Descartes n’etait pas fou !

DESCARTES Méditations Métaphysiques II  Ed° Pleïade, NRF, Gallimard, 1953, p 268

 » Mais, encore que les sens  nous trompent quelquefois, touchant les choses peu sensibles et fort éloignées, il s’en rencontre peut-être beaucoup d’autres, desquelles on ne peut pas raisonnablement douter, quoique nous les connaissions par leur moyen : par exemple, que je sois ici, assis auprès du feu, vêtu d’une robe de chambre, ayant ce papier entre les mains, et autres choses de cette nature. Et comment est-ce que je pourrais nier que ces mains et ce corps soient à moi ? si ce n’est peut-être que je me compare à ces insensés , de qui le cerveau est tellement troublé et offusqué par les noires vapeurs de la bile, qu’ils assurent constamment qu’ils sont des rois, lorsqu’ils sont très pauvres ; qu’ils sont vêtus d’or et de pourpre, lorsqu’ils sont tout nus ; ou s’imaginent être des cruches et avoir un corps de verre. Mais quoi ? ce sont des fous, et je ne serais pas moins extravagant, si je me réglais sur leurs exemples »

 

FOUCAULT Histoire de la Folie à l’Age Classique, Ed° Gallimard, 1961,  pp 68-69

« Or, cette certitude, Descartes, maintenant, l’a acquise, et la tient solidement : la folie ne peut le concerner. Ce serait extravagance de supposer qu’on est extravagant; comme expérience de pensée, la folie s’implique elle-même, et partant s’exclut du projet. Ainsi le péril de la folie a disparu de l’exercice de la Raison. Celle-ci est retranchée dans une pleine possession de soi où elle ne peut rencontrer d’autres pièges que l’erreur, d’autres dangers que l’illusion. Le doute de Descartes dénoue les charmes des sens, traverse les paysages du rêve, guidé toujours par la lumière des choses vraies; mais il bannit la folie au nom de celui qui doute, et qui ne peut pas plus déraisonner que ne pas penser et ne pas être.

La problématique de la folie – celle de Montaigne – est modifiée par là même (…) la Non-Raison du XVIème siècle formait une sorte de péril ouvert dont les menaces pouvaient toujours, en droit au moins, compromettre les rapports de la subjectivité avec la vérité. Le cheminement du doute cartésien semble témoigner du fait qu’au XVIè siècle, le danger se trouve conjuré et que la folie est placée hors du domaine d’appartenance où le sujet détient ses droits à la vérité : ce domaine qui, pour la pensée classique, est la raison elle-même. Désormais la folie est exilée. Si l’homme peut toujours être fou, la pensée, comme exercice de la souveraineté d’un sujet qui se met en devoir de percevoir le vrai, ne peut pas être insensée . Une ligne de partage est tracée, qui va bientôt rendre impossible l’expérience si familière à la Renaissance d’une Raison déraisonnable, d’une raisonnable Déraison. »