Hollywood ou l’édification d’une morale universelle : « Jugement à Nuremberg » de Stanley Kramer (1961)

Cet article est paru dans la Revue d’histoire de la Shoah, n° 195, octobre 2011.

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Deux affiches américaines du film successives pour sa distribution en 1961 et 1962.

L’accueil et la genèse du film
Le procès de Jérusalem a duré sur huit mois, du 11 avril 1961 au 15 décembre 1961, l’essentiel des débats se concentrant sur les quatre premiers mois. Il fut le premier procès de la « Solution finale » en tant que telle. Il jugeait un criminel de guerre nazi répondant seul de ses actes, dans un procès unique, devant un tribunal civil et non militaire et il s’ouvrit tardivement après les faits alors que beaucoup souhaitaient tourner la page du passé nazi. Il fut aussi le premier procès presque intégralement filmé et le deuxième grand procès où des caméras furent autorisées dans un prétoire après Nuremberg. Le 15 décembre 1961, Eichmann était déclaré coupable et condamné à la peine de mort. (1)
Le 14 décembre 1961, Stanley Kramer, accompagné de plusieurs acteurs du film et du scénariste présentait Judgment at Nuremberg, en première mondiale à Berlin-Ouest, à la Kongresshalle, proche de la porte de Brandebourg. La projection fut inaugurée par un discours du gouverneur-maire de Berlin-Ouest, Willy Brandt, qui prononça les mots suivants :
« Ce sujet nous est propre à nous Allemands et particulièrement à nous Berlinois. Nous ne pouvons nier le fait que […] les racines de la situation présente de notre peuple, de notre pays et de notre ville, sont à chercher dans le fait que nous n’avons pas su éviter de nous faire écraser par le pouvoir nazi à cette époque. Quiconque reste aveugle à ce fait ne peut pas comprendre les droits qui, encore à ce jour, ne sont pas accordés à notre peuple […]. Si le film sert la justice, nous l’accueillerons et l’accueillerons encore même si nous devons nous sentir honteux de nombre de ses aspects. » (2)
Comme Kramer l’avait expliqué le matin, au cours d’un débat public, « ce film ne visait pas le passé. Il visait le futur. Il entendait montrer à tous les pays que tout homme sur terre est responsable et se doit d’être conscient. Ce film, si on veut bien le comprendre, ne concerne en effet pas que l’Allemagne. » (3) Ce fut l’idée du distributeur, United Artists, de réaliser la première projection du film à Berlin-Ouest. Dans l’avion pour l’Allemagne, le journaliste libéral Max Lerner, du New York Post, déclara à l’actrice Judy Garland et au scénariste Abby Mann que ce film nuirait aux Etats-Unis : « Il va embarrasser l’administration Eisenhower ». (4) Dans la présentation de l’édition la plus récente de son scénario, Abby Mann (5) rapporte qu’à l’arrivée à Berlin-Ouest, les autorités de la ville avaient signalé qu’il pourrait y avoir des manifestations d’opposition, peut-être violentes, à l’occasion de la présentation du film. Après les trois heures de la projection du film, il y eut un silence gêné et pesant dans la grande salle de la Kongresshalle (6) occupée par 550 journalistes allemands et étrangers, et des dizaines de spectateurs présents sur invitation. Willy Brandt remercia tout le monde d’être venu et affirma qu’il étudierait mieux ce film pour voir ce qu’il aurait à en dire. Une chape de plomb couvrit le dîner de gala qui suivit la projection et lors de la conférence d’après projection planifiée par United Artists, une Allemande se leva et interpela l’acteur principal, Spencer Tracy : « Vous savez, monsieur Tracy, le peuple allemand vous aime plus que tout autre acteur américain. Nous avons du mal à croire que vous apparaissiez dans un film si dur au sujet de notre peuple. Nous avons lu dans une interview que vous avez affirmé que vous faisiez certains films pour l’argent. Est-ce pour cela que vous avez fait celui-ci ? Vous ne croyez pas vraiment ce que dit ce film, n’est-ce pas ? » L’acteur, après l’une de ses mimiques favorites, sa langue sur sa lèvre, répondit au micro : « Chaque mot ! » (7)

Abby Mann et Judy Garland restèrent quelques jours de plus à Berlin-Ouest pour constater comment le film était reçu par le public et avant d’aller à New York, où la première américaine du film était programmée pour le 19 décembre 1961. « Nous avons rencontré un jeune homme qui disait à qui voulait l’entendre que c’était une honte de montrer le film à Berlin. Il s’est avéré qu’il était le fils de l’un des juges dépeint dans le film. J’ai essayé de parler avec lui. Un des hommes de la publicité d’United Artists a commencé à devenir ombrageux et a dit : « Je pense que nous ferions mieux d’y aller, M. Mann. » Le fils du juge allemand s’est tourné vers moi et a dit : « Êtes-vous Abby Mann ?» Je me tus. « Vous avez écrit cela ? » Il s’avança vers moi et me parla moitié en allemand et à moitié en anglais. J’essayai de mettre les choses en perspective. Judy Garland n’arrêtait pas de me tirer par le bras et me disait : « Allons-y ». Une foule s’est rassemblée autour de nous. Il y avait les bruits inquiétants de la population qui nous entourait que je ne comprenais pas, n’ayant aucune connaissance de l’allemand. La police est entrée dans le hall. Le gars de la publicité d’United Artists avait pensé qu’il était préférable de les appeler et ils nous ont évacués rapidement. » (8)

La presse ouest-allemande accueillit avec critique et énervement le film. Par exemple, la revue Filmkritik se plaignait de la lecture moralisatrice faite du comportement des juges allemands sous le Troisième Reich, de la peinture trop caricaturée des quatre accusés dans le film et de leur avocat principal, en fait des rôles allemands dans le film ; les autres critiques revenant le plus souvent portaient sur « les artifices » de la réalisation et « le surjeu » des acteurs. (9)

Au contraire, la première américaine du film à New York, au Palace, fut un succès. Abby Mann et Maximilian Schell reçurent le 20 janvier 1962 les New York Film Critics Awards, respectivement du meilleur scénario et du meilleur acteur. Le 5 mars, Maximilian Schell reçut le Golden Globe (10) du meilleur acteur et Stanley Kramer celui du meilleur réalisateur. Pour la 34ème cérémonie de remise des Annual Academy Awards, à Los Angeles, au RKO Patages Theatre, le 9 avril 1962, Judgment at Nuremberg était nominé dans dix catégories ; Abby Mann et Maximilian Schell furent de nouveau récompensés, et Stanley Kramer se vit décerner le prix Irving Thalberg pour la qualité de son travail de producteur depuis 1942. (11) La critique du film par Variety (12) soulignait l’intelligence du scénario d’Abby Mann et insistait sur la portée philosophique d’un film devant lequel le public cependant aurait du mal à rester concentré. Le jeu de Spencer Tracy fut encensé, celui de Burt Lancaster plus critiqué, et les travaux du monteur Fred Knudtson et du compositeur Ernest Gold furent soulignés. Si Films in Review (13) critiqua la culpabilisation « facile » des Occidentaux développée par Kramer dans l’une des dernières séquences de son film, Bosley Crowther, dans The New York Times du 20 décembre 1960, écrivit : « Avec la logique et la ferveur des avocats de l’humanité – et avec la clarté et la fermeté des juges qui avaient siégé au procès de Nuremberg – M. Kramer et son scénariste incisif, Abby Mann, ont repris le thème exaltant. Ils ont mis un terme aux arguments spécieux, aux sentiments de miséricorde et aux raisonnements d’un compromis et ont accompli une subtile déclaration de probité morale. Ils ont utilisé le film pour clarifier et communiquer au monde un vibrant message qui donne à réfléchir sur le monde. » (14)

Le film fut un succès international et rapporta, pendant l’année 1962, 3,5 millions de dollars de recette. (15) En France, il sortit le 20 décembre 1961 et séduisit car il s’inscrivait dans la tradition du cinéma américain libéral des années 1930-40. Les pressions exercées sur le vieux juge Haywood firent, pour le public français, écho au maccarthysme, et Louis Marcorelles, dans Les Cahiers du Cinéma (16), écrivit : « Depuis Roosevelt, la grande période libérale qui vit paraître sur les écrans américains, à peu d’intervalle, des films comme Young Mr. Lincoln de John Ford, M. Smith au Sénat de Capra, Les Raisins de la colère de Ford, Citizen Kane de Welles, on avait plus entendu pareil message, et dit, avec un tel accent. Quand Haywood rend son verdict, il ajoute quelques commentaires qui constituent la plus courageuse prise de position à ce jour, de la part de cinéastes non communistes, contre le maccarthysme. » La comparaison fut aussi souvent établie avec le film de 1957 de Sidney Lumet, Twelve Angry Men (United Artists). Louis Marcorelles poursuivait : « film de prétoire, constitué pour sa majeure partie d’interrogatoires et de plaidoiries, Jugement est par excellence un film démagogique. Il montre le mensonge à l’œuvre à tous les niveaux pour, en dernier ressort, affirmer l’unique exigence du droit naturel élémentaire, du respect d’autrui. » (17)
L’opposition de la raison d’Etat est, avec la justice « universelle », le thème du film le plus souvent évoqué dans la presse écrite française. Claude Mauriac, dans Le Figaro littéraire, écrivit : « Les Américains sont plus courageux qui, par exemple, abordent dans leurs films le racisme non pas seulement tel que le pratiquaient les nazis, mais tel qu’ils en font eux-mêmes, chez eux, l’expérience. Ils osent même, à propos de Nuremberg, citer Hiroshima, ce qui de toute évidence rétablit certaines perspectives trop souvent négligées. L’espèce humaine en sort plus atteinte encore. Mais de la vérité avouée peut naître la rémission.

« Nous recevons bien des leçons de Jugement à Nuremberg. Je veux dire : nous, Français. Administrées indirectement, elles n’en sont pas moins salutaires. Il faut nous en contenter et même nous en réjouir : si nos cinéastes n’ont le droit de traiter aucun des sujets qui nous intéressent en profondeur, par exemple ceux liés à la guerre d’Algérie, satisfaisons-nous de ce que nous offrent leurs confrères étrangers. » (18)

Raymond Lefèvre, dans La Saison cinématographique (19), allait plus loin : « Le pragmatisme nazi trouve un singulier écho dans les pressions exercées sur le vieux juge pour favoriser une clémence qui aiderait au rapprochement USA-Allemagne face aux ex-alliés de l’Est. Tout cela est dit directement, sans symbolisme. Heureux cinéma américain qui peut lancer à la face du monde toutes ces vérités qui ne sont pas bonnes à dire ! Et nous, Français, nous le ressentons d’autant plus que nous avons cessé de connaître la liberté d’expression. Pour le public américain, je crois que ce sera une cruelle constatation que de voir un régime inique se défendre avec les mêmes slogans utilisés chez eux : un anticommunisme aveugle et borné, un racisme qui leur est coutumier. Cruelle constatation aussi que l’annonce de la libération des monstres jugés devant eux, à des seules fins d’opportunisme diplomatique. Il faut bien le dire ces amères réflexions sur la responsabilité et la justice créent un profond malaise chez le spectateur. C’est certainement l’effet recherché par Stanley Kramer, et, il a gagné. »
A l’occasion de la ressortie du film sur les écrans français en 1978, son « message » suscitait encore le même effet. « La vraie ligne de partage du film, comme dans l’immense majorité du cinéma américain d’ailleurs (je pense surtout à Ford), oppose les justes aux politiciens. La pureté de l’idée de justice à la Realpolitik. » (20) Après le succès de l’adaptation pour le théâtre de son scénario, pour 56 représentations qui furent jouées sur Broadway au théâtre Longacre, sous la direction de John Tillinger, dans une production du National Actors Theatre, à partir du 26 mars 2001 (21), Abby Mann fit rééditer les dialogues qu’il avait écrits à la fin des années 1950 et qui avaient déjà été publiés à Londres en 1961 (22). Dans la nouvelle édition, il revenait sur la genèse du projet Judgment at Nuremberg. En 1957, à l’occasion d’un dîner à New York, Abby Mann rencontra Abraham Pomeranz, qui fut l’un des procureurs américains à Nuremberg, et qui démissionna de sa fonction car il estimait que la plupart des juges de Nuremberg voulaient se servir des procès à des fins politiciennes. Puis, il rencontra Telford Taylor, qui fut le procureur général pour la justice militaire des Etats-Unis à Nuremberg, après le retrait du procureur Robert E. Jackson en octobre 1946. Taylor, installé ensuite comme avocat à New York, fut aussi au début des années 1950 un opposant direct au sénateur McCarthy. Il confia à Mann que le procès le plus marquant à Nuremberg fut celui contre les juges allemands (le procès n° 3) car, pour la plupart, leurs âges en faisaient des Allemands qui avaient embrassé l’idéologie nazie en tant qu’adultes avertis. Le scénariste, marqué par l’époque du maccarthysme, lut avec intérêt les minutes du procès où les accusés les plus lucides reconnaissaient comment ils avaient admis que les droits des individus pouvaient être remis en cause puisque la patrie était « en danger ». Et selon un raisonnement devenu habituel dans le cinéma américain, lorsque celui-ci aborde des épisodes problématiques de l’histoire d’autres pays, « la question était sur la table : ce qui s’est passé en Allemagne pourrait-il se produire ailleurs ? » (23) Se rendant en Allemagne, Abby Man rencontra des personnalités allemandes, acteurs ou victimes du Troisième Reich, comme Leni Riefenstahl, Luise Jodl (la veuve du général condamné à mort par le TMI de Nuremberg) à Munich, et Robert Kempner, avocat juif, qui avait mené l’accusation en 1924 contre Adolf Hitler et Wilhelm Frick lors du procès du putsch de la Brasserie, et qui fut l’un des assistants du procureur américain lors du procès de Nuremberg devant le TMI, présentant en particulier l’accusation contre Wilhelm Frick. Chacune de ces rencontres, à sa façon, entretint l’idée chez Mann que la volonté d’oublier les crimes du nazisme gagnait la société allemande et il écrivit son script en retenant l’avertissement de Kempner : « Alors tous ces gens seraient morts pour rien et personne ne serait responsable et cela va se reproduire. » (24)

Abby Mann évoque ensuite l’intervention décisive du polyvalent George Roy Hill (25), travaillant à l’époque dans le monde du théâtre et de la télévision, pour convaincre les producteurs du network CBS de produire Judgment at Nuremberg dans le cadre d’une anthology series (26). Le producteur Herbert Brodkin (27) donna son accord pour une réalisation en direct dans le cadre de l’émission « Playhouse 90 » (28). Le scénario fut réalisé et joué en direct lors de l’émission du 16 avril 1959, à 21h30 (29). Les performances des acteurs Paul Lukas et Maximilian Schell marquèrent les téléspectateurs. La chaîne de télévision fut submergée d’appels téléphoniques élogieux à la suite de la diffusion, mais l’émission n’obtint aucune nomination pour la cérémonie des Emmy Awards de 1959.
Face à ce succès, le projet d’Abby Mann devint la vente de son scénario à un studio pour une adaptation pour un long métrage. C’est en travaillant à l’adaptation d’un autre de ses scénarios (A Child is waiting) (30) avec l’actrice Katharine Hepburn, que la solution intervint. La célèbre actrice fit lire à son compagnon Spencer Tracy le script de Judgment at Nuremberg, qui affirma que c’était là « le meilleur script qu’il avait lu depuis des années » (31). A Hollywood, Tracy était un voisin de Stanley Kramer, et il travaillait alors sous sa direction sur Inherit the Wind (United Artists, 1960) (32).
Stanley Kramer considérait Judgment at Nuremberg comme l’une de ses réalisations préférées. Selon lui, l’idée majeure du film, et qui était une sorte de résumé de son travail, se trouvait dans l’une des phrases de la longue déclaration du juge Haywood à la fin du procès : « Before the people of the world – let it now be noted in our decision here that this is what we stand for: justice, truth… and the value of a single human being. » (33) Il ne s’agissait pas de réveiller de vieilles haines selon l’un de ses biographes, « mais de refléter et de comprendre l’une des périodes les plus hideuses dans l’histoire de la civilisation. » (34) Tout en continuant à produire des films, Stanley Kramer passa à la réalisation à partir du milieu des années 1950. Et tout en soignant le casting de ses réalisations, il se spécialisa dans les films « à message », se présentant comme un homme de gauche, progressiste, défendant la reconnaissance des droits des individus, dénonçant les injustices sociales et lançant des alertes pour le bien commun. Dans The Defiant Ones (United Artists, 1958), le racisme des Etats du Sud des Etats-Unis était pris pour cible à l’époque du combat pour les droits civiques (35) ; dans On the Beach (United Artists, 1959), les derniers jours d’un groupe de survivants à l’apocalypse nucléaire étaient imaginés ; dans Inherit the Wind, Stanley Kramer transposa au cinéma le célèbre «procès du Singe » de Dayton, dans le Tennessee, en 1925, lors duquel le professeur John T. Scopes fut jugé pour avoir enseigné les théories de l’évolution de Charles Darwin.
Les prises de vue extérieures du film furent tournées à Nuremberg même. Stanley Kramer avait espéré, lors de son premier voyage à Nuremberg, pour préparer le film, tourner dans la salle d’audience qui avait accueilli le « procès n° 3 », mais celle-ci était toujours utilisée alors. Stanley Kramer expliqua : « Nous avons donc pris les mesures et l’avons soigneusement recréée dans le studio de production à Hollywood, même si nous avons finalement dû réduire certaines des dimensions pour les besoins des mouvements de caméra. Une salle d’audience – comme la salle d’opération dans Not as a Stranger – est un lieu très statique. Les avocats auraient dû être séparés et éloignés des prévenus et des témoins, comme le veut la loi. Ainsi, le film devient un jeu de ping-pong, sauf si vous essayez de déplacer la caméra, ce que j’ai essayé de faire – pas toujours avec succès. » (36)

PK 154117Ernest Laszlo, directeur de la photographie, et Stanley Kramer (à d.) sur le tournage de Judgment at Nuremberg, dans les rues de Nuremberg. Collection United Artists.

PK98006La reconstitution du Tribunal III du palais de justice de Nuremberg dans les studios d’United Artists. Collection United Artists.

Du point de vue du style, Judgment at Nuremberg est très différent de la plupart des autres films de Kramer. Si l’ensemble est assez statique, le film compte d’émouvantes prises de vue ; les rotations de la caméra autour des personnages prenant la parole dans le prétoire permettaient de faire varier la perspective du spectateur et de donner un sens aux seconds plans ; les zooms soudains et nombreux accentuaient les effets dramatiques de déclarations de personnages ; la photographie en noir et blanc, épurée, d’Ernest Laszlo soulignait l’austérité du sujet et la solennité des débats. Selon Stanley Kramer, « il y avait trop de mouvement de caméra en fait. […] l’espace entre le box où se tenait l’avocat et le box où était assis le témoin était de quarante pas au moins. C’est une grande distance si vous essayez de la photographier. Alors, l’avocat n’était jamais autorisé à quitter le box. Et si vous vouliez jouer à une partie de ping-pong dans la salle d’audience, vous deviez rendre mobile la caméra. Je crois que je l’ai déplacée un peu trop. Si je devais le refaire, je ne la déplacerais pas autant. Mais à l’époque je me sentais prisonnier par ces positions – des juges, des avocats et des témoins dans cette grande composition. Ainsi les quarante pas furent réduits à vingt-huit. Nous avons dû mettre beaucoup de lumière sur les personnages éloignés pour maintenir les formes dans l’objectif et les acteurs ont beaucoup transpiré lors de ces prises de vue. » (37)
Et face au problème tout commercial, que le studio United Artists soulignait, du désintérêt qu’un long film dans un prétoire aurait pu susciter, Stanley Kramer répondit par le choix d’un casting prestigieux pour mieux attirer le public. Celui d’Allemagne ne suivit pas… Il sollicita des acteurs avec lesquels il avait déjà travaillé et d’autres qui jouèrent de nouveau par la suite sous sa direction. Les affiches du film, à l’occasion de sa première sortie, mettaient en avant cette distribution importante, dans un contexte, au début des années 1960, de sorties sur les écrans d’autres grosses productions par le cinéma américain avec des pléiades d’acteurs (38). Par rapport au sujet traité, on se doute que ce choix d’un flamboyant casting suscita de nombreuses critiques. (39) Spencer Tracy qui tenait le rôle principal du juge Haywood était l’un des acteurs d’Hollywood les plus populaires aux Etats-Unis mais aussi à l’étranger. Son image était celle de l’Américain moyen, homme tranquille, pragmatique, attaché aux valeurs raisonnables de l’Amérique ; le choix de cet acteur, bien que malade alors, s’imposait pour incarner le vieux juge originaire de Caroline du Nord. Pour le rôle du principal accusé, Ernst Janning, Stanley Kramer ne put compter sur l’acteur britannique Laurence Olivier qui se mariait alors pour la troisième fois, et il ne voulut pas reprendre Paul Lukas, pourtant encensé par la critique pour le rôle tenu dans la production de CBS, car insuffisamment notoire selon lui. Le choix de Burt Lancaster pour jouer le magistrat accusé, froid, muré dans son silence et repentant finalement fut le moins apprécié par la critique, qui sans doute restait marquée par les rôles d’hommes d’action tenus jusque-là par l’acteur. Ce rôle, avec les trois suivants de sa filmographie (40), en deux ans, marqua un tournant dans la carrière de Burt Lancaster, passant à des personnages d’âge mûr ou plus complexes dans des scénarios dramatiques. Judy Garland, à un moment éprouvant de sa vie (ennuis de santé, séparation d’avec son troisième mari, problèmes financiers) et alors qu’elle n’avait plus tournée depuis 1954 (41), accepta le rôle secondaire d’Irène Hoffman, cette ménagère allemande de condition modeste, usée par les épreuves du temps. Pour Stanley Kramer, « elle [Judy Garland] était l’une de ces rares professionnelles capables de pleurer à la neuvième reprise, à l’endroit indiqué à la première reprise, d’oublier l’habitude de la répétition pour laisser exploser cette émotion, ce tragique, laisser couler ses larmes. » (42) Confronté à des difficultés personnelles depuis plusieurs années, Montgomery Clift, qui venait de jouer dans le remarquable The Misfits de John Huston (United Artists, 1961), offrit à Stanley Kramer de jouer pour le minimum salarial (ses frais pendant le tournage en plus) le rôle de Rudolf Petersen, l’Allemand attardé, condamné à être stérilisé de force par un tribunal du Troisième Reich. (43) Sa prestation remarquable lui valut une nomination aux Academy Awards dans la catégorie du meilleur second rôle masculin, mais dix jours furent nécessaires pour tourner la séquence de la déposition de Petersen car l’acteur buvait et était particulièrement anxieux. Alors qu’il avait des difficultés à retenir son texte, il reçut les encouragements déterminants de Spencer Tracy qui lui conseilla d’oublier le script (« do it into my eyes and you’ll be magnificent ») (44). Avec le rôle de Frau Berthold, inspiré de la veuve d’Alfred Jodl, condamné à mort par le TMI de Nuremberg en 1946, Marlène Dietrich clôturait dans un rôle assez convenu sa carrière longue de plus de quarante ans (45). Richard Widmark, dans le rôle du colonel Ted Lawson, procureur au procès contre les magistrats allemands, habitué jusqu’alors aux emplois dans les films de guerre et dans les westerns, pouvait détonner dans un film « bavard ». La révélation du film fut l’acteur autrichien Maximilian Schell, installé aux Etats-Unis depuis 1959, remarqué dans un premier long-métrage américain (46), où il jouait un capitaine rigide de l’Afrika Korps, et employé dans de nombreuses productions de networks américains entre 1959 et 1961. Pour le rôle de l’avocat exalté d’Ernst Janning, Hans Rolfe, il obtint à l’âge de trente et un ans de nombreuses récompenses qui sans doute pesèrent sur la suite de sa carrière.
Les films de procès étaient devenus un genre presque particulier dans la production cinématographique hollywoodienne d’après-guerre, renouvelant le genre du film noir et participant de l’édification civique des spectateurs américains dans les années 1950. Les titres remarqués étaient The Paradine Case d’Alfred Hitchcock (Selznick International, 1947), A Place in the Sun de George Stevens (Paramount, 1951), 12 Angry Men de Sidney Lumet (United Artists, 1957), Compulsion de Richard Fleischer (20th Century Fox, 1958), Anatomy of a Murder d’Otto Preminger (Columbia, 1959). Quinze ans après leur tenue, le film de Stanley Kramer apparaissait comme le premier à évoquer les procès des responsables nazis et allemands à Nuremberg, le premier à se démarquer aussi de ce genre dérivé du film policier et le seul à présenter une si large distribution d’acteurs. Le cinéma américain a peu abordé sous l’angle du prétoire le sujet de l’holocauste. Dans The Stranger d’Orson Welles (RKO, 1946), Edward G. Robinson jouait le rôle de l’inspecteur Wilson, travaillant pour une commission d’enquête alliée sur les crimes de guerre et contre l’humanité, cette commission étant seulement le cadre de la première séquence du film. Il fallut donc ensuite attendre le film de Kramer. En 1975, Arthur Hiller adapta une nouvelle de Robert Shaw, The Man in the Glass Booth (American Film Theatre), dans lequel Maximilian Schell jouait le rôle d’un survivant des camps de la mort devenu riche industriel à New York, kidnappé par les Israélien pour être jugé comme criminel de guerre nazi ; il mettait ensuite ses accusateurs devant leur propre culpabilité. Le film invitait à une réflexion sur les limites morales et philosophiques de la comparution devant les tribunaux des bourreaux. Dans Music Box (TriStar Pictures, 1989), Constantin Costa-Gavras, d’après un scénario de Joe Eszterhas inspiré de sa propre histoire familiale, renouvelait de façon intelligente le thème du bourreau dissimulé derrière une vie rangée aux Etats-Unis que The Stranger avait inauguré. (47)

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Spencer Tracy et Stanley Kramer sur le tournage de Judgment at Nuremberg. Collection United Artists.

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Montgomery Clift sur le tournage de Judgment at Nuremberg.
Collection United Artists.

Les documentaires qui ont abordé les procès de Nuremberg furent rares aussi jusque dans les années 1990. Le documentaire soviétique de Carl Svilov, produit en 1947 par Artkino, ??? ??????? (Cours populaires) (48) offre un tableau assez complet du grand procès devant le TMI : l’ouverture du procès, la prise de parole par le procureur en chef américain Robert Jackson, les 22 accusés plaidant non-coupable, la présentation de preuves des atrocités commises contre des civils pendant la guerre, le réquisitoire du procureur britannique Hartley Shawcross, la lecture des verdicts. Le documentaire rappelait que l’Union soviétique s’était opposée à l’acquittement de Hans Fritzsche, Franz von Papen et Hjalmar Schacht, et au fait que Rudolf Hess avait été condamné à une peine d’emprisonnement à vie, plutôt qu’à la peine de mort. Le film montrait les cadavres des nazis exécutés, avant de terminer avec le texte affiché à l’écran : « Que les procès de Nuremberg, comme un avertissement sévère à tous les bellicistes, serve la cause de la paix dans le monde entier – une paix durable et démocratique ». En 1996, l’auteur et cinéaste américain Stephen Trombley réalisait Nuremberg, une coproduction européenne (notamment pour les chaînes de télévision britanniques The Discovery Channel et Channel Four), qui constituait un compte rendu analytique des treize procès de Nuremberg, en soulignant les influences du contexte marqué par les débuts de la Guerre froide et l’évolution des politiques des anciens Alliés à l’égard des criminels nazis ; tourné à Nuremberg, New-York, Washington et Londres, le film présentait des images d’archives jusque là inédites et des photographies privées des procureurs et des avocats. (49)

Donc le film de Stanley Kramer de 1961 reste un film unique dans la liste des fictions cinématographiques sur la Shoah.

En 1948, le juge Dan Haywood [Spencer Tracy] vient à Nuremberg pour présider un tribunal devant lequel doivent comparaître quatre magistrats allemands accusés de crimes contre l’humanité. Les trois premiers plaident non coupables ; le quatrième, Ernst Janning [Burt Lancaster], se renferme dans un silence interprété comme méprisant. Leur avocat, Hans Rolfe [Maximilian Schell], édifie sa défense sur un argument principal : si ces hommes sont condamnés pour avoir soutenu leur pays, il faut que tous les Allemands passent en justice… L’avocat général, Ted Lawson [Richard Widmark], appelle ses témoins à la barre : Rudolf Petersen [Montgomery Clift] qui fut stérilisé ; Irène Hoffmann [Judy Garland] dont l’ami juif fut exécuté pour avoir eu avec elle des relations « hors-la-loi». En dehors du tribunal, Haywood tente de comprendre le phénomène du nazisme, notamment en s’entretenant avec Madame Berthold [Marlène Dietrich], la veuve d’un général allemand jugé et pendu par les Américains pour crimes de guerre.
Vers la fin du procès, qui dure huit mois, Janning sort de son mutisme, s’accuse d’avoir volontairement ignoré les méfaits du régime nazi et d’avoir accepté les pressions du pouvoir.
Impressionné par sa déclaration, Haywood s’accorde un délai de réflexion. C’est alors que survient le blocus de Berlin-Ouest par les Soviétiques. Les Alliés souhaitent un verdict de clémence pour se rallier l’opinion publique allemande. Mais Haywood, au nom de la justice, refuse de se laisser fléchir. Les quatre accusés sont condamnés à la réclusion perpétuelle. Le juge Haywood rentre chez lui, aux Etats-Unis.
Le procès n° 3 » de Nuremberg et les juges allemands coupables sous le nazisme
En avril 1949, fut rendu le jugement dans le dernier des douze procès de Nuremberg contre les criminels de guerre allemands, qui avaient commencé en octobre 1946. Sous la direction du TMI (50), les tribunaux militaires américains menèrent, à Nuremberg (qui était en zone d’occupation américaine de l’Allemagne) douze autres procès à la suite du procès des « grands » criminels de guerre. Les membres de la Gestapo, les SS, les industriels allemands, les médecins des camps nazis, les membres des Einsatzgruppen, les diplomates allemands, le haut commandement militaire et les juges allemands furent ainsi jugés.
Le « procès des juges » fut officiellement désigné « procès n° 3 – Les Etats-Unis d’Amérique vs Josef Altstoetter (51), et autres ». Il se tint entre le 14 février et le 4 décembre 1947. Sur les seize prévenus inculpés, neuf étaient des fonctionnaires du ministère de la Justice du Troisième Reich. Les deux personnes ayant occupé le poste de ministre de la Justice du Reich durant le régime de Hitler, Franz Gürtner et Georg Thierack, étaient mortes avant que l’acte d’accusation ne fut déposé. Thierack se suicida en prison le 22 novembre 1946. Entre la mort de Gürtner en janvier 1941 et la nomination Thierack en août 1942, l’accusé Franz Schlegelberger occupa par intérim le poste de ministre de la Justice du Reich. Les inculpés Schlegelberger, Curt Rothenberger et Herbert Klemm chacun occupèrent le poste de sous-secrétaire («Staatssekretaer») au ministère de la Justice du Reich. Deux autres hauts fonctionnaires de ce ministère furent inculpés, mais ne purent être jugés : l’accusé Carl Westphal se suicida en prison après la mise en accusation et avant l’ouverture du procès ; un abandon de poursuite fut prononcé en faveur de l’accusé Karl Engert, dont l’état physique empêcha sa présence au tribunal pendant la plus grande partie du procès. Les accusés qui ne travaillaient pas au ministère de la Justice du Reich comprenaient le procureur général du Tribunal populaire et plusieurs procureurs et juges des deux Tribunaux spéciaux et des Tribunaux populaires. Les deux types de tribunaux représentaient des éléments importants de l’administration judiciaire sous le régime nazi.
Les seize inculpés nommés dans l’acte d’accusation ont été accusés de responsabilité criminelle selon le premier des quatre chefs d’accusation. Le chef d’accusation n° 1 retenait une participation à une conspiration pour commettre des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité ; le chef d’accusation n° 2 concernait la réalisation de crimes de guerre contre des civils des territoires occupés par l’Allemagne après septembre 1939 ; le chef d’accusation n° 3 concernait la perpétration de crimes contre l’humanité, y compris les infractions contre les Allemands civils et les ressortissants des pays occupés, après le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. Les infractions spécifiques retenues comprenaient l’assassinat, la persécution pour motifs politiques, raciaux et religieux, la déportation et la mise en esclavage, le pillage de biens privés, la torture et d’autres atrocités. Le chef d’accusation n° 4 visait sept des accusés pour appartenance à la SS, au SD, ou aux instances dirigeantes du parti nazi, toutes ces organisations déclarées criminelles par le TMI. Sur les quatorze accusés qui ont été jugés jusqu’à la fin, dix l’étaient pour plus d’un chef d’accusation.
Le « procès des juges » s’est tenu au Palais de justice de Nuremberg devant le Tribunal militaire III (52). Le 19 juin 1947, le juge Carrington T. Marshall (53) qui présidait et qui tomba gravement malade fut remplacé par le juge James T. Brand (54), et le juge Justin W. Harding (55), juge suppléant depuis le début du procès compléta le nouveau tribunal (56). Par délégation du procureur général Telford Taylor, le procureur Charles M. Lafollette (57) mena l’accusation contre les magistrats allemands. Le procès a compté 129 jours de session, pendant les dix mois et demi de sa tenue.

Les accusés dans le box

Les accusés du procès n° 3 dans leur box.
Au premier rang, de gauche à droite : Franz Schlegelberger, Herbert Klemm, Curt Rothenberger, Ernst Lantz, Wolfgang Mettgenberg, Wilhelm Von Ammon, Guenther Joel, Oswald Rothaug, Paul Barnickel, Hans Petersen, Guenther Nebelung. Au second rang : Hermann Cuhorst, Rudolf Oeschey and Joseph Alstoeter. Devant le box des accuses, le conseil de la défense. Les interprètes sont derrière la vitre, en haut à droite.

Le juge J.T. Brand ; le président Carrington T. Marshall ; le juge Mallor P. Blair ; le juge suppléant Justin W. Harding.

Le Tribunal III – Procès n° 3
Les juges James T. Brand ; Carrington T. Marshall, président ; Mallory P. Blair ; Justin W. Harding, suppléant. Le juge président fut obligé de se retirer pour cause de maladie et le juge Brand devint juge président et le juge Harding devint juge titulaire.

La transcription des débats du procès représenta 10 964 pages polycopiées. L’accusation a déposé comme preuves 641 pièces écrites (dont certaines contenaient plusieurs documents), et la défense 1 452 pièces écrites. Les preuves apportées par l’accusation et la défense contenaient des documents, des photographies, des affidavits, des interrogatoires, des lettres, des tableaux et autres pièces écrites. Environ 600 de ces pièces écrites étaient des affidavits, dont plus de 500 qui ont été introduits par la défense. Le Tribunal a entendu le témoignage d’environ 140 témoins, y compris celui de douze des accusés qui ont choisi de témoigner. Chacun des accusés qui ont témoigné a été soumis à un contre-interrogatoire pour le compte des autres accusés.(58) Le tribunal a consacré beaucoup de temps pendant les débats aux présentations et questions sur les procédures pénales contre les Polonais, le décret « Nuit et Brouillard », le transfert de détenus du système carcéral à la SS pour une « extermination par le travail », sur la condamnation à mort de Leo Katzenberger par le procureur Rothaug, et sur diverses condamnations à mort ou aux travaux forcés de Polonais par des tribunaux spéciaux en Allemagne et en Pologne.
Franz Schlegelberger avait basé sa défense sur l’affirmation selon laquelle il était resté à son poste pour éviter le pire, et que pour cette seule raison qu’il avait pris la responsabilité de tous les actes dont il était accusé. Cet argument fut utilisé par tous les autres juristes du procès pour se disculper. Hans Frank, l’ancien gouverneur général de Pologne qui a été condamné à mort dans le procès principal de Nuremberg devant le TMI, s’était déjà retranché sur cette ligne de défense, qui à la fin laissait Hitler comme le seul coupable. Dans son ouvrage de référence sur le système judiciaire allemand sous le nazisme (59), Ingo Müller rapporte de larges extraits des transcriptions des débats du procès n° 3. Face à l’argumentation de Schlegelberger, le Tribunal avait répondu :
« Schlegelberger présentait une défense intéressante […]. Il craignait que, s’il était amené à démissionner, un homme pire prendrait sa place. Comme les faits l’ont prouvé, il y a beaucoup de vérité dans cela aussi. Sous Thierack la police a usurpé les fonctions de l’administration de la justice et a assassiné un nombre incalculable de Juifs et de prisonniers politiques. Après analyse, cette affirmation plausible ne contredit ni la défense ni la vérité, ni la logique, ou les circonstances.
« L’accusation démontre de façon concluante que, afin de maintenir le ministère de la Justice dans les bonnes grâces de Hitler et d’empêcher sa défaite totale face à la police de Himmler, Schlegelberger et les autres accusés qui l’ont rejoint dans cette stratégie de justification ont entrepris le sale boulot que les dirigeants de l’État exigeaient, et ont utilisé le ministère de la Justice comme un moyen de détruire les populations juive et polonaise, terrorisant les habitants des pays occupés, et anéantissant l’opposition politique intérieure. Ce programme d’extermination raciale sous le couvert de la loi n’a pas atteint les proportions qui ont été atteint par les pogroms, les déportations et meurtres de masse par la police, ce qui est une piètre consolation pour les survivants des procédures judiciaires, et constitue une mauvaise excuse devant ce Tribunal. La prostitution d’un système judiciaire pour l’accomplissement d’objectifs criminels comporte un élément diabolique de l’Etat qui ne se trouve pas dans les réelles atrocités qui ne souillent pas les robes des juges. » (60)
De la masse écrasante de preuves, le tribunal a finalement tiré cette conclusion : « Les accusés sont inculpés de crimes d’une telle immensité que de simples cas particuliers de criminalité semblent insignifiants en comparaison. La charge, en bref, est celle de la participation consciente à un système de gouvernement national organisé sur la cruauté et l’injustice, en violation des lois de la guerre et de l’humanité, et perpétrée au nom de la loi par l’autorité du ministère de la Justice, et à travers l’instrumentalité des tribunaux. Le poignard de l’assassin était caché sous la robe du juriste. » (61)
Le tribunal a prononcé contre les deux sous-secrétaires Schlegelberger et Klemm, et les juges du Tribunal spécial Rothaug et Oeschey, des condamnations à perpétuité dans un pénitencier ; quatre autres accusés ont été acquittés, et le reste des peines de prison furent de cinq à dix ans. Ce procès de Nuremberg fut l’effort le plus concerté pour faire la lumière sur le rôle de la magistrature sous la dictature national-socialiste. Pourtant, il eut peu d’effet sur la profession juridique allemande, qui tenta de présenter le procès de Nuremberg comme une pure « représaille » de la part des vainqueurs. Et les autorités
américaines et ouest-allemandes elles-mêmes bientôt défirent les résultats du procès. Pour commencer, les condamnations à perpétuité furent commuées en vingt ans de prison, et en 1951, tous les accusés étaient en liberté à nouveau, sauf Rothaug, qui n’a été libéré qu’en 1956. Même Schlegelberger, qui avait été libéré « provisoirement » pour raisons de santé en 1950, fut libre pour de bon en janvier 1951.
Une condamnation pénale d’un juriste dans la zone russe de l’Allemagne ne présentait aussi aucun obstacle à une carrière à l’Ouest. En juin 1948, le Dr. Anger Erich, qui en tant qu’ancien procureur à la Cour civile de Leipzig avait plaidé avec succès la peine de mort dans un certain nombre de procès, a été condamné à Dresde à douze ans dans un pénitencier pour des crimes contre l’humanité. Après avoir purgé sa peine, il s’est installé en R.F.A. et est devenu premier procureur dans la ville d’Essen. (62) Ingo Müller a compté 5 288 personnes jugées par les tribunaux des deux Allemagne pendant les années 1950, mais « les membres de leur propre profession n’étaient pas parmi eux ». (63)
La plupart des juges nommés avant l’arrivée au pouvoir des nazis avaient des vues qui étaient tout à fait compatibles avec le parti nazi. Très peu de juges juifs étaient en poste quand les nazis ont pris le pouvoir, et en 1933 la législation leur a retiré leur service. Seule une poignée de juges ont démontré beaucoup de courage face aux violations des libertés civiles par les nazis. Ce fut le cas de Lothar Kreyssig, un juge de cour locale qui avait émis des injonctions contre l’envoi de patients d’hôpitaux dans des camps de concentration. (64) Kreyssig refusa de retirer ses injonctions. Il tenta également d’engager des poursuites contre les nazis pour arrêter le programme T4, mais sous la pression, suspendu, finalement il démissionna. (65)
Les juristes poussèrent à la mise en place des lois raciales. Ceux qui étaient engagés dans le programme nazi firent pression pour des résultats visibles. Le juge Roland Freisler (66) dicta une protestation très ferme au ministre dans le procès-verbal d’une réunion de la Commission officielle sur loi criminelle : « Je ne peux pas tolérer le fait que personne dans ce groupe ne soit disposé à demander que des mesures visant à protéger la race soient incluses dans le nouveau code pénal […] Nous sommes en danger de […] trahir nos convictions fondamentales si nous n’arrivons pas à inclure cette disposition ». Et les participants à un congrès médical consacré à « l’hygiène raciale et les questions des voies biologiques de l’hérédité » ont envoyé un télégramme au ministre de l’Intérieur en décembre 1934, exigeant l’adoption immédiate d’une loi avec des sanctions draconiennes « pour prévenir tout empoisonnement de la race juive et toute contamination du sang allemand ». (67) L’historiographie a accordé une importance particulière à la façon dont les lois de Nuremberg ont été adoptées – avec le but notamment de les présenter comme des idées originales de Hitler – idée forgée notamment par Franz Schlegelberger. Au procès des crimes de guerre de Nuremberg, Schlegelberger avait affirmé que le ministère de la Justice n’avait pas participé à leur élaboration et en fait, n’en avait pris connaissance que par la suite. Mais il est certain que l’adoption des lois du 15 septembre 1935 avait été précédée et préparée par la richesse des débats, des notes et projets aux ministères de la Justice et de l’Intérieur. La réglementation législative de la question raciale était attendue depuis longtemps et la pratique des tribunaux avait déjà commencé à l’anticiper. Le chef du parquet de Karlsruhe, par exemple, avait avisé le ministère de la Justice en 1935 que « relevant de la compétence de la Cour d’appel de Karlsruhe, un assez grand nombre de Juifs [ont été] mis en détention préventive » pour des infractions sexuelles avec des « aryens », même si aucune disposition correspondante du Code criminel n’existait encore. (68)

La loi pour la protection du sang allemand ne contient aucune disposition pour la peine de mort. Néanmoins, les « traîtres à la race » ont été dans certains cas condamnés à mort. Les possibilités juridiques étaient fournies par certaines autres lois, comme la loi sur les criminels dangereux habituels (69), que l’on appelle le décret sur les éléments asociaux (70), et le décret sur les criminels violents (71). Puisque seuls les tribunaux spéciaux avaient compétence sur les affaires jugées en vertu de ces lois, le ministère public pouvait réussir à faire comparaître des « délinquants sexuels raciaux » devant ces tribunaux et demander la peine de mort en combinant astucieusement l’accusation sexuelle avec ces autres lois.
L’affaire Feldenstein du scénario d’Abby Mann s’inspirait directement de la plus célèbre affaire de « délit sexuel racial » dans l’Allemagne nazie. A Nuremberg, le Tribunal spécial avait réussi à combiner le décret sur les éléments asociaux à la loi sur la protection du sang et de l’honneur allemands, afin d’affirmer sa compétence dans une affaire impliquant Leo Katzenberger, leader de la communauté juive de la ville. Dans un procès qui fit scandale, Katzenberger, âgé de soixante-sept ans, propriétaire d’une chaîne de magasins de chaussures jusqu’à son « aryanisation » en 1938, fut facilement condamné à mort sur la base de l’interprétation mentionnée plus haut. Vivait encore dans l’un des bâtiments qu’il avait possédé, une femme d’une trentaine d’années, nommée Irène Seiler, qui louait un appartement, ainsi qu’un petit magasin pour son entreprise de photographie. Katzenberger, qui était encore bien placé financièrement et qui avait été un ami de son père, entretint une amitié avec la femme. Des ragots et des rumeurs ont commencé à circuler dans le bâtiment, relevant de la calomnie et de la diffamation, et au printemps 1941 Katzenberger fut accusé de violer les lois raciales. Soumis à des interrogatoires, Leo Katzenberger et Irène Seiler restèrent fermes dans leurs affirmations que rien de sexuel n’avaient jamais eu lieu entre eux, et il n’y avait certainement jamais eu de rapports sexuels.
Le procès principal, qui eut lieu les 13 et 14 mars 1942, suscita un grand intérêt public. La salle d’audience était bondée, et le président de la Cour d’appel, le procureur général, et de nombreux membres éminents du parti nazi étaient présents. Les « preuves » de la culpabilité Katzenberger furent fournies par des témoins, qui n’ont déposé qu’en une occasion qu’il avait donné à Irene Seiler un bouquet de fleurs et était allé dans un café avec elle, et tous les deux fumaient des cigarettes de la même marque. Il fut également affirmé qu’ils avaient manifesté à maintes reprises de la peur quand ils avaient été vus quittant leurs appartements. Après que le ministère public ait présenté des preuves de ce genre devant le tribunal et ait discuté avec le juge qui présidait, il réclama la peine de mort en vertu du paragraphe 2 et du paragraphe 5 de l’article 2 de la loi sur la protection du sang et de l’honneur allemands, en liaison avec les paragraphes 2 et 4 du décret sur éléments asociaux.
Le juge qui présidait, Oswald Rothaug, dénonça à plusieurs reprises Katzenberger dans le cadre de la procédure comme un « Juif syphilitique » et un « agent de la juiverie mondiale », responsable de la guerre. La condamnation à la peine de mort ne fut une surprise pour personne. Irene Seiler fut reconnue coupable de parjure – bien que la loi sur la protection du sang et de l’honneur allemands prévoit uniquement la répression du partenaire masculin. Pour le procès Katzenberger, le Tribunal spécial mit au point plusieurs interprétations non conventionnelles de la loi. Après avoir déterminé que « la ville et la campagne sont en grande partie vidés des hommes », il a conclu que Katzenberger avait exploité la situation en temps de guerre, car « l’accusé, lorsqu’il a continué de visiter Seiler dans son appartement jusqu’au printemps 1940, comptait avec le fait que ses intrigues ne seraient pas perçues par tous, ou seulement avec difficulté ». Comme il rendait parfois visite à Mme Seiler dans la soirée, le tribunal était en mesure d’affirmer qu’il avait enfreint sur les interdictions de nuit. Comme le décret sur les éléments asociaux prévoyait la peine de mort en cas de « crime contre la personne, la vie ou les biens », les échanges d’affection furent réinterpréter en dommage corporel ; en outre, tous les commentaires sur la loi sur la protection du sang et de l’honneur allemands ont souligné que les violations ne représentaient pas un crime contre la femme en question, mais seulement contre la « pureté du sang allemand ». Les juges n’ont eu aucune difficulté à surmonter ces obstacles, cependant : « Le tribunal est d’avis que les actions de l’accusé ont été conçues avec un but précis à l’esprit et qu’ils ont été partie intégrante de son comportement général, ils représentent un crime contre la personne […] Le déshonneur juif contre la race représente une attaque grave contre la pureté du sang allemand ; l’attaque raciale est dirigée contre la personne de la femme allemande. » (72)
La peine de mort, qui, en dépit de tout, était encore une rareté dans des procès «raciaux», fut justifiée par les juges comme suit : « Katzenberger avait une connaissance précise du point de vue des Allemands nationaux sur la question raciale, il était bien conscient que son comportement était une gifle au sentiment national. Ni la révolution nationale-socialiste de 1933, ni la proclamation de la loi de protection du sang en 1935, ni l’action contre les Juifs de 1938 [dite Reichskristallnacht], ni le déclenchement de la guerre en 1939, n’ont suffi à lui faire changer son comportement. La Cour estime que la seule réponse possible à la frivolité de l’accusé […] est l’imposition de la peine de mort. » (73) Bien que ces condamnations à mort restaient l’exception dans les procès pour « déshonneur de la race », l’imposition de longues peines d’emprisonnement conduisait habituellement au même résultat. Dans ces dossiers judiciaires, après avoir purgé sa peine, le prisonnier était remis à la Gestapo. En règle générale, cela équivalait à une condamnation à mort.
Dans le film de Kramer, la séquence du témoignage de Rudolf Petersen illustre la participation des tribunaux allemands à la politique eugénique du régime nazi. Pour les nationaux-socialistes, la « pureté du sang allemand » comprenait non seulement la « pureté de la race », mais aussi la santé génétique. Hitler lui-même avait déjà proposé un plan de 1927 dans lequel les nouveau-nés avec des déficiences physiques ou mentales seraient tout simplement tués. Le 14 juillet 1933, le gouvernement allemand adopta la Loi sur la prévention des naissances avec maladies héréditaires (Gesetz zur Verhütung Nachwuchses erbkranken), rendant obligatoire la stérilisation forcée de certaines personnes ayant des handicaps physiques et mentaux. Cette loi fournissait la base pour la stérilisation forcée de personnes atteintes de handicaps physiques et mentaux ou d’une maladie mentale, les Roms (Tsiganes), les « éléments asociaux », et les Afro-Allemands.
Selon le premier alinéa de la loi, les personnes souffrant de maladies héréditaires étaient destinées à être stérilisées, puisque « l’expérience de la science médicale » suggérait « avec une grande probabilité » que toute la progéniture de ces personnes aurait « de graves déficiences physiques ou mentales ». Furent déclarées comme maladies génétiques « sous le sens de la loi » la débilité mentale, la schizophrénie, la maniaco-dépression, l’épilepsie, la chorée dégénérative, la cécité et la surdité héréditaire, les graves malformations physiques, et l’alcoolisme sévère. L’application de la stérilisation pouvait être faite par la personne concernée, ou par un tuteur légal, le médecin, ou le chef d’un hôpital psychiatrique. Conformément au paragraphe I de l’arrêté administratif d’accompagnement, même les stérilisations d’enfants étaient possibles. Les ordonnances pour les stérilisations devaient être délivrées par les « tribunaux spéciaux de la santé héréditaire » constitués à cet effet et attachés à des tribunaux locaux ; ils se composaient d’un juge de la cour locale et de deux médecins, dont l’un devait connaître «particulièrement bien l’eugénisme ». Les séances étaient fermées au public, les médecins qui comparaissaient comme témoins experts devant le tribunal ne pouvaient pas exiger le secret professionnel et ne pouvaient donc pas refuser de témoigner. Le jugement dans une affaire devant un tribunal héréditaire de la santé pouvait être porté en appel devant une Cour d’appel de la santé héréditaire. Les tribunaux de ce dernier type étaient attachés à chaque Cour d’appel et étaient composés là aussi d’un juge et de deux médecins. Ils parvenaient à une décision définitive sur la demande, après quoi aucun recours n’était possible. Si la décision était en faveur de la stérilisation, la personne concernée se voyait accordée un délai de deux semaines pour faire exécuter l’opération volontairement. Sinon, la stérilisation serait effectuée « à l’aide de la police, et si nécessaire avec l’emploi de la force directe ».
Ces opérations n’étaient pas sans danger. Le directeur de l’hôpital universitaire de Würzburg, le professeur Gaus, avait calculé un « taux de mortalité » d’au moins 5 pour cent. Étant donné le total d’environ 350 000 stérilisations, on peut estimer que la loi eugénique entraîna environ 17 500 décès. (74) La moitié des décisions de stérilisation le furent pour des raisons de « faiblesse d’esprit congénitale », dans 27 pour cent des cas le diagnostic fut la « schizophrénie ». Mais ces deux motifs les plus fréquents pour la stérilisation étaient aussi les plus discutables. Pour la « faiblesse d’esprit congénitale », les tribunaux avaient défini une intelligence légèrement inférieure à la normale, un retard de développement, ou une alexie congénitale (l’incapacité à comprendre les mots écrits) comme des motifs pour la stérilisation. La Cour d’appel de santé héréditaire de Jena a défini un principe selon lequel « la nécessité de fréquenter des écoles spéciales signifie toujours la présence de débilité congénitale ». Mais la « faiblesse d’esprit » a été diagnostiquée, non seulement dans les cas de faible intelligence, mais aussi en cas de « difficulté à comprendre les abstractions et la formation des opinions, et [d’] une sphère émotionnelle anormale et volontaire ». (75) Les auteurs de la loi exhortaient les juristes et les médecins impliqués à ne pas être scrupuleux dans leurs jugements : « Dans de nombreux cas de débilité asociale ou antisociale, de délinquance, ou strictement psychopathie, la stérilisation […] doit être recommandée sans réserve ». (76)
Les diagnostics des cas individuels pouvaient avoir comme enjeu de savoir si la maladie ou le handicap étaient héréditaires ou ponctuels et légers. Même le grand généticien de l’époque, le professeur Hans Luxemberger, avait reconnu que le classement de la schizophrénie comme trouble héréditaire n’était « rien d’autre qu’une hypothèse de travail ». Gütt, Rüdin, et Ruttke encouragèrent les juristes à se débrouiller sans la preuve des facteurs héréditaires : « Il suffit que la prédisposition à une maladie invisible se soit manifestée seulement temporairement, ou seulement sous une forme légère, ou par une première attaque ou lors d’un épisode. » (77)
Les tribunaux ne contestaient pas les allégations douteuses des médecins. Le Tribunal de la santé héréditaire de Lyck en Prusse orientale, par exemple, avait ordonné la stérilisation d’une jeune femme, même si sa surdi-mutité résultait de deux accidents et d’une grave infection de l’oreille, et le fait qu’elle avait donné naissance à un bébé normal plaidaient contre la présence d’un trouble génétique. Dans sa décision du 15 juillet 1937, le tribunal avait constaté, « bien qu’aucun nouveau cas de surdité ne peut être documenté parmi les relations de sang, le tribunal de la santé héréditaire est convaincu, sur la base de l’avis du médecin spécialiste, qu’il s’agit d’un cas de surdité héréditaire. Après que la stérilisation aura été réalisée avec succès, la femme X pourra épouser le père de son enfant, le sourd-muet Y tailleur, une fois que lui aussi aura été stérilisé ».(78)
L’imprécision des avis d’experts psychiatres et la légèreté avec laquelle les « faits » étaient déterminés apparaissent clairement dans les décisions impliquant la distinction entre la schizophrénie et d’autres formes de maladie mentale. Un architecte de quarante ans, père de deux enfants en bonne santé, fut amené dans un hôpital psychiatrique après une tentative de suicide. Les premiers médecins l’ont identifié comme schizophrène, mais ils ont vite révisé leur diagnostic car il ne montrait aucun des signes typiques de la schizophrénie, comme des troubles d’attention, de concentration de la pensée et de la parole. Étant donné que certains des symptômes observables chez l’architecte, comme les tendances suicidaires et de l’excitabilité anxieuse, sont également présents chez les maniaques dépressifs, la cour d’appel de la santé héréditaire de Zweibrücken, devant laquelle il avait fait appel de son jugement, a tout simplement laissé ouverte la question de savoir s’il souffrait de dépression schizophrène ou de manie. La cour a retenu cette dernière comme plus probable, en raison des capacités intellectuelles du sujet. Le tribunal conclut « que la maladie mentale […] est soit la dépression schizophrène soit la manie. Un
diagnostic distinct précis n’est pas nécessaire, cependant, puisque les deux troubles sont des troubles héréditaires dans le sens de l’alinéa 1 de la Loi pour la prévention des maladies héréditaires ». Les deux experts médicaux qui ont témoigné se sont fermement opposés à la stérilisation, parce que le patient était « une personne très estimable aux qualités intellectuelles et affectives précieuses, et d’un caractère élevé, et ces traits héréditaires […] méritent d’être épargnés ». Cela n’a pas aidé la cause de l’architecte, cependant, puisque le tribunal a objecté que « la présence de précieux caractères héréditaires ne suffit pas à justifier un refus de la stérilisation. » (79)

Les tribunaux de santé avaient souvent du mal à classer les « types par matière pénale » tels que définis par les théoriciens nazis de la loi pénale. Ils ont introduit à cet effet la catégorie de la « débilité morale ». Ce n’était pas un motif pouvant justifier une décision de stérilisation, mais la fréquence avec laquelle les ordres de stérilisation des juridictions inférieures pour de tels motifs étaient sujets à des demandes d’appel révèle que ce genre de décisions s’était généralisé. Comme dans ces affaires la plupart des décisions portaient sur des « infractions sexuelles raciales », la fascination des tribunaux pour les détails des vies sexuelles était peine voilée.
Le film de Kramer n’aborde pas le sujet de l’euthanasie planifié par le régime nazi ni la contribution des juges à la réalisation du « programme T4 ». L’idée de tuer des gens qui représentaient de simples « poids » pour la société n’avait pas été une invention des nazis arrivés au pouvoir. En 1920, Karl Binding, l’une des figures les plus importantes dans le droit pénal du IIème Reich, avait écrit en collaboration avec le psychiatre Alfred Hoche un plaidoyer intitulé Die Freigabe der Vernichtung lebensunwerten Lebens (éd. Felix Meiner Verlag, Leipzig). Dans les premiers temps du Troisième Reich, les déclarations de responsables se multiplièrent pour définir une législation sur ce sujet. En 1934, le commissaire d’État bavarois pour la santé appelait à « l’éradication des psychopathes, des imbéciles, et d’autres individus inférieurs » ; un rapport de la Commission sur le droit pénal délivré par le ministre de la justice Franz Gürtner en 1935 contenait la déclaration : « Une sanction pour destruction d’une soi-disant vie, ne valant pas d’être vécue, est hors de question. » (80)
Selon les propres statistiques du programme T4, qui se déroula en Allemagne entre janvier 1940 et août 1941, avant d’être interrompu face à la montée des oppositions dans la population, ses acteurs assassinèrent 70 273 personnes, handicapés mentaux et physiques internés dans six établissements spécialisés transformés en centres d’« euthanasie ». Mais les historiens estiment que ce sont 200 000 à 275 000 handicapés physiques ou mentaux qui furent assassinés dans le cadre de cette opération et de ses programmes annexes, notamment dans les camps nazis et dans les territoires occupés de l’Est. Face aux dépôts de plainte des familles contre les internements forcés, voire des cas d’ouverture d’enquête sur des médecins de centre d’euthanasie ordonnées par des juges (81), Franz Shlegelberger, alors sous-secrétaire du ministère de la Justice, convoqua une conférence de juristes au plus haut niveau. Etaient présents dans le bâtiment du ministère de l’Aviation à Berlin les 23-24 avril 1941, le sous-secrétaire Schlegelberger, son successeur Roland Freisler, le président de la Cour suprême Erwin Bumke, le président du Tribunal populaire le Dr. Thierack, des procureurs généraux attachés à ces deux tribunaux, de nombreux hauts fonctionnaires du ministère de la Justice, les présidents des trente-quatre cours d’appel, et les trente-quatre procureurs généraux de la « Grande Allemagne ». Le premier point de l’ordre du jour était le « Programme T4 », et Schlegelberger familiarisa les participants « à toutes les décisions du Führer », de sorte que « les juges et les procureurs ne soient pas la cause de graves dommages au système juridique ni au gouvernement en s’opposant à des mesures qu’ils croiraient sincèrement mais à tort être illégales, et ne se placent pas en opposition face à la volonté du Führer. » Après les rapports du Dr. Viktor Brack et du psychiatre Werner Heyde sur le programme de meurtres (82), Schlegelberger a expliqué que puisqu’« un décret légalement émanant du Führer [existait] pour ces mesures, il n’y avait pas avoir d’autres réserves au sujet de l’exécution des projets d’euthanasie » (83). Curt Rothenberger, président de la Cour d’appel de Hambourg et plus tard sous-secrétaire plus tard au ministère de la Justice, fut le seul à estimer nécessaire un règlement juridique de la question. Le reste de l’élite juridique du pays n’exprima pas de réserves. Les plaintes déposées en relation avec le programme d’euthanasie devaient être renvoyées au Ministère de la justice et devaient être classées. Aucune question n’a été soulevée sur la façon de concilier une telle directive avec le principe que tous les crimes devaient être poursuivis.

Bien que la responsabilité pour cet assassinat en masse d’handicapés physiques et mentaux et d’« asociaux » incombe au premier chef à des médecins, les juristes y ont été pleinement impliqués pour dissimuler le crime.

Pour une édification du public américain et du public occidental
Une succession d’extraits de marches militaires allemandes de l’époque du Troisième Reich sert de prologue au film. Le générique du film défile sur les images d’actualité soviétique de la Chancellerie du Reich aux emblèmes nazis dynamités en mai 1945. Cette première séquence de ce film américain donne le ton au spectateur, allemand en premier lieu : l’assurance, voire l’agressivité, allemandes ont été vaincues, les Allemands doivent comprendre qu’il ne faudra plus jamais recommencer. La séquence de la visite du juge dans Nuremberg (dans le stade où se tenaient les grands rassemblements du parti nazi, la cathédrale de la ville) est aussi là pour rappeler aux Allemands un passé récent d’autant plus honteux que la culture et l’histoire allemandes, dans une vision positiviste de l’histoire, pouvaient laisser escompter une toute autre destinée pour ce peuple.
Nous sommes à Nuremberg en 1948, Stanley Kramer utilise des images de villes allemandes aux immeubles dévastés et effondrés et aux rues dégagées comme arrière plan de la séquence de l’arrivée du juge américain Haywood et de sa traversée de la ville. L’occupation américaine est assez discrète dans la ville, et les Américains sont présentés comme rendant service aux habitants de la ville en les employant en ces temps difficiles. Le regard porté sur les gens modestes dans la population est assez complaisant dans le film, mais c’est là une habitude dans le cinéma américain lorsqu’il s’agit d’un scénario prenant pour cadre un pays étranger. Le couple des Habelstadt, au service du juge Haywood dans sa résidence de fonction le temps du procès, apparaissent comme des gens faisant une analyse morale limitée de la période du Troisième Reich, voire étant hypocrites, sinon aveugles (et donc à édifier), quand madame Habelstadt explique que Hitler avait mené de bonnes réalisations pour le pays (les autostrades, la victoire sur le chômage), et que les Allemands n’étaient pas au courant des atrocités commises contre les Juifs. Le juge Haywood réagit alors en maître d’école impatient de voir des élèves ne pas progresser dans l’apprentissage des bases, ici d’un esprit lucide tourné vers la démocratique.
Dès l’arrivée du juge à Nuremberg, est posée la question de la pertinence, en 1948, à continuer de poursuivre les criminels nazis (notamment en raison de l’évolution du contexte international de tension, entre les Etats-Unis et l’U.R.S.S. au sujet de l’Allemagne essentiellement), et dès le départ le personnage joué par S. Tracy affirme sa conviction qu’il faut mener à son terme cette action de justice. Pour le procureur, qui incarne le combat pour la nécessité d’une justice supérieure aux hommes et aux contingences, il s’agit de rendre la justice qu’ils ont refusée à d’autres. Ce film raconte donc aussi l’histoire de juges jugeant d’autres juges, présentant un sujet récurent dans la littérature et le cinéma américains, celui de la dualité de l’homme, comme si dans cette histoire les duos Lawson/Rolfe et Haywood/Janning n’étaient que les deux facettes et à des âges différents d’un même personnage. Et pour Kramer, assurément, celui qui l’emporte c’est celui qui défend la plus haute idée de la justice sans en avoir perdu de vue l’impérieuse nécessité, et c’est l’Américain sur l’Allemand. Lors des débats, l’avocat Hans Rolfe cite le juriste américain Oliver Wendell Holmes Jr. pour illustrer l’idée que la justice est rendue « en sondant les individus, sur leurs caractères. » (84)
Les arguments contre la poursuite des procès sont présentés : le correspondant d’United Press dans le film affirme que le public américain ne s’intéresse plus aux procès de Nuremberg ; le contexte de la Guerre froide débutante (ici la prise du pouvoir par les communistes en Tchécoslovaquie, le début de la crise du blocus de Berlin-Ouest) feraient le jeu des accusés allemands car il s’agirait de ne pas froisser les nécessaires alliés allemands dans l’optique d’un affrontement probable avec les Soviétiques. La priorité était en effet à la renaissance d’un Etat allemand dans les zones d’occupation occidentales. Cependant, les procès américains à Nuremberg continuèrent bien à se tenir jusqu’au 14 juillet 1949, date ultérieure à la naissance de la R.F.A., et l’œuvre judiciaire fut poursuivie par les tribunaux ouest-allemands. L’un des trois magistrats américains, le juge Norris, affirme : « il s’est passé des choses bien incompréhensibles », ou l’idée de l’indicibilité des crimes au service de la déculpabilisation. Dans l’énoncé du verdit, le troisième juge, Curtis Ives, présente la position de l’incapacité d’un tribunal à juger de tels crimes, et incarne donc aux yeux des auteurs l’abandon moral devant le travail de justice à rendre face aux crimes nazis. La veuve du général Berthold finit, dans les derniers jours du procès, par appeler le juge Haywood à privilégier l’oubli pour mieux dépasser les drames vécus ; les charmes du personnage joué par Marlène Dietrich n’y feront rien, au contraire même face au probe juge américain. Des arguments contre la nécessité d’imposer la justice supérieure défendue par Kramer et Mann, le plus pertinent est certainement celui avancé par l’avocat Hans Rolfe qui affirme, pour délégitimer l’action du tribunal, que c’est le peuple allemand en entier qui est mis en accusation, et le juge Ives pose la question du bien fondé de l’idée d’une culpabilité collective des Allemands. Kramer et Mann ne font pas tomber leur propos dans un manichéisme qui l’aurait desservi, et la place donnée au personnage de Hans Rolfe et le jeu de Maximilian Schell contribuent à générer interrogations et réflexion chez le spectateur comme le souhaitaient les deux auteurs. Mais Kramer et Mann font évoluer le personnage d’une façon que son propos finit par être desservi. L’agressivité de l’avocat pendant l’interrogatoire de Rudolf Petersen, au cours duquel il sous-entend que la stérilisation des attardés mentaux était justifiée, son acharnement contre Irène Hoffman pour lui faire reconnaître qu’elle s’était mise par ses rencontres avec le Juif Feldenstein hors de la légalité, suscitent un véritable malaise chez le spectateur qui voit exprimées là clairement les conceptions nazies, qui seraient encore bien présentes dans la population allemande (…celle de 1961).

Lors des débats, la question d’établir un code de justice pour le monde entier est abordée.
Le mot « juif » n’est prononcé que sept fois pendant toute la durée du film. La Shoah est présente dans le film à travers la séquence concernant l’affaire Feldenstein et la séquence de la projection d’image des camps. Bien des aspects du « procès n° 3 » la concernant ne sont pas du tout évoqués dans le scénario, comme tout ce qui concerne la mise en place et l’application de la législation allemande dans les territoires occupés de l’Est. L’imaginaire géographique de ce film de l’époque de la Guerre froide s’arrête au territoire de l’Allemagne, comme si toute mention de l’occupation barbare des Allemands en Europe de l’Est pendant la Seconde Guerre mondiale pouvait être prise comme de la propagande facile tournée contre l’occupation soviétique de cette même partie du continent, quinze ans plus tard.
A la 105ème minute du film, le colonel Lawson, qui affirme avoir lui-même participé au printemps 1945 aux découvertes des camps de Dachau et de Bergen-Belsen ( ?), projette comme cela avait été fait lors de la plupart des procès de Nuremberg un montage d’images de la libération des camps. Cette séquence, d’une durée de cinq minutes, est la première aussi développée dans un film de fiction américain. Le précédent notable était la projection – courte, et avec peu d’images montées dans le film – de la séquence médiane du film The Stranger, quand l’enquêteur joué par Edward G. Robinson veut rappeler à l’épouse du criminel qu’il poursuit ce que furent les crimes nazis. Autant que pour effectuer un rappel pour un public qui n’a plus vu, le plus souvent, ces images depuis seize ans, cette séquence ouvre le sujet dans le film de Kramer de leur utilisation « abusive » lors des procès (remarque formulée par l’avocat Rolfe à la reprise des débats devant le tribunal). Après la projection, l’un des accusés se plaint de cette initiative de la justice américaine – ce qui rappelle la réaction de Goering dans les mêmes circonstances aux premiers jours du procès devant le TMI de Nuremberg. Le montage réalisé pour les besoin du film par Kramer est composé d’une carte du Grand Reich, avec des noms de camps improbables en Pologne, des images de la libération de Buchenwald dont les allées ont été parcourues par l’état-major américain, de fours crématoires de l’entreprises Topf, d’amoncellements de brosses, de chaussures, de dents en métal précieux, de morceaux de peaux tatouées, de têtes réduites, d’un pelvis humain utilisé comme un cendrier, des enfants montrant leurs numéros tatoués sur l’intérieur de l’avant-bras gauche (images soviétiques prises à Auschwitz), des fosses emplies de cadavres, le bulldozer dans le camp de Bergen-Belsen qui pousse les cadavres vers une fosse.
Cette séquence peut être considérée comme le pendant pour le public américain du film d’Alain Resnais, Nuit et Brouillard (1956) ; l’essai cinématographique du réalisateur français avait créé une nécessité de donner à revoir les images de l’année 1945, diffusées dans les procès de Nuremberg jusqu’en 1949. Mais ici adaptée au public américain, cette fonction didactique jouée par le film de Kramer se transforme en une séquence six fois plus courte que le film de Resnais, sans aucune portée philosophique ou politique comme dans le film français, et essayant de recréer la réaction de stupeur des premières projections en 1945, en mettant l’accent sur l’émotion et l’écoeurement de tous dans le tribunal, là où Resnais parlait clairement dans son film des risques de l’oubli. Le but de Kramer ici n’est-il pas le même finalement, celui de « réveiller » la mémoire du spectateur américain. Le commentaire en voix-off du colonel Lawson évoque l’utilisation de zyklon B à Dachau dans une fausse salle de douche, il avance des chiffres de déportation par pays, mais qui parfois ne distinguent pas les Juifs, et finit par rappeler le chiffre de 6 millions de Juifs exterminés pendant la guerre. La brève intervention dans la séquence suivante d’un autre détenu allemand dans la salle du réfectoire de la prison (Oswald Pohl) (85) rappelle en une phrase que l’extermination d’autant de personnes était « une question d’organisation technique ». L’indicible devient concevable par les explications assumées et froides du bourreau ; là aussi, c’était à un personnage du camp des bourreaux que devait revenir cette tâche de reconnaître la faisabilité du crime, et non aux accusateurs américains. Cette première « repentance » appelle la séquence de la déclaration d’Ernst Janning.
La déclaration d’Ernst Janning, abandonnant son mutisme, qui implicitement récuse son avocat, symbolise l’Allemagne repentante, sortant grandie, abandonnant la logique nationaliste (celle mise en avant par l’avocat Rolfe) et revenant dans le cercle de la civilisation (occidentale), mais devant porter « à jamais » le poids de sa responsabilité dans les crimes commis (sentence confirmée par la rencontre sans concessions du juge Haywood avec Ernst Janning dans sa cellule, à la demande de ce dernier, après sa condamnation à la prison à vie). Et pour sceller le « pacte » de la réconciliation de l’Allemagne avec le monde occidental, Kramer et Mann soulignent – mais vers la fin du film seulement, mais cela ne pouvait intervenir qu’après la repentance de Janning – la responsabilité de la communauté internationale dans la montée du nazisme et la marche à la guerre voulue par Hitler : dans l’ordre, le pacte germano-soviétique de 1938, le concordat de 1933 du Vatican avec l’Allemagne, les propos élogieux de Winston Churchill à l’égard de Herr Hitler jusqu’en 1938, et les investissements des banquiers et industriels américains dans l’Allemagne nazie se réarmant. Les grandes puissances de l’après-guerre sont renvoyées à leurs responsabilités. (86) Mais le monde des affaires américain n’est pas le peuple ni l’administration démocrate de l’époque [en 1961, les Etats-unis sont de nouveau sous administration démocrate], et le sujet de ce que savaient les Alliés sur les crimes nazis, notamment contre les Juifs, n’est pas évoqué ; la documentation et la réflexion sur le sujet accumulées par Kramer et Mann pouvaient justifier que cette dernière question soit posée aussi.

Pour Stanley Kramer, la raison d’être du film se trouvait donc dans la déclaration du juge Haywood avant l’énoncé des sentences à la fin du procès (87) :
« Le procès mené devant ce tribunal a débuté il y a plus de six mois. Simples meurtres et atrocités ne constituent pas le fondement des charges dans l’acte d’accusation. Au contraire, l’accusation est celle de la participation consciente à une échelle nationale organisée par un gouvernement à un système de cruauté et d’injustice dans la violation de principes juridiques et moraux communs à toutes les nations civilisées.
« Le Tribunal a examiné attentivement le dossier et on y trouve en abondance des preuves suffisantes pour soutenir, au-delà de tout doute raisonnable, les accusations portées contre ces accusés. M. Rolfe, dans sa défense habile a affirmé qu’il en existe d’autres qui doivent partager la responsabilité ultime de ce qui est arrivé ici en Allemagne. Il y a du vrai dans ceci.
« Ce Tribunal ne croit pas que les Etats-Unis ou tout autre pays ne soit pas à blâmer des circonstances qui ont rendu le peuple allemand vulnérable aux flatteries et aux tentations de la montée du nazisme. Mais ce tribunal doit dire que les hommes dans le box sont responsables de leurs actes. Le principe du droit pénal de toute société civilisée a cela de commun. Toute personne qui pousse une autre à commettre un meurtre, toute personne qui fournit l’arme fatale dans le but de ce crime, toute personne qui est un accessoire de ce crime est coupable.
« M. Rolfe affirme en outre que l’accusé Janning était un juriste exceptionnel qui a agi selon ce qu’il pensait être le mieux dans l’intérêt de ce pays. Il y a du vrai dans cela aussi. Janning, assurément, est une figure tragique. Nous croyons qu’il exécrait le mal qu’il faisait. Mais la compassion pour les tortures actuelles de son âme ne doit pas engendrer l’oubli de la torture et de la mort de millions de personnes par le gouvernement dont il faisait partie. Le parcours de Janning et ses actes illuminent la plus bouleversante vérité qui a émergée de ce procès. Si lui et les autres accusés étaient tous des pervers dépravés – si tous les dirigeants du Troisième Reich étaient des monstres sadiques et maniaques – ces événements n’auraient pas plus de signification morale qu’un tremblement de terre ou que d’autres catastrophes naturelles. Mais ce procès a fait la preuve qu’en période de crise nationale, des hommes ordinaires – même des hommes doués et extraordinaires – peuvent se faire des illusions au point de commettre des crimes et des atrocités si vastes et si odieux qu’ils dépassent l’imagination. Personne ici ne pourra jamais oublier. La stérilisation des hommes en raison de leurs convictions politiques… Les notions d’amitié et de foi bafouées… L’assassinat d’enfants… Il est si aisé d’en arriver là. Il y a aussi aujourd’hui, dans notre pays, ceux qui parlent de la protection du pays. De survie. Chaque nation doit prendre une décision parfois. A certains moments, lorsqu’une puissance ennemie l’empoigne à la gorge, il semble que la seule issue consiste à employer les mêmes méthodes que lui, à assurer sa survie sans essayer de voir plus loin, à fermer les yeux, à renoncer à la morale. Mais alors quelle est la réponse à ceci ? Survivre en tant que quoi ? Un pays n’est pas un rocher. Et ce n’est pas un prolongement de soi-même. Ce qui fait la grandeur d’un pays, c’est de défendre certaines valeurs quand leur défense représente le plus de périls.
« Devant tous les peuples du monde, sachez que notre décision a été motivée par les valeurs que nous défendons : la justice, la vérité… et la valeur propre à chaque être humain. »
Dans un texte (88) rédigé par Telford Taylor peu de temps après la fin du procès n° 11 (le « procès des ministères »), le plus long des procès américains en Allemagne, qui s’acheva en avril 1949, le chef du Conseil des procureurs de Nuremberg dénonçait l’argument selon lequel le contexte de l’affrontement Est-Ouest nécessitait, pour s’assurer l’engagement de l’Allemagne aux côtés des Américains, une clémence des tribunaux à Nuremberg. Il rappelait notamment comment dans le « procès d’IG Farben » (le procès    n°6) un des trois juges se désolidarisa des autres juges trop à l’écoute de cet argument selon lui, et qui déclara que tous les directeurs d’IG Farben « avaient participé en connaissance de cause dans l’établissement de la politique commune » et qu’ils «devaient se partager la responsabilité. » Telford Taylor dénonçait aussi l’attitude des avocats allemands de la défense dans les divers procès de Nuremberg, dont le nationalisme et l’antisémitisme revêtaient les aspects d’une justification des événements de l’époque nazie. Dans le contexte de l’après-guerre et des fortes tensions entre les deux blocs formés, il estimait nécessaire pour « la préservation de la paix mondiale » de résoudre « le conflit entre la souveraineté nationale et la loi universelle ». Plus loin, il ajoutait : « Il a été dit d’excellente façon que « le but fondamental que le monde doit atteindre est l’établissement d’un ordre mondial sous le régime de la loi ». (89) Nous devons espérer et faire en sorte que les règles internationales qui ont été adoptées à Nuremberg, à Rastatt (90) et ailleurs au cours des dernières années amènent un jour le règne de la loi. C’est ainsi que des juristes pourront apporter un concours important à la cause de la paix mondiale, à laquelle nos gouvernements respectifs se sont consacrés. » (91)
La charge de Haywood/Kramer contre la justification du droit bafoué par la raison d’Etat, à destination du public américain, est clairement un règlement de compte à rebours avec l’esprit du maccarthysme, que l’époque sous administration démocrate permet plus aisément. Si Hollywood avait su trouver chez ses professionnels des noms, même célèbres pour s’opposer aux « listes noires », cette mention dans le film de Kramer révèle combien le sujet est encore présent chez ce cinéaste porteur de la tradition du cinéma américain libéral. Mais les valeurs mises en avant par Haywood/Kramer sont aussi celles des Etats-Unis dans leur lutte idéologique avec le communisme mondial, et quelques semaines après l’édification du mur de Berlin, ce film est aussi à sa façon un film américain orienté de la Guerre froide, au service de la politique étrangère américaine. Les liens entre Hollywood et Washington anciens et comme systémiques. (92)

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Fiche technique du film (95)

JUDGMENT AT NUREMBERG. Roxlom Films. Distributeur United Artists. Sortie aux Etats-Unis le 19 décembre 1961. Son Westrex, N&B, 35 mm, 180 mm.

Produit et réalisé par Stanley Kramer.
Producteur associé : Philip Langner.
Scenario : Abby Mann
Photographie : Ernest Laszlo.
Chef opérateur : Charles Wheeler
Directeur de plateau : George Milo
Producteur designer : Ernest Gold
Editeur du film : Frederic Knudtson
Musique Ernest Gold
Chansons : Lili Marlene, Norbert Schultze, Hans Leip, Thomas Connor ; Liebeslied Ernest Gold, Alfred Perry.
Ingénieur du son : James Speak
Editeur du son : Walter Elliott
Editeur de la musique : Art Duham
Assistant au réalisateur : Ivan Volkman
Producteur manager : Clem Beauchamp
Superviseur du script : Marshall Schlom
Toilettes de mademoiselle Dietrich : Jean-Louis
Costumes : Joe King
Maquillage : Robert J. Schiffler
Optiques : Pacific Title
Company Grip : Morris Rosen
Property masters : Art Cole
Characters Gaffer : Don Carstensen
Casting : Stalmaster-Lister Co.

Distribution :
Spencer Tracy (Juge Haywood), Burt Lancaster (Ernst Janning), Richard Widmark (colonel Ted Lawson), Marlene Dietrich (madame Berthold), Maximilian Schell (Hans Rolfe), Judy Garland (Irene Hoffman), Montgomery Clift (Rudolf Petersen), William Shatner (capitaine Byers), Edward Binns (sénateur Burkette), Kenneth MacKenna (juge Kenneth Norris), Joseph Bernard (major Abe Radnitz), Werner Klemperer (Emil Hahn), Torben Meyer (Werner Lampe), Alan Baxter (général Merrin), Virginia Christine (madame Halbestadt), Otto Waldis (Pohl), Karl Swenson (Dr. Geuter), Ray Teal (juge Curtis Ives), Ben Wright (monsieur Halbestadt), Olga Fabian (madame Lindnow), Martin Brandt (Friedrich Hofstetter), Bernard Kates (Perkins), Sheila Bromley (madame Ives), Jana Taylor (Elsa Scheffler).
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(1) Du 22 au 28 mars 1962, se tint devant la Cour suprême de l’Etat d’Israël le jugement en appel qui confirma la sentence prononcée.

(2) Sur le site Internet http://www.cinemotions.com/modules/Films/fiche/8185/Jugement-a-Nuremberg.html

(3) Michelle Manceaux, « De Nuremberg à Berlin », in L’Express du 21 décembre 1961.

(4) in Judgment at Nuremberg – A Play by Abby Mann, New Directions Books, New York, 2002, p. XVI.

(5) Abby Mann est né en 1927 à Philadelphie dans une famille juive originaire de Russie. A partir des années 1950, il écrivit des pièces de théâtre filmées pour la chaîne NBC et écrivit son premier scénario de long métrage pour le film britannique Port of Escape d’Anthony Young (Wellington Co., 1956). Mais c’est en 1961 qu’il est révélé par son scénario du film Judgment at Nuremberg de Stanley Kramer, qui est un succès international et pour lequel il se vit décerner l’Oscar du meilleur scénario le 9 avril 1962. Cette même année, il fut l’auteur du scénario du troisième film du jeune et brillant réalisateur John Cassavetes, A Child is Waiting (United Artists, 1963), pour lequel il retrouvait comme producteur Stanley Kramer. On lui doit aussi le scénario du film The Detective (20th Century Fox, 1968) de Gordon Douglas, avec Franck Sinatra. En 1973, il quitta le cinéma et se consacra à la télévision pour laquelle il écrivit des scénarios de téléfilms et séries télévisées. Il créa notamment le personnage de Kojak pour le téléfilm The Marcus-Nelson Murders (CBS, 1973), qui devint ensuite le héros de la série qui porta ce nom.

(6) Avant de devenir à Berlin-Ouest en 1987 la Haus der Kulturen der Welt, la Kongresshalle fut la contribution américaine à l’exposition internationale d’architecture Interbau 1957. Sa forme caractéristique lui valut le surnom d’« huître pleine » et lui permit de devenir l’un des bâtiments symboles de Berlin-Ouest, au même titre que la Gedächtniskirche (l’Eglise du Souvenir).

(7) in Judgment at Nuremberg – A Play by Abby Mann, New Directions Books, New York, 2002, p. XVII.

(8) in Judgment at Nuremberg – A Play by Abby Mann, New Directions Books, New York, 2002, pp. XVII-XVIII.

(9) in Filmkritik (janvier 1962), Munich.

(10) Les Golden Globe Awards sont des trophées remis chaque année depuis 1944 par la Hollywood Foreign Press Association de Los Angeles.

(11) Outre ses propres réalisations, Stanley Kramer, avec ses propres sociétés, Screen Plays Inc. (1947) et Stanley Kramer Picture Corporation (1954), produisit des films tels que The Men de Fred Zinnemann (United Artists, 1950), Cyrano de Bergerac de Michael Gordon (United Artisits, 1950), Death of a Salesman de Laslo Benedek (Columbia, 1951), High Noon de Fred Zinnemann (United Artists, 1952), The Wild One de Laslo Benedek (Columbia, 1953), The 5,000 Fingers of Dr. T de Roy Rowland (Columbia, 1953) et The Caine Mutiny d’Edward Dmytryk (Columbia, 1954).

(12) Variety, entrée du 18 octobre 1961.

(13) Arthur B. Clark, in Films in Review, janvier 1962, pp. 39-41.

(14) in The New York Times Film Reviews (1959-1968), volume 5, The New York Times & Arno Press, New York, 1970, p. 3294.

(15) Ronald Bergan, The United Artists Story, ed. Octopus Books, Londres, 1986, p. 203.

(16) Louis Marcorelles, « La trahison des clercs » in Les Cahiers du Cinéma, n° 128, février 1962, p. 48.

(17) Ibid., p. 50.

(18) in Le Figaro Littéraire du 29 décembre 1961.

(19) Raymond Lefèvre, in La Saison cinématographique 1962, p. 189.

(20) in Les Cahiers du Cinéma, n° 295, décembre 1978, p. 59.

(21) Pour cette adaptation à Broadway, l’acteur allemand Maximilian Schell qui jouait l’avocat Hans Rolfe dans le film de 1961, reprit le rôle d’Ernst Janning tenu par Burt Lancaster dans le film. En octobre 2002, la pièce fut produite en langue allemande au Stadtische Buhnen Theatre à Nuremberg, dirigée par Klaus Kusenberg, puis en février 2003 au Ernst-Deutsch-Theatre à Hambourg, dirigée par Johannes Kaetzler. En 2003, c’est au Japon que des adaptations théâtrales furent produites, à Kobe et à Tokyo. En mai 2005, la pièce est reprise à New York, au Concord’s Willows Theatre, sous la direction de Richard Elliot.

(22) Abby Mann, Judgment at Nuremberg. The Script of the Film, Cassel & Company Ldt., Londres, 1961.

(23) Abby Mann, in Judgment at Nuremberg – A Play by Abby Mann, New Directions Books, New York, 2002, p. X.

(24) Ibid., p. XIII.

(25) Georges Roy Hill est célèbre dans l’histoire du cinéma américain pour avoir réalisé les deux grands succès commerciaux réunissant les acteurs Paul Newman et Robert Redford : Butch Cassidy and the Sundance Kid (20th Century Fox, 1969) et The Sting (Universal, 1973) pour lequel il remporta l’Academy Award du meilleur réalisateur le 2 avril 1974.

(26) Les anthology series étaient des séries de fictions de la télévision américaine des années 1950 aux années 1970 qui présentaient à chaque réalisation des histoires et des distributions d’acteurs différentes, le plus souvent une fois par semaine. Dans les années 1950, « âge d’or de la télévision américaine », les séries les plus regardées étaient The United States Steel Hour (de CBS) et The Philco Television Playhouse (de NBC).

(27) Herbert Brodkin fut par la suite l’un des deux producteurs pour NBC de la série Holocaust réalisée par Marvin Chomsky (1978).

(28) L’anthology series « Playhouse 90 » totalisa 133 épisodes d’une durée de 90 minutes entre 1956 et 1961, sous la direction de réalisateurs tels que John Frankenheimer, Franklin J. Schaffner, Sidney Lumet, George R. Hill et Robert Mulligan.

(29) L’ancien procureur Telford Taylor, professeur de droit, présenta le programme et fut employé comme conseiller technique pour cette production. La réalisation fut assurée par George R. Hill. La distribution comptait entre autre Paul Lukas jouant le rôle d’un ancien ministre de Justice allemand, Claude Rains comme juge président du tribunal militaire américain et Maximilian Schell en avocat allemand de la défense.

(30) A Child is waiting de John Cassavetes (United Artists, 1963) fut produit par Stanley Kramer, avec Burt Lancaster et Judy Garland dans les rôles principaux, qui se retrouvaient là après le tournage de Judgment at Nuremberg.

(31) Larry Swindell, Spencer Tracy, The New American Library, New York, 1971, p. 219.

(32) Film pour lequel Stanley Kramer reçut le Prix du meilleur long métrage destiné à la jeunesse au festival international du film de Berlin de 1960.

(33) Abby Mann, Judgment at Nuremberg. The Script of the Film, Cassel & Company Ldt., Londres, 1961, p. 171.

(34) Donald Spopto, Stanley Kramer Film Maker, ed. Samuel French Trade, Hollywood, 1978, p. 226.

(35) Le racisme dans la société américaine fut le sujet d’un autre film de Stanley Kramer, Guess Who’s Coming to Dinner? (United Artists, 1967), quatrième film de Spencer Tracy avec le cinéaste, et dernier film de l’acteur.

(36) Donald Spopto, Stanley Kramer Film Maker, ed. Samuel French Trade, Hollywood, 1978, p. 228.

(37) Ibid., p. 230.

(38) Comme The Magnificent Seven de John Sturges (United Artists, 1960), The Guns of Navarone de Jack L. Thompson (Columbia, 1961), The Longest Day produit par Darryl F. Zanuck (20th Century Fox, 1962).

(39) The New Yorker évoqua « a Judicial Grand Hôtel », en référence au célèbre film de 1932 à la prestigieuse distribution réunie par la Metro-Goldwyn-Mayer.

(40) Birdman of Alcatraz de John Frankenheimer (United Artists, 1962), A Child is waiting de John Cassavetes (United Artists, 1962), Il Gattopardo de Luchino Visconti (Titanus, 1963).

(41) Son rôle d’Esther Blodgett, dans A Star is born de George Cukor (Warner Bos., 1954) est considéré comme le sommet de sa carrière au cinéma et un rôle de pleine identification pour l’actrice au parcours si proche de celui de son personnage. Judy Garland fut nominée aux Academy Awards de 1962 pour son rôle d’Irène Hoffman.

(42) Gerold Frank, Judy. La vie tragique et passionnée de Judy Garland, éd. Grasset, Paris, 1977, p. 325.

(43) Montgomery Clift avait tourné dans The Search de Fred Zinneman (Metro-Goldwyn-Mayer, 1948) où son personnage de soldat américain dans Berlin occupé et en ruine aidait un jeune garçon tchèque rescapé d’Auschwitz à retrouver sa mère. Dans The Young Lions d’Edward Dmytryk (20th Century Fox, 1958), il jouait le soldat juif américain Noah Ackerman en butte à l’antisémitisme de ses compagnons de chambrée et découvrant les camps nazis en Allemagne.

(44) Judith M. Kass, The Films of Montgomery Clift, Citadel Press, Seacaucus, New Jersey, 1979, p. 200.

(45) Le scénario présente le personnage comme la veuve d’un général de la Wehrmacht condamné à mort et pendu à la suite du procès qui se tint à Dachau en 1946 contre les responsables des massacres de Malmédy (362 prisonniers de guerre américains et 111 civils belges assassinés par des troupes allemandes pendant l’offensive des Ardennes de l’hiver 1944), mais les hauts officiers allemands condamnés appartenaient à la SS, et le plus haut officier condamné à mort fut le SS-Obersturmbannhführer [lieutenant-colonel] Joachim Peiper, dont la peine fut commuée en peine de prison. Stanley Kramer laissa une grande liberté à Marlene Dietrich pour composer son personnage, car l’actrice d’origine allemande, naturalisée américaine en 1937, et qui avait sillonné de nombreux théâtres d’opérations durant la guerre pour chanter devant les soldats américains, et qui fut à ce titre décorée en 1947 par la médaille de la liberté décernée par la Ministère de la guerre américain, fut particulièrement affectée tout au long de sa vie par les responsabilités de l’Allemagne dans la guerre.

(46) The Young Lions (20th Century Fox, 1958).

(47) En 2000, une coproduction américano-canadienne pour la télévision, Nuremberg, présentait un documentaire-fiction de trois heures, réalisé par Yves Simoneau, qui était une adaptation du livre de Joseph E. Persico, Nuremberg:Infamy on Trial (Penguin Books, 1995), reconstituant le déroulement du principal procès de Nuremberg devant le TMI.

(48) Distribué aux Etats-Unis sous le titre The Nuremberg Trials.

(49) En 1995, Stephen Trombley avait réalisé Drancy:a concentration camp in Paris, 1941-1944, une autre coproduction internationale (France 2, Channel Four, ABC-Australia, YLE-TV2, SVT, TV2), un documentaire de 52 minutes, à partir d’entretiens de survivants et de témoins, et d’images d’archives inédites.

(50) Les « douze autres procès de Nuremberg » furent organisé sous l’égide de la Loi n° 10 du Conseil de contrôle allié en Allemagne établi en juin 1945, qui autorisait la création de tribunaux. L’appareil judiciaire pour le procès était prescrit par l’Ordonnance n° 7 du Gouvernement militaire américain et faisait partie de l’administration de la zone d’occupation américaine, l’OMGUS (Office of Military Government US).

(51) Nom retenu parmi les seize inculpés selon l’ordre alphabétique de leur liste ; l’inculpé le plus important de ce procès par ses fonctions sous le Troisième Reich était Franz Schlegelberger.

(52) Chronologie du procès : dépôt de l’acte d’accusation (4/01/1947) – lecture de l’acte d’accusation (17/02) – début de la présentation de preuves et de témoins par le procureur (5/03) – début de la présentation de preuves et de témoins par la défense (23/06) – réquisitoires et plaidoiries (18/10) – verdicts (3-4/12) – confirmation des condamnations par l’OMGUS (18/01/1949).

(53) Ancien juge président de la Cour suprême de l’Etat de l’Ohio.

(54) Juge à la Cour suprême de l’Etat de l’Oregon.

(55) Ancien assistant du procureur général de l’Etat de l’Ohio et juge de district de la première division du territoire de l’Alaska.

(56) Le juge Mallory B. Blair était le troisième juge titulaire du Tribunal militaire III de Nuremberg, juge suppléant à la cour d’appel du troisième district de l’Etat du Texas.

(57) Elu républicain de l’Indiana à la Chambre des représentants du Congrès à Washington de janvier 1943 à janvier 1947.

(58) Contrairement à ce que présente le film de Stanley Kramer, chaque accusé était défendu par un avocat accompagné d’un assistant.

(59) Ingo Müller, Furchtbare Juristen :Die unbewältigte Vergangenheit unserer Justiz, Kindler Verlag, Munich, 1987. Pour la traduction en anglais, Hitler’s justice – The Courts of the Third Reich, Harvard University Press, Cambridge (Massachusetts), 1991.

(60) Trials of War Criminals before the Nuremberg Military Tribunals (Washington D.C. : U.S. Government Printing Office, 1951), III, p. 1086, cite in Hitler’s justice – The Courts of the Third Reich, pp. 271-272.

(61) Ibid., p. 272.

(62) Ibid., pp. 273-274.

(63) Ibid., p. 274.

(64) Récit présenté sur le site Internet de l’Université de droit du Missouri-Kansas City (UMKC) consacré aux procès de Nuremberg (1945-1949) : http://www.law.umkc.edu/faculty/projects/ftrials/nuremberg/Alstoetter.htm

(65) Retiré à partir de 1942 à la campagne, Lothar Kreyssig cacha deux femmes juives sur sa propriété.

(66) Juriste allemand qui adhéra au NSDAP en 1925, élu nazi des Landtage de Hesse-Nassau, puis de Prusse, Roland Freisler fut secrétaire d’Etat au ministère de la Justice du Reich (de 1934 à 1942) qu’il représenta lors de la Conférence de Wannsee. Le 20 août 1942, il fut nommé président du Volksgerichtshof par Hitler, succédant à Otto Thierack, nommé ministre de la Justice du Reich. Il est responsable de milliers de condamnations à mort prononcées dans les procès des trois dernières années du régime national-socialiste ; il poursuivit les participants au complot contre Hitler, après l’attentat du 20 juillet 1944.

(67) in Hitler’s justice – The Courts of the Third Reich, p. 96.

(68) Ibid., p. 97.

(69) Décret du gouvernement allemand du 24 novembre 1933.

(70) Décret du gouvernement allemand du 14 décembre 1937.

(71) Décret du gouvernement allemand du 28 février 1933.

(72) in Hitler’s justice – The Courts of the Third Reich, pp. 114-115.

(73) Le verdict est reproduit in Ilse Staff, Justiz im Dritten Reich, 2nde éd. Fischer Taschenbuch-Verlag, Frankfurt, 1978, 178ff : : note in Hitler’s justice – The Courts of the Third Reich, p. 115.

(74) in Hitler’s justice – The Courts of the Third Reich, p. 121.

(75) Ernst Rüdin et Hans Luxemberger, Psychiatrische Erblehre und Erbpflege, Lehmanns Verlag, Munich, vol. 1, 1938, p. 7.

(76) Arthur Gütt, Ernst Rüdin et Falk Ruttke (s.dir.), Gesetz zur Verhütung erbkranken Nachwuchses nebst Ausführungsverordnungen, 2nde éd. Lehmanns Verlag, Munich, 1936, p. 94.

(77) Ibid., 1ère éd. Lehmanns Verlag, Munich, 1934, p. 83.

(78) Récit de l’affaire dans le Weser-Kurier, 18 juillet 1980, cité in Hitler’s justice – The Courts of the Third Reich, p. 123.

(79) Décision du 20 mai 1935 de la Cour d’appel de la santé héréditaire, publiée dans Juristische Wochenschrift (1935), p. 1869, cité in Hitler’s justice – The Courts of the Third Reich, pp. 123-124.

(80) Franz Gürtner, ed., Bericht über die Arbeit der amtlichen Strafrechtskommission, F. Vahlen, Berlin, 1935, p. 258, cité in Hitler’s justice – The Courts of the Third Reich, p. 126.

(81) A Wels, en Haute-Autriche, un procureur ouvrit une enquête sur les activités des médecins du centre d’euthanasie de Hartheim.

(82) Viktor Brack était chargé de la coordination pour l’application du programme T4 et Werner Heyde était le responsable du département médical du programme.

(83) Le 1er septembre 1939, Hitler signa un document sur son papier à en-tête personnel, autorisant officiellement le Reichsleiter Philipp Bouhler, chef de la chancellerie du Führer, et son médecin personnel, le Dr. Karl Brandt, à diriger une vaste entreprise d’« euthanasie».

(84) Oliver Wendell Holmes, Jr. (1841-1935) enseigna à Harvard, puis fut juge à la Cour Suprême du Massachussets (1882-1902), puis à la Cour Suprême des Etats-Unis (1902-1932). Il est reconnu comme étant l’un des juristes américains les plus marquants du XXème siècle. Attaché au droit de la responsabilité, il estimait que la logique n’était pas le tout du droit, et il insistait sur la façon de rendre le droit en évitant les deux écueils que sont la confusion du droit et de la morale, et un développement purement logique du droit. Holmes mettait en avant une théorie de la prédiction : le droit comme toute science se doit d’avoir pour objet une prédiction, ici celle de la décision du juge. [voir Françoise Michaut, La Recherche d’un nouveau paradigme de la décision judiciaire à travers un siècle de doctrine américaine, Paris, L’Harmattan, 2000.]

(85) Le procès n° 4 de Nuremberg ou « procès Pohl » fut celui du WVHA (Wirtschafts-Verwaltunghauptamt), département économique et administratif de la SS, et il se tint devant le Tribunal américain n° II, entre mars et novembre 1947. Oswald Pohl, le directeur du WVHA fut condamné à mort et pendu dans la prison de Landsberg en 1951.

(86) A l’occasion de la séquence de l’interrogatoire du témoin Rudolf Petersen, le scénario rappelle que la législation des personnes handicapées avait pour référence un arrêt de la Cour Suprême des Etats-Unis de 1927 autorisant cette pratique dans l’Etat de Virginie. L’arrêt fut rédigé par le juge Oliver Wendell Holmes…

(87) Traduction directe à partir du film dans sa version originale par l’auteur.

(88) Telford Taylor, « Les Procès de Nuremberg : synthèse et vue d’avenir », in Politique étrangère n° 3, 1949 (14ème année), pp. 207-218. Voir sur le site www.persee.fr .

(91) in A Project for a World School of Law, publié par la Harvard Law School (1948), p. 5.

(92) De 1946 à 1954, plus de 2 000 criminels de guerre furent jugés en application de la Loi n° 10 du Conseil de contrôle des Alliés dans la zone d’occupation française en Allemagne. Une vingtaine de grands procès se sont déroulés ainsi à Rastatt.

(93) Telford Taylor, p. 218.

(94) Voir Erwan Benezet et Barthélémy Courmont, Hollywood/Washington : comment l’Amérique fait son cinéma, éd. Armand Colin, Paris, 2007.

Nb : Le panneau final du film qui affirmait que sur les 99 accusés condamnés à des peines de prison à l’occasion des treize procès de Nuremberg, plus aucun n’était détenu à la date de sortie du film, faisait l’omission de l’incarcération de Rudolf Hess à Spandau.

(95) In American Film Institute Catalog. Feature Films 1961-1970, ed. University of California Press, 1976, pp. 562-563.

Une réflexion sur « Hollywood ou l’édification d’une morale universelle : « Jugement à Nuremberg » de Stanley Kramer (1961) »

  1. Je travaille pour la société Angeneiux qui fabrique des optiques pour les cameras de cinema. Je fais une recherche sur l’historique de la société. Je suis tombe par hasard sur votre article en recherchant des informations sur le film Judgement at Nuremberg. Je suis toujours très emu en lisant des articles qui traitent de la Shoa.
    Judgment at Nuremberg a été l’un des premiers films pour lequel le zoom a été utilise de manière a ponctuer le scenario. La date de production de 1960 correspond a la date de mise en service des premiers zooms Angenieux pour cameras 35mm, le 35-140mm. Il y a de fortes chances que ces zooms aient été utilisées pour ce tournage. Je suis a la recherche d’information sur les zooms utilisées pour ce tournage ( photos de camera avec zoom, …), Merci

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