L’objet du désir en est-il la cause?

19 mai 2012 0 Par Caroline Sarroul

Apparemment l’objet du désir, c’est-à-dire ce vers quoi tend le désir, les choses qu’on appète, semblent en être la cause, c’est-à-dire ce qui le produit. On semble toujours désirer  une chose en particulier, à l’opposé du besoin qui a un objet indéterminé ( quelque chose à boire, mais rien en particulier). On désire souvent tenté de l’extérieur, ce que l’autre a déjà (désir mimétique, triangulaire selon René Girard), donc quelque chose qui se tient devant nous, que nous n’avons pas, dont la présence crée un manque et vers lequel on fait un effort pour s’en emparer. Quand on obtient l’objet de notre désir, on éprouve du plaisir et le désir de cet objet disparaît, sauf si sa possession semble précaire, inachevée, ce qui tend à convaincre que l’objet du désir en était la cause.

NB:  « choses » renvoie aux biens matériels et donc réduit le désir à celui de la possession, de l’appropriation, de l‘AVOIR

Mais si l’objet d’un désir peut apparaître comme en étant la cause, on se rend aussi compte qu’il ne fait que participer à sa production occasionnelle, le fait que le désir aille d’objet en objet, le fait que la possession de l’objet n’apporte pas le plaisir escompté (la chasse plus plaisante que la prise), que les objets désirés soient souvent ceux désirés par les autres, tout cela  laisse penser qu’il  y a en amont de tel ou tel objet, un état désirant essentiel qui vient trouver un écho, un point d’arrêt momentané dans cet objet en aval ou un désir fondamental qui s’exprime à travers nos désirs ponctuels. Si l’objet d’un désir n’est que la cause seconde, efficiente du désir, quelle en est la cause première du désir ?

En réalité, l’objet du désir n’est que l’occasion d’exercer notre puissance désirante ou de répondre à notre état désirant qui sont les  causes profondes, premières du désir. L’objet d’un désir n’est pas sa cause première, il n’est désirable qu’en tant que signe, et un signe est ce qui vaut pour autre chose et qui trouve un écho dans un passé perdu ou refoulé ( thèse de la psychanalyse). L’objet d’un désir n’est alors qu’un objet de substitution d’un désir. L’objet du désir n’est pas sa cause première parce que le désir n’est pas une relation entre un sujet et un objet, mais entre sujets que l’objet vient médiatiser ( lutte pour la reconnaissance, Hegel). C’est parce que nous sommes des êtres incomplets que nous désirons pour combler un manque à être ( Platon et le mythe de l’androgyne) et avons besoin de la reconnaissance des autres ( désir d’être désiré et reconnu). C’est ce que Schopenhauer appelle lui, dans la lignée de Platon,  le vouloir -vivre ( qui insatiable nous dévore) qui est la cause du désir, de nos désirs incessants. Ou dans une conception plus positive du désir, c’est par ce que nous faisons un effort pour persévérer dans notre être, que nous nous efforçons vers des objets ( Spinoza et le désir comme définissant ses objets). C’est ce que Baudrillard appelle « le projet même de vivre », « la dynamique existentielle » ( texte p. 88) obéissant au principe de plaisir , qui explique la consommation compulsive, frénétique  et la naïveté de ceux qui pensent pouvoir l’arrêter à force de moralisme.

NB: non des choses, le désir serait celui des êtres, de l’Etre. Aussi le véritable objet du désir n’est pas de l’ordre de l’avoir, mais de l’être, de ce qui peut combler cet être ( qui ne se réduit pas à son être-là, à la matière mais qui est esprit). Ce n’est qu’en s’élevant aux dessus des choses, que l’on atteint ce qui peut combler le désir: ce qui est au sommet de l’échelle des beautés chez Platon, dans la vie contemplative pour Aristote, dans la contemplation esthétique qui est « le pain quotidien de l’âme » pour Kandinsky.

Elevons-le , élevons-nous!!