S, 2010 : L’art peut-il se passer de règles?

19 juin 2010 0 Par Caroline Sarroul

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Sur ce sujet, il y avait plusieurs plans possibles qui dépendaient en particulier de la perspective temporelle dans laquelle on lisait le sujet:

  

– soit on le lisait en ayant immédiatement à l’esprit l’art moderne et contemporain et la perplexité dans laquelle ils peuvent laisser certains spectateurs non avertis et cela pouvait donner le plan suivant:

I. L’art, c’est la liberté

L’idée de règles renvoie à l’idée de conventions, de normes et donc de contraintes. Ce qui semble s’opposer à l’idée de création artistique associée spontanément à l’idée de liberté : l’artiste ferait ce qui lui plaît. Une œuvre unique, originale, inutile. Donc, on pourrait penser que l’art peut se passer de règles !

1. Une œuvre d’art est différente de la production artisanale et industrielle : reproductible et utilitaire où le concept précède le produit et obéit à des contraintes techniques. En art, le concept de l’œuvre ne préexiste pas à l’œuvre.

2. L ‘artiste est inspiré c’est-à-dire dépossédé de sa création au moment de la possession.

3. « Pas de recettes pour faire un chef d’œuvre ». Paul Valéry.

a. Différence entre artiste scolaire reproduisant ce qu’il a appris ; l’artiste sans génie qui copie l’artiste n’est alors qu’un brillant artisan.

b. L’application de règles peut entrainer un académisme qui s’oppose à l’art.

 II. Sans règles, pas de création possible

Mais, d’un autre côté, si l’artiste n’est pas qu’un artisan, (« désir » différent de « besoin », « création » différente de « production »), ne doit-il pas être d’abord un artisan ?

1. L’art commence là où la technique s’achève. A la fois au sens où il n’y a plus de règles préétablies, mais aussi au moment où la technique est tellement maîtrisée qu’elle n’apparaît plus. C’est l’idée de Nietzsche sur le génie : on crie au génie en art parce qu’on ne voit pas de traces d’un processus de fabrication. Mais ce processus existe bel et bien et le métier est bien là, tout comme la connaissance de l’art.

2. L’artiste nie ce qui est, la matière brute pour la modeler : c’est dans la contrainte que la liberté peut se montrer. Si le marbre se sculptait seul, ou n’obéissait à aucune règle, ce serait impossible de créer quoi que ce soit.

3. Il y a des règles : le génie donne ses règles à l’art mais :

a. « La règle du beau n’apparaît pas dans l’œuvre et y reste prise en sorte qu’elle ne peut servir jamais d’aucune manière à faire une autre œuvre. » Système des Beaux-Arts, Alain.

b. Kant. Le génie ne peut expliquer ses règles mais il y a des règles données par cette œuvre. Elle sera originale à la fois au sens d’unique mais aussi de celle qui va servir d’original, de modèle pour d’autres artistes. Le génie fait école, le talent crée un style, même si celui si ne suffit pas pour expliquer et produire des chefs d’œuvres.

Transition : Donc, même si la règle ne se voit pas, le travail disparaît pour donner l’impression de facilité, de produit de la nature ou même de l’improvisation.

 III. Nouvelle règle : refuser les règles

Mais la règle contemporaine ne peut-elle pas être de rompre avec la règle ? N’est-ce pas là encore une nouvelle règle de l’art ?

1. Au nom de la liberté, l’art moderne, puis contemporain, refuse la définition de l’œuvre d’art du XVIIIe – XIXe siècle.

2. Dans l’art contemporain, l’œuvre n’est plus nécessairement l’objet, c’est la démarche qui devient souvent le centre de la préoccupation de l’artiste.

« Ce n’est pas la fin de l’art, c’est la fin de son régime d’objet. » Yves Michaux

3. L’art oblige à remettre en questions nos propres règles (la réforme du regard de la conception du monde) : l’art lève le voile (Bergson et Paul Klee).

– soit on lisait le sujet avec à l’esprit que l’artiste a d’abord été un artisan et que l’art a été d’abord imitatif et au service de la religion ou de l’Etat, cela pouvait donner un tout autre plan, en tout cas pour les I et II

I. un artiste est d’abord un artisan obéissant à des règles.

1. Il se caractérise par l’habileté qui permet la belle imitation de la nature si on parle de l’art figuratif qui se doit d’être réaliste et fidèle, de donner l’illusion de l’apparence du réel (« le fini dans l’exécution » selon Aristote, la restitution du détail,..), qui est conforme aux règles de l’art ( perspective, couleurs qu’on apprend à l’école des Beaux-arts…)

2.L’artiste travaille à la commande et les oeuvres d’art ont au départ souvent une fonction religieuse ( temples grecs, peintures rupestre, statuaires, ..) et comme le dira d’ailleurs Malraux, il faudra une véritable « métamorphose du regard » pour ne pas y voir un objet religieux codifié mais une oeuvre d’art: « pour qu’un chrétien voie dans une statue antique une statue et non une idole ou rien, il faut qu’il voie dans une Vierge une statue avant d’y voir une Vierge »

3. la beauté qui est pour Platon dans la convenance matérielle mais surtout formelle exige l’application de règles précises de symétrie, d’harmonie, on peut ici penser au nombre d’or ou lignes de perspective, au point de fuite ou à la règle d’unite de temps, de lieu et d’action dans le théâtre classique, à la métrique en poésie, etc…

II. un artiste n’est pas qu’un artisan et son art ne se réduit pas la technique acquise:

– “Le style pour l’écrivain, aussi bien que la couleur pour le peintre est une question non de technique mais de vision” écrit Marcel Proust. Ce qui fait l’artiste plus que la matérialisation, c’est l’idée qui est la manière de voir ( ex. Klee, « rendre visible, non rendre le visible » ou voir ce qui apparaît voilé aux autres [Bergson]  ou voir avec les yeux et non l’esprit : le cubisme de Picasso représente la vision telle qu’elle est [on ne voit jamais un visage en entier, on ne voit que des faces selon notre point de vue] ou retrouver un regard innocent, « revenir aux choses mêmes » telles qu’elles sont présentes à notre corps dans le rapport charnel, selon Merleau-Ponty), de penser ( les idées esthétiques du génie chez Kant)

– le génie n’est pas celui qui suit des règles déjà donné mais qui « donne ses règles à l’art »

– la copie de la nature réduit l’art à un « art mécanique » et à un pur exercice technique (Hegel)  et avec l’image, les médias, l’habileté technique est dévaluée, désuète.

 

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