Fiche de révision: l’histoire

28 mai 2011 0 Par Caroline Sarroul

L’histoire 

L’intérêt pour le passé : on pourrait en effet naïvement penser que le passé est sans intérêt, car n’est plus, seul l’actuel devrait susciter notre intérêt. Pourtant, le passé nous intéresse et cela parce que selon Nietzsche, dans la seconde considération inactuelle,

1.          parce que l’homme conserve et vénère: nous avons besoin de connaître notre passé parce que grâce à lui, nous avons le plaisir d’être « le fruit de… ». Avoir un passé, c’est avoir une identité aussi bien individuelle que collective ( « les vivants sont toujours gouvernés par les morts » selon A. Comte et « la vraie sociabilité consiste plus dans la continuité successive que dans la solidarité actuelle »). Avoir un passé, c’est s’inscrire dans une filiation, qui donne un sens à notre existence, qui apparaît moins contingente, c’est être un héritier avec un héritage à transmettre. On peut aussi penser à un devoir de mémoire, à une dette envers le passé. Il y a enfin la nostalgie, l’amour des vieilles pierres. Ceci va donner l’histoire traditionnaliste.

2.          parce que l’homme est actif et aspire: il va chercher dans le passé des leçons, des modèles, des encouragements. Ce sont les grands hommes et évènements qui tracent une « ligne de faîte de l’humanité ». Etudier le passé, c’est aussi prendre acte qu’il est passé, on peut comparer le travail historique au travail psychanalytique. On se remémore, pour cesser de commémorer. C’est donc libérer le présent pour une action neuve, et en même temps comprendre par ses causes, ce présent. Ceci va donner l’histoire monumentale.

Mais pour Nietzsche, « trop d’histoire tue l’homme », il peut y avoir excès:

1.          l’histoire traditionnaliste peut tourner à « la manie de l’antiquaille ». On n’aime que le vieux, on est incapable de voir le neuf. On s’avance alors dans le présent à la manière d’un « chien limier » cherchant des traces du passé et incapable de saisir la particularité du présent. On n’agit plus, on réagit ( on répète, on se venge) . Le passé peut même être préféré au présent (passéisme) ou devenir un poids, un passé trop encombrant qui finit par étouffer, qu’on ne peut pas digérer.

2.          l’histoire monumentale peut devenir un passé mythique qui paralyse, qui humilie, le présent que nous avons sous les yeux ne peut qu’être perdant face à un passé, issu de notre mémoire affective, sélective. L’âge d’or est toujours derrière et l’histoire obéit au principe d’entropie: tout se dégrade. « les morts ensevelissent les vivants »

C’est pourquoi pour Nietzsche, « l’élément historique et l’élément non-historique sont également nécessaires à la santé d’un individu, d’un peuple d’une nation », d’où:

1.          l’intérêt d’une histoire critique qui parvient à saisir ce qu’il y a d’intempestif dans le passé, qui a une vue supra-historique, pour pouvoir agir efficacement. Cette histoire doit être celle des « grandes luttes contre l’histoire », mettant en avant ces hommes qui ont été de « véritables natures historiques, qui ne se sont pas préoccupés de ce qui est pour s’occuper de ce qui doit être ».

2.          les vertus de l’oubli. Ici l’oubli, ce n’est pas l’amnésie involontaire, ni le refoulement, mais la capacité à faire le deuil, à ne retenir du passé que ce qui est utile pour l’action présente. La mémoire doit être celle de la volonté, celle qui s’engage dans le présent et reste fidèle à elle-même dans le futur. On doit vouloir ce qu’on a voulu.

NB: si on peut penser avec Vladimir Jankélévitch que « les morts dépendent entièrement de notre fidélité », on peut aussi noter avec Alain Finkielkraut qu’ « il n’est pas moins déloyal de s’approprier les morts que de les laisser tomber ». Il faut se méfier de « l’embrigadement des ombres, de leur convocation intempestive ». Le passé a besoin de nous pour continuer d’être, et le présent peut être éclairé par le passé, mais il faut aussi prendre la mesure de ce qui sépare le présent et le passé. Dans Une voix vient de l’autre rive, Finkielkraut donne des exemples de cette convocation abusive et infidèle du passé.

CECI DIT, le passé intéresse tout homme

– chacun s’intéresse à son passé et parfois aussi au passé de l’humanité

– le philosophe fait de la philosophie de l’histoire en s’efforçant de dégager un SENS de l’histoire sous le CHAOS de l’histoire évènementielle , un chaos désespérant dont on ne peut se satisfaire. Les grands philosophes de l’histoire sont Kant, Hegel et Marx : ils vont tous dans l’histoire la lente réalisation de l’humanité ( selon un plan de la nature pour Kant et un plan de la Raison pour Hegel qui  réduisent cette histoire à celle de la vie politique, de l’Etat mettant peu à peu en place les conditions d’une vie pleinement humaine à travers la démocratie au plan national et international). Marx y ajoute une dimension socio-économique, faisant de la lutte des classes, le moteur de l’histoire, loin d’être achevée, le capitalisme étant le dernier visage de la préhistoire de l’humanité.

– l’historien étudie le passé humain pour en faire un récit vrai.

C’est au XIXème siècle positiviste que l’histoire « science des documents » revendique ce statut car elle considère qu’elle s’efforce de faire le même travail rigoureux et explicatif ( elle cherche des causes aux évènements et ne cherche plus simplement à établir les faits ( chronologie) ou faire un simple récit du passé ). On est passé de l’histoire originale des mémorialistes à l’histoire réfléchie.

Malheureusement le statut scientifique de l’histoire comme toute science humaine pose problème pour deux raisons : le sujet connaissant ( l’historien)  et l’objet d’étude ( le cours de l’histoire):

Raymond Aron(1905.1983)  « l’homme est à la fois sujet et objet de la connaissance historique »

Cette phrase signifie :

  1. que l’homme est l’objet de la connaissance historique: l’homme a une histoire, un devenir dans le temps. L’homme n’a pas simplement comme tout ce qui est et devient, une temporalité (fait d’être dans le temps, soumis au temps et son érosion) , il a une historicité. Il a une histoire, c’est-à-dire qu’il devient dans le temps mais en ayant conscience d’être dans le temps, en étant cause entière ou partielle des changements qui forment son devenir ( ce qui n’est pas le cas des objets et même de la Nature, dont le devenir est le résultat nécessaire de lois) et aussi sans doute en ayant une certaine représentation du temps comme linéaire, tri-dimentionnel- avec un passé, un présent et un futur-, ce qui présuppose d’avoir rompu avec une conception cyclique du temps, qui est celle des sociétés « primitives » ou traditionnelles, « sans histoire » dans le sens où le présent n’est que l’éternelle répétition d’un passé immémorial.

En ce sens le travail de l’histoire ? travail de mémoire ? travail psychanalytique : se remémorer le passé, c’est cesser de le commémorer ( troubles névrotiques : « symptômes commémoratifs » selon Freud) = se libérer du passé et avoir un présent et un avenir.

  1. que l’homme est le sujet de la connaissance historique: il fait aussi de l’histoire, de l’historiographie en tant qu’historien qui étudie le cours du devenir de l’humanité avec la volonté

de ne plus se contenter d’histoires ( divines : les premiers historiens HERODOTE et THUCYDIDE veulent écrire le récit des faits tels qu’ils se sont passés et l’expliquer par des causes humaines, des différences humaines et plus des interventions divines et des différents divins. Le début de l’histoire, c’est le retrait des Dieux aussi pour les historiens que pour les hommes (ils prennent en main leur histoire quand ils renoncent au fatalisme, aux conceptions théologiques qui, bien que leur promettant un millénarisme, en font des pions de(s) Dieu(x).

de pas raconter d’histoire

  1. 3.       qu’il y  a un lien entre les 2:

–  si l’homme a une histoire, c’est aussi sans doute parce qu’il fait de l’histoire, c’est-à-dire étudie son passé, pour en faire un récit véridique. « La conscience du passé est constitutive de l’existence historique » disait en ce sens Aron. Sans faire de l’histoire, l’homme serait prisonnier du présent, prisonnier d’un comportement instinctif, incapable de réagir, d’évoluer, d’anticiper. « L’histoire est pour l’espèce humaine, ce que la raison est pour l’individu » selon Schopenhauer.

– si l’homme est à la fois sujet (historien) et objet (objet d’étude) de la connaissance historique, cela pose la question de l’objectivité de l’histoire! Comment avoir la distance critique nécessaire à un examen objectif, si c’est moi-même que j’étudie, si l’objet d’étude est l’humain avec sa liberté, déjouant nécessité et prévisions?

Conséquence: l’histoire est forcément subjective car il s’agit d’un homme étudiant le devenir des hommes et cela, depuis son présent,  à travers des vestiges du passé qui peuvent être  des témoignages, donc subjectifs (chacun n’ayant pas vécu le même événement de la même manière)

–   même si l’historien les compare, recoupe, ( critique interne et externe des documents) , se méfie de la mémoire des hommes sélective, affective, vivante ( travail de l’historien ? travail de mémoire) il va en retenir certains plutôt que d’autres selon SON interprétation , SON hypothèse. « Tout histoire est choix » Lucien Febvre

–  même si sa subjectivité est utile, car elle lui permet un « effort d’incorporation » nécessaire pour se mettre à la place de ceux qu’il étudie. En histoire, on n’attend pas seulement qu’on explique les faits, on attend des clefs pour les comprendre. Si les sciences de la nature sont EXPLICATIVES (recherche des causes par analyse), les sciences humaines sont COMPREHENSIVES (recherche d’un sens par analyse et synthèse).

– même si il y a en histoire un effort d’objectivité et une intersubjectivité au sens de Popper (un effort pour se placer d’un point de vue qui pourrait être celui de tout un chacun) et au sens de point de rencontre de points de vue différents.

même si l’historien était objectif, expliquer les faits humains ce n’est pas la même chose qu’expliquer les faits naturels ! Et c’est ce qui empêche d’accorder à l’histoire (comme à toute science humaine !) le statut de science « dure »  au regard de son OBJET D’ETUDE : le devenir humain

SCHOPENHAUER:Seule l’histoire ne peut vraiment pas prendre rang au milieu des autres sciences, car elle ne peut pas se prévaloir du même avantage que les autres : ce qui lui manque en effet, c’est le caractère fondamental de la science, la subordination des faits connus dont elle ne peut nous offrir que la simple coordination. […] Les sciences, systèmes de concepts, ne parlent jamais que des genres : l’histoire ne traite que des individus. Elle serait donc une science des individus, ce qui implique contradiction. Il s’ensuit encore que les sciences parlent toutes de ce qui est toujours, tandis que l’histoire rapporte ce qui a été une seule fois et n’existe plus jamais ensuite. De plus, si l’histoire s’occupe exclusivement du particulier et de l’individuel, qui, de sa nature, est inépuisable, elle ne parviendra qu’à une demi-connaissance toujours imparfaite. Elle doit encore se résigner à ce que chaque jour nouveau, dans sa vulgaire monotonie, lui apprenne ce qu’elle ignorait entièrement.”

  1. car là où l’explication scientifique  sub-ordonne  ( la nature étant uniforme, on peut expliquer le particulier par, sous ( sub) le général) ET l’histoire  co-ordonne :  chaque évènement étant différent ( changement de contexte, d’échelle, des acteurs différents et libres, capables de tirer des enseignement du passé ou du moins avertis ) , il faut trouver des causes particulières. C’est ce qu’on appelle la PRIMULTIMITE du fait historique: il arrive une seule et unique fois. Même s’il y a certaines ressemblances entre  les faits ( les guerres reviennent, des analogies, des bégaiements; selon Hegel, les évènements se produisent toujours 2 fois: une fois comme tragédie et une autre comme farce ), des apparentes constantes et peut-être même la même nature humaine ( Machiavel « Tous les peuples ont toujours été et sont encore animés des mêmes passions »), chaque évènement est différent. Valéry dans  Variété écrit en ce sens que « l’histoire est la science des choses qui ne se répètent pas ».  Un évènement historique est donc semblable à un individu, c’est une totalité indivisible et unique, d’où :   l’histoire est “une science des individus”, donc ce n’est pas une science.

= pas de leçon de l’histoire puisque pas de lois.

  1. Cela empêche aussi toute vérification expérimentale et comme l’histoire étudie ce qui n’est plus: le fait historique n’est pas donné mais reconstruit, alors qu’en science, les faits sont donnés
  2. La science explique le présent par le passé (non seulement la cause explique l’effet, mais les mêmes causes ont les mêmes effets), en histoire  c’est le présent et le futur qui expliquent  rétrospectivement le passé; car c’est quand les buts se réalisent, que l’on peut saisir les réelles intentions des hommes.

Mais on peut aussi souligner que les sciences « dures » ne sont pas peut-être pas le modèle de la connaissance que l’on pense (cf. cours sur la science)

Pour compléter, cliquez et  écoutez l’analyse du sujet : l’histoire n’est-elle qu’un récit?