Ciné : « Certains l’aiment chaud »

  1. TRAVESTISSEMENTS

Le jeu sur la confusion des identite?s sexuelles passe d’abord par le travestissement de Joe et Jerry, qui constitue l’argument principal du sce?nario. Afin de montrer aux e?le?ves la cohe?rence du film, on pourra travailler sur ce the?me du travestissement, en inventoriant les e?le?ments de?guise?s : personnages, lieux, objets (la pie?ce monte?e), situations (la rencontre entre gangsters a? l’ho?tel), dialogues (on parle musique ou pa?tisserie pour parler de sexe)… Le film lui-me?me est de?guise? en film de gangsters. A quoi servent ces travestissements ? S’agit-il de produire des effets comiques, de caracte?riser les personnages, de refle?ter une pe?riode historique, la Prohibition ? S’agit-il de contourner la censure ?

Pour le savoir, il faudra e?tre attentif a? la fac?on dont les travestissements sont re?ve?le?s au spectateur et/ou aux personnages. Billy Wilder se sert de toutes les possibilite?s : suspense (les musiciennes vont-elles de?couvrir la ve?rite? sur les travestis ?), sur- prise (le corbillard se re?ve?le livreur d’alcool), ellipse (la transformation en femmes de Joe et Jerry), grotesque (le de?guise- ment de Joséphine en Shell Junior). Il s’agit donc d’un motif utilise? au maximum afin de faire vaciller les apparences. Se pose alors la question de l’identite?, car se travestir, c’est prendre le risque de la confusion. On pourra e?tudier la dernie?re sce?ne du film, pour voir si tous les masques tombent et quelles en sont les conse?quences.

2. NOMS PROPRES

Les deux personnages principaux ont chacun trois noms : Jerry, Géraldine, Daphné ; Joe, Joséphine, Shell Oil Junior. Que re?ve?le leur comparaison, en termes d’identite? sexuelle ? Que dire ensuite de la fac?on dont les personnages sont baptise?s ?

« Joséphine » et « Géraldine » sont choisis par souci mne?motechnique. Mais pour quelle raison se choisissent-ils un troisie?me pre?nom ? Joe se fait passer pour un fils de milliardaire qui veut rester dans l’anonymat : « Appelez-moi juste Junior ». Sugar ne retient que le nom de la compagnie pe?trolie?re et l’appelle Shell Oil. Étudier comment le nom est impro- vise? petit a? petit d’apre?s le nom de l’enfant chasse? par Joe jusqu’au coquillage de?couvert dans son panier. Pourquoi Jerry choisit-il « Daphné » ? S’agit-il d’un simple caprice ? Veut-il se sentir plus femme pour mieux s’inte?grer ? Est-il de?ja? en train de s’emme?ler les identite?s ? La plupart des personnages sont caracte?rise?s par leur nom : l’ironique « Sweet Sue » est le titre d’un standard de jazz. En allemand, « Bienenstock » de?signant une ruche, il est amusant de voir en Bienstock l’apiculteur d’un orchestre de musiciennes- abeilles. Les gangsters sont surnomme?s de fac?on parodique, Colombo-Les-Gue?tres en te?te. Enfin, Sugar Kowalczyk s’est choisi, comme Marilyn, un pseudonyme sucre?, Sugar Kane.

3. CAMERA INVISIBLE,
CAMERA UTILE
La mise en sce?ne des come?dies de Billy Wilder repose sur la qualite? du rythme donne? au re?cit, avec pour outil principal les possibilite?s offertes par le montage. Elle n’est pas re?pute?e pour le travail de la came?ra. Pour Billy Wilder, celle-ci doit simplement e?tre place?e a? l’endroit a? par- tir duquel l’action et les personnages seront le plus visibles. La compre?hension des enjeux du plan par le spectateur prime donc la de?monstration du savoir- faire technique. Mais si Billy Wilder filme sans ostentation, ses choix sont inte?res- sants a? e?tudier, pre?cise?ment en termes d’efficacite? narrative ou comique.
On pourra ainsi demander aux e?le?ves de justifier les choix de mise en sce?ne en termes de cadrage, de composition et de mouvements de came?ra. L’ide?al serait de partir de plans qui les auront marque?s, mais si les souvenirs manquent on pourra leur proposer quelques exemples. En voici trois :
Lors du premier plan ou? apparaissent les personnages principaux, que nous raconte le mouvement de came?ra (chap.3, 6min57) ?
Lors de la fusillade dans la station service, quel effet produit le cadre qui isole Les- Gue?tres et les tireurs et laisse la tuerie dans le hors-champ (chap.5, 19min55) ?
La composition du tout dernier plan n’est- elle pas audacieuse, au regard de la disposition des deux couples ?

4. JEUX DE MOTS

La qualite? des dialogues de Billy Wilder et Iz Diamond me?rite qu’on s’y attarde, notamment pour e?tudier les jeux de double sens, tre?s souvent a? caracte?re sexuel. Les doubles sens se perdant par- fois dans la traduction, il est recommande? de se re?fe?rer au script original, disponible sur le site http://sfy.ru.

Commenc?ons par le titre me?me du film. Il s’agit d’une phrase prononce?e par Shell Oil Junior alias Joe au moment de sa rencontre avec Sugar (chap.20, 58min35) : « JOE – Does that mean you play that very fast music… jazz ? / SUGAR – Yeah. Real hot. / JOE – Oh. Well, I guess some like it hot. But personnaly, I prefer classical music. »

Parler musique, ici, n’est-ce pas aussi parler sexe, comme lorsque plus to?t Joe prononc?ait le mot « saxophone » « sexo- phone » ? On pourra relever d’autres me?taphores qui permettent de parler du sexe, notamment celles tournant autour de la gastronomie. Jerry compare l’orchestre fe?minin a? une pa?tisserie et voudrait « reprendre une cuillere?e de ce sucre » en parlant de Sugar, qui l’appelle en retour « Honey ». D’autres me?taphores sont beaucoup plus audacieuses, notamment dans la sce?ne du yacht entre Joe et Sugar, ou lors du dialogue final, quand Osgood dit a? Daphné : « On pourrait faire des retouches. », parlant a? la fois de la robe de marie?e… et du corps de Jerry, comme l’atteste sa re?action outre?e.

5. D’UN SEXE A L’AUTRE

En s’appuyant sur l’analyse de se?quence et sur le jeu d’images de la fiche e?le?ve, on pourra travailler sur la manie?re dont est mise en sce?ne la me?tamorphose en femmes de Joe et Jerry, en insistant sur la notion de raccord. Alors qu’on aurait pu s’attendre a? un effet Pretty Woman, une se?quence pendant laquelle les deux amis auraient essaye? diffe?rentes tenues, Billy Wilder fait l’ellipse du travestissement et joue l’effet de surprise. Mais malgre? la rapidite? de la me?tamorphose, comment fait-il durer le plaisir en utilisant le potentiel comique des travestis ? Le premier plan ne montre que leurs jambes, de dos. Lors du second on de?couvre leurs visages, puis les trois plans suivants n’ont qu’un seul but : prolonger l’effet comique. Cette me?tamorphose montre donc a? quel point Billy Wilder sait soigner le rythme pour jouer avec le rire du spectateur.

A d’autres reprises les personnages pas- sent d’un sexe a? l’autre en se travestissant a? vue. Le re?alisateur joue alors moins de l’effet de surprise que de l’hybridation. Plus le film avance, plus les personnages ont du mal a? franchir nettement la frontie?re qui se?pare les sexes. On peut relever les traces de maquillage (lorsque Joe chausse les lunettes de Junior), les de?tails vestimentaires (Joe oublie ses boucles d’oreilles « sur » Joséphine), les inflexions de voix (davantage accentue?es chez Jerry), jusqu’au visage inde?cis au dernier plan du film.

6. QUAND EST-CE QU’ON RIT ?

Le ge?ne?rique ayant installe? le film du co?te? de la la come?die musicale (jazz enleve?, typographie dansante), le prologue peut surprendre : que vient faire cette violente poursuite dans une come?die ? On peut ainsi e?tudier avec les e?le?ves le bascule- ment d’un genre a? l’autre.

Les premiers plans sont nettement du co?te? du film de gangsters : une poursuite entre policiers et gangsters en smoking a? la mine patibulaire, avec coups de feu, cris- sements de pneus et accident spectaculaire. Mais ne frise-t-on pas la parodie ? La dissimulation de l’alcool dans le cor- billard n’est-elle pas un peu excessive ? On pourra distinguer avec les e?le?ves ce qui rele?ve du jeu se?rieux sur le genre et ce qui rele?ve de la parodie. Si le spectateur a pris au premier degre? cette poursuite, la sce?ne suivante risque d’e?tre de?cisive : Mozarella est-il un nom digne pour une chapelle ? Et que dire du mot de passe pour y entrer ? Pourtant, la se?quence continue a? garder son se?rieux, notamment gra?ce au travail du son. Le ton du film bascule comple?tement dans la come?die quand l’inspecteur entre dans l’arrie?re-salle de la « chapelle ». Le jeu des come?diens se rela?che nettement (le serveur, l’alcoolique), jusqu’a? l’apparition des deux acteurs attendus, dont les regards lance?s aux jambes des danseuses nous rassurent tout a? fait. A partir de main- tenant, cela ne va pas e?tre triste.

7. POURSUITES EN TOUS GENRES

La poursuite est un motif utilise? dans diffe?rents genres, de la come?die burlesque au thriller en passant par le cartoon. On pourra traiter la notion de genre a? travers ce motif. Certains l’aiment chaud est nettement dans le registre comique, malgre? les de?tours par une sce?ne de film de gangsters et une sce?ne frisant le me?lodrame (le baiser de Joséphine a? gar). La multiplication des travestissements est pour beau- coup dans le comique de la sce?ne, mais rythme, cadrages et mouvements de came?ra jouent aussi un ro?le.

Pour montrer a? quel point la poursuite est un motif cine?matographique, on pourra aussi e?tudier les diffe?rents choix de montage, notamment la re?partition poursuivants/poursuivis. Apparaissent-ils dans le me?me plan ? Si oui, sont-ils en me?me temps dans le champ ou aperc?oit-on le poursuivant apre?s la sortie de champ du poursuivi ? Comment le montage suggère le rapprochement ou l’e?loignement ? Suggestion d’atelier : les e?le?ves pourront prendre des photos de repe?rages, a? par- tir desquelles ils proposeront un sce?nario de poursuite qu’ils tourneront, en utilisant comme Billy Wilder toutes les ressources du lieu.

8. LA MUSIQUE EN AVANT

Musiciens, re?pe?titions, concerts, la mu- sique est en effet si pre?sente qu’on pour- rait presque qualifier le film de come?die musicale. Mais dans les films de ce genre, la musique joue?e par les personnages ne sert pas seulement de ponc- tuation ou de de?coration, elle fait progresser le re?cit. Est-ce le cas ici ? On pourra poser la question de la fonction des trois chansons interpre?te?es par Marilyn. Nous apprennent-elles des choses sur les personnages, ont-elles une fonction dramatique importante ou font- elles office de pause dans la narration, voire de simple argument publicitaire, s’agissant de chansons ine?dites ?

On pourra e?tudier plus pre?cise?ment les diffe?rentes musiques du film. Le jazz est le genre le plus pre?sent, sous diffe?rentes formes : du morceau tre?s rapide, frénétique, a? la suave ballade, il est tre?s sou- vent associe? au sexe. Certains the?mes sont re?currents (Running Wild) et les plus me?lomanes pourront ainsi travailler sur le parcours des the?mes associe?s aux personnages principaux, jusqu’a? la dernie?re sce?ne ou? le jazz ce?de in extremis la place au tango…