Il vénère ouvertement son modèle et s’en déclare le disciple. Nous avons vu Don Quichotte expliquer lui-même à Sancho le rôle privilégié que joue Amadis dans son existence. Mme Bovary et Léon confessent, eux aussi, la vérité de leurs désirs dans leurs confidences lyriques. Le parallèle entre Don Quichotte et Madame Bovary est devenu classique. Il est toujours facile de percevoir les analogies entre deux romans de la médiation externe.
Chez Stendhal, l’imitation paraît moins immédiatement ridicule car il n’y a plus, entre l’univers du disciple et celui du modèle, le décalage qui rendait grotesques un don Quichotte ou une Emma Bovary. L’imitation n’est pourtant pas moins étroite et littérale dans la médiation interne que dans la médiation externe. Si cette vérité nous paraît surprenante ce n’est pas seulement parce que l’imitation porte sur un modèle «rapproché»; c’est aussi parce que le héros de la médiation interne, loin de tirer gloire, cette fois, de son projet d’imitation, le dissimule soigneusement.
L’élan vers l’objet est au fond élan vers le médiateur; dans la médiation interne, cet élan est brisé par le médiateur lui-même puisque ce médiateur désire, ou peut-être possède, cet objet. Le disciple, fasciné par son modèle, voit forcément dans l’obstacle mécanique que ce dernier lui oppose la preuve d’une volonté perverse à son égard. Loin de se déclarer vassal fidèle, ce disciple ne songe qu’à répudier les liens de la médiation. Ces liens sont pourtant plus solides que jamais car l’hostilité apparente du médiateur, loin d’amoindrir le prestige de ce dernier ne peut guère que l’accroître. Le sujet est persuadé que son modèle s’estime trop supérieur à lui pour l’accepter comme disciple. Le sujet éprouve donc pour ce modèle un sentiment déchirant formé par l’union de ces deux contraires que sont la vénération la plus soumise et la rancune la plus intense. C’est là le sentiment que nous appelons haine.

 

René Girard, Mensonge romantique et vérité romanesque

Rene? Girard, philosophe et anthropologue _ « Ce qui se joue aujourd’hui est une rivalite? mime?tique a? l’e?chelle plane?taire »

L’homme n’est pas un empire dans un empire

imagesUne pierre reçoit d’une cause extérieure qui la pousse une certaine quantité de mouvement, par laquelle elle continuera nécessairement de se mouvoir après l’arrêt de l’impulsion externe. Cette permanence de la pierre dans son mouvement est une contrainte, non pas parce qu’elle est nécessaire, mais parce qu’elle doit être définie par l’impulsion des causes externes ; et ce qui est vrai de la pierre, l’est aussi de tout objet singulier, quelle qu’en soit la complexité, et quel que soit le nombre de ses possibilités : tout objet singulier, en effet, est nécessairement déterminé par quelque cause extérieure à exister et à agir selon une loi précise et déterminée.
Concevez maintenant, si vous le voulez bien, que la pierre, tandis qu’elle continue de se mouvoir, sache et pense qu’elle fait tout l’effort possible pour continuer de se mouvoir. Cette pierre, assurément, puisqu’elle n’est consciente que de son effort, croira être libre et ne persévérer dans son mouvement que par la seule raison qu’elle le désire.
Telle est cette liberté humaine que tous les hommes se vantent d’avoir et qui consiste en cela seul que les hommes sont conscients de leurs désirs et ignorants des causes qui les déterminent. Un enfant croit librement appéter le lait, un jeune garçon irrité vouloir se venger et, s’il est poltron, vouloir fuir. Un ivrogne croit dire par un libre décret de son âme ce qu’ensuite, revenu à la sobriété, il aurait voulu taire. ” (Spinoza , la Lettre à Schuler)

La dialectique de l’amour

Platon, Le Banquet

Dans le texte, Platon met en scène Diotime, une prêtresse, prophétesse qui aurait jadis instruit Socrate sur les choses de l’amour. Or, elle explique ce qu’est l’amour par la dialectique ascendante. Souvenons nous que dans le mythe de sa naissance, Éros nait le même jour qu’Aphrodite, déesse de la beauté. L’amant est sans cesse à la recherche du beau? Par une dialectique ascendante, en procédant par étape, il va trouver l’essence du beau. La dialectique est art du dialogue qui, d’hypothèse en d’hypothèse conduit à la manière des mathématiciens, à saisir l’idée ou définition d’une chose.

Voici le texte du Banquet. Discours de Diotime :

Celui qui veut atteindre à ce but par la vraie voie doit, dès son jeune âge, commencer par rechercher les beaux corps. Il doit, en outre, s’il est bien dirigé, n’en aimer qu’un seul, et dans celui qu’il aura choisi engendrer de beaux discours. Ensuite, il doit arriver à comprendre que la beauté qui se trouve dans un corps quelconque [210b] est soeur de la beauté qui se trouve dans tous les autres. En effet, s’il faut rechercher la beauté en général, ce serait une grande folie de ne pas croire que la beauté qui réside dans tous les corps est une et identique. Une fois pénétré de cette pensée, notre homme doit se montrer l’amant de tous les beaux corps et dépouiller, comme une petitesse méprisable, toute passion qui se concentrerait sur un seul. Après cela, il doit regarder la beauté de l’âme comme plus précieuse que celle du corps ; en sorte qu’une belle âme, même dans un corps dépourvu d’agréments, [210c] suffise pour attirer son amour et ses soins, et pour lui faire engendrer en elle les discours les plus propres à rendre la jeunesse meilleure. Par là il sera nécessairement amené à contempler la beauté qui se trouve dans les actions des hommes et dans les lois, à voir que cette beauté est partout identique à elle-même, et conséquemment à faire peu de cas de la beauté corporelle. Des actions des hommes il devra passer aux sciences, pour en contempler la beauté ; et alors, ayant une vue plus large du beau, il ne sera plus enchaîné comme un esclave [210d] dans l’étroit amour de la beauté d’un jeune garçon, d’un homme ou d’une seule action ; mais, lancé sur l’océan de la beauté, et repaissant ses yeux de ce spectacle, il enfantera avec une inépuisable fécondité les discours et les pensées les plus magnifiques de la philosophie, jusqu’à ce qu’ayant affermi et agrandi son esprit par cette sublime contemplation, il n’aperçoive plus qu’une science, celle du beau.

 

La dialectique se comprend ainsi

  • AMOUR d’un BEAU CORPS

Impressions sensibles, apparences, images, objets

  • AMOUR des BEAUX CORPS

Opinions droites (vraies mais non justifiées)

  • AMOUR d’une BELLE ÂME

Pensées discursives (raisonnements, démonstrations)

  • AMOUR des BELLES ÂMES : DU BEAU EN SOI

Intuition des essences, contemplation des Idées.

L’attelage ailé

« Or, voici maintenant de quelle façon tombe aux mains de ce dernier celui qui  a été pris. Conformons-nous à la divisionfaite au début de cette histoire de chaque âme en trois parties, dont deux ont forme de cheval  et la troisième forme de cocher; ces déterminations, à présent encore, nous devrons les garder. Des deux chevaux,donc, I‘un, disons-nous, est bon, mais l’autre ne l’est pas.Or en quoi consiste le mérite de celui qui est bon, le vice de celui qui  est vicieux: c’est un point sur lequel nous ne nous sommes point expliqués et dont il y a lieu de parler à présent. L’un des deux, disons-le donc, qui est en plus belle condition qui est de proportions correctes et bien découplé, qui a l’encolure haute, un chanfrein d’une courbe légère, blanc de robe et les yeux noirs, amoureux d’une gloire dont ne se séparent pas sagesse et réserve, compagnon de l’opinion vraie [2], se laisse mener sans que le cocher le frappe, rien que par les encouragements de celui-ci et à la voix. L’autre, inversement,  qui est mal tourné, massif, charpenté on ne sait comment l’encolure lourde, la nuque courte; un masque camard[3]; noir de robe et les yeux clairs pas mal injectés de sang[4] compagnon de la démesure et de la vantardise; une toison dans les oreilles, sourd, à peine docile au fouet et aux pointes[5]. Or donc, quand le cocher, à la vue de l’amoureuse apparition, ayant, du fait de cette sensation, échauffé la totalité de l’âme, est déjà presque tout plein de chatouillements et de piqûres sous l’action du désir  à ce moment, celui des chevaux qui est parfaitement docile au cocher, qui, alors comme toujours, est sous l’impérieuse contrainte de sa réserve, se retient spontanément de bondir sur l’aimé; tandis que l’autre ne se laisse plus émouvoir, ni par les pointes du cocher, ni par son fouet, mais, d’un saut, il s’y porte, violemment, et, causant à son compagnon d’attelage, comme à son cocher, toutes les difficultés possibles, il les force à avancer dans la direction du mignon et à lui vanter le charme des plaisirs d’amour ! Tous deux[6] pour commencer, résistent avec force, indignés qu’on les oblige à des choses horribles et que condamne la loi ;  mais ils finissent, quand rien ne limite le mal, par se laisser mener sur cette route; ils ont cédé et consenti à faire ce à quoi on les invite !

« Ainsi, les voilà contre l’objet, ils ont devant les yeux la vision, la vision fulgurante du bien-aimé ! Mais, à cette vue, le souvenir du cocher s’est porté vers la nature de la Beauté absolue; de nouveau il l’a eue devant les yeux, fermement dressée sur son piédestal sacré, à coté de la Sagesse. Il l’a eue devant les yeux du souvenir, d’un souvenir mêlé de crainte et de vénération, qui le fait tomber à la renverse; du coup, il a été forcé de tirer les rênes en arrière, avec tant de vigueur qu’il a fait s’asseoir sur leur croupe les deux chevaux ensemble: l’un parce qu’il veut bien ne pas résister, l’autre, l’emporté, quoiqu’il veuille énergiquement le contraire. Or, tandis qu’ils continuent de s’éloigner, l’un, des sueurs que provoquent en lui la honte et la stupeur, a inondé l’âme tout entière;  mais l’autre, remis de la souffrance que lui ont causée, et le mors, et sa chute, attend à peine d’avoir repris son souffle, pour invectiver, tout en colère, à la fois le cocher et son compagnon d’attelage, leur reprochant sans relâche d’avoir, par lâcheté, par pusillanimité, déserté leur pose, trahi leur engagement. Et, tandis que, eux qui se refusent à avancer de nouveau, il les en presse, à grand-peine accède-t-il à leur prière de renvoyer à une autre fois ! Quand cependant est venue l’époque fixée entre eux, comme ils font semblant de l’avoir oubliée, il les en fait souvenir par ses violences, ses hennissements et, en les traînant, il les a, encore une fois, forcés à s’approcher du mignon pour lui parler le même langage. Dès qu’ils en ont été près, alors, penché vers lui, la queue déployée, le mors promené entre les dents, il tire sans vergogne.Mais le cocher, qui plus fortement encore a éprouvé la même impression[7], s’étant jeté à la renverse comme pour se détacher de la corde[8], ramenant en arrière, et  même avec une violence accrue, son mors des dents du cheval emporté, a ensanglanté sa langue impudente, ses mâchoires; et, après avoir fait appuyer fortement à la terre ses pattes de derrière et sa croupe, il l’a livré aux douleurs  [9]! Quand cependant, ayant plus d’une fois subi le même traitement, la bête mauvaise a renoncé à sa démesure, alors, humiliée, elle suit désormais la direction réfléchie du cocher et, quand elle voit le bel objet, elle est morte de peur ! aussi le résultat est-il alors que l’âme de l’amoureux est désormais réservée et craintive tandis qu’elle suit le bien-aimé.


[1]Ou « position », s’il s’agit de sa place à droite. Mais quel rapport ceci a-t-il avec les déterminations suivantes qui toutes concernent les caractéristiques du cheval lui-même?

[2]Qui est entre l’ignorance et la vérité, mais du côté de celle-ci (cf. Banquet, 202a), comme il est lui-même pris entre les emportements de la passion (l’autre cheval), et l’obéissance à l’intelligence(le cocher): Il correspond au THYMOS du IV e livre de la République, à cette ardeur généreuse qui capable de sage obéissance, l’est aussi d’égarements, et est la caractéristique dominante de l’âme des guerriers, classe moyenne dans l’État

[3]C’est à dire qu’il a les naseaux aplatis

[4]A moins que cette sanguinité ne s’applique à tout son tempérament

[5]Le pluriel semble indiquer un aiguillon dont la pointe est une sorte d’éperon

[6]le bon cheval et le cocher

[7]la même que celle de 254bc

[8]La corde qui ferme l’entrée de la piste, sur laquelle les chevaux sont impatients de s’élancer. L’image est la même que dans un fameux passage de Lucrèce, II, 263-265

[9]Formule homérique, comportant diverses variantes; celle-ci est dans l’odyssée, XVII, 567. Comparer République, IX, 574c.

Le désir, la passion

l'avare de funès« Rien de grand ne s’est fait dans le monde sans passion » Hegel

Méthode :

Il y a deux pôles d’interprétation du désir en littérature, en art :

-Le pôle rationaliste (souvent contre les passions)

-Le pôle romantique (encourage une passion)

On peut pour ce thème puiser dans nos références culturelles.

Problématique :

Le lien raison / passion pose problème car lorsque on juge  nos désirs ou lorsque l’on condamne nos passions, on juge l’objet du désir et non le désir lui-même. Il faut analyser le désir avant de le condamner.

Intérêts :

La connaissance de soi, la maîtrise de soi, la nature humaine (anthropologie).

Références :

Un lien utile pour comprendre la problématique du désir amoureux, en particulier la vidéo en référence de bas de page…

http://lewebpedagogique.com/philoflo/le-banquet/

Dans le manuel Hatier terminale :

Spinoza p. 78 et  http://lewebpedagogique.com/philo-bac/2010/01/12/spinoza-le-conatus-dans-lethique/

Hegel p.79, Platon, p.81, Épicure, p.82, Descartes,p. 84,

et les stoïciens

Épicure:

http://lewebpedagogique.com/philo-bac/2009/12/25/782/

René Girard

http://lewebpedagogique.com/philo-bac/2009/12/20/732/

Vocabulaire :

Passion, pathos, souffrance, manque, force, imagination, morale, idéal, besoin, corps et âme, conatus, volonté, générosité, plaisir, envie, bonheur, volupté, luxe, sagesse, jouissance, conscience, autrui, matière et esprit, satisfaction, tempérance.

Exercices :

http://lewebpedagogique.com/philo-bac/2009/12/18/642/

Corrigés :

Texte de Hume merci aux ts2 de le mettre en ligne !

D comme désir

Parus en 1996 (éd. Montparnasse), les entretiens de Gilles Deleuze avec Claire Parnet ont été enregistrés en 1988-1989. Conformément au souhait de Deleuze, le document vidéo posthume n’a été diffusé qu’après son décès, survenu le 4 novembre 1995.

Gilles Deleuze est un philosophe contemporain très souvent compris comme le philosophe du désir. Son œuvre L’Anti-Oedipe (1972) écrit avec le psychanalyste Félix Guattari marque une rupture dans l’histoire de la psychanalyse en particulier et des idées en général. Ils y dénoncent une vision concentrationnaire des analyses de l’individu. L’homme est un être de désir affirmait déjà Spinoza, mais on ne désire pas quelque chose ou quelqu’un, ce que l’on désire c’est un agencement de choses, d’états de choses, de modalités de choses par lesquels s’opère une réorganisation de son être au monde. Le désir crée, il est toujours multiple, il est promesse d’un projet ou d’une transformation. Le désir reterritorialise l’être, dans un nouveau monde…

 

http://youtu.be/03YWWrKoI5A

Le désir des songes


© 2006 Salvador Dali, Gala-Salvador Dali Foundation / Artists Rights Society (ARS), New York » height= »500″ border= »0″ width= »492″ />

Salvador Dali – Le Rêve –

Parmi les plaisirs et les désirs non nécessaires, certains me semblent illégitimes (609) ; ils sont probablement innés en chacun de nous, mais réprimés par les lois et les désirs meilleurs, avec l’aide de la raison, ils peuvent, chez quelques-uns, être totalement extirpés ou ne rester qu’en petit nombre et affaiblis, tandis que chez les autres ils subsistent plus forts et plus nombreux. [571c]

Mais de quels désirs parles-tu?

De ceux, répondis-je, qui s’éveillent pendant le sommeil, lorsque repose cette partie de l’âme qui est raisonnable, douce, et faite pour commander à l’autre, et que la partie bestiale et sauvage, gorgée de nourriture ou de vin, tressaille, et après avoir secoué le sommeil, part en quête de satisfactions à donner à ses appétits. Tu sais qu’en pareil cas elle ose tout, comme si elle était délivrée et affranchie de toute honte et de toute prudence. Elle ne [571d] craint point d’essayer, en imagination, de s’unir à sa mère (610), où à qui que ce soit, homme, dieu ou bête, de se souiller de n’importe quel meurtre, et de ne s’abstenir d’aucune sorte de nourriture (611); en un mot, il n’est point de folie, point d’impudence dont elle ne soit capable.

Tu dis très vrai.

Mais lorsqu’un homme, sain de corps et tempérant, se livre au sommeil après avoir éveillé l’élément raisonnable de son âme, et l’avoir nourri de belles pensées et de nobles spéculations en méditant sur lui-même; [571e] lorsqu’il a évité d’affamer aussi bien que de rassasier l’élément concupiscible, afin qu’il se tienne en repos et n’apporte point de trouble, par ses joies ou par ses [572a] tristesses, au principe meilleur, mais le laisse, seul avec soi-même et dégagé, examiner et s’efforcer de percevoir ce qu’il ignore du passé, du présent et de l’avenir; lorsque cet homme a pareillement adouci l’élément irascible, et qu’il ne s’endort point le cœur agité de colère contre quelqu’un; lorsqu’il a donc calmé ces deux éléments de l’âme et stimulé le troisième, en qui réside la sagesse, et qu’enfin il repose, alors, tu le sais, il prend contact [572b] avec la vérité mieux que jamais, et les visions de ses songes ne sont nullement déréglées (612).

J’en suis tout à fait persuadé, dit-il.

Mais nous nous sommes trop étendus sur ce point; ce que nous voulions constater c’est qu’il y a en chacun de nous, même chez ceux qui paraissent tout à fait réglés, une espèce de désirs terribles, sauvages, sans lois, et que cela est mis en évidence par les songes. Regarde si ce que je dis te semble vrai, et si tu en conviens avec moi.

Platon, République, livre IX, trad. Baccou