pour les terminales ES le nouveau modèle de croissance

 
 

 
 
voici le texte du résumé !
 Nous assistons à l’emboîtement de trois crises successives

1.    La crise est profonde car elle concentre de façon différée les conséquences de trois chocs :

  •  la crise des valeurs technologiques des années 2000 (surinvestissement dans certains secteurs intenses en R & D dont les firmes du Nasdaq furent emblématiques)qui remettait en question les rendements attendus des TIC, la rémunération des facteurs, les incitations et les règles à définir pour garantir un sentier de croissance stable ;
  •  la crise des ressources rares (flambée des cours des matières premières alimentaires et énergétiques) et une dégradation écologique accélérée, qui dès2006 marquaient l’incompatibilité entre la croissance mondiale et le prélèvement sur les ressources ;
  •  la crise actuelle de surendettement massif aux États-Unis, qui a permis dans un premier temps de maintenir la dépense des ménages, freinée par la contrainte de pouvoir d’achat et la montée des inégalités. Cette vague de consommation et d’investissement résidentiel à crédit a d’abord différé l’impact réel des deux premiers chocs sur la croissance, avant de l’aggraver.

La croissance des années 2000 a été alimentée par l’automobile et la construction dans de nombreux pays développés, amplifiée par la dépense publique aux États-Unis, et par le développement d’industries et de services de gamme moyenne dans les pays émergents, plutôt que tirée par des biens et services nouveaux à forte marge des pays anciennement industrialisés.

 

2.    La crise peut paradoxalement freiner le phénomène de destruction créatrice mais elle diffère plus qu’elle n’interrompt la vague d’innovation.

Les crises sont parfois perçues comme des accélérateurs de changement, nécessaires au renouvellement des structures productives à travers un jeu de « destruction créatrice ». Si la R & D exerce traditionnellement un rôle stabilisateur sur l’activité (l’innovation demeure une des premières priorités pour 64 % des entreprises selon l’enquête du Boston Consulting Group), le resserrement du crédit risque, dans le contexte actuel, de faire reculer les dépenses d’innovation, de favoriser les entreprises établies au détriment des nouveaux entrants et d’entraver in fine le redéploiement vers les nouveaux secteurs.

Les crises, contrairement aux idées reçues, figent les modèles de production, les phases ascendantes du cycle étant mieux à même d’animer la régénérescence des structures productives :

  •  tout changement d’organisation d’un modèle de production comporte d’importants coûts fixes pour les entreprises, coûts qu’elles abordent plus difficilement en période de rentabilité dégradée ;
  •  la mortalité des nouveaux entrants, qui disposent de faibles fonds de roulement et dont la rentabilité est souvent différée, est importante en période de récession.

Les gains d’efficacité des TIC ont été notables depuis 30 ans mais certains secteurs porteurs se rapprochent d’une phase de maturité et leur potentiel de croissance est désormais moindre. Néanmoins, l’idée d’un ralentissement durable de la croissance par essoufflement technologique ne paraît pas recevable.

  • Certains domaines issus de l’hybridation des champs scientifiques sont riches de promesses (biotechnologies, nanotechnologies, sciences cognitives, écotechnologies). De nombreuses techniques nouvelles qui n’ont pas encore  rencontré de demande de masse solvable trouveront bientôt des applications en lien avec une demande de consommations innovantes qui ne se tarit pas. D’autant que ces technologies hybrides répondent à des besoins sociaux, en matière de santé et d’environnement notamment.
  • Nous entrerions dans une phase de « synthèse créative » où les technologies s’agencent entre elles (développement des interfaces, hybridation) de manière à mieux correspondre aux besoins des individus, et rencontrent une demande de masse solvable. La consommation de biens et services à forte teneur technologique résiste à la crise. Les gains de productivité des TIC sont à attendre moins de l’automatisation des services que d’une réorganisation de leur chaîne de valeur et d’un développement des interfaces entre l’industrie et les services, autorisant un développement inégalé de ces derniers.

3.    Les nouvelles interfaces industrie-services constituent un gisement potentiel de croissance

Le renouvellement des moteurs de croissance pourrait dès lors résider dans une nouvelle articulation entre les services et les biens répondant à la satisfaction d’un besoin fonctionnel plus vaste que le produit lui-même. La valeur ne réside plus dans la production matérielle mais dans la capacité à répondre à un besoin. Pour exemple, on pourrait imaginer demain qu’un vendeur d’électricité ne se contente plus de vendre des kW/h mais une température optimum dans un habitat ou un local professionnel, ce qui nécessite une chaîne de compétences encore difficiles à réunir pour le moment.

Y a-t-il pour autant un renversement de la dynamique industrie-services ? Le rôle moteur de l’industrie par le jeu de la sous-traitance et de l’externalisation des fonctions tertiaires serait-il remis en cause ? Deux thèses s’affrontent à cet égard :

  • l’économie servicielle traduirait un simple mouvement de différenciation croissante des biens par le service joint. On assisterait à un approfondissement du productivisme réactif plus qu’à sa transformation, avec un rôle accru de la fonction de distribution et une externalisation plus poussée des processus de fabrication standardisés ;
  •   à l’inverse, l’économie des services transformée par l’insistance sur la fonctionnalité gagnerait fortement en autonomie et deviendrait motrice. On assisterait alors au développement du pilotage par l’aval de la production par des entreprises « intégratrices » (combinant stratégie, conception et vente) pour répondre à la « valeur client ».

Qu’il s’agisse de l’économie des bouquets (Philippe Moati), de l’économie de la fonctionnalité (Dominique Bourg), ou de l’économie du quaternaire (Michèle Debonneuil), cette évolution s’inscrit pourtant dans une transformation longue des modes de consommation et de production, accélérée par le développement des TIC. L’ère numérique conduit à rapprocher les entreprises de leurs clients grâce à une connaissance plus fine et plus immédiate de leurs attentes et offre de nouvelles potentialités de diffusion des biens et des services. Elle renforce l’importance de la proximité et de la valeur client, qui s’est trouvée confirmée dans la crise.

Selon un sondage TNS Sofres, la satisfaction du client et la qualité du service et des produits sont les premiers points forts et sources de croissance respectivement cités à 75 % et 65 % par les entreprises interrogées, loin devant le prix des produits et l’efficacité de la fabrication.

Dans le même temps, les mutations sociales où l’acte de consommation devient réalisation de soi et les applications nouvelles du Web 2.0 renforcent le pouvoir du consommateur, sa faculté à critiquer l’offre, à la modifier voire à la co-produire, et ses capacités d’engagement et d’autonomie (modèle wiki mais aussi consommation responsable). Ce pouvoir restauré du « consom’acteur » induit lui-même une réactivité des marques qui utilisent ces nouvelles fonctionnalités du consommateur pour entretenir un lien toujours plus étroit avec lui, et modifie, plus rapidement que par le passé, les biens et les services proposés. La satisfaction des besoins pourrait ainsi devenir le moteur d’une économie servicielle renouvelée.

Bien que difficile à quantifier dans un processus de transformation en cours, l’économie de l’usage et de la fonctionnalité à forte valeur ajoutée existe déjà. Elle est très présente dans le marché interentreprises (imagerie médicale, photocopieurs, informatique) où la vente de biens à forte technologie a cédé la place à celle d’un service autorisant une mise à jour permanente des techniques. L’économie de l’usage s’est également développée dans les télécommunications, avec la tarification des services et non des biens qui y sont associés, ou dans les services financiers avec la bancassurance. Elle prend de l’ampleur dans le commerce où elle redéfinit les marques de l’agroalimentaire ou du bricolage pour répondre à des besoins globaux d’aménagement du logement ou de santé-diététique. Elle atteint aujourd’hui le « coeur » industriel, avec les pneus vendus aux kilomètres parcourus et les véhicules en libre-service. L’économie de l’usage occupe une place encore faible mais peut voir son rôle accru par la prise en compte des contraintes environnementales.

4.    Le déclassement accéléré d’une économie industrielle polluante

et sa réinvention lente

Les secteurs de l’automobile et de la construction sont les épicentres de la crise. Les baisses de production dans ces secteurs sont d’une grande ampleur. La crise y est d’autant plus aiguë qu’elle succède à des années plutôt fastes, soutenues par la croissance des pays émergents et du crédit.

Le secteur de l’automobile est très affecté par le ralentissement de la demande dans les pays riches comme dans les économies émergentes. Il est dès lors confronté à des surcapacités qui seront lentes à résorber. Le secteur doit répondre de surcroît à une urgence écologique du fait de sa forte contribution au changement climatique et aux pollutions urbaines, en particulier pour les véhicules à forte motorisation.

La construction qui subit de plein fouet l’éclatement de la bulle immobilière mondiale est moins confrontée que l’automobile à un réaménagement durable de la demande.

Les besoins liés à l’accroissement des exigences en matière d’urbanisme durable et aux changements sociodémographiques renouvelant les formes d’habitat des personnes âgées, des populations étudiantes ou des familles, structurent une croissance de la demande de long terme.

Ces deux secteurs connaissent dès lors une mutation technologique profonde, avec une hybridation des domaines scientifiques et un approfondissement des filières techniques qui pourraient amener des ruptures technologiques (dans les matériaux pour la construction et dans l’approvisionnement énergétique des voitures). Les progrès de la domotique dans les bâtiments et des systèmes embarqués dans les voitures autorisent des flux d’informations avec les clients-résidents qui offrent de nouvelles fonctionnalités et occasionnent la prestation de nouveaux services.

Ces évolutions nécessiteront cependant une transition de plus longue durée que la sortie de crise : les consommateurs n’y sont disposés qu’à un prix acceptable ; les taux de renouvellement des équipements sont lents (12 ans pour la voiture et plus de 80 ans pour le bâtiment) et les innovations nécessitent le plus souvent des infrastructures (rechargement des batteries pour la voiture électrique, réseau intelligent de distribution d’électricité dans le bâtiment) qui sont longues à mettre en place. De ce point de vue, un soutien des pouvoirs publics apparaît indispensable.

5.    De nouveaux biens et services qui ne sont pas encore à la portée de tous : une crise du pouvoir d’achat plus que de l’hyperconsommation

L’idée selon laquelle les nouveaux arbitrages des consommateurs viseraient à corriger les abus d’une « hyperconsommation » passée et seraient durablement défavorables à la croissance doit être relativisée :

  • l’émergence de nouveaux comportements éco-responsables ou solidaires est très graduelle. La diffusion de ces comportements est elle-même tributaire d’une évolution positive du pouvoir d’achat ;
  • ces nouveaux comportements s’inscrivent dans la tendance longue d’une segmentation des marchés, d’une différenciation/personnalisation des biens et

 des prestations toujours plus poussée, et au final de montée en gamme à travers la proposition de « solutions » individualisées et de biens durables à meilleur rendement énergétique. En ce sens, ils s’inscrivent dans une logique de croissance ;

  • la crise n’a pas entamé l’appétit de consommation même si des arbitrages se font au profit des produits moins superflus. Lors des précédentes sorties de crise, la consommation des ménages est restée un moteur central de la croissance. La crise actuelle pourrait s’inscrire dans la même logique, d’autant que la consommation s’affirme toujours comme vecteur prégnant de construction identitaire, surtout parmi les jeunes générations.

6.    La dernière décennie a fait ressortir de profonds problèmes de solvabilisation de la demande de nouveaux produits qui ont deux sources principales

Le développement de la consommation des nouveaux produits et services est entravé par la difficulté de financer celle des biens premiers (alimentation, logement, transport). Ces biens premiers sont affectés par une hausse des prix relatifs et représentent pour partie des dépenses contraintes dont le poids a sensiblement augmenté depuis 30 ans. L’extension des dépenses contraintes est inégalitaire et se double d’une exposition variable à la contrainte énergétique. La composante contrainte des dépenses des ménages toutes catégories confondues, a connu une progression continue, puisqu’elle passe de 20 % en 1960 à 36 % en 2006 (Insee 2007), avec une nouvelle phase d’accélération depuis 2001. Les disparités sont importantes, la charge budgétaire des dépenses contraintes pouvant aller du simple au double (de 42 % des dépenses totales pour le premier décile de revenu à 24 % pour le décile le plus haut). 

Les clivages sont marqués face au coût du logement et à la diffusion de nouvelles pratiques tarifaires. L’analyse des statuts d’occupation révèle notamment une surexposition au prix des loyers de quatre catégories de ménages : les ménages les moins riches, les moins de 30 ans, les familles monoparentales et les Parisiens. Le lieu de résidence constitue donc un facteur très puissant d’hétérogénéité.

Une partie de la population voit son pouvoir d’achat affecté selon deux modalités principales.

La restauration de la profitabilité des entreprises dans les années 2000 dans les pays développés a été le résultat d’une exacerbation de la concurrence par les coûts et d’une recrudescence des stratégies d’externalisation qui ont particulièrement pesé sur les travailleurs les moins qualifiés. La pression sur le pouvoir d’achat a emprunté des canaux distincts selon les pays :

  • une montée des inégalités et de la proportion des bas salaires dans les pays anglo-saxons (éviction technologique des peu qualifiés, concurrence deséconomies émergentes, érosion des protections sociales pour faciliter la réactivité des entreprises) ;
  • une dégradation relative de la qualité de l’emploi et des conditions de travail des bas salaires en France12 et une limitation des salaires des classes  moyennes entre bas et hauts salaires. Les inégalités instantanées ne se sont pas creusées en France mais :

– les formes contractuelles instables issues de la « dualisation » de l’emploi ont diminué l’espérance de revenu tout au long de la vie de certains salariés peu qualifiés ;

– le pouvoir d’achat du salaire médian progresse peu.

C’est la crainte d’une perte de pouvoir d’achat et d’une limitation de la consommation qui apparaît comme un facteur d’inquiétude sur fond de peur du déclassement. De fait, la crise est anxiogène : selon l’enquête TNS Sofres, 85 % des salariés estiment qu’ils pourraient être touchés à l’avenir, fortement pour la moitié d’entre eux, les différences de perception entre statuts professionnels étant faibles. Cette crainte recouvre des réalités diverses. Un tiers des salariés se sentent menacés dans leur emploi (dont 10 % « beaucoup »), la proportion atteignant 50 % pour les moins de 25 ans. Mais c’est avant tout par son impact sur le pouvoir d’achat que la crise touche les salariés (et leurs proches). La crise « oblige à changer les comportements de consommation » pour 64 % de la population.

7.    Le modèle d’ajustement dual de l’emploi et d’incitation au travail en question

L’ajustement de l’emploi qu’a connu l’économie française depuis début 2008 a été d’une ampleur sans précédent et a surpris par sa rapidité. Les mécanismes à l’œuvre aujourd’hui valident et amplifient l’idée d’une « dualisation » du marché du travail, combinant un ajustement particulièrement prononcé de l’emploi pour les salariés de la périphérie (contrats précaires ou sous-traitance) et une stabilité remarquable pour les salariés du « noyau dur ».

  • Si dans la récession de 1993, l’intérim n’avait contribué que très marginalement aux destructions totales d’emplois, il représente 60 % des destructions d’emplois entre le premier trimestre 2008 et le premier trimestre 2009.
  • En moyenne, au deuxième trimestre 2009, 319 000 personnes étaient dans une situation de chômage partiel ou technique, soit un niveau supérieur au maximum observé durant la récession de 1993. La hausse concerne principalement le secteur de l’industrie et, dans une moindre mesure, celui de la construction.

En revanche, la précarité des salariés appartenant au cœur d’activité des entreprises ne semble pas globalement accentuée dans cette crise. Les comportements de rétention des compétences sur les travailleurs les plus qualifiés sont même particulièrement affirmés.

 

 

Ce modèle d’ajustement dual est-il durable ?

La contestation sociale a pour toile de fond une montée en puissance de la valeur travail ressentie comme source d’épanouissement personnel et de construction de csens. La crise a exacerbé un rapport paradoxal au travail. Selon TNS Sofres13, le travail reste essentiel pour trouver sa place dans la société et pour s’épanouir personnellement pour plus de 90 % des Français.

Les motivations les plus fédératrices sont l’ambiance au travail et l’intérêt du travail

(67 %), bien avant les salaires. Rien de bien neuf ici. En revanche, les attentes relatives à l’autonomie (liberté dans l’organisation de son travail, 49 % ; participation à la prise de décision, 38 % ; responsabilités, 38 % également) progressent sensiblement par rapport à l’enquête « valeurs » de 2008. Elles apparaissent à présent au même niveau que les attentes en matière de rémunération.

Pourtant, la relation au travail s’est affaiblie dans les pays occidentaux sous l’effet de la crise et des pratiques managériales qui l’ont accompagnée. Le travail est alors perçu comme plus contraint, source de stress, ayant même perdu du sens.

Ces différents éléments sont en phase avec les analyses sur la mutation du travail14.

Conçu au départ comme une obligation sociale animée par une éthique du devoir, le travail serait devenu un instrument rationnel de développement individuel, source de sécurité et de revenu, puis un vecteur d’accomplissement et d’expression personnels dans une société devenue post-matérialiste. Parmi les Européens, les Français sont ceux qui adhèrent le plus à l’idée que le travail est nécessaire au développement des capacités personnelles. C’est dans ce cadre qu’on peut articuler quelques paradoxes :

  • le travail, bien qu’essentiel, doit prendre moins de place dans la vie. Pourcertains cela tient en partie aux mauvaises relations sociales en France

(Philippon, 200715) ou aux conditions de travail ;

  • de façon plus positive, on peut expliquer ce paradoxe par l’articulation du travail avec d’autres éléments indispensables tels que la vie de famille ou les loisirs devenus modes d’expression et de réalisation de soi, à l’instar des consommations créatives, telles que le modèle wiki. Il y aurait donc de nouveaux équilibres à trouver entre ces différentes formes d’accomplissement ;
  • le travail peut être à la fois plébiscité et vécu comme perdant du sens, compte tenu des pratiques managériales exacerbées pendant la crise, en raison d’une attente élevée de construction identitaire et non simplement utilitariste. Le modèle d’ajustement dual de l’emploi à des effets pervers sur la productivité, dans la lignée de la transformation de la place du travail. Les modes de rémunération et de motivation dans le travail pourraient donc devoir évoluer pour faire face aux effets négatifs sur la productivité.
  • L’introduction massive des rémunérations variables liées à la performance s’est révélée un mécanisme de flexibilité pour les entreprises.
  • Mais les effets pervers de ces indicateurs de performance sont parfois nombreux et les travaux en économie des ressources humaines16 précisent les cas, les secteurs ou les entreprises, dans lesquels les gains escomptés des indicateurs (une plus grande motivation des salariés) sont annulés par leurs inconvénients.
  • Des études récentes remettent en cause l’efficacité de la motivation des individus par leur niveau de salaire et manifestent une transformation de la valeur travail.

Les comportements de rétention des compétences observés durant la crise peuvent aussi être l’expression d’une certaine inertie d’adaptation des secteurs matures.

L’ajustement dual de l’emploi, qui favorise l’adaptation à court terme de l’offre aux fluctuations cycliques de la demande, n’est pas forcément le système le mieux adapté pour favoriser un redéploiement plus profond de l’offre. Les rétentions sont stabilisantes à court terme mais pourraient aussi se solder par une inertie des structures productives et par une faible malléabilité des secteurs. Il faut prendre garde à ce que les pays à ajustement lent ne soient pas en définitive ceux qui prennent du retard dans le repositionnement stratégique des secteurs.

8.    Repenser l’ancrage territorial des activités et des hommes

On a assisté avec la crise à plusieurs phénomènes :

  • une renationalisation des enjeux d’emploi qui a conduit certains grands groupes mondiaux à ajuster de préférence dans un premier temps l’emploi sur leur périmètre offshore ;
  • la dépréciation des capitalisations qui est de nature à relancer dans un second temps le processus de restructuration/concentration via des OPA ;
  • la réanimation du débat sur les délocalisations. Sont pointés tour à tour le risque d’une accélération du mouvement de délocalisation ou au contraire l’opportunité d’une relocalisation des activités (induite par la hausse tendancielle de la composante énergétique des coûts de transports, la nonsoutenabilité des déséquilibres de paiement liés à la mobilité des capitaux et la tendance à la servicisation de l’industrie).

Ces phénomènes ne remettent pas en cause le mouvement général de réorganisation de la chaîne de valeur qui incite à une externalisation des segments à faible ou moyenne valeur ajoutée.

Un mouvement correcteur naturel parfois annoncé de relocalisation est peu probable.

Les échecs répétés en matière de délocalisation ne créent pas une contre-tendance.

Ils sont inhérents à la délocalisation, comme les faillites le sont aux créations d’entreprises. La hausse des coûts du transport, évoquée souvent comme facteur de relocalisation, devrait, selon le CEPII, être extrêmement forte pour induire un impact négatif significatif sur les échanges.

 

À moyen terme, les différentiels de coûts et de demande qui prévalent dans les arbitrages en matière de localisation resteront prégnants :

  • le différentiel de croissance potentielle entre pays émergents et pays développés de l’OCDE semble sensiblement se creuser après crise. Les BRIC renouent rapidement avec une croissance forte, et les sous-jacents sociaux de la demande intérieure pourraient sortir renforcés de la crise ;

la récession peut conduire transitoirement à un moindre recours à la soustraitance pour mieux mobiliser les capacités existantes. Au-delà, le mouvement de délocalisation devrait demeurer sur sa tendance. Selon TNS Sofres, si parmi la minorité d’entreprises ayant déjà délocalisé, 22% déclarent que la crise les conduit à amplifier les délocalisations, la quasi-totalité des dirigeants qui n’ont pas délocalisé

  • Toutefois, même si la servicisation de l’industrie n’implique pas des relocalisations mécaniques, les nouvelles organisations industrielles peuvent être conciliées avec des objectifs d’emploi, si elles s’associent à des évolutions importantes des mobilités et des qualifications, sectorielles et en niveaux, et ce hors même prise en compte de l’impact des départs à la retraite.

La recherche d’une répartition optimale des activités du point de vue des coûts de transaction et de la stabilité de l’emploi confère dans ces conditions un rôle clé aux politiques procompétitives (R & D, financement des PME, infrastructures…) et aux stratégies territoriales, notamment de formation. L’implication des services dans les filières de production s’accroît considérablement, ce qui impose de repenser les notions de compétitivité, d’attractivité ou de vulnérabilité des territoires. Dans ce maillage équilibré et stable du territoire en entités intermédiaires, ni trop disséminées ni trop concentrées, les services cognitifs (recherche fondamentale, enseignement supérieur, conseil en entreprise, publicité, marketing…) et organisationnels joueront un rôle décisif.

 

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12 Caroli E. et Gautié J. (dir.), Bas salaires et qualité de l’emploi : l’exception française ?, Collection

du CEPREMAP, Paris, Éditions Rue d’Ulm, 509 p.

13 Sondage réalisé par TNS Sofres pour le Centre d’analyse stratégique, septembre 2009.

14 Davoine L. et Méda D. (2009), « Quelle place le travail occupe t-il dans la vie des Français par rapport aux Européens ? », Informations sociales 2009/3, n° 153, p. 48-55

15 Philippon T. (2007), Le Capitalisme d’héritiers. La crise française du travail, Paris, Le Seuil.

16 « Personnel economics ».

 

 

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Sur le site du Centre d’analyse stratégique le rapport sur le nouveau modèle de croissance du groupe de travail présidé par Daniel Cohen.
 

Outre le texte intégral du rapport, on trouve un résumé très clair et un tableau résumant les idées essentielles

 

About GhjattaNera

prufessore di scienze economiche e suciale a u liceu san Paulu in Aiacciu

Category(s): actualité, COURS TES, croissance et crises

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