Etre raisonnable est-ce renoncer à ses désirs ?

5 mai 2010 0 Par Caroline Sarroul

 

I. Si raisonnable=rationnel ( conforme à la raison comme « ratio » =calcul ou capacité à bien ajuster les moyens à une fin ET qu’on voit le désir comme mouvement vers ce qui pourrait combler un vide vécu comme un manque à combler ET l’homme comme un être de raison, aspirant à mener une vie en accord avec la raison et bien calculée ALORS on peut penser que renoncer à ses désirs,

– c’est renoncer à l’insatisfaction et la souffrance qui les accompagnent donc un bon moyen pour arriver à un état de non souffrance (c’est ce que proposent les philosophes stoïcienne et épicurienne, se contenter d’une volonté raisonnable ou des besoins naturels et nécessaires). Le désir rend esclave et insatisfait ( tonneau percé des Danaïdes)

– c’est aussi un moyen de ne pas sombrer dans l’immoralité et de faire un pas vers la vertu, qui semble être notre destination en tant qu’être de raison et donc en tant qu’être moral ( éviter l’acrasie, la passion, le vice du plaisir…). Etre raisonnable, c’est en effet être conforme à la raison pratique, à la morale, aux devoirs

Mais N’est-ce pas oublier que le désir est d’abord une puissance créatrice inscrite dans l’essence de l’homme et qu’être raisonnable, c’est peut-être savoir percevoir les limites du rationnel.

II. A. cette réduction du désir au manque est une lecture incomplète du mythe de l’androgyne ( le désir est aussi aspiration à l’absolu, insatisfaction face à la réalité), du Banquet qui montre que si on condamne le désir et s’il est occasion de frustration, c’est parce qu’on en reste au bas de l’échelle, à la « bêtise  des passions » selon Nietzsche par ignorance de soi et de lui ( désir mimétique= désir périphérique et insatisfaisant) et par ce que notre vision du désir est moralisatrice, issue d’une « morale d’esclaves »réactifs qui incapables d’agir et de créer, ont préféré penser que la réaction et ce qui est contraire à la vie est bon ; issue d’une vision erronée de ce que Dieu pourrait exiger de nous ( Spinoza) véhiculée par l’Eglise qui a intérêt à ce qu’on renonce au désir, au plaisir dans la souffrance et la culpabilité.  Donc si on regarde le désir tel qu’il est et tel qu’il peut être, on se rend compte qu’il serait absurde de renoncer à ses désirs.

     B. Etre raisonnable, ce n’est pas être simplement et purement rationnel, si le rationnel n’est  pas toujours raisonnable ( l’ajustement des moyens à une fin ne valorise pas la fin), il peut même être déraisonnable, car le calcul est parfois mal ajusté à la réalité et à sa complexité. Dans ce cas être raisonnable, c’est être réaliste (« Le raisonnable est soumis à une sorte d’instinct de réalité » selon J. Guitton) et se garder  des excès de la rationalisation. « L’homme raisonnable est peut-être avant tout et fondamentalement celui qui perçoit les limites de la raison » selon  Gabriel Marcel dans Le déclin de la sagesse. ET au regard de la dualité de l’homme et de ce que peuvent apporter nos désirs, y renoncer serait déraisonnable, car

– c’est impossible (lutte incessante nécessaire) et on ne peut vouloir ce que l’on sait d’avance impossible. Même l’ascète désire ce moment où il aura tué le vouloir vivre en l’idéalisant

– c’est contre-nature ( le désir est « l’essence de l’homme » l’homme se fait homme en niant ce qui est et ce qu’il est, en ne satisfaisant pas de ce qu’il est et de ce qui est ,il faut dès lors plutôt vouloir changer le monde que ses désirs) et contre-productif

– c’est céder à l’idée que seule la vertu peut-être la fin de l’homme et l’opposer arbitrairement au plaisir et l’intérêt ; c’est ne penser au moyen sans s’interroger sur les fins.

III. Dans ce cas, où est le raisonnable ?

– dans le fait de renoncer à des désirs qui ne sont pas siens en tant qu’homme ( seul le Bien, le beau et le vrai sont des objets dignes du désir au sommet de l’échelle des beautés ) et en tant qu’individu ( se connaître, échapper aux désirs mimétiques…)

– dans le fait de désirer autre chose que le bonheur, la joie ou le plaisir

– faire en sorte que la réalité puisse s’ajuster en partie au désir en permettant leur réalisation ou en laissant libre de les avoir et nourrir ( le plaisir étant autant, si ce n’est plus dans la chasse que dans la prise)