Bienvenue au club !

J’avais rencontré mon collègue Philippe Gabard, enseignant d’arts au lycée Arcisse de Caumont (Bayeux) lors du festival du jeu dans la ville du même nom l’an passé. On se connaissait déjà tous les deux de nom et par internet, mais le festival a été l’occasion de se rencontrer IRL (in real life, comme disent les joueurs accro à leur ordi). Une bonne demi-heure de discussion entre passionnés !

Il tenait le plus beau stand avec quelques uns de ses élèves, avec plusieurs plateaux de jeux (des figurines plastiques 1/72, toutes peintes, dans des décors et des scènes de différentes époques : Moyen Age, guerres coloniales…). Il expliquait aux visiteurs que , non, ce n’étaient pas seulement des dioramas, mais bel et bien des jeux de simulation, ce que les initiés appellent « jeu d’histoire » (ou wargame avec figurines, pour les anglophones).

Je devais passer rendre visite à son club, mais faute de temps (tenir un blog, ça occupe 😉 ), je préfère rendre hommage à son travail en lui laissant la parole pour présenter sa belle initiative. Je suis juste jaloux de ne pas être arrivé à monter un tel club dans les établissements où je suis passé…

« Le club du lycée a été créé lors de mon arrivée dans les années 1983-84; dans un premier temps, il était axé essentiellement sur le modélisme et le maquettisme, avec comme support culturel l’archéologie industrielle qui est une de mes autres activités. Disposant d’une importante documentation sur le sujet, nous avons réalisé bateaux, trains et autres véhicules, ainsi qu’architectures industrielles et militaires.

Nous n’avons abordé le domaine des jeux de reconstitution qu’à partir de 1997, date à laquelle, de retour d’une mission au Ministère de la Culture ayant duré quelques années, j’ai repris mon poste d’enseignant à Arcisse et fait la rencontre de notre collègue d’histoire Frederic Harymbat (actuellement en poste au lycée Alain Chartier de Bayeux). Passionné et collectionneur de figurines, il n’a pas hésité à nous rejoindre pour développer cette nouvelle activité que sont les jeux de reconstitutions historiques. Depuis, nous animons conjointement et bénévolement le club rebaptisé « modélisme et jeux de reconstitution », pour éviter l’anglicisme « wargames ».

Nous fonctionnons chaque mercredi après-midi de 13h30 à 18h30, toute l’année scolaire avec parfois quelques « week-end découverte » patrimoine, archéologie industrielle et militaire, visite de musées et salons de modélisme, figurines et jeux (en temps que visiteurs ou parfois exposants).


Le club s’adresse à tous nos élèves (CAP, BEP, BAC, BACPRO, BTS) et anciens élèves, jeunes gens et jeunes filles (la parité n’est pas atteinte, elle reflète seulement l’état de nos effectifs). Nous limitons volontairement le nombre d’inscrits à une quinzaine chaque année, la fréquentation régulière pondérée par les stages en alternance s’étant établie ces derniers temps à une dizaine d’actifs et autant de sympathisants (y aurait il une inflation dans la proposition d’activités culturelles sur le lycée ? A moins que ce ne soit la vile concurrence des jeux sur PC en réseaux…)


Nous avons commencé à jouer avec les quelques règles disponibles à l’époque (Les Aigles, DBM, DBR, mais surtout les règles d’escarmouche piochées dans la revue Vae Victis car permettant des durées de parties et des dimensions d’armées compatibles avec le niveau de nos élèves souvent néophytes en la matière, limités en temps disponible et surtout en patience. Depuis, internet nous a ouverts à d’autres sources étrangères, notamment anglaises, ce qui nous a permis d’impliquer nos collègues de langues et de les mettre à contribution pour quelques exercices de traduction, sujet motivant pour nos élèves… De la traduction, il n’y a qu’un pas vers la rédaction et depuis quatre ans nous créons nos propres règles. Nos compétences en histoire, arts appliqués, stratégie, tactique, uniformologie, jointes à une bonne documentation accumulée au cours des ans nous permet maintenant de concevoir rapidement et simplement des règles basiques, mais jouables et adaptées à la demande et à la fantaisie de nos élèves. Choix des périodes historiques, esthétique des armées, des décors et plateaux de  jeux, tout est prétexte pour stimuler leur curiosité et les pousser à lire et effectuer des recherches documentaires.

Périodiquement, nous organisons des tournois  car c’est aussi une des finalités de cette activité; mais ces affrontements restent limités à nos deux établissements, Arcisse de Caumont et Alain Chartier que lie une convention depuis trois ans. Un recrutement équilibré  permet de mener l’activité en commun, de la création au jeu.

La salle d’arts appliqués d’Arcisse se prête bien à cette fusion qui entraine une saine émulation. Depuis l’an dernier, la municipalité porte un regard intéressé sur nos réalisations et nos capacités d’animation, c’est ainsi que les élèves ont assuré une remarquable prestation lors du salon des jeux de Bayeux et lors du marché médiéval où nous avons exposé une importante reconstitution statique de la bataille de Formigny (plus de six cent figurines en vingt millimètres réalisées dans l’année).

Les thèmes et périodes historiques que nous pratiquons s’étendent de l’Antiquité à la Seconde Guerre mondiale, avec une dominante pour le médiéval, les Premier et Second Empires, et une forte curiosité pour l’épopée victorienne et l’époque coloniale (propice aux jeux d’escarmouche et aux créations de véhicules et architectures surprenants). Parfois, pour éviter toute sclérose ou trop forte redondance, nous explorons l’Ancien Régime : guerres en dentelles, guerre de Sept Ans, guerre d’Indépendance américaine, allant même nous risquer dans la guerre de Crimée ou la révolution russe (terribles nos trains blindés en carton !) et même cette année dans le western.Voila autant de prétextes pour aborder l’uniformologie, l’héraldique, la vexilologie, l’architecture civile et militaire, les modes de transports et engins de guerre à travers les temps.

L’interaction entre le club et les enseignements est évidente, l’un s’alimentant des autres et réciproquement. Créer des figurines, des décors et des plateaux de jeux demande quelques connaissances préalables en histoire et arts appliqués. En retour, l’aspect ludique motive, stimule la curiosité, donne l’envie d’aller plus loin, de découvrir et donc d’apprendre. Parfois, c’est une véritable révélation pour certains élèves, c’est aussi une remédiation efficace contre la démotivation et l’absentéisme (dur de choisir entre le club et la colle du mercredi…). Il n’est pas rare que cette vocation naissante se répercute sur l’orientation et la poursuite d’études; un pourcentage non négligeable de nos « wargamers » intègrent l’université en histoire et en ces quelques dizaines d’années, certains ont tenté les écoles de design et d’architecture en post- bac ou post-BTS. Mais il est évident que ces quelques années d’initiation définissent surtout la pratique d’un loisir établi de façon durable et certains anciens élèves, devenus parents depuis, se sont empressés de transmettre leur passion au sein d’une activité familiale. Les parents de nos nouveaux élèves y voient aussi quelquefois une excellente thérapie pour désintoxiquer leurs enfants un peu trop « accros à la console ». Ils ignorent la place nécessaire aux futures armées dans la vitrine du salon…

Quelques vocations de collectionneurs prennent parfois naissance au club car nous pratiquons toutes sortes de figurines et modèles réduits à diverses échelles. Les matériaux utilisés sont aussi divers que le carton, la pâte à papier, les résines et pâtes époxy, le métal blanc, avec une préference pour les figurines en plastique en raison de leur prix. Personnellement, je guide plutôt mes élèves vers la création partielle ou intégrale que vers le simple montage de kits du commerce, ceci pour des raisons tant pédagogiques que culturelles, artistiques mais aussi économiques et même écologiques (dernièrement, je leur ai fait découvrir les soldats de carton des temps de pénurie et les édition Pellerin d’Epinal et Pro-Patria). C’est l’occasion de pratiquer la sculpture, la gravure, le modelage et les diverses techniques de reproduction et de moulage. Pour la mise en couleur de nos réalisations, nous utilisons terres en poudre, gouaches et acryliques pour les décors, huiles et acryliques pour les figurines, parfois en technique mixte, mais toujours à partir d’une sous couche blanche à l’inverse des méthodes utilisées par les figurinistes « Warhammer ».


Abordons maintenant l’aspect crucial de la véracité et de l’authenticité de la documentation dont découle la crédibilité des réalisations. Remercions au passage les bibliothèques personnelles des enseignants impliqués et les ressources insondables mais parfois contestables du web. La rigueur n’est pas la qualité première de nos élèves, un de nos objectifs est de les aider à développer cette qualité, mais en respectant leur fantaisie (le jeu source de plaisirs). Certains d’entre eux ont abordé le jeu de reconstitution par le biais des jeux de rôles fantastiques; certains réflexes leur en restent : ils se permettent quelques libertés et même quelques entorses sérieuses avec la « vérité historique ». « Le Seigneur des Anneaux » de Tolkien fut leur livre de chevet et leur première approche du jeu, il tiennent à cette part de rêve et de liberté dont ils n’hésitent pas à épicer leurs stratégies.  « La guerre psychologique, ça existe depuis longtemps… historiquement parlant », disait l’un d’eux s’apprêtant à jeter un sort aux armées de Wellington… Pourtant, très rapidement nos élèves se rendent compte que la vraie diversité et l’immense richesse culturelle sont le fruit de siècles d’histoire et que même les écrivains de contes fantastiques ne font que s’en inspirer.


Je pense que cette activité est une réponse plus souple et plus ciblée aux difficultés et situations que rencontrent nos élèves, surtout en lycée professionnel. Cela constitue un bon outil d’enseignement et d’éducation. Humanité, citoyenneté, sociabilité y sont abordés en pratique (bien qu’à échelle réduite…); on y apprend sans souffrir les notions de solidarité, d’obéissance, de hiérarchie, de partage, de mutualisation, de respect, de droit et de devoir; c’est un formidable terrain de d’expérimentation et de concrétisation de nos enseignements. Et le concret ? Nos élèves en ont encore besoin à leur âge pour se rassurer. En ces temps où « numérique » et « virtuel » sont les rimes imposées et parfois redondantes, il ne faut pas perdre de vue que le virtuel concerne l’étape du concept et qu’ensuite il faut œuvrer, c’est à dire manipuler la matière; car communiquer, c’est surtout donner, à voir, à toucher, s’adresser à nos sens, densifier le perceptible.


Voila pourquoi nous aimons jouer et créer, pour partager du plaisir… Alors au plaisir de vous rencontrer sur une prochaine exposition ! »

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