Le langage est-il ce qui nous rapproche ou ce qui nous sépare ?
Le langage, c’est d’abord la faculté générale de parler. Rousseau montre dans son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes qu’il y un lien étroit entre la parole, la vie en société et la pensée, qui l’oblige à penser qu’elles sont apparues simultanément. Cette faculté permet d’entrer en contact avec les autres et contribue à renforcer le lien social, et donc semble contribuer au rapprochement des hommes (et à l’appropriation de la réalité qui désignée peut être identifiée, pensée, habitée). Mais, un langage, c’est aussi un système socialement institué de signes, créant une communauté linguistique, séparées des autres et un signe étant constitué d’un signifiant et d’un signifié, il renvoie à une représentation dans le cadre d’une interprétation qui peut être source de malentendus et même de conflits. Aussi peut-on se demander si le langage est ce qui nous rapproche ou ce qui nous sépare. C’est donc du problème des conséquences du langage sur les rapports humains dont nous allons traiter. Le sujet présuppose que le langage est la seule cause de séparation ou de rapprochement, que nous pouvons être rapprochés. Le langage n’a-t-il pas pour but de nous rapprocher ? ne peut-il pas échoué dans sa mission ? Le langage peut-il vraiment abolir la distance dont il n’est que la conséquence ?
I. Communiquer, parler, c’est échanger et donc se rapprocher
1. Parler a pour condition une proximité dans l’espace (on se déplace vers l’autre pour lui parler, il s’approche pour entendre, il tend l’oreille) ou une abolition des distances par un quelconque moyen. On peut parler même uniquement dans ce but de rester en contact, c’est la fonction phatique de la parole selon Jakobson.
2. La parole étant libre chez l’homme à la différence de l’animal, (Descartes) la prendre, c’est vouloir sortir de sa solitude, de son intimité, c’est aller vers l’autre, entrer en relation avec lui pour transmettre quelque chose. De plus,, il y a dans la parole humaine, une dimension dialogique, qui permet d’établir un véritable échange. C’est une volonté de communication des consciences. Ce sont les passions qui délient les langues selon Rousseau, pas les besoins qui finissent par nous diviser.
3. Parler à l’autre, c’est se rapprocher de lui, en ne le réduisant pas à son altérité mais au contraire en le voyant comme un semblable : comme un homme (on ne parle pas aux choses ni aux animaux) ; comme une conscience, (car si seul l’homme parle, c’est parce qu’il est le seul être pensant, comme le souligne Descartes) ET même comme un égal, malgré ses différences, en parlant à un autre, on s’adresse à sa raison qui, elle, est commune. C’est en particulier ce que Platon avait montré dans ses dialogues. Le dialogue a pour condition que chacun voit dans l’esprit de l’autre « la pierre de touche » de la vérité présente dans le sien. Autrement dit, l’étalon de la vérité est la rencontre des esprits sur un point commun. C’est pourquoi on ne supporte pas quand l’autre ne nous parle pas, on a l’impression qu’il nous réduit à un objet, nous regarde de façon inhumaine comme un « insecte » dira Merleau-Ponty. C’est pourquoi aussi la parole est présentée comme l’antidote de la violence qui elle part d’une inégalité, d’un sentiment de supériorité qui autorise à détruire l’autre comme tout autre. Donc parler à l’autre présuppose qu’on le considère déjà comme peu différent, comme semblable, comme un prochain, avec qui on a envie de partager informations, impressions.
4. Parler c’est être dans un espace commun, celui de notre langage, de notre langue et de la représentation du monde qu’elle est (Martinet). D’ailleurs, la langue parlée est un des éléments de l’identité d’un peuple, d’une nation.
5. Non seulement la parole nous rapproche des autres mais elle nous rapproche aussi de nous-mêmes (rôle cathartique de la parole en psychanalyse, dans l’introspection où on s’efforce de mettre des mots sur nos états d’âme. Verbaliser, c’est clarifier et se mettre au clair, Hegel!) et du monde (« il faut admettre une relation essentielle et nécessaire entre la fonction fondamentale du langage et celle de la représentation des objets… Le langage n’entre pas dans un monde de perceptions achevées pour adjoindre seulement à des objets individuels donnés et clairement délimités les uns par rapport aux autres des « noms » qui seraient des signes purement extérieurs et arbitraires, mais il est lui-même un médiateur dans la formation des objets » Ernst Cassirer)
Mais se définir, c’est à la fois, dire ce que l’on est et ce que l’on n’est pas. Et l’épisode de la tour de Babel montre bien que parler une langue nous isole dans notre communauté quand il y a diversité des langues et Bergson n’a-t-il pas souligné les limites de notre parole et par là de nos échanges ?
II. Communiquer peut aussi diviser :
Cela peut s’expliquer :
1. par la barrière des langues
2. même au sein d’une même langue,
– par celle des différents niveaux de langue d’où des échanges pauvres et superficiels
– par ce qui est dit : rien, ou presque rien, simple échange d’informations, verbalisme, …
– par les échecs de l’échange verbal : malentendus qui viennent des équivocités lexicales, syntaxique, mais aussi des polysémies et du fait que les mots portent un sens commun, mais comme une langue est faite aussi de différences (F. De Saussure), si on ne les maîtrise pas, le sens peut être mal interprété. Comprendre une phrase, ce n’est pas seulement identifié chaque unité de sens, c’est les saisir dans une totalité, ce qui présuppose une part d’interprétation et d’erreur
– par les usages que peuvent être faits des mots : dominer, insulter, ..
– par ce qui est échangé : parler, c’est énoncer sa pensée et par là montrer ce que l’on est, différent des autres
– par ce qui nous échappe : lapsus et autres trahisons
3. si la parole semble adaptée pour une communication utilitaire, du général ; elle ne l’est pas pour exprimer l’intime et le personnel, elle renvoie chacun à sa solitude, à sa particularité
4. en ce qui concerne le rapport au réel et à soi, le langage nous condamne à rester dans une « zone mitoyenne » selon Bergson
III. Le sujet présuppose que le langage est cause de notre rapprochement et de notre séparation et que le rapprochement est possible OR
– le langage ne fait que souligner nos différences culturelles, sociales ou individuelles et même les accentue ( c’est par l’emploi du « je » que l’enfant se constitue comme sujet distinct des autres, en indiquant les choses par le doigt puis pat les mots, on les met définitivement à distance. Penser le monde, c’est se poser comme sujet face à un objet, c’est confirmer la distance pour ensuite tenter de l’abolir en vain, il y a une différence entre voir le monde avec l’intellect et le voir ou vivre tout court. C’est ce que nous avons vu dans le cours sur l’art, où l’artiste revient aux choses même, à un rapport innocent et charnel avec le monde.
– et il ne peut abolir ce qui nous sépare : je suis moi et tu es toi. Certes nous communiquons par les mots et ceux-ci ayant des significations communes, nous avons le sentiment de nous rencontrer, de nous comprendre. Mais les expériences auxquelles correspondent ces mots, quelles sont-elles? Peut-on vraiment se mettre à la place de l’autre, mettons-nous la même chose derrière les mêmes mots ? « L’homme est l’être qui ne peut pas sortir de soi, qui ne connaît les autres qu’en soi, et en disant le contraire ment » disait Proust dans La Fugitive. On peut ici penser à l’impossible fusion dans le désir, avec le mythe de l’Androgyne de Platon ou à ses mots de Flaubert « Nous sommes tous dans un désert. Personne ne comprend personne. » repris par Maupassant dans une nouvelle sur un homme qui a pris conscience de cette solitude radicale et dont il se demande s’il est sage ou fou : « Aux heures mêmes où il semblait que, dans un accord mystérieux des êtres, dans un complet emmêlement des désirs et de toutes les aspirations, on était descendu jusqu’au profond de son âme, un mot, un seul mot, parfois, nous révélait notre erreur, nous montrait, comme un éclair dans la nuit, le trou noir entre nous. Et pourtant, ce qu’il y a encore de meilleur au monde, c’est de passer un soir auprès d’une femme qu’on aime, sans parler, heureux presque complètement par la seule sensation de sa présence. Ne demandons pas plus, car jamais deux êtres ne se mêlent. »
Merci beaucoup,cela m’a éclaircie sur le sujet.
De rien, merci à vous de consulter ce blog!
Est-ce que ca irait avec le sujet de dissert:Les mots nous rapprochent-ils des choses? ou je suis hors sujet?
Bonjour, je pense que vous seriez hors sujet en vous inspirant des éléments de réponse à ce sujet, qui traite du rapport entre les hommes et non de notre rapport aux choses. Allez voir plutôt le cours sur le langage ( en cliquant dans la page d’acceuil sur langage), la partie sur les mots et la pensée. Votre sujet part de l’idée que nommer les choses, c’est en un sens se les approprier, se les rendre familières d’où l’idée d’un rapprochement, comme si les mots correspondaient aux articulations de la réalité ( thèse de Cratyle dans le Cratyle de Platon). Mais cette idée est discutable: les mots sont des conventions et comme on perçoit les choses à travers les mots, ils peuvent faire écran ( thèse de Bergson) et nous éloigner des choses parce qu’au lieu de les vivre, on les pense à travers les mots. Mais d’un autre côté, sans les mots, nous sommes face à des choses qu’on ne peut pas penser et les artistes ( les poètes) savent aussi user des mots qui nous permet de mieux saisir les choses. Bon courage.
je ne comprend absolument rien=( et je suis en terminale l=(
Vous n’avez que quelques semaines de philosophie derrière vous, alors pas de quoi s’affoler. Relisez calmement, revoyez votre cours sur le langage et vous verrez cela va s’éclairer … et puis savoir qu’on ne sait pas, c’est déjà le début de la sagesse, vous aurait dit Socrate qui revendiquait de ne savoir qu’une seule chose, à savoir qu’il ne savait rien. Bon courage.