Peut-on croire à ce que l’on sait ne pas être vrai?

5 mai 2010 0 Par Caroline Sarroul

I.vu ce qu’est croire et  la nature raisonnable et rationnelle de l’homme,  il semble difficile au même moment , dans une même conscience, de croire en une idée tout en sachant qu’elle n’est pas vraie, c’est-à-dire fausse.

En effet,

  1. croire, c’est être dans une attitude d’esprit qui affirme avec un degré plus ou moins grand de probabilité la réalité d’une chose ou la vérité d’une idée. Donc pour croire que la terre est ronde , il faut  penser que cet énoncé est vrai, donc  si je sais que ce n’est pas vrai, je sais que c’est faux , donc je ne peux pas considérer au même moment que c’est  faux , et  y croire c’est-à-dire  croire que c’est vrai.
  2. 2.       Et c’est d’autant plus difficile à concevoir que le savoir est une connaissance rationnelle obtenue soit par démonstration soit par observation et vérification expérimentale. Le savoir s’oppose à l’opinion qui est  soit résultat d’un raisonnement erroné ( aveuglé par la passion et l’intérêt, par ex.) , soit d’une erreur de perception ( allégorie de la Caverne de Platon, je crois ce que je vois et je me trompe), soit d’une absence de raisonnement ( je pré-juge avant même d’avoir jugé). Donc normalement le savoir doit l’emporter contre l’opinion et doit avoir plus de force de conviction même si l’opinion peut être très persuasive. Donc si je sais que c’est faux, je ne peux plus y  croire , ni être convaincu que c’est vrai  car je suis un être rationnel en tant qu’être pensant . Ma rationalité fait que je ne peux pas consciemment préférer l’infondé, l’irrationnel, le faux au démontré, prouvé et vrai. En tant qu’être rationnel, je veux raisonnablement le vrai.
  3. Consciemment, je ne peux croire au faux si je sais que c’est faux , car cela reviendrait à se mentir à soi-même OR comme le montre Sartre , cela présupposerait que je sois double ( une partie sachant le vrai menteuse et une partie ignorante trompée) or je suis une seule et même conscience transparente à elle-même. Donc si je crois à ce que je sais ne pas être vrai , c’est en fait  soit sans y croire vraiment ( car je sais que ce n’est pas vrai), soit sans savoir vraiment si c’est vrai dc j’ai un doute dc j’y crois car finalement je ne suis pas sûr qu c’est vrai. Dc soit je sais et je ne peux pas croire le contraire, soit je crois car je ne sais pas.

 

Transition : pourtant la mauvaise foi, ça existe ( même si théoriquement c’est impossible !) , on a vu dans l’histoire de la science des préjugés résister à des preuves ( Galilée, Copernic, Darwin), alors comment expliquer cette croyance paradoxale, illogique et contraire à la nature de l’homme ?

 

II. Cela s’explique  :

  1. 1.       par la nature de l’homme. Il n’est pas simplement un être de raison , c’est aussi un être de désir. Donc si en tant qu’ être rationnel il cherche la vérité, en tant qu’être de désir il cherche le bien-être, le bonheur. Or la vérité peut faire mal et renvoyer à une réalité douloureuse. Et en ce sens il a besoin d’illusion. Comme le dit Freud,   « une illusion n’est pas la même chose qu’une erreur … Ce qui caractérise l’illusion , c’est d »être dérivée des désirs humains ». Et , il illustre cela par l’illusion religieuse correspondant à un besoin archaïque enfantin de se sentir aimé et protégé contre le monde extérieur (injuste) et contre soi (pulsions du ça) qui résiste à l’absence de preuve de l’existence de Dieu ou même à la démonstration par la science de la fausseté de certaines explications divines ( création du monde, la réalité physiologique de la mort…). Dc le fond de la croyance est  d’ordre psychologique ( détresse, peurs..) ou matérielle (souffrance , misère … « la religion est l’opium du peuple » pour Marx. Aussi « vouloir  détromper les hommes c’est attenter à leur bonheur » comme le soulignait Rivarol, d’où la résistance de la croyance face au savoir.
  2. 2.       par les limites du savoir.

A. Ce n’est pas parce que je sais qu’une idée n’est pas vraie qu’elle est pour autant fausse, ce n’est pas parce que je sais qu’une chose n’est pas réelle qu’elle est pour autant irréelle.

  • En effet, si par vrai, j’entends observé et vérifié, l’absence d’observation ne suffit pas pour pouvoir déclarer que la chose n’existe pas ou que l’idée est fausse . Il se peut que la chose n’est pas encore été observée ou échappe à toute observation (ex. Dieu est partout donc nulle part visible). Donc  je peux croire à ce que je sais ne pas être prouvé car ce n’est pas forcément irréel pour autant.
  • Si par vrai, j’entends non rationnellement démontré, ce qui n’est pas démontré  n’est pas non plus forcément faux. Cela peut être au-delà ou en-deçà de toute démonstration. Dieu se sent, selon Pascal, il s’éprouve et ne se prouve pas. Les vérités intuitives du Cœur s’imposent et l’absence de démonstration prouve plus les limites de la raison , son impuissance que la fausseté de ses vérités. Pour Descartes, Dieu c’est la perfection, et l’homme imparfait est incapable de la penser ,cela ne remet pas pour autant en question sa nature, son idée et sa vérité. Donc je peux croire à ce que je sais ne pas être démontré, mais que je sens comme étant vraie.

                    B. Il peut même être rationnel de croire en quelque chose qui n’a pas été prouvé ni démontré : le pari de Pascal.

                   C. ce n’est pas parce que je sais qu’une chose n’est pas vraie (au sens de vérité absolue et universelle) que pour autant cette chose n’est pas digne de confiance et de croyance

  • Une théorie « corroborée » n’est pas « vraie » (au sens de totalement prouvée) mais elle est probable et donc je peux y croire comme en quelque chose de possible et de fiable
  • Une théorie n’est pas vraie au sens classique ( en accord avec les faits, le réel) , mais elle peut être « vraie » au sens de « vérité pragmatique » selon William .James ou de « vérité technique » de Bertrand Russell. Et la théorie du non-miracle de Putnam donne des raisons d’y croire avec une certaine confiance.

 

 

Conclusion : Donc aussi illogique et inattendu que cela puisse paraître,  je peux croire en ce que je sais ne pas être vrai, vu que l’homme a un besoin d’illusion en tant qu’être de désir , vu les limites de son  savoir et vu que ce qui n’est vrai n’est pas forcément faux et donc incroyable pour autant. Peut-être sommes-nous  d’ailleurs condamnés à ne croire que ce qu’on sait ne pas être vrai de manière absolue , mais vrai seulement de manière provisoire et pratique.