Sujet et corrigé du brevet 2009

Le texte :

Un beau matin d’hiver – une matinée de brume, quand la lumière du jour naissant se confond encore avec les halos des réverbères – un homme marchait le long d’un canal. C’était un homme non pas trop âgé, mais usé par la vie, pour avoir dormi dehors et avoir bu trop de vin. Cet homme-là (mettons qu’il s’appelait Ali) n’avait pas de domicile, et pas vraiment de métier. Quand les gens le voyaient, ils disaient : « Tiens! L’estrassier. » C’est comme cela que les gens du Sud appellent les chiffonniers qui vont de poubelle en poubelle et ramassent tout ce qui peut se revendre, les cartons, les vieux habits, les pots de verre, même les piles de radio qu’on recharge très bien en les laissant au soleil.

Pour ramasser tout cela, il avait une poussette-landau du temps jadis, avec une belle capote noire et des roues à rayons, dont une était légèrement voilée. Pour les objets volumineux, il avait une charrette à bras.

Ali se dirigeait vers le pont. C’est là qu’il habitait, et qu’il gardait tous les trésors qu’il avait ramassés durant la nuit.

Ce matin-là Ali était fatigué. Il pensait à la bonne lampée de vin qu’il allait boire avant de se coucher sur son lit de cartons, sous sa couverture militaire qui l’abritait du froid comme une tente. Il pensait aussi au chat gris qui devait être endormi sous la couverture, en rond et ronronnant. Ali aimait bien son chat. Il l’avait appelé Cendrillon, à cause de sa couleur.

Quand Ali s’est approché de la tente, il a vu quelque chose d’inattendu: à la place du chat, il y avait un carton entrouvert, que quelqu’un avait déposé là. Tout de suite Ali a compris que ce carton n’était pas à lui. L’estrassier resta un moment à regarder, plein de méfiance. Qui avait mis ce carton là, sur son lit ? Peut-être qu’un autre gars de la chiffe avait décidé de s’installer ici, sous le pont ? Il avait laissé ce carton pour dire: « Maintenant sous le pont, c’est chez moi ».

Ali sentit la colère le prendre. Tout à coup il se souvint qu’il avait été soldat, autrefois, dans sa jeunesse, et qu’il était monté à l’assaut au milieu du bruit des balles. C’était il y avait bien longtemps, mais il se souvenait des battements de son coeur de ce temps-là, de la chaleur du sang dans ses joues.

Il s’approcha du carton, résolu à le jeter loin sur les quais, quand il entendit quelque chose. Quelque chose d’incroyable, d’impossible. Une voix qui appelait, dans le carton, une voix d’enfant, une voix de bébé nouveau-né. C’était tellement inattendu qu’Ali s’arrêta, et regarda autour de lui, pour voir d’où venait cette voix. Mais sous le pont tout était désert, il n’y avait que l’eau froide du canal, et la route qui passait au-dessus, où les autos avaient commencé à rouler.

Alors du carton sortit à nouveau la voix, claire, avec comme une note d’impatience. Elle appelait à petits cris répétés, et comme Ali tardait encore, les bras ballants, la voix se mit à pleurer. En même temps, Ali vit que le carton remuait, s’agitait sous les coups donnés à l’intérieur.

« Des chats ! » dit Ali à haute voix. Mais en même temps il savait bien que les petits chats qu’on a oubliés au bord d’un canal n’ont pas cette voix-là.

Il s’approcha encore, écarta les bords du carton avec ses mains noircies et gercées, et avec d’infinies précautions il en sortit une bébé, une petite fille pas plus grande qu’une poupée, si petite qu’Ali devait serrer ses mains pour qu’elle ne glisse pas, si légère qu’il avait l’impression de ne tenir qu’une poignée de feuilles.

« C’est elle, c’est l’enfant de sous le pont », pensa-t-il. (…)

De sa vie, Ali n’avait jamais rien vu de plus joli, ni rien de plus délicat et léger que cette petite fille, cette poupée vivante. Il la tenait dans ses bras, sans oser approcher d’elle son visage à la barbe hirsute. L’air froid qui s’engouffrait sous le pont envoya voltiger des papiers et bouscula le carton vide, et Ali tout à coup s’aperçut que le bébé était tout nu, et que sa peau était rougie par le froid, hérissée de milliers de petites boules à cause de la chair de poule.

Jean-Marie Gustave Le Clézio, L’Enfant sous le pont (2000), Edition Lire c’est partir

Les questions

I) Le portrait de l’estrassier

1. Lignes 1 à 11

a) Lignes 1 à 5 : relevez au moins deux éléments qui caractérisent la vie d’Ali. (1 pt).

On trouve dans le texte ces deux éléments qui nous donnent des informations sur la vie d’Ali : il n’a pas de maison et dort dehors (« pour avoir dormi dehors », ligne 3 ; « n’avait pas de domicile », ligne 4) et il n’a pas d’activité professionnelle (« pas vraiment de métier », ligne 4).

b) quelle activité exerce-t-il ? Justifiez votre réponse en vous appuyant précisément sur le texte. (1 pt).

Ali n’a pas d’activité professionnelle définie (« pas vraiment de métier », ligne 4), mais il travaille quand même en ramassant dans les poubelles ce qui peut encore avoir une valeur : les gens du quartier l’appellent « l’estrassier », ce qui qualifie les « chiffonniers qui vont de poubelle en poubelle et ramassent tout ce qui peut se revendre ». Le fait qu’il pratique cette activité est confirmé par le paragraphe suivant qui décrit avec quoi il ramasse les objets (« une poussette-landeau », et « pour les objets volumineux », « une charrette à bras »).

2. Lignes 2-3

« C’était un homme non pas trop âgé, mais usé par la vie, pour avoir dormi dehors et avoir bu trop de vin. »

a) quel rapport logique exprime le groupe en italique ? (0,5 pt).

Le groupe en italique exprime un rapport logique de cause à effet.

b) remplacez ce groupe par une proposition subordonnée exprimant le même rapport logique. (0,5 pt).

C’était un homme non pas trop âgé, mais usé par la vie, parce qu’il avait dormi dehors et bu trop de vin.

3. Lignes 23-24

« Tout à coup il se souvint qu’il avait été soldat, autrefois, dans sa jeunesse, et qu’il était monté à l’assaut au milieu du bruit des balles. »

a) Quel est le champ lexical dominant dans cette phrase ? Justifiez votre réponse. (1 pt).

Le champ lexical dominant est celui de la guerre, évoqué par ces mots : soldat, assaut, balles.

b) Qu’apprend-on de nouveau sur la personnalité d’Ali ? (0,5 pt).

On apprend qu’Ali a exercé un métier lorsqu’il était jeune : celui de soldat, et qu’il était assez courageux pour monter « à l’assaut au milieu du bruit des balles. » On apprend aussi, puisqu’il s’en souvient « tout à coup », qu’il n’y pense pas souvent : peut-être a-t-il souhaité oublier cette partie de son passé ?

4. Ligne 38

« avec d’infinies précautions »

a) Donnez la fonction grammaticale de cette expression (0,5 pt).

La fonction grammaticale de cette expression est complément circonstanciel de manière du verbe sortir.

b) Indiquez quel trait de caractère d’Ali est ainsi mis en valeur (0,5 pt).

Cette phrase met en valeur le fait qu’Ali peut également se montrer doux et délicat.

c) Relevez dans la suite du texte un indice qui conforte votre réponse (0,5 pt).

La phrase « Il la tenait dans ses bras, sans oser approcher d’elle son visage à la barbe hirsute », confirme le fait qu’Ali se montre délicat avec la petite fille et qu’il la manipule avec le plus de douceur possible, puisqu’il a peur de la blesser s’il l’approche de sa barbe.

II) La découverte

1. Lignes 20-21

« Qui avait mis ce carton là, sur son lit ? Peut-être qu’un autre gars de la chiffe avait décidé de s’installer ici, sous le pont ? »

a) De qui cette phrase retranscrit-elle les pensées ? (0,5 pt).

Cette phrase retranscrit les pensées d’Ali, l’estrassier, le personnage principal du texte.

b) De quel type de discours s’agit-il ? (0,5 pt).

Il s’agit d’un discours indirect libre.

c) Transposez ces paroles rapportées au discours direct. (1 pt).

« Qui a mis ce carton là, sur mon lit ? Peut-être qu’un autre gars de la chiffe a décidé de s’installer ici, sous le pont ? »

2. Lignes 27 à 36

A travers quels sens la découverte s’effectue-t-elle ? Justifiez votre réponse (1 pt).

La découverte du bébé s’effectue d’abord à travers le sens de l’ouïe, puisqu’Ali entend les cris provenant du carton, ensuite à travers le sens de la vue : Ali voit le carton bouger, et enfin à travers le sens du toucher, puisqu’il sort le bébé du carton, avant de le voir, avec ses mains.

3. Donnez la classe grammaticale de « quelque chose » (l. 27) (0,5 pt)

La classe grammaticale de « quelque chose » est pronom indéfini.

4. Lignes 28-29

‘Une voix qui appelait, dans le carton, une voix d’enfant, une voix de bébé nouveau-né. »

a) Relevez les expansions du mot « voix » et donnez leur classe grammaticale. (1 pt).

Les expansions du mot « voix » dans cette phrase sont : « qui appelait », « d’enfant », puis « de bébé nouveau-né ». Leur classe grammaticale est subordonnée relative pour « qui appelait », groupe nominal pour « d’enfant », groupe nominal pour « bébé nouveau-né ».

b) Quelles précisions apportent-elles sur la découverte d’Ali ? (0,5 pt).

Les expansions du mot « voix » permettent de savoir que la découverte d’Ali est probablement un bébé, et non pas une bête ou un homme adulte.

III) L’enfant sous le pont

1. Lignes 38 à 40

« Si petite qu’Ali devait serrer ses mains pour qu’elle ne glisse pas ».
« si légère qu’il avait l’impression de ne tenir qu’une poignée de feuilles ».

a) Quel rapport logique est exprimé dans les deux propositions en italique ? (0,5 pt).

Le rapport logique exprimé dans ces propositions en italiques est celui de la conséquence.

b) Sur quelles caractéristiques du bébé insistent-elles ? (0,5 pt).

Ces propositions insistent sur la fragilité et la délicatesse du bébé, en mettant en valeur sa légèreté et sa petite taille.

2. Ligne 43

« Cette poupée vivante » : expliquez cette expression qui qualifie la petite fille. (0,5 pt)

L’expression « poupée vivante » appliquée à la petite fille met en valeur la petitesse du bébé, et aussi sa beauté.

3. Ligne 44 à 46

Expliquez pourquoi le bébé est en danger. Appuyez-vous sur le texte pour justifier votre réponse. (1 pt).

Le bébé est en danger parce qu’il fait froid : la première phrase du texte nous apprend que l’histoire se passe en hiver, puis il est question de « l’air froid ». Or le bébé n’est pas du tout protégé du froid puisqu’il est « tout nu », et il a visiblement très froid, puisque sa peau est « rougie » et qu’il a la « chair de poule ». Il pourrait donc mourir de froid.

4. Que représente le bébé pour Ali ? Justifiez votre réponse en vous appuyant sur la lecture du texte. (1,5 pt).

Pour Ali, cet enfant trouvé est une grande surprise. On devine que cette découverte va bouleverser son quotidien. Le fait qu’il la traite avec délicatesse (« avec d’infinies précautions ») prouve qu’il tient déjà à elle. Sa réaction « C’est elle » nous indique qu’il a l’impression que la rencontre entre lui et cette enfant est quelque part prédestinée, peut-être même qu’elle deviendra comme sa fille.

Réécriture (4 pts).

Réécrivez la phrase suivante : « Ce matin-là Ali était fatigué. Il pensait à la bonne lampée de vin qu’il allait boire avant de se coucher (…), sous sa couverture militaire qui l’abritait du froid comme une tente. » Vous remplacerez Ali par Ali et Marcel en effectuant toutes les modifications nécessaires.

Ce matin-là Ali et Marcel étaient fatigués. Ils pensaient à la bonne lampée de vin qu’il allaient boire avant de se coucher (…), sous leur couverture militaire qui les abritait du froid comme une tente.

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