Bonnes fêtes de Toussaint

Louis Aragon, « Toute une nuit », Le roman inachevé, 1956.

[Dans ce poème, Louis Aragon se remémore la terrible nuit de 1938 qu’il passa à veiller sa compagne et son inspiratrice, Elsa Triolet, gravement malade.]

Toute une nuit j’ai cru tant son front était blême1
Tant le linge semblait son visage et ses bras
Toute une nuit j’ai cru que je mourais moi-même
Et que j’étais la main qui remontait le drap
Celui qui n’a jamais ainsi senti s’éteindre
Ce qu’il aime peut-il comprendre ce que c’est
Et le gémissement qui ne cessait de plaindre2
Comme un souffle d’hiver à travers moi passait
Toute une nuit j’ai cru que mon âme était morte
Toute une longue nuit immobile et glacé
Quelque chose dans moi grinçait comme une porte
Quelque chose dans moi comme un oiseau blessé
Toute une nuit sans fin sur ma chaise immobile
J’écoutais l’ombre et le silence grandissant
Un pas claquait parfois le pavé de la ville
Puis rien qu’à mon oreille une artère et le sang
Il a passé sur moi des heures et des heures
Je ne remuais plus tant j’avais peur de toi
Je me disais je meurs c’est moi c’est moi qui meurs
Tout à coup les pigeons ont chanté sous le toit.

————-
Notes :
1 – Blême : d’une blancheur maladive.
2 – Plaindre : se plaindre.

 Refs.

 


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