Vous l’avez repéré dès le premier jour de rentrée ; cela s’est confirmé peu à peu au cours des premières semaines ; et maintenant vous savez que ce sera lui, cette année, votre chouchou répulsif.

Le chouchou répulsif, cet élève réfractaire dont vous pressentez qu’il va falloir l’accompagner toute l’année, qu’il va vous prendre toute votre énergie, solliciter des trésors d’inventivité et de patience pour trouver quelque chose qui « marche » avec lui, et que même si rien ne semble « marcher », vous allez vous accrocher, essayer, convaincre les collègues, jusqu’au bout, pour lui.

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Pour ma part je me rends compte que chaque année ça me tombe dessus, comme ça ; je ne vois rien venir et puis au bout de deux mois, je prends conscience que j’en ai un. Un chouchou répulsif. C’est en général un garçon, en général dans la classe dont je suis prof principal, et le plus souvent un « cas » jugé désespéré. L’an dernier, il s’appelait Ali, et coup de bol pour moi ma Principale adjointe l’avait aussi pris sous son aile et m’a aidée, envers et contre tout (tous ?) à le garder au collège jusqu’en juin, à lui redonner chance après chance, à convaincre les collègues de ne pas craquer maintenant. Avant lui il y a eu Charlie, Rayan, Nasreddine, Nathan, et d’autres dont j’ai oublié les prénoms.

Cette année, il s’appelle Axel. Il est en 6è. Il ne tient pas en place, rit et parle tout seul, s’est retrouvé rapatrié devant, seul, collé à mon bureau, au bout de quinze jours. Il cumule dix oublis, cinq retards en journée, cinq observations disciplinaires ; ses relations avec les élèves de la classe sont complexes, il les asticote, ne trouve rien de mieux que de les insulter copieusement pour se faire accepter dans le groupe, mais se montre le premier et le plus généreux quand il s’agit de prêter une fourniture ou d’accompagner à l’infirmerie un camarade souffrant ; et les collègues sont déjà venus me signaler x fois l’impossibilité de le faire travailler.

Soit. On a tous des élèves comme ça, il n’est pas le seul qui présente ce profil dans la classe, seulement lui, eh bien voilà, donc, ça me tombe dessus, lui c’est différent. Pourquoi lui ?

Probablement parce qu’il me lance un défi, peut-être parce que je souhaite inconsciemment ce défi. La relation élève/professeur repose sur le contrat didactique implicite et on sait bien qu’il y a lieu de l’expliciter : « je t’apprends des choses, tu me fais confiance, et je parie que tu peux le faire ». Le travail des premières semaines de cours est d’établir fermement ce contrat, de gagner la confiance de nos élèves. La plupart du temps et avec la majorité de nos élèves, ça roule. Mais avec certains, c’est un défi personnel que de pouvoir affirmer en vérité « je parie qu’il peut y arriver ». Le chouchou répulsif, c’est cet élève qui vous lance ce défi-là et qui vous donne en même temps des signes que le défi vaut la peine d’être relevé. Les signes, pour moi, ce fut la joie d’Axel lorsqu’il a passé le test Intelligences Multiples, et son désir de faire un autre test plus long ; il rayonnait, vraiment, et d’ailleurs le test a montré un profil assez équilibré, contre toute attente. Ses remarques très pertinentes en classe, lorsqu’il est vraiment avec nous, qu’il travaille. Sa confidence au lendemain d’un entretien avec lui et son papa : « Je sais pas pourquoi, en rentrant, j’étais très heureux ». Alors défi inconsciemment souhaité ? Peut-être bien : parce que ce sont ces élèves-là qui nous obligent à innover, à chercher d’autres formes d’apprentissage, pour pouvoir gagner le pari qu’ils vont y arriver, défi sans lequel notre travail serait bien monotone…

Enfin, je l’avoue, il y a peut-être aussi un peu du syndrome du marvel derrière tout ça. Vous ne savez pas ce qu’est le syndrome du marvel ? L’aspiration à être ce super-héros (ou cette super-héroïne), ce désir inavoué et peut-être un peu narcissique d’être celui qui parviendra à sauver cet élève perdu dans le monde impitoyable de l’École (tin tin tin tiiiiiin !), que tout nous pousserait normalement à laisser tomber ; d’avoir raison contre tous, d’y croire, aussi.

Alors si avoir un chouchou répulsif nous pousse à nous dépasser… Vive les chouchous !

Une chronique de Juliette

3 réponses

  1. Pas forcément narcissique le syndrôme… Quand je détecte un enfant avec des besoins différents dans ma classe, il y a une petite voix intérieure qui me dit : « et si c´était ton enfant dans cette classe, comment voudrais-tu que sa/son prof le traite ? ». Je pense qu´on ne s´imagine pas le quotidien scolaire ( ou calvaire scolaire ?) de ces enfants qui s´embrouillent dans les codes sociaux et semblent constamment enfreindre les règles implicites de collectivité. Pourtant au final, ce sont des enfants comme les autres qui cherchent simlement à établir des contacts pour survivre un jour de plus.
    Par ailleurs, je pense que ces enfants nous rappellent aussi que c´est bien la pédagogie le coeur de notre métier, et non les notions disciplinaires. Dans ces situations, on se retrouve bien dans « comment faire apprendre » au lieu du « que faire apprendre ». Félicitations pour votre patience, dédication et énergie.

  2. Bonjour,
    Merci pour ce témoignage sur le chouchou répulsif. Oui j’en ai un chaque année !
    Pourriez-vous nous citer des liens utiles pour les test d’intelligences multiples ?
    Merci et bonne journée

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