Analyses sur le marché du travail. Terminales. A lire.

Agir sur le marché de l’emploi
Les organisations privées comme publiques évoluent dans des écosystèmes qui ont un impact majeur sur les contraintes internes et donc sur les conditions de travail. C’est là que résident les autres marges de manœuvre. L’amélioration du travail dépend d’un système social plus vaste où sont imbriqués le droit du travail, la protection sociale et les politiques de l’emploi, l’âge de la retraite, les assurances maladie, le taux d’activité des femmes, des jeunes, des seniors, le travail au noir, etc. De ce constat découle une évidence?: il n’est pas possible de réformer le travail sans réformer aussi les cadres juridiques, économiques et sociaux dans lesquels les relations sociales sont encastrées.

Et une fois de plus, les propositions ne manquent pas. Ici aussi, elles émanent d’horizon divers. En gros, trois positions se retrouvent?: celles des libéraux, des socio-démocrates et des alternatifs.

La vision libérale du marché du travail postule que le marché fait tout au mieux et qu’il faut avant tout le rendre plus libre et flexible. Si le libéralisme n’a plus vraiment le vent en poupe ces derniers temps, force est de constater qu’il a des arguments. C’est dans les pays les plus libéraux que le taux de chômage est le plus bas. On aura beau jeu de rétorquer que c’est aussi dans ces pays que les conditions de travail sont les moins favorables.

Une autre vision plus réformiste tente de concilier la performance et le maintien de la protection sociale. Les économistes Philippe Aghion et Élie Cohen, associés au juriste Gilbert Cette, ne proposent rien moins que de «?changer de modèle?» (Smilie: 8). Ce nouveau modèle repose sur l’impulsion d’une nouvelle phase de croissance fondée sur l’innovation, la réforme en profondeur de l’État, de la formation initiale et professionnelle. Le modèle de référence est celui des pays du Nord de l’Europe qui, à l’image de la Suède, de l’Allemagne, du Danemark, ont réussi à combiner croissance et faible taux de chômage tout en assurant la protection sociale et la mobilité professionnelle.

Une autre option, enfin, est défendue par ceux qui pensent que le retour à la croissance est un mythe. C’est le cas de Dominique Méda, pour qui le retour à une croissance forte et durable n’est ni possible ni souhaitable. La «?mystique de la croissance?» lui apparaît comme dévastatrice?: elle conduit à poursuivre cette folie du «?toujours plus?» qui atteint ses limites et finit par épuiser les ressources naturelles comme les ressources humaines. La richesse et le travail ne sont pas tout dans la vie. Il faut donc réorganiser la société et les vies personnelles?: partager les richesses et partager le travail. C’est dans cette optique que se situent les tenants du slow management.

Entre ces trois visions – libérale, réformiste et alternative –, toute une gamme de solutions intermédiaires peut être imaginée. Denis Clerc pense qu’il est possible de faire baisser le chômage sans coût supplémentaire pour les entreprises et la collectivité. Bernard Gazier plaide pour des marchés transitionnels entre activité, emploi et formation, qui permettraient de mieux gérer les passages entre deux emplois, ce qui correspond autant aux exigences du marché du travail qu’aux aspirations personnelles.

• Les modèles à l’épreuve

Il est des pays où la réforme du marché du travail se pose dans des conditions toutes différentes. C’est le cas pour ces pays «?modèles?» où règne le quasi-plein emploi, comme l’Allemagne ou l’Autriche (dont le taux de chômage pour 2014 se situe autour de 5?%). D’autres font des envieux avec des taux inférieurs à 8?% (Grande-Bretagne, Danemark, Hollande, République tchèque). Mais comment font-ils??

Ces «?modèles?» nous invitent à aller voir de plus près. Ainsi, pour ce qui est du modèle allemand, dont on vante le système de la cogestion, celui de l’apprentissage et des Länder décentralisés, c’est surtout la réforme du marché de l’emploi (les lois Hartz des années 2000) qui aurait permis de faire baisser le chômage durablement, avec pour revers de médaille, la réduction des pensions de retraite et le report de l’âge du départ à la retraite à 67 ans, le déremboursement des prestations médicales et la hausse des cotisations sociales, ainsi que la baisse des indemnités de chômage (de 32 à 12 mois) et la multiplication des «?minijobs?». C’est aussi à ce prix que le chômage a pu se maintenir à un niveau assez bas.

Il en va ainsi de tous les modèles, qu’il s’agisse des modèles d’organisation, de management ou de société?: ils possèdent tous la vertu de montrer que l’horizon n’est jamais bouché et qu’il existe toujours plusieurs voies possibles. Mais les modèles ont souvent aussi des revers plus ou moins dissimulés par ceux qui les promeuvent. Rien n’est plus facile que de construire un monde idéal à l’aide de quelques arguments, de quelques chiffres significatifs et d’exemples vertueux.

Les modèles aident à penser et à agir. Mais il faut aussi les comparer, les exploiter, les confronter à la réalité et enquêter à leur propos. Entre les belles utopies désincarnées et le fatalisme du TINA – «?there is no alternative?» –, il existe sans doute des marges de manœuvre. Améliorer le travail, est l’un des grands enjeux humains et organisationnels de ce début de XXIe siècle. Il en va de la santé et du bien-être de tous. Les pistes, on l’a vu, ne manquent pas. À nous maintenant de les explorer, de les tester et peut-être d’en inventer d’autres.

 

———————————-…………..-.-..-…-….-….-…..-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-
10 propositions pour le bien-être
En février 2010, était publié un rapport commandé par le gouvernement français sur le bien-être au travail (9). Parmi les 10 propositions visant à améliorer la santé psychologique au travail, figuraient les points suivants?:

• Impliquer la direction dans la santé psychologique des salariés

• Intégrer le facteur humain dans l’évaluation de la performance

• Donner aux salariés les moyens de se réaliser dans le travail (en restaurant des espaces de discussion et d’autonomie dans le travail)

• Impliquer les partenaires sociaux dans la construction des conditions de santé

• Former les managers sur la façon de diriger les équipes et les hommes

• Prendre en compte l’impact humain dans les changements

• Ne pas laisser le salarié seul face à ses problèmes (nécessité d’un accompagnement)

Jean-François Dortier

 

 

 

-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.–..-.-.-.-.-.-.-.-.-..-.-.-.-.-.-.–..-.-.-.-.-.-..-.-.-.-.-.-

Manager par le don : Marcel Mauss, nouveau gourou du management ?
L’un des derniers avatars de l’humanisation des relations de travail est le management par le «?don?». Marcel Mauss, nouveau gourou du management?? On pourrait le penser si l’on s’en tenait à quelques publications récentes qui font de la théorie du «?don/contre-don?» un nouveau paradigme des relations de travail (10). L’idée est au fond assez simple. Le contrat de travail entre un salarié et l’entreprise semble se résumer à un échange marchand – travail contre salaire. Or, sauf dans les cas extrêmes du salaire à la pièce, un autre contrat se noue lors du recrutement, qui est implicite?: le salarié «?s’engage?» dans un travail sans trop compter son investissement. Il est prêt à se «?donner?» bien au-delà de ce que son contrat stipule explicitement. En retour, l’employeur est prêt à «?offrir?» de bonnes conditions de travail, au-delà de ce à quoi le droit l’oblige. Derrière l’apparent donnant-donnant se cache un «?don/contre-don?». Du moins, quand la relation de confiance s’est instaurée. Le contrat de travail n’est pas un échange purement utilitaire et calculé, il contient une «?poignée de main invisible?» selon l’expression de l’économiste Arthur Okun, qui veut que chacun soit prêt à aller au-delà de ce qui est signé pourvu qu’en retour, l’autre consente au même engagement (11).
Le bon manager doit prendre pour acquis ce don invisible s’il veut nouer des relations et pas simplement gérer des carrières et des contrats ou mesurer des performances. Les tenants de cette nouvelle approche aiment présenter cela comme une «?révolution?». Le don/contre-don est pourtant vieux comme le monde?: il se retrouve chez les populations des îles Trobriand étudiées par Bronislaw Malinowski comme dans l’entreprise du XXIe siècle. On l’a un peu oublié, c’est tout.
Jean-François Dortier

 

 

 

 

—————————————————————————————————-
Mots clés.
conditions de travail -management- santé -changement -emploi -stress- marché du travail- travail- humanisme -sociologie du travail -psychologie du travail- risques psychosociaux- bien-être.
————

About GhjattaNera

prufessore di scienze economiche e suciale a u liceu san Paulu in Aiacciu

Category(s): COURS TES, travail emploi

Laisser un commentaire