Est-il naturel à l’homme de parler?

17 mai 2012 3 Par Caroline Sarroul

Introduction (p.108) : Le langage, c’est la faculté de communiquer ; une langue, c’est un instrument de cette communication sous forme d’un système arbitraire ou conventionnel de signes propres à une communauté ; la parole, c’est l’usage individuel de cette langue dans le cadre de la communication. Dés lors, il peut y avoir communication sans parole via d’autres moyens, et la parole n’est qu’une partie de cette communication. Si bien que si on peut admettre qu’il y a communication animale, c’est-à-dire expression et échange entre membres d’une même espèces ou même entre espèces, il semble que la parole soit réservée à l’homme, qui seul semble capable de mettre en place un code artificiel  de signes. Mais si la parole semble être le propre  de l’homme est-elle pour autant innée et donnée. Le cas des enfants sauvages étudiés par Malson, comme celui de Victor de l’Aveyron semble souligner une part d’apprentissage nécessaire et la difficulté de trouver ses mots qu’il est bien difficile de prétendre maîtrise sa langue, ses paroles. Aussi peut-on se demander s’il est naturel à l’homme de parler ? Mais poser ainsi le sujet c’est présupposer que la parole serait une simple faculté distinctive de l’homme alors qu’elle pourrait être constitutive de ce dernier, si seul l’homme parle ne peut-on pas penser que l’homme se fait homme à travers la parole.

Si parler est le propre de l’homme la parole est-elle pour autant innée ? N’est-ce pas la parole même acquise qui fait l’homme ? Et si l’homme se fait homme dans la parole est-il si facile de parler ?

I.On peut penser que l’homme est prédisposé physiologiquement ( larynx libéré, cordes vocales, palais..), mentalement ( « grammaire universelle » de Chomsky, aptitude à manier des concepts et des signes, des médiations) à parler, c’est à dire « arranger diverses paroles qui fassent entendre sa pensée » comme le dit Descartes. L’animal étant simplement capable de pousser des cris inarticulés, d’utiliser et de saisir des signaux. ( Cf Benvéniste et ses analyses sur les travaux de Von Frish sur le langage des abeilles) et cela pour exprimer des requêtes ou des passions, des états affectifs ( Cf apprentissage du langage humain chez les singes),l’homme lui utilise des signes (et en ce sens le sourd-muet parle !) et parle  pour exprimer sa penser, pour partager son étonnement , décrire, prescrire, maintenir le contact, dominer, prier… Mais si l’homme a la compétence de la parole, elle doit devenir une performance et elle ne le peut que par apprentissage dans un « bain linguistique ». Donc la parole est un acquis social ou du moins son effectivité est acquise.  Une acquisition que chacun se doit de faire individuellement mais par laquelle l’homme s’est fait homme ou plus homme au plan de l’espèce, car si ce qui fait l’essence de l’homme, c’est sa prédisposition à l’évolution par inadaptation originelle ( être prométhéen) , ce qui le fait homme c’est la culture qu’il va développer dont la langue est un élément fondamental.

TR : aussi on peut se demander si ce n’est pas la parole qui fait l’homme homme ?

II.Si la parole n’est pas naturelle au sens d’innée puisqu’elle est acquise par chaque, elle est naturelle dans le sens où elle est propre à l’homme et même constitutive de l’homme.

D’un point de vue historique, les premiers hommes qui n’étaient encore que des animaux particuliers communiquaient par des gestes, des mimes. Mais les gestes ont leurs limites : ils ne permettent que de désigner le présent, le proche et quelques catégories générales ( longueur, largeur, taille..) . Puis serait apparu un proto-langage sans grammaire avec un vocabulaire limité à des termes concrets (actions, objets, personnes) car moins fatiguant, plus rapide et permettant une action en parallèle. Ces premiers mots au départ icôniques ( un mot=une chose) puis sémantiques ( un mot=d’autres mots=un idée) étaient constitués de claquement de dents et de langue suivis de vibrations des cordes vocales, les futurs consonnes et voyelles. Ce proto-langage serait la langue mère des langues à venir et serait à l’origine du « big bang  culturel du paléolithique supérieur » suivant les paléontologues. Car les mots ainsi constitués permettent la pensée, et la manipulation d’autres médiations comme l’outil, des stratégies, l’art, le culte des morts…

C’est ce qui pose le problème de l’origine du langage articulé et de la pensée : car pour constituer une langue, il faut déjà vivre en société et parler,  mais pour parler il faut penser, mais pour penser il faut parler car comme le souligne Hegel « on ne peut penser sans les mots ».Ou comme le dira Ferdinand de Saussure, on le peut mais «  sans le secours des signes nous serions incapables de distinguer deux idées de façon claire et constante »Donc en somme pour parler et dc penser, il faudrait déjà parler et penser. « la langue est comparable à une feuille de papier : la pensée est le recto et le son le verso…dans la langue on ne saurait isoler ni le son de la pensée ni la pensée du son » . C’est à cette causalité circulaire que se heurte Rousseau dans son Essai sur l’origine et les fondements e l’inégalité parmi les hommes, condamné à supposer que Dieu aurait donné à l’homme pensée et parole simultanément.

En tout cas si c’est la pensée conceptuelle qui permet de distinguer l’homme de l’animal, elle n’a pu se développer que grâce à la parole, donc si l’homme est homme et parle comme un homme, c’est grâce à la parole qui est bien que non innée , même si la compétence est désormais innée par la cérébralisation, elle est essentielle et donc naturelle à l’homme. Mais parler reste pour chacun d’entre nous quelque chose à conquérir et à jamais conquis.

 

III. En effet si parler est naturel , parler pour dire, dire ce que l’on pense et ressent est une autre affaire. Si l’enfant acquière la parole par apprentissage, l’adulte doit parachever sans fin cette acquisition en enrichissant son vocabulaire ( plus de mots, c’est la possibilité de mieux distinguer mentalement les idées, les préciser) , en maîtrisant la grammaire, un niveau de langue plus élevé, en en se donnant les moyens d’être compris, car une parole non comprise est une parole en l’air , pour rien, du bruit. Il y a aussi comme le suggère les limites de la langue parfaitement adéquate pour désigner l’utilitaire, le quotidien , l’impersonnel mais inadéquate pour dire l’émtioon, le personnel, l’unique d’où parfois le silence ou le recours à d’autres formes de langage.