Etre libre est-ce pouvoir dire non ?

12 mai 2010 0 Par Caroline Sarroul

Etre libre est-ce pouvoir dire non ?

 

Une des images que l’on peut avoir de la liberté est le rebelle. Le rebelle, c’est celui qui refuse ce qui est, qui dit non. Il n’accepte pas qu’on lui impose ce qu’il doit faire ou penser. A l’inverse dire oui à tout, ce serait en quelque sorte tout accepter, se soumettre. Pourtant, les stoïciens dans l’Antiquité voyaient dans ce refus de ce qui ne dépend pas de nous, une source de souffrance et une soumission aux désirs. Ils invitaient à changer nos désirs plutôt que l’ordre du monde et voyaient dans l’acceptation de cet ordre des choses, un signe de sagesse et de liberté. Aussi on peut se demander si être libre c’est dire non. C’est donc du problème de la définition de la liberté dont nous allons traiter. Se poser cette question, c’est présupposer que la liberté peut être. Pourquoi le pouvoir de dire Non paraît être liberté ? Quelles sont les limites de cette position ? Et être libre n’est-ce pas plutôt apprendre à dire Oui ?

 

I. L’homme se distingue de l’animal par sa capacité à refuser ce qui est. Alors que l’animal est soumis à la nature en lui (besoins, instincts…) et hors de lui ( lois), l’homme, lui, se caractérise par le refus de la nature. Il nie ce qu’il est en tant qu’animal et nie le donné naturel. Il s’éduque et transforme la nature. Il dit non au mouvement naturel en lui : il est capable de résister aux besoins (exemple de la grève de la faim du texte de P.Ricoeur), de maitriser ses élans ou penchants naturels (il ne cède pas à ses pulsions sexuelles, agressives ou autres). Il se tient, se maîtrise et capable de faire passer des valeurs culturelles et humaines avant des besoins animaux. Il transforme le monde par le travail et la technique. C’est ce pouvoir de dire non qui en fait un être culturel et humain.

-Etre libre, c’est avoir la capacité du choix. C’est ce que Descartes appelait le libre-arbitre. Avoir le choix, c’est pouvoir dire oui comme non à une alternative. Il peut sembler que le choix du Non soit plus libre que celui du Oui. C’est ce que souligne Descartes lui-même dans la lettre au père Mesland en 1643, où il écrit : « Si nous prenons le parti où nous voyons le plus de bien, nous nous déterminons plus facilement; si nous suivons le parti contraire, nous usons davantage de cette puissance positive; ainsi, nous pouvons toujours agir plus librement dans les choses où nous voyons plus de bien que de mal, que dans les choses appelées par nous indifférentes. En ce sens on peut même dire que les choses qui nous sont commandées par les autres et que sans cela nous ne ferions point de nous-mêmes, nous les faisons moins librement que celles qui ne nous sont pas commandées. » Dire non, c’est se déterminer plutôt que de se soumettre à une détermination extérieure. On me dit de faire une chose. Dire non, c’est s’opposer à ce commandement, faire ce que l’on a décidé soi-même, on obéit à soi.

-La liberté, c’est le contraire de la soumission aux autres : dire non, c’est refuser de se plier à la volonté des autres. C’est se libérer, s’émanciper d’une autorité extérieure, s’affirmer comme indépendant, maître de soi. C’est ce que l’on voit dans le Non de l’enfant de 2 ans ou de l’adolescent qui s’affirme en s’opposant, se distingue des autres dans cette opposition.

TR : Mais cette opposition systématique semble faire partie d’un processus de construction de soi , un passage obligé. Aussi est-ce par ce non qu’on se montre vraiment libre ?

 

II. Si le non peut être une expression de la liberté, tous les non ne le sont pas !

-Le non de l’adolescent ou de l’enfant de deux ans est nécessaire : il ne peut pas ne pas être. Il est hormonal, un passage nécessaire pour se différencier des autres et s’identifier au groupe du Non. Or le choix n’est libre que si le non est contingent, il aurait pu ne pas être, il aurait pu être un oui. Or il semble ici que le Non s’impose sans autre alternative possible.

-De même il faudrait interroger les raisons de nos non. Peut-être sont-ils motivés par des impulsions, des désirs ou notre nature même. Ce non serait alors aussi déterminé que la chute de la pierre de Spinoza, qui montre que le sentiment de liberté n’est qu’une illusion conséquence de notre ignorance de nous-mêmes et des causes qui nous déterminent. Ce non peut aussi être le fruit de l’ignorance, or le choix ne peut être vraiment libre que s’il est éclairé, en connaissance.

-Enfin dire non est en soi faire un usage stérile de la liberté : d’abord, parce que ce ne sont que des mots (être libre, c’est pouvoir agir selon ses propres lois) ; dire non, c’est certes refuser une possibilité mais ce n’est pas se déterminer pour quelque chose ; dire non, c’est parfois s’opposer à des choses auxquelles on ne peut ou ne doit échapper. Par exemple dire non aux lois de l’Etat, c’est se condamner à être dans une logique liberticide : sans lois pas de protection des libertés, retour à l’état de nature, à des rapports de force violents…

TR : Tous les non ne sont pas expression de la liberté. Etre libre ou préserver sa liberté, n’est-ce pas aussi dire oui ?

 

III. Etre libre, c’est plutôt que dire oui ou non avoir le choix et faire des choix qui soient en accord avec ce que nous sommes (Bergson) ou avec la raison. Dans ce cas, être libre ce n’est pas obéir à rien, mais n’obéir qu’à soi-même !. C’est toute la différence entre l’indépendance ( qui consiste à ne dépendre de rien, le non systématique à tout !) et l’autonomie qui consiste à ne dépendre que de soi. Dans ce cas, on peut dire oui à la loi et ne dépendre que de soi, si cette loi est expression de la raison, si elle est celle qu’on aurait pu se donner à soi-même. On peut même être libre en disant Oui à l’ordre des choses, comme chez les stoïciens. Etre libre, c’est savoir faire la distinction entre ce qui dépend de nous et ce qui ne dépend pas de nous. Dire non à la mort ou au destin, cela ne sert à rien, c’est un Non sans conséquences. Mais ce qui dépend de nous, c’est d’accepter ou de refuser ce qui ne dépend pas de nous, et être libre, c’est dire oui à ce qui s’accorde avec notre nature d’être raisonnable et individuelle. C’est dire Oui à ce que l’on est, s’assumer. Dire non aux autres, ce n’est pas encore dire oui à soi. Et c’est cela qui est le plus difficile à faire. C’est en cela que l’on peut dire que l’on n’est pas libre mais qu’on le devient, que la liberté soit dans la compréhension et l’acceptation de la nécessité ( Stoïcien, Spinoza) ou dans la libre réalisation de soi.