pour les terminales l’innovation au coeur de la crise et … de la reprise …

un article des échos sur les questions de cours

Au coeur des grandes crises économiques, se love toujours un couple infernal, celui formé par l’innovation, entendue comme une invention qui trouve son marché, et son double, la consommation. C’est cet extraordinaire mouvement qui traverse les siècles et reste central dans l’explication de nos déboires actuels, que raconte le nouvel et foisonnant ouvrage des économistes Jean-Hervé Lorenzi et Alain Villemeur (1).

Quel rapport entre la crise actuelle et l’innovation ? Côté pile, l’innovation est un peu responsable de nos malheurs. Ce sont les technologies de l’information, grande révolution industrielle de la fin du siècle dernier, qui ont permis la circulation continue des capitaux, l’imagination financière débridée et la connexion en temps réel de toutes les économies de la planète.

Côté face, le choc de l’environnement et des matières premières nous renvoie aujourd’hui en pleine figure l’impréparation de nos sociétés à des mouvements pourtant visibles depuis de nombreuses années. On n’a pas assez innové dans ce domaine. C’est pourquoi, pour les auteurs, le tremblement de terre actuel n’est pas uniquement une crise de la demande et de la finance, comme l’affirment certains, mais aussi une crise de la consommation et de l’innovation. D’un coup, il n’y a plus adéquation entre le consommateur, ses désirs, ses moyens financiers et les produits qu’on lui propose. La norme de consommation est en train de changer.

L’économiste David Flacher distingue 4 normes dans l’histoire récente. La première, la plus rudimentaire, était celle d’avant le XVII siècle, la seconde est apparue au XVIII avec le développement fantastique des indiennes, ces cotonnades venues d’Asie, mais aussi de la porcelaine. On passe de l’inusable au cassable et l’on découvre la mode. La troisième norme est celle du XIX, caractérisée par l’apparition d’un début de classe moyenne avide de produits moins haut de gamme, plus industriels, donc moins chers. La quatrième est la société de consommation de l’après-guerre, enfantée dans la douleur par la crise de 1929. Celle-ci est née d’une inadéquation entre une innovation technologique et industrielle débridée, notamment dans l’automobile, face à l’absence d’une vraie classe moyenne solvable. Les profits des entreprises, insuffisamment redistribués, ont alimenté une spéculation boursière effrénée. Dix ans de récession et une guerre ont été nécessaires pour donner naissance à une grande classe moyenne qui a alimenté la croissance des Trente Glorieuses.

La mondialisation a cassé ce progrès continu, maintenu artificiellement par l’endettement au début des années 2000. Une nouvelle norme émerge donc avec de nouveaux besoins, plus qualitatifs, plus en phase avec les nouvelles préoccupations mondiales, du moins dans les pays développés : l’énergie, l’écologie, la démographie et le vieillissement. Or l’histoire nous enseigne que ces normes de consommation ne naissent pas des innovations mais souvent les précèdent, puis les accompagnent et les attisent, comme le vent sur la braise. La folie des indiennes du XVIII siècle a créé le terreau pour le développement de l’industrie du tissage, point de départ de la première révolution industrielle. C’est donc maintenant que se jouent les vingt prochaines années et qu’il faut mettre en place des structures et des moyens pour favoriser et accélérer l’émergence de cette nouvelle innovation répondant à ces nouveaux besoins. Cela passe à la fois par une stimulation financière forte. On en trouve la trace dans de nombreux plans de relance, en Amérique, au Japon ou en Corée.

Mais cela demande aussi la mise en place de ce qu’Alain Villemeur appelle le « système d’innovation ». C’est-à-dire l’environnement favorable au développement d’entreprises innovantes : infrastructures, laboratoires de recherche publics et privés, universités, financiers prêts à prendre des risques. Dans ce domaine, le modèle le plus abouti est l’américain, qui a su créer un écosystème très fertile mêlant aides indirectes de l’Etat et initiative privée. Mais, là-bas aussi, le débat fait rage sur le rôle de l’innovation. Récemment, l’économiste éditorialiste de « Business Week » (2) Michael Mandel développait la thèse d’une crise née d’une insuffisante focalisation sur l’innovation. On croyait la croissance américaine fondée sur son dynamisme technologique alors qu’elle ne reposait que sur l’emprunt et les placements obligataires. Résultat, les ravages de la mondialisation n’ont pas été suffisamment compensés par l’innovation locale.

Et la France dans tout ça ? L’innovation décentralisée, l’écosystème harmonieux, les PME dynamiques, ce n’est pas son fort. Seul point positif, la création des pôles de compétitivité, unanimement reconnus comme l’embryon d’un système d’innovation qu’il faudra conforter autrement que par de nouveaux TGV, autoroutes et autres rustines keynésiennes du siècle dernier.

(1) « L’Innovation au coeur de la croissance »,Jean-Hervé Lorenzi et Alain Villemeur éd. Economica.
(2) « Innovation Interrupted », Michael Mandel, « Business Week », 15 juin 2009.

qq commentaires à l’article

L’innovation peut-elle être générée par la « crise » ?

Peut-être mais pas tout de suite : il est vraisemblable que, dans un premier temps, les décideurs vont tout faire pour que tout continue comme avant ; je pense que nous sommes en plein dans le cours de cette étape. Il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’un sujet passionnant auquel je compte consacrer quelques commentaires tout en étant en gros d’accord avec votre billet. Je n’achèterai cependant pas l’ouvrage de Lorenzi et Villemeur car je ne vois pas ce que des économistes peuvent apporter à un tel sujet.

En effet, ils sont pour la plupart, parfois sous des habits aussi neufs que trompeurs et un peu comme les créationnistes, restés croyants en la genèse selon Saint Adam Smith (et lis disent toujours la messe en anglais) comme ceux de Moscou étaient attachés au marxisme plus ou moins adapté aux temps « modernes » … on a vu le résultat à l’Est, on est entrain de le constater en Occident … et que personne ne me dise que ce n’est pas la même chose ! Dans leurs analyses actuelles (je ne parle pas des billets journalistiques sur des sujets circonscrits), ils illustrent ce jugement de Saint-Exupéry :

« … Ah ! Le schéma que bâtiront plus tard les historiens ! Les axes qu’ils inventeront pour donner une signification à cette bouillie ! Ils prendront le mot d’un ministre, la décision d’un général, la discussion d’une commission, et ils feront, de cette parade de fantômes, des conversations historiques, avec responsabilités et vues lointaines … » (Antoine de Saint-Exupéry – Pilote de guerre – Pléiade, 1953, page 325).

Je recycle quelques citations déjà utilisées dans les blogs (encore une fois, merci aux Echos de les laisser en ligne aussi longtemps, c’est très commode pour les copier/coller) au double prétexte que la « pédagogie » si chère à nos « élites » nécessite la répétition et aussi qu’à mon âge, on ne lit plus mais on cause tout en sachant bien que l’expérience, contrairement aux connaissances, ne se transmet pas. Je souhaite cependant apporter quelques éclairages latéraux au sujet et mon plan est le suivant :

– avers et revers de l’innovation

– portrait de l’innovateur

– conditions de l’innovation : top down ou bottom up

– colonisation ou innovation

– un monde figé : est-il possible d’en sortir ?

Il y aura peut-être une conclusion … « Les ravages de la mondialisation n’ont pas été suffisamment compensés par l’innovation locale. » … on commence à se rendre compte des dégâts causés par la mondialisation : tout n’est peut-être pas complètement perdu. Il faudrait aller le clamer sous les confortables bureaux de deux grands « socialistes » : Pascal Lamy à Genève et Dominique Strauss-Kahn à Washington, dont les idéologies colonisatrices nous ont conduit où nous sommes … mais le tant célébré Jules Ferry n’était-il pas partisan des formes de colonisation de son époque ?

 

Portrait de l’innovateur.

C’est un sujet qui, semble-t-il, n’est pas abordé … normal, les économistes s’intéressent aux grands chiffres et aux beaux discours, mais laissent les moyens et l’organisation au subalterne qui, n’ayant rien compris à leur jargon, fait n’importe quoi. Commençons par nous référer à un grand innovateur :

« Quand je m’examine moi-même et ma méthode de pensée, j’en viens à la conclusion que le don de fantaisie signifie plus pour moi que quelque talent pour l’abstraction ou pour la pensée positive » (Albert Einstein, cité par Francesca Predazzi et Vanna Vannucini – Petit voyage dans l’âme allemande – Grasset, 2007, page 55).

Par contraste (j’allais écrire a contrario, comme les économistes), Gombrowicz nous décrit le personnel enseignant de l’école Piorkowski à Varsovie :

« Ce sont les cerveaux les plus solides de la capitale. Aucun d’eux n’a une seule idée personnelle et si le cas venait à se présenter, je chasserais aussitôt ladite pensée ou son penseur. Ce sont des imbéciles tout à fait inoffensifs, ils n’enseignent que ce qu’il y a dans les programmes. Vraiment, ils n’ont et ne peuvent avoir aucune pensée personnelle. » (Witold Gombrowicz – Ferdydurke – Folio, page 57).

J’ai constaté que, depuis une vingtaine d’années, les promotions en entreprises se faisaient de plus en plus selon le second profil, surtout dans les hauts niveaux. Nos apparatchiki, héritiers et financiers que j’appelle omnibus, et qui tiennent lieu de grands patrons, sont souvent des conformistes qui appliquent aveuglément la théorie ou la mode du moment : cost killers ou « faiseurs de valeur » … Allez vous promener dans les ascenseurs des tours de La Défense et regardez autour de vous, vous le constaterez à coup sûr.

De ma petite expérience, je déduis qu’un véritable innovateur peut être un fantaisiste qui passe son brainstorming intime au crible des possibilités du moment, mais aussi un rebelle (Bombardier), un perfectionniste qui n’est jamais content de ce qu’il produit (bien des patrons de PME allemandes), quitte à confier à la sous-traitance ce qu’elle peut faire mieux que lui et pas simplement pour pressurer les coûts, une personne en difficulté qui doit s’en sortir (Lego), voire celui ou celle qui a envie de tout mettre cul par-dessus tête, par exemple ceux qui ont conçu la Golf 1 après la Coccinelle (j’exagère un peu : dans les deux cas, les roues étaient en bas).

Nos grands patrons dont Les Echos publient abondamment les photos, y montrent le plus souvent des sourires satisfaits et repus de bonus et de bonne chère, signifiant ou même annonçant sans vergogne : « Tout va mieux que bien ! » … ce n’est pas ces gars-là qui vont nous innover grand-chose et, comme en plus ils intoxiquent les économistes et médiacrates à leur service, leur paresseux conformisme est largement multiplié dans la population

Vous ne nous avez pas servi la tarte à la crème de l’éducation qui serait potentiellement l’innovation de demain … d’abord, demain il sera trop tard : lorsque l’on a vu arriver tant de jeunes ingénieurs et techniciens dans les entreprises, on peut se permettre cette affirmation. Non qu’ils soient idiots, mais il faut leur laisser le temps de se roder avant de devenir de grands innovateurs.

Il nous faudrait aussi de vrais ministres de l’Enseignement, capables de maîtriser le paradoxe de la quantité et de la qualité et, depuis Jules Ferry, je crains qu’il n’y en ait pas eu de capable de trancher ce nœud gordien. Un célèbre philologue ne déclarait-il pas, dans une série de conférences prononcées à Bâle en 1872 :

« Deux courants en apparence opposés, pareillement néfastes dans leurs effets et finalement réunis dans leurs résultats dominent aujourd’hui nos établissements d’enseignement initialement fondés sur de tout autres bases : d’une part la tendance à élargir autant que possible la culture, d’autre part la tendance à la réduire et à l’affaiblir. Selon la première tendance, la culture doit être transportée dans des cercles de plus en plus vastes, selon la seconde on exige de la culture qu’elle abandonne ses plus hautes prétentions à la souveraineté et qu’elle se soumette comme une servante à une autre forme de vie, nommément celle de l’Etat. » (Frédéric Nietzsche, Sur l’avenir de nos établissements d’enseignement, tome 1 de La Pléiade, page 192. Les italiques sont du vieux Fritz.).

Le problème n’est donc pas nouveau et, si je ne suis pas du genre élitiste, j’attends qu’on le résolve. On vit en France un faux élitisme de certaines grandes écoles dont les productions en série obtenues par naissance et hyper bachotage ne font pas merveille dans les cabinets ministériels et les directions des grandes entreprises … il faudrait commencer par innover dans ce domaine pour en obtenir les parangons de l’innovation !

C’est un lieu commun que de remarquer que les enfants de la maternelle sont hyper créatifs … parfois un peu trop … ça se calme dans le primaire et disparaît dans le secondaire … c’est définitivement foutu à l’X … quant aux banquiers, cela devient ga bu zo meuh, et nos « philosophes » cosmo transcendantaux ne produisent plus que d’infâmes bouillies … Il y a donc une difficulté qui dépasse le corps enseignant : sans réinventer Freinet ni Pestalozzi, il y a des questions à se poser.

Je ne sais plus qui a succédé à ce butor de Darcos … Chatel, dites-vous ? Ben, issu du marketing et de la pommade, ça ne va pas innover des masses dans le genre intellectuel, ni au niveau organisationnel … Allez, j’arrête (momentanément si le Diable me prête vie) de dire du mal de mon prochain : « Qui es-tu donc, à la fin ? – Je suis une partie de cette force qui, éternellement, veut le mal et qui, éternellement, accomplit le bien. » (Goethe, Faust – en apophtegme à Le Maître et Marguerite, Mikhaïl Boulgakov – Le Livre de Poche n° 3062 page 45).

 

 

About GhjattaNera

prufessore di scienze economiche e suciale a u liceu san Paulu in Aiacciu

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