Les échanges en 3 idées clefs

9 juin 2014 0 Par Caroline Sarroul

 Les  échanges en 3 idées clefs

A partir de  ce texte de Montesquieu , on peut dégager une définition des échanges économiques et 3 idées principales:

1. l’échange économique ne crée pas un lien mais simplement des rapports, conséquence du croisement d’intérêts particuliers; d’ailleurs il n’existe que parce que le partage et la solidarité des communautés n’est plus.

2. l’échange économique peut avoir pour moyen l’argent ( la monnaie rendant commensurables des biens différents) qui en devenant sa fin, le tue

3. le commerce  n’est pas seulement un fait, c’est aussi un esprit qui peut finir par corrompre les esprits

«  Le commerce guérit des préjugés destructeurs ; et c’est presque une règle générale que, partout où il y a des mœurs douces, il y a du commerce ; et que, partout où il y a du commerce, il y a des?mœurs douces.???Qu’on ne s’étonne donc point si nos mœurs sont moins féroces qu’elles ne l’étaient autrefois. Le commerce a fait que la connaissance des mœurs de toutes les nations a pénétré partout : on les a?comparées entre elles, et il en a résulté de grands biens.???On peut dire que les lois du commerce perfectionnent les mœurs ; par la même raison que ces mêmes lois perdent les mœurs. Le commerce corrompt les mœurs pures ; c’était le sujet des plaintes de?Platon ; il polit et adoucit les mœurs barbares, comme nous le voyons tous les jours.

  L’effet naturel du commerce est de porter à la paix. Deux nations qui négocient ensemble se rendent réciproquement dépendantes : si l’une a intérêt d’acheter, l’autre a intérêt de vendre ; et?toutes les unions sont fondées sur des besoins mutuels.???Mais si l’esprit de commerce unit les nations, il n’unit pas de même les particuliers. Nous voyons que, dans les pays où l’on n’est affecté que de l’esprit de commerce, on trafique de toutes les?actions humaines, et de toutes les vertus morales ; les plus petites choses, celles que l’humanité demande, s’y font, ou s’y donnent pour de l’argent.???L’esprit de commerce produit dans les hommes un certain sentiment de justice exacte, opposé d’un côté au brigandage, et de l’autre à ces vertus morales qui font qu’on ne discute pas toujours ses?intérêts avec rigidité, et qu’on peut les négliger pour ceux des autres.???La privation totale du commerce produit au contraire le brigandage, qu’Aristote met au nombre des manières d’acquérir. L’esprit n’en est point opposé à de certaines vertus morales : par exemple,?l’hospitalité, très rare dans les pays de commerce, se trouve admirablement parmi les peuples brigands ». Montesquieu, L’esprit des lois, 1748

L’étymologie latine du mot cambiare indique le principe d’un rapport de réciprocité entre des parties. Cambiare c’est « donner ou céder à quelqu’un quelque chose contre quelque chose ».  On appelle marchand tout échange dont l’un des termes est un service rendu ou une propriété, autre qu’une quantité de monnaie; et l’autre terme est, en contrepartie, une quantité de monnaie ou une autre propriété ou un service rendu.

 

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« Ce qui donne naissance à une cité, c’est, je crois, l’impuissance où se trouve chaque individu de se suffire à lui-même, et le besoin qu’il éprouve d’une foule de choses » Platon, République, Livre II  

+ division du travail primitive en métiers

« La division du travail […] est la conséquence nécessaire […] d’un certain penchant naturel à tous les hommes […] : c’est le penchant qui les porte à trafiquer, à faire des trocs et des échanges d’une chose contre une autre. » Adam Smith,

 

Si l’échange est la condition de toute association, il ne peut  suffire à constituer une cité, qui ne vise pas que la survie matérielle mais un idéal.

De même que l’objet marchandise est  « coupé » de son propriétaire à partir du moment où il est offert à la vente ( prêt à s’en séparer)  de même l’échange marchand est « coupé » de tout autre rapport pouvant exister entre les échangistes.

 

Les échanges économiques et marchands ne suffisent pas à constituer une société, il faut leur ajouter toute une dimension culturelle, symbolique et politique.

Il faut ajouter un échange de biens d’un autre ordre (ayant de la valeur et pas seulement un prix) : échanges affectifs (gestes, sourires, amitié) et symboliques (paroles, respect, signes.)

 

Pour Durkheim, la division du travail et l’échange sont donc aussi le fondement de la société – c’est-à-dire du passage de la communauté (relation étroite entre individus, solidarité mécanique par ressemblance et proximité) à  la société (une solidarité organique : la cohésion résulte de la différenciation, comme pour les organes d’un être vivant ; avec rupture du lien social quand communauté trop nombreuse).

    Pour que l’individu devienne un sujet économique, les individus doivent se poser comme étrangers les uns aux autres. Dans une communauté, ce qui fait lien social, c’est le statut, dans une société, c’est  le contrat qui exige de penser l’homme comme une personne ayant, théoriquement, une existence antérieure au social : fin d ‘un ordre holiste, les individus entrent en rapport les uns avec les autres, non pas pour sacrifier leurs droits naturels mais pour les sauvegarder.

+ Le développement du commerce et l’idée moderne de liberté sont intimement liés.

 

+ ouverture sur d’autres sociétés : l’échange économique est l’occasion de découvrir d’autres  cultures.

 

 

 

+ facteur de  paix  (CECA par exemple)

 

« Il commence là où les communautés finissent, à leurs points de contact avec les communautés étrangères ou avec des membres de ces dernières communautés » Marx, Le Capital, Livre I, §I

L’échange économique présuppose la fin du partage des fruits d’un travail collectif où chacun effectue sa part (corvée, tribut) et où il y a redistribution. C’est ce qui caractérise les sociétés archaïques hiérarchisées, où les notions de contrat, de propriété privée, d’individu comme personne privée n’existent pas.  : « Pour que l’aliénation soit réciproque, il faut tout simplement que des hommes se rapportent les uns aux autres, par une reconnaissance tacite, comme propriétaires privés de ces choses aliénables et, par là même, comme personnes indépendantes » (Marx)

Le marché s’installe donc sur une autonomisation de l’économique par rapport au social, fin de la société traditionnelle holiste.

 

 

 PB : « Au lieu que l’économie soit encastrée dans les relations sociales, ce sont les relations sociales qui sont encastrées dans le système économique. »

Karl Polanyi, La Grande transformation

PB : si on s’ouvre sur d’autres sociétés, fin de la communauté et liens qui ne durent que le temps de l’échange. « Si l’intérêt rapproche les hommes ce n’est jamais que pour quelques instants ; il ne peut créer entre eux qu’un lien extérieur. Dans le fait de l’échange, les divers agents restent en dehors les uns des autres, et l’opération terminée, chacun se retrouve et se reprend tout entier. » Durkheim, de la division du travail

PB : la paix n’est-elle que l’absence de conflits, contraires à l’intérêt privé ?

 

L ‘échange économique est fondé sur le besoin et l’intérêt de chaque partie.

 

 

 

 

 

 

 

 

L’échange économique présuppose une stricte égalité entre ce qui est donné et ce qui est reçu (« un certain sentiment de justice exacte » Montesquieu)

 

L’échange économique condamne le vol (le brigandage) et l’usure et valorise le travail car ce qui fait la valeur d’une marchandise c’est sa valeur d’usage (utilité et rareté du produit) et sa valeur d’échange (= la quantité de travail nécessaire à sa production – sans quoi il y aurait avantage à produire soi-même ou à faire produire la marchandise plutôt qu’à l’acheter).

« Le travail est donc la mesure réelle de la valeur échangeable de toute marchandise. Le prix réel de chaque chose, ce que chaque chose coûte réellement à celui qui veut se la procurer, c’est le travail et la peine qu’il doit s’imposer pour l’obtenir. (…) Ce qu’on achète avec de l’argent ou des marchandises est acheté par du travail, aussi bien que ce que nous acquérons avec la sueur de notre front. Cet argent et ces marchandises nous épargnent, dans le fait, cette fatigue. Elles contiennent la valeur d’une certaine quantité de travail, que nous échangeons pour ce qui est supposé alors contenir la valeur d’une quantité égale de travail. Le travail a été le premier prix, la monnaie payée pour l’achat primitif de toutes choses. »

Adam Smith

 

     La monnaie a été instituée pour rendre des choses différentes (sans quoi il n’y a pas de raisons d’échanger) commensurables. L’argent est le moyen d’égaliser l’échange.

 1)  « Sur un marché, ce n’est pas de la bienveillance du boucher, du marchand de bière ou du boulanger que nous attendons notre dîner, mais bien du soin qu’ils apportent à leurs intérêts. Nous ne nous adressons pas à leur humanité, mais à leur égoïsme ; et ce n’est jamais de nos besoins que nous leur parlons, c’est toujours de leur avantage. »  Adam Smith (1723-1790)

PB : Même si les vices privés contribuent au bonheur public (théorie de la main invisible de Smith: “Tout en ne cherchant que son intérêt personnel, il travaille souvent d’une manière bien plus efficace pour l’intérêt de la société, que s’il avait réellement pour but d’y travailler.” ) l’économie n’a plus de comptes à rendre ni à la morale ni à la religion, droit d’ignorer le désintéressement, la possibilité du sacrifice, du don de soi, l’amour de l’humanité, la générosité…

PB : peut-on sortir de la logique de l’échange ?  Le don ?  Contre-don attendu ou sentiment d’obligation chez le receveur ? « Donner est une supériorité. » Victor Hugo

2)  PB : la morale n’exige –t-elle pas que parfois l’on renonce à ce qui nous est du ? Idem pour l’équité ?

 

 

3) PB : D’étalon de l’échange, sur le marché livré à la liberté (fin des échanges traditionnels où la valeur d’usage prédomine), le travail devient lui-même une marchandise (« Le travail ne produit pas que les marchandises ; il se produit lui-même et produit l’ouvrier en tant que marchandise »). Et comme la valeur d’échange l’emporte et dépend aussi de la comparaison avec d’autres produits (« La dépréciation du monde des hommes augmente en raison directe de la mise en valeur du monde des choses. » Marx), de l’offre et de la demande, la valeur d’échange finit par l’emporter sur la valeur d’usage,  le travail de l’ouvrier est alors acheté en dessous de sa valeur d’usage, d’où plus-value et exploitation et dévalorisation du travail

Tout semble pouvoir devenir marchandise. « Nous voyons que, dans les pays où l’on n’est affecté que de l’esprit de commerce, on trafique de toutes les?actions humaines, et de toutes les vertus morales ; les plus petites choses, celles que l’humanité demande, s’y font, ou s’y donnent pour de l’argent.? » Montesquieu

On ne voit plus nécessairement les choses pour ce qu’elles sont mais pour ce qu’elles valent. « Je dépense donc je suis » Beigbeder dans 99 fr.

Apparaît aussi ce que Marx appelle le Fétichisme de la marchandise, on a l’impression que la marchandise a de la valeur en elle-même (oubli qu’elle ne vaut que par le travail incorporé en elle) et on réduit sa valeur à une valeur d’échange, au détriment de sa valeur d’usage

 

 

4) PB l’argent finit par devenir le but de l’échange et ce qui tue l’échange.

«  Il est tout à fait normal de haïr le métier d’usurier du fait que son patrimoine lui vient de l’argent lui-même, et que celui-ci n’a pas été inventé pour cela. Car il a été fait pour l’échange, alors que l’intérêt ne fait que le multiplier. Si bien que cette façon d’acquérir est la plus contraire à la nature. »    Aristote, Les Politiques, I, 10

« L’argent, qui possède la qualité de pouvoir tout acheter et de s’approprier tous les objets, est par conséquent l’objet dont la possession est la plus éminente de toutes. Universalité de sa qualité est la toute-puissance de son être ; il est donc considéré comme l’être tout-puissant. (…) Ce que je peux m’approprier grâce à l’argent, ce que je peux payer, autrement dit ce que l’argent peut acheter, je le suis moi-même, moi le possesseur de l’argent. Les qualités de l’argent sont mes qualités et mes forces essentielles en tant que possesseur d’argent. » Marx, Manuscrits de 1844