Qu’aime-t-on dans l’amour?

12 décembre 2010 0 Par Caroline Sarroul

A l’heure où le mariage d’amour a sacralisé  l’humain et en un sens réenchanté le monde selon Luc Ferry et où la libération sexuelle et du désir débouche sur la discorde selon Pascal Brückner,

voilà quelques éléments sur un sujet difficile: qu’aime -t-on dans l’amour?

 

Le sujet invite à s’interroger sur l’objet de l’amour. I. On peut distinguer l’amour de l’amitié- philia et l’amour d’une personne de l’amour d’un objet, mais il semble que ce que l’on aime, que c’est d’abord apparemment celui ou ce que l’on aime donc l’aimé. Dans l’amour, il y a aussi affection et le fait de vouloir le bien de l’aimé, donc c’est bien lui qui au cœur de l’amour. Dans l’amour, il y a désir et ce qu’on désire, c’est apparemment l’objet du désir, ce vers quoi on tend .Et on aime l’aimé pour ce qu’il est ou a, que l’on n’est pas ou n’a pas, d’où désir. La preuve que c’est ce que l’on aime dans l’amour, c’est qu’en son absence, il y a manque [« un seul être vous manque et tout est dépeuplé » ( Lamartine)] et que sa présence nous réjouit, nous comble, tout est là quand il est là. Et le reste n’a guère de valeur. II. A. Mais on aime toujours l’autre pour quelque chose de conscient ou d’inconscient, est-ce pour sa beauté (corps), son jugement (âme) , son statut social, son pouvoir ? En tout cas, ce n’est peut-être pas pour ce qu’il est en lui-même mais pour « ses qualités ». Selon Pascal, « on n’aime donc jamais personne, mais seulement des qualités » ( Pensées, 233)que l’autre peut perdre ou qu’il n’a peut-être même jamais possédées parce que c’est moi qui lui ai données! C’est ce que Stendhal appelait le phénomène de la cristallisation dans la passion amoureuse mais cela peut aussi être une projection d’une représentation de l’aimé et de l’amour que sécrètent mes hormones ou que véhiculent l’art, le cinéma ou ma société ou qui correspond à ce qui me manque. Des qualités qui dépendent de mes désirs ( de mes attentes et de mon imaginaire) et aussi des obstacles qu’ils doivent être surmontés: l’interdit, la difficulté, la lutte pour être réalisés. Tout cela ravive, excite le désir qui semble jamais accompli tout comme l’autre n’est pas jamais totalement conquis, possédé, tout en faisant aussi un désir pittoresque ( digne d’être peint!). B. On peut donc penser que l’aimé ne pourrait être en fait qu’une occasion d’aimer, de vivre le sentiment de l’amour, ses joies, ses transports, donc en somme de désirer et de sentir vivre par là. C’est pourquoi ce n’est pas l’aimé en lui-même mais le fait de l’aimer que l’on aime finalement. C. Désirer, c’est être vivant et comme dans l’amour on est deux, aimé c’est aussi être aimé et par là désirer. C’est ainsi que Le banquet de Platon présente l’amour fusionnel qui n’est qu’amour de soi, aspiration à son propre bien et par là négation de l’autre comme autre. Il se pourrait alors que l’on aime que le même. Donc ce qu’on aime dans l’amour, ce n’est pas l’aimé mais soi, aimant et aimé. III. Mais si tout amour n’est qu’une périphrase de l’amour de soi, peut-on alors véritablement parler d’amour , impliquant une ouverture à l’autre et une véritable relation entre deux êtres distincts et si l’amour de l’autre dissimulait une haine de soi, comme le suggère Nietzsche? . « Vous vous empressez auprès du prochain et vous exprimez cela par de belles paroles. Mais je vous le dis : votre amour du prochain, c’est votre mauvais amour de vous-mêmes. Vous entrez chez le prochain pour fuir devant vous-mêmes et de cela vous voudriez faire une vertu : mais je pénètre votre « désintéressement. » Le toi est plus vieux que le moi ; le toi est sanctifié, mais point encore le moi : ainsi l’homme s’empresse auprès de son prochain » Ainsi parlait Zarathoustra. Le véritable amour est générosité qui n’attend pas de retour et présuppose que le généreux soit déjà plein et en un sens déborde, donne. Mais sommes-nous véritablement capable d’aimer? Et plutôt qu’aimer ne faut-il pas respecter dans la distance?

                                                                                     
                                                                                     Voilà le dilemne du hérisson ou du porc-épic repris en 1921 dans son apostille à Psychologie de groupe et l’analyse du moi par Freud
 
« Par une froide journée d’hiver, un troupeau de porcs-épics s’était mis en groupe serré pour se garantir mutuellement contre la gelée par leur propre chaleur. Mais tout aussitôt ils ressentirent les atteintes de leurs piquants, ce qui les fit s’éloigner les uns des autres. Quand le besoin de se chauffer les eut rapprochés de nouveau, le même inconvénient se renouvela, de façon qu’ils étaient ballottés deçà et delà entre les deux souffrances, jusqu’à ce qu’ils eussent fini par trouver une distance moyenne qui leur rendît la situation supportable. Ainsi, le besoin de société, né du vide et de la monotonie de leur propre intérieur, pousse les hommes les uns vers les autres ; mais leurs nombreuses qualités repoussantes et leurs insupportables défauts les dispersent de nouveau. » Schopenhauer