L'art est-il célébration de la réalité ou protestation contre elle ?

9 février 2009 0 Par caroline-sarroul

En général, un sujet comportant un « ou » peut être traité en disant en :

I. première partie de l’alternative : ici célébration de la réalité , célébration signifie « le fait de fêter » ; la réalité, c’est soit le réel ( c’est ce qui existe de fait qui s’oppose à l’imaginaire, intelligible, donc ce qui peut être l’objet d’une expérience sensible), soit c’est la représentation que nous avons des choses et du monde, de ce réel ( plus une simple vision,mais une perception) et enfin la réalité c’est ce qui s’oppose aux apparences, et relève de l’essence, purement accessible à l’esprit.

En différents sens, on peut dire que l’art célèbre la réalité :

-car une œuvre d’art est une chose matérielle, qui met en avant l’expérience sensible, en rendant hommage à la richesse des matériaux, de la matière.

-L’art s’est très souvent inspiré de la nature, il a voulu l’imiter, l’immortaliser sa beauté. C’est donc que le réel est digne de cet intérêt pour le réel.

Pour préciser cela, vous pouvez regarder cette séquence avec Jean Baudrillard un philosophe-photographe qui explique ce qu’est pour lui « faire une photo »: pour lui, « c’est l’objet qui se sert de l’objectif », qu’il y a « une écriture automatique du monde » grâce à l’objectif »

[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=kiHpGAjA33E[/youtube]

-« l’art ne rend pas le visible, mais rend visible l’invisible » selon P.Klee. donc l’art veut révéler, donner à voir la réalité au sens 3 ou au sens 1 : le but de l’art serait de nous faire revenir au monde avant la connaissance, à l’œil innocent qu’on a perdu en intellectualisant tout. En somme, ce serait revenir aux choses mêmes, à ce rapport charnel avec les choses, à leur simple présence en dehors de tout intérêt, de tout langage. L’art nous met face aux choses avec de simples apparences, des choses qu’on ne regarde pas quand elles sont bien réelles. L’art en un sens redonne aux choses leur présence, leur intérêt pour elle-même.

II. mais c’est plutôt la deuxième partie de l’alternative :

Tout en célébrant la réalité, l’art est protestation contre elle dans le sens où :

– l’art proteste déjà contre une certaine représentation de la réalité : une vision utilitaire qui nous empêche de voir la réalité telle qu’elle est

– l’art a souvent dénoncé la brutalité, la violence de la réalité humaine. C’est en particulier le cas de l’art engagé

– il proteste aussi en un sens contre notre finitude en créant des choses qui demeurent et nous survivent. Il est aussi une négation d’un monde donné pour un monde à notre image, créer des œuvres d’art, c’est aménager un espace humain.

– l’art est une sorte de revanche sur la réalité qui consomme et consume : une œuvre d’art ne répond à aucune utilité, n’est pas usée par un usage. Elle est faite pour l’éternité et conférer l’éternité à ce qu’elle représente L’œuvre d’art est aussi en marge de ce qu’on peut appeler le réel, c’est-à-dire de nos préoccupations quotidiennes, auxquelles on nous rappelle lorsqu’on nous demande d’être réaliste. Ces préoccupations sont utilitaires, alors que l’œuvre d’art est elle hors du processus vital, n’étant pas réponse à un besoin primaire et hors du processus économique étant sans valeur marchande dans l’absolu. En ce sens, lui consacrer du temps pour la créer et la contempler, ce serait sortir des priorités imposées par le réel en un sens.

Cette contemplation présuppose une mise entre parenthèses du réel : dématérialisation de l’œuvre, transport du spectateur, saisie de quelque chose d’immatériel. Tout ceci à des accents d’évasion du réel, comme nous le disions plus haut

L’œuvre d’art se substitue même au réel quand elle ne se tient pas à sa place de simple copie, image et devient simulacre prenant la place du réel.

– L’œuvre d’art est aussi en marge de ce qu’on peut appeler le réel, c’est-à-dire de nos préoccupations quotidiennes, auxquelles on nous rappelle lorsqu’on nous demande d’être réaliste. Ces préoccupations sont utilitaires, alors que l’œuvre d’art est elle hors du processus vital, n’étant pas réponse à un besoin primaire et hors du processus économique étant sans valeur marchande dans l’absolu. En ce sens, lui consacrer du temps pour la créer et la contempler, ce serait sortir des priorités imposées par le réel en un sens.

Cette contemplation présuppose une mise entre parenthèses du réel : dématérialisation de l’œuvre, transport du spectateur, saisie de quelque chose d’immatériel. Tout ceci à des accents d’évasion du réel, comme nous le disions plus haut

III. Mais finalement ce n’est peut-être au fond ni l’un ni l’autre, mais autre chose : l’art est plutôt une interrogation sur le statut même de la réalité.

En effet, s’il est vrai que l’art bouscule la vision commune, propose d’autres déchiffrements, s’il est vrai qu’il permet de voir les choses ( selon Oscar Wilde dans Intentions « les choses sont parce que nous les voyons et ce que nous voyons, et comment nous le voyons dépend des arts qui nous ont influencés…. On ne voit quelque chose qui si l’on en voit la beauté »), si pour certains l’art révèle le réel, on peut aussi penser que l’art propose simplement une autre vision du monde sans posséder pour autant La Vision du réel.

L’art est plutôt un appel à reconnaître que le réel n’est pas nécessairement ce que nous appelons réalité. La réalité n’est que re-présentation du réel. C’est toute la différence entre voir et percevoir. Il y a nécessairement une part d’interprétation, une certaine lecture de ce qui est vu, ressenti et on ne voit même et ne ressent qu’à travers cette représentation. L’art nous propose de percevoir les choses différemment en dehors de nos cadres habituels. Donc on voit les choses sans l’art mais on les voit dans un certain rapport à elles, dans une certaine représentation. Cette représentation donne un sens aux choses mais ce sens est réducteur (visions utilitaires, scientifiques,…) et ne permet pas de saisir peut-être les choses en elles-mêmes ou de les voir autrement. Un existentialiste, M.Dufrenne disait que « le monde sans l’homme n’est pas encore le monde » et il précisait que « non que le monde attende l’homme pour être réel , mais il l’attend pour percevoir son sens de monde. » En effet, le propre de l’homme est d’être un être conscient et pensant. En ce sens, il porte des jugements de fait mais aussi de valeurs sur les choses. Il leur donne du sens en les pensant, en en prenant conscience, en se projetant, en agissant. « La réalité humaine est dévoilante » disait Sartre (texte 3 p179). Certes pour l’animal, les choses ont un sens, mais ce sens n’est pas l’effet de sa conscience, d’une libre interprétation. C’est l’instinct que fait voir à la brebis dans le loup un danger, à peine le voit-elle qu’elle fuit ! L’homme peut lui aussi y voir un danger à fuir mais il peut aussi y voir une viande à dévorer, l’incarnation d’une force de la nature, le symbole du Mal ou tout autre chose et lui seul est capable de replacer le loup dans une totalité, dans le monde. Donc on voit par là qu’il n’y a sens et sens du monde que parce qu’il y a perception, représentation humaine, mais aussi qu’il n’y a pas un sens mais des sens. Platon dans l’allégorie de la caverne souligne que nous sommes souvent aveuglés par les apparences, prisonniers d’illusions dites par nous réalité