L’autorité de l’Etat est-elle la source de l’harmonie sociale?

28 mai 2011 0 Par Caroline Sarroul

Analyse des termes:

                     ce sujet interroge principalement  avec le verbe être, sur une identité, une égalité entre l’autorité de l’Etat et la source de l’harmonie sociale, invitant à se demander si l’Etat a pour effet l’harmonie sociale ( en ce sens il en serait la cause) et si cet effet pourrait avoir d’autres causes ( le « la » source suggère que l’Etat serait soit l’unique cause ou la cause principale et déterminante par rapport à d’autres causes possibles).

De plus, en admettant que l’Etat soit une cause de l’harmonie sociale, est-ce son autorité qui est en jeu? On peut en effet penser que l’Etat peut parvenir à cette harmonie par d’autres moyens que l’autorité à savoir la force, la terreur, la manipulation idéologique. Or l’autorité, si on l’analyse, s’oppose à l’usage autoritaire de la force. Celui qui a de l’autorité, c’est-à-dire une position de domination légitime, n’a justement pas besoin de recourir à la force. C’est ce que souligne clairement ce texte d’Alexandre Kojève:

 

« L’Autorité est donc nécessairement une relation (entre agent et patient) : c’est donc un phénomène essentiellement social (et non individuel) ; il faut être pour le moins deux pour qu’il y ait Autorité.

    DONC : L’Autorité est la possibilité qu’a un agent d’agir sur les autres (ou sur un autre), sans que ces autres réagissent sur lui, tout en étant capables de le faire. Ou bien encore : En agissant avec Autorité, l’agent peut changer le donné humain extérieur, sans subir de contrecoup, c’est-à-dire sans changer lui-même en fonction de son action. (Exemples : Si, pour faire sortir quelqu’un de ma chambre, je dois user de force, je dois changer mon propre comportement pour réaliser l’acte en question et je montre par là que je n’ai pas d’autorité ;il en est tout autrement si je ne bouge pas, et [que] ladite personne quitte la chambre, c’est-à-dire change, sur un simple « sortez ! » de ma part. Si l’ordre donné provoque une discussion, c’est-à-dire contraint celui qui le donne de faire quelque chose soi-même – à savoir discuter – en fonction de l’ordre donné, il n’y a pas d’autorité. Encore moins si la discussion aboutit à l’abandon de l’ordre ou même à un compromis, c’est-à-dire précisément à un changement de l’acte qui était censé provoquer un changement au-dehors, sans changer soi-même.) Ou bien, enfin : L’Autorité est la possibilité d’agir sans faire de compromis (au sens large du terme). […] toute Autorité a nécessairement un caractère légal ou légitime (aux yeux de ceux qui la reconnaissent : ce qui va de soi, car toute Autorité est nécessairement une Autorité reconnue ; ne pas reconnaître une Autorité, c’est la nier et par cela la détruire).

    DONC : 1) Non seulement exercer une autorité n’est pas la même chose qu’user de la force (de violence), mais les deux phénomènes s’excluent mutuellement. D’une manière générale, il ne faut rien faire pour exercer l’Autorité. Le fait d’être obligé de faire intervenir la force (la violence) prouve qu’il n’y a pas d’Autorité en cause. Inversement, on ne peut – sans se servir de la force – faire faire aux gens ce qu’ils n’auraient pas fait spontanément (d’eux-mêmes) qu’en faisant intervenir l’Autorité. »

La notion de l’autorité, 1942

 

  

 

      ( Vignettes extraites du diaporama accompagnant cette intervention de Yves Michaud :

http://www.canal-u.tv/producteurs/universite_de_tous_les_savoirs_au_lycee/dossier_programmes/utls_au_lycee_2009/l_autorite_yves_michaud)

Dès lors, ce sujet invite aussi à penser ce qui fait qu’un Etat a de l’autorité, c’est-à-dire est obéi sans avoir recours à la force, signe de sa faiblesse et de son insuffisance ( incompétence, trahison, …) au regard de ceux qui sont censés y obéir. On peut ici penser bien sûr aux philosophies du Contrat Social, mais aussi aux  fondements évoqués par Max Weber, la tradition et le charisme.

De la même manière, le sujet invite à penser ce que l’harmonie sociale , on peut penser que l’harmonie s’oppose à 3 choses :

  1. d’un côté, la cacophonie constituée de notes discordantes et désordonnées qui ramenée au plan social pourrait se traduire par du désordre, des conflits, des divisions  ( dans ce cas, si on asssocie l’institution de l’Etat à la volonté de sortir d’un Etat de nature chaotique – « guerre généralisée de chacun contre chacun » selon Hobbes- et son gouvernement au fait de se faire tenir droite la société, donc à un principe d’ordre,l’Etat est une source de l’ordre social)
  2. d’un autre côté à un tout trop ordonné: on peut ici penser aux analyses sur le rapport heureux qui fait qu’une chose est belle, dans Hippias Majeur de Platon. Là on découvre que la régularité, la symétrie, il y a certes beauté mais la réelle beauté est dans le juste rapport  entre les parties et le tout, par lequel l’unité de ce dernier s’impose à la multiplicité des parties. C’est cette ideé qu’on retrouve  chez BOSSUET: si la beauté est ordre, ce n’est pas tout ordre :  « La beauté, c’est-à-dire la justesse, la proportion de l’ordre » , une justesse qui présuppose une diversité unifiée. DIDEROTle souligne : « L’unité du tout naît de la subordination des parties; et de cette subordination naît l’harmonie qui suppose la variété »  dans ses Pensées sur la peinture, dans Oeuvres esthétiques. C’est la même définition qui inspire le fameux nombre d’or (1,618), la section d’or, la divine proportion (une proportion telle qu’entre le petit segment (AC) et le grand segment (BC) il y a le même rapport qu’entre l’ensemble (AC + BC) et le grand (BC)) recherchée dit-on par les peintres de la Renaissance. Donc l’harmonie est un ordre équilibré qui parvient à concilier la diversité, la variété. Si on ramène cela à notre harmonie sociale, on pourrait penser que l’ordre obtenu pourrait être une négation de cette diversité ( c’est ce que pourrait obtenir un Etat parvenant à uniformiser son peuple ou exploitant un peuple de « semblables » à cause de la passion de l’égalité ( Tocqueville) ou de la soumission au groupe empêchant la naissance de l’individu)
  3. et enfin à un simple ordre apparent  qui pourrait masquer des tensions cachées, larvées… en ce sens l’ordre pourrait être associé à une absence de conflits déclarés et donc à la paix. Mais on peut penser que la paix n’est pas seulement une absence de conflits, de guerres, de discordes  mais comme le dit Spinoza , une véritable concorde. Cette concorde non seulement se distingue évidemment d’un ordre obtenu, extorqué par la force et  mais elle présuppose une réelle volonté positive et active d’union. Et selon Spinoza , la seule source de cette concorde est la Raison

  « Lorsque les sujets d’une nation donnée sont trop terrorisés pour se soulever en armes, on ne devrait pas dire que la paix règne dans ce pays, mais seulement qu’il n’est point en guerre. La paix, en vérité, n’est pas une simple absence d’hostilités, mais une situation positive, dont certaine force de caractère est la condition. En effet on sait que la soumission consiste en une volonté constante d’exécuter les actes dont l’accomplissement est prescrit par une décision générale de la nation. Quelquefois aussi, il arrive qu’une nation conserve la paix à la faveur seulement de l’apathie des sujets, menés comme du bétail et inaptes à s’assimiler quelque rôle que ce soit sinon celui d’esclaves. Cependant, un pays de ce genre devrait plutôt porter le nom de désert, que de nation !En d’autres termes, quand nous disons que l’Etat le meilleur est celui où les hommes passent leur vie dans la concorde, nous voulons parler d’une vie humaine définie, non point par la circulation du sang et les différentes autres fonctions du règne animal, mais surtout par la raison : vraie valeur et vraie vie de l’esprit. »

 Traité de l’Autorité politique, Chapitre V, §§. 4-5

Mais si les hommes sont dotés de raison, ils sont souvent dominés par leurs passions; et si la raison réunit et unit, les passions déchirent et opposent, d’où la nécessité de l’Etat pour contraindre l’homme à contenir ses passions et suivre sa raison, que l’Etat est censé incarné, en défendant l’intérêt général et en étant au-dessus de la poursuite des intérêts particuliers et immédiats.

Mais si la discorde est à l’origine de l’apparition de l’Etat, de sa nécessité ( au sens on semble ne pas pouvoir se passer de l’Etat, d’un maître à cause de « l’insociable sociabilité » qui caractérise l’homme) comment peut-il apparaître légitime? En effet, si les hommes sont soumis à leurs passions, seule la force contraignante semble pouvoir les tenir. Pour que l’Etat ait une réelle autorité, il faut présupposer que les hommes le reconnaissent comme légitime ( et pas seulement nécessaire). Dans ce cas, il faut présupposer qu’à un moment donné, ils ont été capables d’être raisonnables et de manifester une volonté commune, c’est ce qu’on trouve dans l’idée de contrat social, en particulier chez Rousseau qui présuppose une pacte d’association préliminaire puis un pacte de soumission au souverain). Dès lors on peut penser que si l’Etat n’est pas forcèment la source de l’harmonie sociale, son autorité la présuppose. L’harmonie sociale serait donc la source de l’autorité de l’Etat, à défaut d’être éventuellement sa conséquence.

Donc l’enjeu de ce sujet est de se demander si c’est bien l’autorité de l’Etat qui est source de l’harmonie sociale, si celle-ci est vraiment réalisée ( et réalisable) et si l’autorité de l’Etat en est la source ou une des causes.