HAINE / AMOUR

Eth. III, PROPOSITION 44
La Haine qui est totalement vaincue par l’Amour se change en Amour (63) ; et cet Amour est par là plus grand que si la Haine ne l’avait précédé.
DÉMONSTRATION
On procède de la même façon qu’à la Proposition 38 de cette Partie. Car celui qui commence à aimer l’objet qu’il hait, c’est-à-dire qu’il avait l’habitude de considérer avec Tristesse, se réjouira par cela seul qu’il aime, et à cette Joie que l’Amour enveloppe (voir sa Déf. dans le Scol. de la Prop. 13) s’ajoute celle qui provient du fait que l’effort pour supprimer la Tristesse que la Haine enveloppe est totalement secondé (comme nous l’avons montré à la Prop. 37), accompagné qu’il est, comme par sa cause, de l’idée de celui qu’on haïssait.
SCOLIE
Malgré cela, personne ne s’efforcera de haïr quelqu’un ou d’être affecté de Tristesse, dans le but de jouir de cette Joie plus grande ; c’est-à-dire que personne ne désirera se nuire à luimême dans l’espoir d’une compensation, et ne souhaitera la maladie dans l’espoir de la guérison. Car chacun s’efforcera toujours de conserver son être, et, autant qu’il le peut, d’éloigner la Tristesse. Si l’on pouvait concevoir au contraire qu’un homme ait la possibilité de vouloir haïr quelqu’un afin d’éprouver ensuite pour lui un plus grand amour, alors il faut dire qu’il désirerait le haïr toujours. Car plus grande aura été la Haine, plus grand sera l’Amour, et par suite il désirera que la Haine croisse sans cesse ; pour la même raison, un homme s’efforcera d’être de plus en plus malade pour ensuite jouir par son rétablissement d’une plus grande Joie ; il s’efforcera donc d’être toujours malade, ce qui (par la Prop. 6 ) est absurde.
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(63) Cf. note précéd. (III, n. 43 n. 62 ). C’est toujours dans le sujet considéré que sa propre haine peut être totalement vaincue par l’amour neuf, en lui. L’implication réciproque est évidente : en l’autre aussi, sa haine pour nous peut être totalement vaincue par son propre amour pour nous. Dans les deux cas, le mouvement initiateur est la prise de conscience et donc l’idée que l’autre (que nous haïssions) nous aime. C’est, en nous, l’amour de l’autre (issu de l’autre, puis tourné vers lui) qui induit le renversement de notre haine en amour (Dém. de III, 43).

 

La dialectique de l’amour

Platon, Le Banquet

Dans le texte, Platon met en scène Diotime, une prêtresse, prophétesse qui aurait jadis instruit Socrate sur les choses de l’amour. Or, elle explique ce qu’est l’amour par la dialectique ascendante. Souvenons nous que dans le mythe de sa naissance, Éros nait le même jour qu’Aphrodite, déesse de la beauté. L’amant est sans cesse à la recherche du beau? Par une dialectique ascendante, en procédant par étape, il va trouver l’essence du beau. La dialectique est art du dialogue qui, d’hypothèse en d’hypothèse conduit à la manière des mathématiciens, à saisir l’idée ou définition d’une chose.

Voici le texte du Banquet. Discours de Diotime :

Celui qui veut atteindre à ce but par la vraie voie doit, dès son jeune âge, commencer par rechercher les beaux corps. Il doit, en outre, s’il est bien dirigé, n’en aimer qu’un seul, et dans celui qu’il aura choisi engendrer de beaux discours. Ensuite, il doit arriver à comprendre que la beauté qui se trouve dans un corps quelconque [210b] est soeur de la beauté qui se trouve dans tous les autres. En effet, s’il faut rechercher la beauté en général, ce serait une grande folie de ne pas croire que la beauté qui réside dans tous les corps est une et identique. Une fois pénétré de cette pensée, notre homme doit se montrer l’amant de tous les beaux corps et dépouiller, comme une petitesse méprisable, toute passion qui se concentrerait sur un seul. Après cela, il doit regarder la beauté de l’âme comme plus précieuse que celle du corps ; en sorte qu’une belle âme, même dans un corps dépourvu d’agréments, [210c] suffise pour attirer son amour et ses soins, et pour lui faire engendrer en elle les discours les plus propres à rendre la jeunesse meilleure. Par là il sera nécessairement amené à contempler la beauté qui se trouve dans les actions des hommes et dans les lois, à voir que cette beauté est partout identique à elle-même, et conséquemment à faire peu de cas de la beauté corporelle. Des actions des hommes il devra passer aux sciences, pour en contempler la beauté ; et alors, ayant une vue plus large du beau, il ne sera plus enchaîné comme un esclave [210d] dans l’étroit amour de la beauté d’un jeune garçon, d’un homme ou d’une seule action ; mais, lancé sur l’océan de la beauté, et repaissant ses yeux de ce spectacle, il enfantera avec une inépuisable fécondité les discours et les pensées les plus magnifiques de la philosophie, jusqu’à ce qu’ayant affermi et agrandi son esprit par cette sublime contemplation, il n’aperçoive plus qu’une science, celle du beau.

 

La dialectique se comprend ainsi

  • AMOUR d’un BEAU CORPS

Impressions sensibles, apparences, images, objets

  • AMOUR des BEAUX CORPS

Opinions droites (vraies mais non justifiées)

  • AMOUR d’une BELLE ÂME

Pensées discursives (raisonnements, démonstrations)

  • AMOUR des BELLES ÂMES : DU BEAU EN SOI

Intuition des essences, contemplation des Idées.

Le désir, la passion

l'avare de funès« Rien de grand ne s’est fait dans le monde sans passion » Hegel

Méthode :

Il y a deux pôles d’interprétation du désir en littérature, en art :

-Le pôle rationaliste (souvent contre les passions)

-Le pôle romantique (encourage une passion)

On peut pour ce thème puiser dans nos références culturelles.

Problématique :

Le lien raison / passion pose problème car lorsque on juge  nos désirs ou lorsque l’on condamne nos passions, on juge l’objet du désir et non le désir lui-même. Il faut analyser le désir avant de le condamner.

Intérêts :

La connaissance de soi, la maîtrise de soi, la nature humaine (anthropologie).

Références :

Un lien utile pour comprendre la problématique du désir amoureux, en particulier la vidéo en référence de bas de page…

http://lewebpedagogique.com/philoflo/le-banquet/

Dans le manuel Hatier terminale :

Spinoza p. 78 et  http://lewebpedagogique.com/philo-bac/2010/01/12/spinoza-le-conatus-dans-lethique/

Hegel p.79, Platon, p.81, Épicure, p.82, Descartes,p. 84,

et les stoïciens

Épicure:

http://lewebpedagogique.com/philo-bac/2009/12/25/782/

René Girard

http://lewebpedagogique.com/philo-bac/2009/12/20/732/

Vocabulaire :

Passion, pathos, souffrance, manque, force, imagination, morale, idéal, besoin, corps et âme, conatus, volonté, générosité, plaisir, envie, bonheur, volupté, luxe, sagesse, jouissance, conscience, autrui, matière et esprit, satisfaction, tempérance.

Exercices :

http://lewebpedagogique.com/philo-bac/2009/12/18/642/

Corrigés :

Texte de Hume merci aux ts2 de le mettre en ligne !

Les passions de Casanova

« Ma mère me mit au monde à Venise le 2 d’Avril jour de Pâques de l’an 1725. Elle eut la veille une grosse envie d’écrevisse. Je les aime beaucoup. » Giacomo Casanova

Il était une fois un « homme de plaisir et de passions, typique dévorateur de chaque moment, et qui plus est, favorisé par le destin d’aventures fantastiques, par l’esprit d’une mémoire démoniaque et par le caractère d’une absence absolue de scrupules. »
(S. Zweig, Trois poètes de leur vie, Livre de Poche, p. 136)

Le nom de Casanova a longtemps été synonyme d’« homme à femmes », un Casanova ou un Don Juan étant des termes plus ou moins interchangeables. S’il y a une différence dans la manière dont ces deux personnages conçoivent la séduction, il n’y a aucune commune mesure dans leur statut : Don Juan est une création légendaire, Casanova a été créé par Casanova lui-même, aussi talentueux pour l’art de la mise en scène que pour l’allant de la narration.

Le jeu, les femmes, la musique, l’aventure, la lecture, la liberté… à vous de partir à la découverte du monde sensuel, audacieux et baroque de Casanova.

http://expositions.bnf.fr/casanova/

« Je considère les Mémoires de Casanova comme la véritable Encyclopédie du 18e siècle […]
ce grand vivant de Casanova. qui connaissait tout le monde, les gens, et la façon de vivre de toutes les classes de la société dans les pays d’Europe, et la route et les hostelleries,
les bordels, les tripots, les chambrières, les filles de banquiers, et l’impératrice de Russie pour qui il avait fait un calendrier, et la reine de France qu’il avait interviewée, et les
comédiennes et les chanteuses d’opéra, Casanova qui passait aux yeux de la police pour un escroc dangereux et dans les salons pour un beau joueur ou un sorcier, le brillant chevalier de Seingalt, chevalier d’industrie, qui fréquentait les ouvriers, les artisans, les brodeuses, les marchandes à la toilette, le petit peuple des rues, cochers et porteurs d’eau, avec qui il était à tu et à toi comme avec le Prince de Ligne […] qui se mourait d’impatience pour avoir la suite de ses Mémoires […].
Casanova a même échappé à l’emprise des professeurs, des thèses, de l’Université, c’est pourquoi il est un éducateur incomparable de la jeunesse qui aimera toujours la vie et l’amour, les femmes et le vin, les aventures et la réussite, l’insubordination et le jeu, la société où l’on s’encanaille et le monde, les affaires d’honneur qui comportent un grain de
folie, une entreprise aussi désespérée que celle de l’évasion des Plombs de Venise, l’argent que l’on jette par les fenêtres, un corps bien exercé et la façon de s’en servir avec esprit
sinon avec scrupules, et comme notre bel aventurier n’a écrit dans aucune langue avouable, il ne peut être réclamé par aucune nation pour être déformé officiellement, réformé. Casanova a toujours couru sa chance et continue…
Blaise Cendrars, Pro Domo, 1949

Origine d’Éros

Dans le Banquet, Platon met en scène des convives qui sont invités à prononcer un discours sur l’Amour (Éros). Les convives ont bien festoyé lorsque Socrate prend la parole. Il rapporte alors un discours que lui aurait tenu une femme de Mantinée, Diotime, un prêtresse instruisant des « choses concernant l’amour ». Dans son discours, Diotime commence par expliquer que l’Amour n’est pas un dieu mais un démon, un être intermédiaire entre les dieux immortels et les hommes mortels. Cette nature démoniaque s’explique par ses origines, il est fils de pauvreté (Pénia) et d’expédient (Poros)

 

 

 

 

 

 

DIOTIME

[203b]
A la naissance de Vénus, il y eut chez les dieux un grand festin où se trouvait entre autres Poros , fils de Métis. Après le repas, Pénia s’en vint mendier quelques restes et se tint auprès de la porte. En ce moment, Poros, enivré de nectar (car on ne faisait pas encore usage du vin), sortit de la salle et entra dans le jardin de Jupiter, où le sommeil ne tarda pas à fermer ses yeux appesantis. Alors, Pénia, poussée par son état de pénurie, imagina d’avoir un enfant de Poros. [203c] Elle alla donc se coucher auprès de lui, et devint mère de l’Amour. C’est pourquoi l’Amour devint le compagnon et le serviteur de Vénus, ayant été conçu le jour même où elle naquit ; outre que de sa nature il aime la beauté, et que Vénus est belle.

Et maintenant comme fils de Poros et de Pénia, voici quel fut son partage : d’abord il est toujours pauvre, et, loin d’être beau et délicat, comme on le pense généralement, il est maigre, malpropre, sans chaussures, [203d] sans domicile, sans autre lit que la terre, sans couverture, couchant à la belle étoile auprès des portes et dans les rues ; enfin, comme sa mère, toujours dans le besoin. Mais, d’autre part, selon le naturel de son père, il est toujours à la piste de ce qui est beau et bon ; il est mâle, hardi, persévérant, chasseur habile, toujours machinant quelque artifice, désireux de savoir et apprenant avec facilité, philosophant sans cesse, enchanteur, magicien, sophiste. De sa nature il n’est ni mortel [203e] ni immortel ; mais, dans le même jour, il est florissant et plein de vie, tant qu’il est dans l’abondance, puis il s’éteint, pour revivre encore par l’effet de la nature paternelle. Tout ce qu’il acquiert lui échappe sans cesse, en sorte qu’il n’est jamais ni riche ni pauvre.

Il tient aussi le milieu entre la sagesse et l’ignorance : car aucun dieu ne philosophe ni [204a] ne désire devenir sage, puisque la sagesse est le propre de la nature divine ; et, en général, quiconque est sage ne philosophe pas. Il en est de même des ignorants, aucun d’eux ne philosophe ni ne désire devenir sage ; car l’ignorance a précisément le fâcheux effet de persuader à ceux qui ne sont ni beaux, ni bons, ni sages, qu’ils possèdent ces qualités : or nul ne désire les choses dont il ne se croit point dépourvu.

SOCRATE

Mais, Diotime, qui sont donc ceux qui philosophent, si ce ne sont ni les sages ni les ignorants ?

DIOTIME

Il est évident, [204b] même pour un enfant, dit-elle, que ce sont ceux qui tiennent le milieu entre les ignorants et les sages, et l’Amour est de ce nombre. La sagesse est une des plus belles choses du monde ; or l’Amour aime ce qui est beau ; en sorte qu’il faut conclure que l’Amour est amant de la sagesse, c’est-à-dire philosophe, et, comme tel, il tient le milieu entre le sage et l’ignorant. C’est à sa naissance qu’il le doit : car il est le fils d’un père sage et riche et d’une mère qui n’est ni riche ni sage. Telle est, mon cher Socrate, la nature de ce démon.

Quant à l’idée que tu t’en formais, il n’est pas étonnant qu’elle te fût venue ; [204c] car tu croyais, autant que j’ai pu le conjecturer par tes paroles, que l’Amour est ce qui est aimé et non ce qui aime. Voilà, je pense, pourquoi l’Amour te semblait très-beau ; car ce qui est aimable est la beauté réelle, la grâce, la perfection et le souverain bien. Mais ce qui aime est d’une tout autre nature, comme je viens de l’expliquer.