La tératologie dans la philosophie antique

« Le monstrueux est du merveilleux à

rebours, mais c’est du merveilleux malgré tout »G. Canguilhem

La tératologie : Partie de la pathologie dans laquelle se trouvent décrites et classées les monstruosités. (littré)

Le but de Lucrèce est de supprimer les craintes de la mythologie et de toutes les croyances pour expliquer la nature. Il introduit dans la nature la notion de hasard, d’essai, de bricolage : certaines combinaisons sont viables, d’autres disparaissent (c’est une sorte de sélection par tranformisme). Le monstre pèse sur la nature, il apparaît comme une menace à l’ordre naturel un risque qui doit disparaître mais en mêmetemps qui lui appartient comme faire-valoir de la réussite de la vie.

Que de monstres la terre en travail s’efforça de créer, étranges de traits et de structure ! On vit l’androgyne, qui tient des deux sexes mais n’appartient à aucun, et n’est ni l’un ni l’autre ; on vit des êtres sans pieds et sans mains, ou muets et sans bouche, ou sans regard, aveugles, ou bien dont les membres adhéraient tous au tronc et qui ne pouvaient ni agir, ni marcher, ni éviter un péril, ni pourvoir à leurs besoins. Tous ces monstres et combien d’autres de même sorte furent créés en vain, la nature paralysa leur croissance et ils ne purent toucher à la fleur tant désirée de l’âge, ni trouver de nourriture, ni s’unir par les liens de Vénus. Il faut en effet, nous le voyons, tout un concours de circonstances pour que les espèces puissent durer en se reproduisant : des aliments d’abord, puis des germes féconds distribués dans l’organisme avec une issue par où ils puissent s’écouler hors du corps alangui, et enfin, pour que la femelle puisse se joindre au mâle, des organes qui leur permettent d’échanger des joies partagées.

Beaucoup d’espèces durent périr sans avoir pu se reproduire et laisser une descendance. Toutes celles que tu vois respirer l’air vivifiant, c’est la ruse ou la force, ou enfin la vitesse qui dès l’origine les a défendues et conservées. Il en est un bon nombre en outre qui se sont recommandées à nous par leur utilité et remises à notre garde. L’espèce cruelle des lions et autres bêtes féroces, c’est dans la force et le courage qu’elle a trouvé sa sûreté ; les renards ont trouvé la leur dans la ruse, les cerfs dans la fuite. Mais les chiens au sommeil léger et au cœur fidèle, les bêtes de somme et de trait, les troupeaux porte-laine et les animaux à cornes, toutes ces espèces se trouvent confiées à la garde de l’homme, Memmius. Portées à fuir les bêtes sauvages, à chercher la paix et une abondante pâture acquise sans péril, elles ont reçu de nous ces biens pour prix de leurs services. Quant aux animaux qui ne furent doués ni pour vivre indépendants par leurs propres moyens, ni pour gagner en bons serviteurs nourriture et sécurité sous notre protection, tous ceux-là furent pour les autres proie et butin et restèrent enchaînés au malheur de leur destin jusqu’au jour où leur espèce fut complètement détruite par la nature. Lucrèce, De la nature livre V


Pour Aristote, c’est la reproduction sexuée qui entraine une imperfection de la nature. C’est l’ordre naturel qui est susceptible d’être défaillant. L’organisme monstrueux est un écart faible, léger, Un écart plus grand entraine la mort. Il est donc révélateur de la régularité de la nature et de sa contingence : pour que se perpétue la nature vivante il faut que la forme (le mâle) informe la matière (la femelle) et c’est cette résistance qui peut produire le monstre.

 

On peut se demander d’où vient la fécondité de quelques espèces qui font beaucoup de petits, pourquoi il y a parfois des membres en surnombre, pourquoi telle espèce fait peu de petits et telle autre n’en fait qu’un, et enfin pourquoi des membres entiers font défaut. Ainsi, il y a des enfants qui ont plus de doigts qu’il ne faudrait ; d’autres n’en ont qu’un seul ; de même pour des parties du corps autres que les doigts, ou il y a surnombre, ou bien nombre incomplet. On a vu des enfants nés avec des parties honteuses des deux sexes, l’une mâle, l’autre femelle. Cette observation a pu être faite sur les hommes, mais surtout dans l’espèce des chèvres, où celles qu’on appelle des Tragœnes ont à la fois l’organe femelle et l’organe mâle. On a vu aussi une chèvre dont la corne était placée sur la jambe. Ces changements et ces difformités se rencontrent également à l’intérieur du corps, où certains viscères viennent à manquer, ou bien à être difformes, ou ils sont en surnombre et ou ils sont changés de place. Si l’on n’a jamais vu d’animal qui n’eût pas de cœur, il y en a qui n’ont pas de rate, ou qui en ont deux; et d’autres qui n’ont qu’un seul rognon. Le foie ne manque jamais; mais il est parfois incomplet. Tous ces phénomènes se présentent chez des animaux très bien formés d’ailleurs, et qui n’en vivent pas moins On a vu des animaux ne pas avoir de vésicule biliaire, bien qu’ils dussent naturellement en avoir une; d’autres en avaient plusieurs, au lieu d’une seule. On a observé aussi des déplacements; le foie était à gauche et la rate à droite ; et cette singularité se présentait chez des animaux d’ailleurs bien constitués, comme on vient de le dire; mais elle apporte toujours dans les fonctions, dès qu’ils sont nés, un grand trouble, qui revêt les formes les plus diverses. Quand la déviation reste encore assez faible, les petits peuvent habituellement vivre; mais quand elle est plus marquée, ils ne vivent pas, si la difformité contre nature intéresse les organes essentiels à la vie. Pour tous ces phénomènes, il s’agit de savoir si c’est une seule et même cause qui fait qu’il n’y a qu’un seul petit, que des organes viennent à manquer, ou qu’il y a plus d’organes qu’il n’en faut, ou enfin que les petits sont nombreux. Ou bien, est-ce une cause différente, au lieu d’une cause unique ? ARISTOTE génération des animaux IV, 4


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