Du contrat social, Livre I chap IV sur le droit du vainqueur de réduire en esclavage le vaincu

24 avril 2012 0 Par Caroline Sarroul

Analyse à partir de  » Grotius et les autres tirent de la guerre un autre origine du prétendu droit d’esclavage…. »

1er par : Le droit d’esclavage comme prétendu droit de guerre, du vainqueur qui ayant le droit de tuer le vaincu, pourrait lui faire par intérêt grâce de la vie en échange de la liberté. Solution avantageuse pour les 2 parties : le vainqueur gagne en souveraineté, en expansion et le vaincu garde la vie sauve. C’est parce qu’il semble aller dans l’intérêt des deux parties, que ce droit d’esclavage apparaît comme possible et légitime

Pour Rousseau, ce droit d’esclavage est illégitime, non seulement parce qu’on ne peut se déposséder de sa liberté du côté des vaincus (argumentation préalable) mais aussi parce que, du côté des vainqueurs, on n’a pas  le droit de tuer l’ennemi vaincu.

Pour le démontrer Rousseau va utiliser deux distinctions (qui permettent en même temps de limiter la violence par encadrement juridique et de distinguer guerre juste et injuste)

  • 2ème  par : Distinction entre  la guerre et d’autres formes de violence et de conflits et examen des conditions de son apparition, qui présuppose la sortie de l’état de nature, qualifié A TORT par Hobbes, comme « état de guerre généralisée de chacun contre chacun ». ( 4ème par)

Selon sa définition,  la guerre ne peut être qu’un conflit étatisé, entre Etats, « chaque Etat ne peut avoir pour ennemis que d’autres Etats », donc il ne peut selon Rousseau y avoir de guerre à l’état de nature,

car les hommes n’ont  pas  de relations constantes entraînant la création de l’Etat (état de solitude ou d’association occasionnelle par le besoin qui ne lie que le temps de sa satisfaction quand il n’oppose pas les uns aux autres). La guerre n’est donc pas naturelle, elle suppose les institutions artificielles que sont les Etats, donc la guerre est aussi artificielle et instituée ( ? relation personnelle conflictuelle et violente)

car les hommes  n’ont  pas de « propriété constante », ce qui sous-entend pas de raison de se battre mais aussi renforce l’idée d’absence de droit ( occupation de fait ? droit de propriété) et d’Etat ( tout Etat présuppose un territoire sur lequel il exerce sa souveraineté et qu’il cherche à conserver et protéger)

Donc la guerre est un conflit étatisé, il ne peut y avoir de « guerre privée » ni à  l’état de nature (puisqu’il n’existe ni propriété ni droit ni Etat) ni dans l’état social, car les lois sont là pour limiter voir éradiquer les rapports violents).

3ème par : Rousseau distingue clairement l’état de guerre qui présuppose un conflit étatique dans la durée des rapports personnels violents dans la courte durée ( duels judiciaires appelés les ordalies abolies par Louis IX ou Saint Louis en 1620 pour être remplacés par « l’instruction de la cause », c’est à dire une enquête sérieuse des faits, conduite suivant les règles empruntées soit aux tribunaux ecclésiastiques, soit aux anciens tribunaux romains. ). Ces duels judiciaires ne sont pas des guerres privées et ce ne sont pas non plus des actes légitimes car contraire au droit naturel et à une constitution politique réelle ( = abus du gouvernement féodal)

Donc la guerre n’est bien qu’un conflit entre Etats où des soldats (« citoyens en armes » , défenseurs de la patrie contre un ennemi public désigné et précis) sont ennemis, mais pas des particuliers, des hommes ( puisqu’elle présuppose droit,  Etat et expression de sa force publique) ni des citoyens (simples membres d’un Etat de droit, guerre hors-droit même si déclarée en droit). Ce n’est pas la haine, la passion, le désir de vengeance qui opposent 2 soldats, pas des ennemis personnels, pas d’intérêt privé ; ils représentent deux Etats en conflits public de souveraineté

  • 5ème par : distinction entre soldats et non-combattants et hommes

Rousseau souligne à nouveau le caractère public et artificiel/institutionnalisé de la guerre qui présuppose une déclaration de guerre.

Cette déclaration s’adresse selon lui plus aux sujets qu’aux Etats, pour leur signifier qu’il s’agit d’un conflit entre Etats et que le but n’est pas de tuer des hommes, mais de désarmer l’Etat ennemi pour renforcer sa souveraineté par une démonstration de la force publique, une conservation ou une extension. La guerre a un but politique (« la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens » Général Carl von Clausewitz ? Foucault «  la politique est la continuation de la guerre par d’autres moyens »), sinon de c’est que du brigandage.

– Ce but politique impose à l’Etat de distinguer pendant le conflit soldats et non combattants et à poser des limites dans cet état de non-droit qu’est la guerre en acte. Respecter la propriété privée et la sécurité des particuliers, c’est, pour l’État agresseur, établir ce qui fonde sa légitimité comme État. L’État qui se discrédite dans sa façon de faire la guerre s’affaiblit en croyant se renforcer. Même si  les principes de la justice dans la guerre ne se fondent ni sur des obligations contractuelles, ni sur des obligations morales, mais sur un souci pragmatique enraciné dans les principes internes du droit politique, sur le souci de prendre en compte le fondement de l’obéissance au pouvoir, enjeu ultime de toute guerre véritable, cela pose des limites à l’action militaire ( et rend en même temps possible un accord de paix future).

– la définition de la guerre oblige à distinguer à la fin du conflit soldats et hommes ( = soldats désarmés). La guerre finie, le soldat ayant rendu les armes redevient un homme, qui n’a jamais été ennemi, et on n’a pas le droit de le tuer et de l’épargner en le faisant esclave.

C’est ainsi que Rousseau renvoie Grotius du côté des poètes et Hobbes, du côté des philosophes déraisonnables, les principes qu’il vient d’exposer sont conformes à la nature de la guerre et à une analyse rationnelle de celle-ci.

 

Rousseau conclut ce chapitre (aux 6/7ème par) en rappelant que

– le droit de conquête se réduit au droit du plus fort ( il ne peut être un motif de guerre légitime, ni le fondement d’une souveraineté étendue s’il n’y a pas reconnaissance de l’autorité et libre volonté de s’y soumettre en se désolidarisant de l’Etat précédent , seul moyen de prétendre gagner la guerre, car Etat ennemi tué), qui n’est pas un droit ( Chap III)

– si on n’a pas le droit de massacrer les peuples vaincus, on n’a pas le droit de les asservir : ce serait même un « échange inique » ( =injuste) car un vol de liberté

– même si on admettait un droit de tuer , réduire en esclavage serait tuer plus utilement en fait de compte et ce serait une continuation de la guerre, toujours dans un rapport de force et un mépris du droit ; cette convention n’est pas un traité de paix, la fin politique n’est pas atteinte, la guerre est perdue, elle continue.

 

Donc absurdité d’un contrat d’esclavage nul et non avenu, (comme le prétendu droit du plus fort) car unilatéral (donc qui ne serait pas honoré par la maître ou le vainqueur) et synonyme d’une autorité sans fondement et d’une perte de sa propre essence chez l’esclave, de son humanité.