Sujet sur le cinéma

19 mars 2011 0 Par Caroline Sarroul

N’oubliez le 7ème art dans vos exemples dans un sujet sur l’art mais sachez sélectionner vos exemples. Si le courage de Rocky , l’épicurisme de Baloo dans Le livre de la jungle n’ont pas leur place dans une dissertation de philosophie sans friser le ridicule,  l’analyse du rapport à l’art , la nature de l’irrespect  dans Le pianiste de Roman Polanski; l’interrogation sur le statut de la réalité dans Matrix , l’analyse du dilemne du choix dans Le choix de sophie,  dans Mr Nobody ont, elles, tout à fait leur  place dans une dissertation, si on ne se contente pas du poids des images.

Et il vaut sans doute mieux une référence à une scène précise d’un de ces films analysée qu’une référence à la Joconde de Vinci ou à Guernica de Picasso pour ne rien en dire et/ou sans avoir vraiment vu ces toiles célèbres.

Walter Benjamin dans L’oeuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité, aborde le cinéma. Si les copies de film multipliables à l’infini ôte à l’oeuvre d’art son aura qui était la conséquence de son unicité et de son caractère sacré, le cinéma permet d’avoir avec la réalité un nouveau rapport.

C’est ce rapport avec la réalité qu’analyse dans le texte suivant Clément Rosset.

« La vision du monde chez l’homme du XXe siècle se rapproche insensiblement de celle que lui suggère le cinéma. […] Quoi qu’il en soit,  la réalité cinématographique n’apparaît pas comme très différente de la réalité tout court. L’une et l’autre se ressemblent de toute façon trop pour qu’on puisse chercher, dans une différence spécifique entre les deux réalités, la raison du prestige de l’une par rapport à l’autre. S’il arrive au cinéma de séduire davantage, ce n’est pas parce qu’il présente une version améliorée et plus désirable de la réalité, mais plutôt parce qu’il présente cette réalité comme située provisoirement ailleurs, par conséquent hors de portée du désir et de la crainte de tous les jours. Le privilège de la réalité cinématographique n’est pas d’être autre que la réalité tout court, mais de s’y confondre tout en bénéficiant d’une sorte d’ex-territorialité. Toujours la même chose mais située ailleurs, en un site qu’on ne saurait atteindre ni d’où on ne saurait être atteint soi-même : la même réalité, ou si l’on veut la réalité même, miraculeusement tenue à distance. Cette mise à distance de la réalité est la source principale du plaisir offert par le cinéma, lequel consiste ainsi essentiellement en une jouissance par procuration de ce qui apparaît sur l’écran, soit une participation sans aucun engagement personnel à ce qui s’y montre de plaisant ou d’horrible. Car bonheur et malheur sont ici également désirables, et pour la même raison, dès lors qu’on est assuré qu’ils ne sont pas présentement notre affaire : il est aussi plaisant de voir d’un peu loin le bonheur dont on est privé que de voir, toujours d’un peu loin, le malheur auquel on échappe. Et le cinéma excelle à satisfaire ces deux appétits apparemment contradictoires, quoique, en fait, complémentaires. Il nous offre, à volonté, tout ce dont la réalité nous prive alors qu’elle l’accorde à d’autres et pourrait éventuellement l’accorder à nous-mêmes : buffet dressé par le meilleur traiteur, maison à la décoration soignée et à la tenue impeccable, femme incomparablement belle et séduisante. Il n’est d’ailleurs pas rare qu’au sortir de la projection d’un film on se mette en quête d’une bonne table ou d’une bonne amie, afin de s’accorder à soi-même, et sur-le-champ, une infime partie des plaisirs qui ont défilé sur l’écran […] Mais le cinéma nous offre aussi tout ce que la réalité nous épargne alors qu’elle l’inflige à d’autres et pourrait éventuellement l’infliger à nous-mêmes, une condamnation à la prison ferme, un grave accident de voiture, un tueur qui guette dans l’ombre. On dit volontiers que le spectateur a ici plus de peur que de mal, comme il avait dans le cas précédent plus de rêve que de réalité, puisqu’il s’en tirera finalement à bon compte et ne peut l’ignorer : aucune balle de pistolet, si chargé que puisse être celui-ci et bien dirigé depuis l’écran vers le public, n’a jamais blessé personne dans la salle. Soit, mais d’où vient alors cette peur si fréquente au cinéma, peur paradoxale puisque tout le monde sait bien qu’il n’y a pas de quoi avoir peur ? Il peut sembler en effet curieux que le spectateur le plus averti ait peur quand même, et d’une certaine façon encore davantage, que s’il se trouvait confronté, dans la vie réelle, à un pistolet efficacement braqué en sa direction. L’explication en est pourtant simple : c’est que dans la vie quotidienne on peut sans doute mourir mais on peut aussi agir plus ou moins efficacement, essayer de se soustraire par force ou par ruse à la menace ; au lieu qu’il n’est aucune action raisonnable contre le revolver qui vous pointe depuis l’écran cinématographique, sauf à fermer les yeux ou à se réfugier ridiculement sous son fauteuil. Réaction instinctive et sans doute puérile, qui en dit cependant long sur la nature du cinéma et la puissance de son effet, la participation forcée à laquelle elle invite bon gré, mal gré le spectateur : elle montre éloquemment le crédit dont continue à bénéficier le cinéma, alors même qu’on tient celui-ci pour imaginaire et étranger à toute réalité. À la fois trop éloignée pour être prise en charge et trop proche pour être négligée, la réalité cinématographique se situe en un lieu indécis, aux confins de l’imaginaire et du réel, tel que personne ne saurait le tenir, ni pour absolument présent ni pour absolument absent ».

Clément Rosset, Propos sur le cinéma ,  2001

  • Questions:
  1. Expliquez précisément les deux raisons pour lesquelles la réalité cinématographique peut « séduire davantage » que la «  réalité tout court » ( 3 pts)
  2. Pourquoi a-t-on peur au cinéma selon Clément Rosset, alors que ce n’est que du cinéma? ( 3pts)
  3. Quel est l’effet puissant du cinéma qui est selon l’auteur dangereux ? (3 pts)
  4. Que signifie que le lieu de la réalité cinématographique est « tel que personne ne saurait le tenir, ni pour absolument présent ni pour absolument absent » ( 1pts)
  5. Le cinéma ou l’art en général éloigne-t-il du réel ?
  • CORRECTION

 1.Les 2 raisons sont premièrement que la réalité au cinéma est à distance, sur l’écran. Les images sur l’écran bien que réalistes, reproduisant la réalité ne sont que des images, donc pas de rapport avec nous, pas de confrontation avec elle : cette réalité reste extérieure à nous, notre vie et nous restons extérieurs à elle. Deuxièmement on peut vivre grâce au cinéma des situations, des émotions sans que cela soit réel, vrai. Cela permet d’avoir que ce qui nous procure du plaisir: on peut vivre par procuration , en s’identifiant aux personnages et étant pris dans l’histoire, non seulement ce qu’on ne peut pas vivre dans la réalité et se réjouir de ne pas vivre ce qu’ils subissent mais surtout on peut « vivre » des choses sans conséquences : on peut vivre l’adultère sans honte, même peut-être prendre un certain plaisir à voir souffrir l’autre sans culpabilité ( parce que c’est de la fiction, pour de faux)

Une 3eme raison rejetée par Rosset pourrait être que le cinéma embellit la réalité dans le scénario mais aussi parce qu’il révèle la beauté de la réalité par des ruses de la caméra (ralenti, accéléré, gros plan…) qu’on voit inconsciemment ou pas. Walter Benjamin dit que le cinéma révèle un « inconscient visuel » qui permet de regarde autrement la réalité, en la voyant plus riche mais qui fait que la réalité peut aussi paraître plus face.

2. C’est ce qu’il explique aux lignes 29 à 34. Alors que l’on sait que c’est « pour de faux » et qu’on n’a donc pas de raison d’avoir peur, on a peur au cinéma parce qu’on ne contrôle rien de ce qui se passe. On n’a pas d’action possible. Or dans la vie ordinaire, ce qui fait qu’on a moins peur, c’est qu’on est face au danger dans l’action: on fuit, on tente de se défendre, on essaie de négocier… On est donc pris dans une action qui donne un sentiment de ne pas subir le danger, qui détourne aussi en un sens du danger, on est concentré sur ce que l’on fait, même s’il y a une part d’instinct dans cela. Mais au cinéma on ne peut rien faire , on subit , la seule chose qu’on peut faire se fermer les yeux.

3. L’effet puissant du cinéma, c’est qu’on subit et on est donc prisonnier de ce que l’on voit. Dès lors, on peut nous imposer certaines sensations, mais aussi certaines idées. Les images du cinéma par leur réalisme peuvent nous impressionner et nous faire croire certaines choses, cela peut nous détourner de la réalité ( évasion) , à confondre fiction et réalité, à lire la réalité selon les fiction ou à vouloir que la réalité devienne comme la fiction..

4.Cela signifie que le cinéma, ce sont des images projetées sur un écran. Une image, c’est une re-présentation plus ou moins fidèle de la réalité. Comme ce n’est qu’une re-présentation, elle n’est pas chose elle-même, mais en même temps elle est ressemblante avec cette réalité, du coup la réalité cinématographique propose dans les images une réalité qui n’est pas la réalité ( donc pas absolument présente) mais c’est en même temps une manière de rendre présent ce qui n’est pas là ( donc pas absolument absente).

    Le cinéma et l’art en général éloignent-ils du réel?

 

 I . L’art comme  fuite, détournement et dépréciation du réel.

 1. On a souvent considéré l’art comme une fuite du réel dans l’irréel. Car on dit s’évader le temps d’un film, d’une lecture d’un roman, de la contemplation d’un tableau. La réalité est décevante alors on cherche dans l’art une évasion, une compassion. Nietzsche disait en ce sens que l’homme a «  besoin de l’art pour se sauver de la vérité » comme il a besoin d’illusion pour vivre. L’art et le cinéma sont des distractions , du divertissement.

2. L’œuvre d’art est aussi en marge de ce qu’on peut appeler le réel, c’est-à-dire de nos préoccupations quotidiennes, auxquelles on nous rappelle lorsqu’on nous demande d’être réaliste. Ces préoccupations sont utilitaires, alors que l’œuvre d’art est elle hors du processus vital, n’étant pas réponse à un besoin primaire et hors du processus économique étant sans valeur marchande dans l’absolu. En ce sens, lui consacrer du temps pour la créer et la contempler, ce serait sortir des priorités imposées par le réel en un sens.

3. L’œuvre d’art se substitue même au réel quand elle ne se tient pas à sa place de simple copie, image et devient simulacre prenant la place du réel.

 TR : Donc l’art semble nous inviter à nous détourner du réel Mais assimiler l’art a une fuite, n’est-ce pas se méprendre sur ce qu’est l’art ? L’artiste engagé ne fuit pas la réalité , il la dénonce. Primo Levi n’embellit pas la réalité des camps, le surréaliste André Breton disait que le surréel n’est pas en dehors du réel mais au cœur du réel lui-même, où si on prend la peine de regarder on peut voir d’étonnantes coïncidences, des signes. Alors plutôt que de nous éloigner du réel l’art ne peut-il pas nous inviter à mieux le regarder et même à le voir enfin ?

 II. L’art comme révélateur du réel

L’art permet de voir :

1. autrement qu’avec les yeux du désir : on prête à l’artiste la capacité de contempler le monde, de s’oublier dans cette contemplation et donc de pouvoir accéder à l’essence des choses. Pour Schopenhauer, la musique serait l’expression de cette essence du monde. L’œuvre d’art réussit à amener le spectateur à sa contemplation, il ne la regarde pas avec désir, pour sa matérialité,ce qui est représenté. Il ne regarde plus un nu peint comme un objet sexuel pour sa matérialité, sa plastique attirante, il le contemple pour sa belle présence, ce qui s’en dégage, l’idée à laquelle il renvoie. Il retrouve une « manière virginale de voir, d’entendre et de penser » , selon Bergson

2. autrement aussi qu’avec les yeux de l’esprit : selon Bergson, le scientifique a un regard actif sur le monde. Il veut y agir, le modifier, le connaître. Du coup, il cherche à le ramener à des lois, à des quantités mesurables et manipulables. Le reste est écarté, vu mais non retenu, et restant dès lors « opaque », finalement non vu en soi, sans sens, non visibles. Ce reste , c’est ce que Galilée appelait « les qualités ». L’artiste lui est sensible à ses qualités qui font que le monde est « habitable », qu’il peut avoir du sens pour l’homme. L’artiste est celui qui voit VRAIMENT, c’est-à-dire avec ses yeux, chaque chose dans sa particularité, son individualité, son unicité.

3. MIEUX: selon P Klee, dans Théorie de l’art moderne, le but de l’art n’est pas de « rendre le visible mais de rendre visible » l’invisible.

Il rend visible ce qu’on ne voit pas dans nos visions réductrices, utilitaire ( Les vieux souliers à lacets de Van Gogh, 1886) ou scientifique. Il rend visible ce qui nous échappe parce qu’on a le nez collé dessus ( effet cathartique de l’art sur les passions : extériorisation, distanciation, adoucissement et réflexion possible alors que l’homme passionné est « tout entier » à sa passion).

Il rend visible ce qui est invisible mais condition de la visibilité des choses : l’être des choses, l’humain, les lois génératives des choses, le geste créateur, l’Esprit de la nature. « L’art révèle à l’âme tout ce qu’elle recèle d’essentiel, de grand, de sublime, de respectable et de vrai » selon Hegel.

L’artiste est en effet un « oculiste »comme le disait Proust, qui rend plus visible et lisible le réel des sens et visible le réel de l’esprit, pourrait-on dire.

4. L’art est aussi un appel à prendre conscience que le réel de sa beauté mais aussi de sa laideur ( l’art engagé, lart comme protestation)

 TR : Mais peut-on dire pour autant l’art seul voit le réel et nous donne à le voir ? Ou nous amène-t-il à nous interroger sur la réalité.

 III. L’art comme interrogateur et moteur de la réalité.

  •  s’il est vrai que l’art bouscule la vision commune, propose d’autres déchiffrements, s’il est vrai qu’il permet de voir les choses ( selon Oscar Wilde dans Intentions « les choses sont parce que nous les voyons et ce que nous voyons, et comment nous le voyons dépend des arts qui nous ont influencés…. On ne voit quelque chose qui si l’on en voit la beauté »), si pour certains l’art révèle le réel, on peut aussi penser que l’art propose simplement une autre vision du monde sans posséder pour autant La Vison du réel. 
  • L’art est plutôt un appel à reconnaître que le réel n’est pas nécessairement ce que nous appelons réalité.

La réalité n’est que re-présentation du réel. C’est toute la différence entre voir et percevoir. Il y a nécessairement une part d’interprétation, une certaine lecture de ce qui est vu, ressenti et on ne voit même et ne ressent qu’à travers cette représentation. L’art nous propose de percevoir les choses différemment en dehors de nos cadres habituels. Donc on voit les choses sans l’art mais on les voit dans un certain rapport à elles, dans une certaine représentation. Cette représentation donne un sens aux choses mais ce sens est réducteur (visions utilitaires, scientifiques,…) et ne permet pas de saisir peut-être les choses en elles-mêmes ou de les voir autrement.

  • L’art nous invite à changer la réalité : « la fonction de l’art dans un monde purement fonctionnel est son absence de fonction » T. ADORNO