Les informations sur l’Aktion Reinhard parvenues aux Alliés

Cet article est paru dans la Revue d’histoire de la Shoah n° 197, octobre 2012. (1)

 

En 1942, les Alliés perdent sur tous les fronts.+ Une intervention militaire, de quelque nature qu’elle soit, sur les territoires annexés ou occupés de la Pologne, ou dans l’ouest de l’Union soviétique est alors inenvisageable. Mais cela ne voulait pas dire que des solutions de sauvetage pour des Juifs n’étaient pas possibles en Europe (via la Hongrie, la Turquie, la Suisse, en France).

En 1944, le bombardement des lignes de chemin de fer à destination d’Auschwitz est possible, mais il n’aurait certainement pas été d’une grande efficacité, et à Auschwitz même, c’est le complexe industriel de Monowitz qui est pris pour cible à quatre reprises entre août et décembre 1944 par des bombardements de l’US Air Force, et non les chambres à gaz de Birkenau. De plus, les SS et leurs auxiliaires ont alors déjà développé une expérience suffisante et variée pour continuer à mener en toutes circonstances leur projet génocidaire : par exemple, en deux journées (3-4 novembre 1943), l’Aktion Erntefest correspond à l’un des plus grands massacres dans l’histoire de la Shoah, et à l’été 1944, les camions à gaz utilisés à Chelmno en 1941-1942, sont remis en service pour liquider les survivants du ghetto de Lodz. Il est de toute façon trop tard. Entre ces deux dates, l’Aktion Reinhardt, débutée (en mars 1942) et achevée (en novembre 1943) a provoqué la mort de 1,5 à 2 millions de Juifs, polonais dans leur très grande majorité.
Les éléments essentiels de l’Aktion Reinhard selon ses concepteurs sont la rapidité de l’exécution et le secret de l’information en dehors des régions de l’est du Gouvernement général, où sont localisés les trois centres de mise à mort. Les phases de mise à mort sont intenses et brutales : un demi-million de Juifs des districts de Lublin et de Galicie orientale disparaissent en 1942 à Belzec en 8 mois et demi de fonctionnement des chambres à gaz dans ce premier centre ; 300 000 Juifs enfermés dans le ghetto de Varsovie sont assassinés dans celui de Treblinka entre juillet et septembre 1942. Comment a-t-il été possible de limiter, sinon d’empêcher, que ne se généralise la connaissance d’un assassinat d’une telle ampleur ? Comment son information pouvait-elle rester enfermée dans les limites du Gouvernement général de Pologne, véritable épicentre de la Shoah et gouffre pour le judaïsme européen ? Cela n’a pas été possible pour les génocidaires, qui en ont bien conscience et pour lesquels la rapidité d’exécution était un gage de pleine réussite de la Solution finale.
Et si ce qui se passe en territoire polonais, contre les Juifs d’Europe, est connu, qu’est-ce qui peut être fait ? Et pourquoi rien n’est fait, de façon significative, par les gouvernements alliés, avant le « sauvetage » des Juifs de Budapest durant la deuxième moitié de l’année 1944 ?
L’histoire des méthodes « ultra » utilisées par le renseignement britannique pour casser les codes des machines de cryptage allemandes, et celle du captage des informations sur les massacres de masse à l’Est, notamment ceux perpétrés par les Einstazgruppen, est à présent bien connue. (2) Pendant l’été 1941, au début de l’extermination systématique des Juifs soviétiques, le décryptage de comptes rendus d’exécutions par les unités de la police et de la SS est courant. Par exemple, entre les 23 et 31 août 1941, dix-sept comptes rendus dans les Ereignismeldungen UdSSR envoyés à Berlin par les unités de la police et de la SS à l’arrière du Groupe d’armées Sud (en Ukraine), fournissent des détails sur des fusillades contre des groupes de Juifs de tailles variables (allant de 61 à 4 200 personnes). Ces interceptions figurent dans les rapports du GC & CS, (3) service de renseignement britannique responsable de l’interception et du déchiffrage des communications allemandes, basé à Bletchley Park (dans le centre de l’Angleterre). Elles sont présentées dans des rapports résumés hebdomadaires au Premier ministre. Les activités des Einsatzgruppen en territoire soviétique sont connues au plus haut niveau en Grande-Bretagne et le 24 août 1941, dans une déclaration à la BBC, Winston Churchill annonce : « Des districts entiers sont massacrés. Des dizaines de milliers – littéralement des dizaines de milliers – d’exécutions de sang froid sont perpétrées par les unités de la police allemande contre les patriotes russes qui défendent leur terre natale. Depuis les invasions mongoles en Europe au XVIème siècle, il n’y a jamais eu de boucherie aussi méthodique, impitoyable, à une telle échelle, ou approchant une telle échelle. […] Nous sommes en présence d’un crime sans nom. » L’impératif de ne pas révéler aux Allemands le décryptage réussi des messages codés par leur machine Enigma, empêchait le Premier ministre britannique de mentionner les victimes juives particulièrement ciblées.

Les filières de l’information depuis le Gouvernement général

Le 25 juin 1942, le London Daily Telegraph rapporte que 50 000 Juifs ont été assassinés à Vilnius, que le ghetto de Varsovie est un mouroir et que des chambres à gaz mobiles sont en usage sur le territoire soviétique. Le 10 juillet 1942, le Times publie des informations extraites d’un rapport envoyé à Londres de la Pologne par l’Armée intérieure (l’Armia Krajowa – A.K.) sur le massacre des Polonais et l’assassinat en masse des Juifs du pays et le transport de ceux-ci vers des destinations inconnues. Le 10 août 1942, le magazine américain Newsweek annonce que des trains emplis de Juifs du ghetto de Varsovie disparaissent dans un « vide noir ». (4)
De telles informations sont reçues par le Gouvernement polonais en exil. Celui-ci possède un représentant clandestin en territoire polonais, le Delegat, qui est en liaison permanente avec lui, et il se dote, en octobre 1939, d’une armée secrète, Union de la lutte armée (Zwiazek Walki Zbrojnej), qui devient l’A.K. en février 1942. A Londres, l’état-major de l’armée polonaise passe par la section polonaise du Bureau des Opérations spéciales (Special Operations Executive – S.O.E.) pour établir le contact avec la Pologne, pour y acheminer du personnel et du matériel. Les envois de parachutistes en Pologne par le S.O.E. ont débuté en février 1941 et deviennent très fréquents à partir de l’été 1942. Les messages courts de ces agents en mission ou de la résistance sont transmis au S.O.E. par radio ; les messages plus longs sont émis, avec moins de risque, à l’extérieur des principales villes polonaises, ou sont acheminés par des courriers, sous la forme de microfilms. Passant par la Suède ou l’Europe de l’Ouest, ils mettent plusieurs semaines pour parvenir à Londres.
Entre 1941 et juillet 1942, le canal d’informations le plus important concernant le sort des Juifs du pays est le réseau que les Polonais constituent avec des sympathisants de leur cause parmi la communauté suédoise présente à Varsovie. Les Suédois expédient la documentation confiée, réunie sur des films de 35 mm, à Stockholm en utilisant le courrier de la Chambre de commerce du pays dans le Gouvernement général. Elle parvient ainsi à la base des services secrets polonais en Suède, dirigée pendant cette période par Mieczyslaw Thugutt, qui ensuite la transmet par le courrier hebdomadaire de la R.A.F. aux services secrets britanniques. Muté à Londres en 1942, Thugutt est alors devenu responsable des communications entre le Gouvernement en exil et son pays occupé. Mais la filière suédoise est découverte et liquidée par les Allemands à la fin de juillet 1942, quand débutent les déportations depuis le ghetto de Varsovie. La résistance polonaise reste quand même alors en contact radio avec Londres et, après une interruption de quelques mois, elle fait parvenir de nouveau des messages plus longs par ses bases en Suisse et en Turquie.
Un « sous-comité aux Affaires juives », au Bureau de l’information et de la propagande de l’A.K., n’est en fonction que pendant quelques semaines seulement (entre novembre 1941 et février 1942). L’une des difficultés pour les Juifs polonais est donc cette dépendance à l’égard de l’A.K. et du Delegat pour faire passer des informations à l’extérieur de la Pologne. Au début de la liquidation des Juifs des ghettos, des contacts s’établissent entre le mouvement de jeunesse de gauche sioniste, Hashomer Hatzaïr, et le mouvement des scouts polonais, dont l’un des dirigeants, Kaminski, est éditeur du Byuletin Informacyjny de l’A.K. La lettre du Bund et le rapport décrivant les gazages à Chelmno établi par Emanuel Ringelblum en mai 1942 est parvenu à l’ouest par cette voie, selon l’historien W. Laqueur. (5) Le lien le plus solide est celui établi entre le Bund, dirigé à Varsovie par Léon Feiner, et le P.P.S. (Polska Partia Socjalistyczna). Par les socialistes polonais, eux-mêmes liés à l’A.K., Feiner transmet des informations au représentant du Bund à Londres, Szmul Zygielbjom, installé en Angleterre à partir d’avril 1942. Celui-ci, après son exil d’un an et demi aux Etats-Unis, devient le porte-parole le plus actif des Juifs polonais à l’étranger.
A Londres, les informations concernant les Juifs ne sont pas particulièrement dissimulées. Zygielbojm n’a pas formulé ce genre de repoches. Le Delegat adresse ses communications au ministre de l’Intérieur, Stanislaw Mikolajczyk, et le commandant de l’A.K., le général Rowecki, directement au Premier ministre Wladislaw Sikorski. Le 9 juin 1942, dans une émission à la B.B.C., Sikorski déclare : « La population juive de Pologne est condamnée à l’anéantissement conformément à la maxime : « Il faut massacrer tous les Juifs indépendamment de l’issue de la guerre. » Cette année des dizaines de milliers de Juifs ont été massacrés à Lublin, Vilnius, Lwow, Stanislawow, Rzeszow et Miechow ». Le lendemain, il adresse aux gouvernements alliés une dépêche : « L’extermination de la population juive prend des proportions incroyables ». (6)

Wladyslaw Sikorski

Wladislaw Sikorski

Des citoyens du Reich, indépendamment les uns des autres, transmettent aussi des informations détaillées pendant l’été 1942, qui transitent par la Suisse. Ernst Lemmer, correspondant de plusieurs journaux étrangers à Berlin, évoque des chambres à gaz, mobiles et fixes, mais n’est pas pris au sérieux. Le 27 juillet 1942, un membre de la division économique de l’O.K.W., le commandement suprême des forces armées allemandes, transmet à Edgar Salin, un économiste helvète, le message suivant : « Dans l’Est, on prépare des camps dans lesquels l’ensemble des Juifs d’Europe et une grande partie des prisonniers de guerre russes seront gazés. Merci de faire parvenir cette information à Churchill et à Roosevelt personnellement. Si la B.B.C. dissuade quotidiennement et par avance d’allumer les fours à gaz, alors leur utilisation devrait s’en trouver empêchée ; parce que les criminels font tout pour que le peuple allemand n’apprenne pas ce qu’ils planifient et donc il est sûr qu’ils vont le mettre à exécution. » (7) Le message est transmis à un agent des services de renseignements américains, connaissance de Salin, mais il finit par passer inaperçu à Washington. Le troisième informateur, Eduard Schulte, directeur d’une importante entreprise minière en Silésie, rapporte les propos de Himmler tenus le 17 juillet 1942, lors d’une soirée. Il tient ses propos d’un de ses collaborateurs, Otto Fizner, un nazi proche du Gauleiter de Haute-Silésie, Fritz Bracht, l’organisateur de la soirée : un plan a été discuté à la Chancellerie du Führer pour la déportation et l’extermination des Juifs de l’Europe de l’Est, et pour y parvenir l’utilisation de l’acide prussique a été évoquée. Eduard Schulte rapporte ces propos à un collègue, Isidor Koppelmann, qui le met en contact avec Benjamin Sagalowitz, l’attaché de presse de la communauté juive suisse. L’information parvient ainsi au représentant en Suisse du Congrès juif mondial, Gerhart Riegner. Ce dernier enquête sur l’industriel allemand et le trouve absolument digne de confiance. Le 8 août 1942, Riegner remet au vice-consul américain à Genève, Howard Elting, un résumé du message et lui demande de lé télégraphier à Washington, aux autres gouvernements alliés et au rabbin Wise à New York. Elting fait parvenir à l’ambassade américaine à Berne les informations, précisant que Riegner lui paraît être « une personne sérieuse et équilibrée » et demandant que le rapport soit transmis au Département d’Etat. L’ambassadeur Leland Harrison télégraphie le message de Riegner à Washington le 11 août, tout en précisant qu’il n’a aucun moyen de le confirmer. (8)

Ernst Lemmer

Ernst Lemmer

Edgar Salin

Edgar Salin

Eduard Schulte

Gerhart Riegner

Gerhart Riegner

Riegner a remis aussi au consulat britannique à Genève le même résumé, demandant à ce qu’il soit télégraphié au Foreign Office et transmis à Samuel Sidney Silverman, membre du Parlement britannique et président de la section anglaise du Congrès juif mondial. Le Foreign Office reçoit le télégramme le 10 août. Il attend une semaine avant de le transmettre à Silverman, qui l’envoie au rabbin Wise à New York le 28 août. Celui-ci était écarté de cette information jusqu’alors par le Département d’Etat. Wise écrit alors au sous-secrétaire d’Etat Summer Welles le 2 septembre pour lui demander de communiquer la nouvelle au président Roosevelt. Puis, il adresse la même demande au juge de la Cour suprême Felix Frankfurter. Mais rien n’établit que le télégramme ait été remis alors au Président, et aucune déclaration publique n’est faite aux États-Unis concernant le contenu du télégramme jusqu’en novembre 1942.
Une autre source d’information est fournie par les récits de détenus juifs parvenus en Palestine dans le cadre d’échanges de prisonniers avec des ressortissants allemands arrêtés par les Britanniques. En décembre 1941, arrive un premier groupe de quarante-six femmes (mais ces personnes ne viennent pas des régions concernées alors par les exécutions par balles massives) ; le groupe le plus important est arrivé en novembre 1942, puis un troisième groupe, beaucoup plus petit, en février 1943, et quelques échanges supplémentaires ont eu lieu pendant l’été 1944, surtout via l’Espagne. La volonté de venir en aide à des membres de la Volksgemeinschaft semble l’avoir emporté chez les dirigeants SS sur la préoccupation de garder au mieux le secret des persécutions et massacres contre les Juifs. Un groupe de 137 personnes est ainsi autorisé à quitter la Pologne le 28 octobre 1942, puis Vienne, où il séjourne le 11 novembre, et son train arrive en Palestine, à la frontière syrienne, le 14 novembre. Ce groupe compte 78 Juifs (femmes, enfants, personnes âgées), dont 69 sont des ressortissants palestiniens. Ces arrivants proviennent de treize villes en Pologne (dont Cracovie, Bialystok, Sosnowiec, Kielce, Piotrkow et Sandomir,), de Berlin, de Hambourg, de Belgique, de Hollande, et ils ont rencontré le chef de la communauté juive de Vienne, Joseph Loewenherz, qui leur a expliqué la déportation vers l’Est de la communauté autrichienne pendant les mois précédents. Arrivés en Palestine, ils sont interrogés par des membres du service de sécurité de l’armée britannique, puis conduits à Athlit, près de Haïfa, et pris en charge par des membres du bureau de l’Agence juive en Palestine. Personne dans le groupe n’est passé par Varsovie, mais certains avaient rencontré des Juifs en Haute-Silésie qui leur avaient raconté que le ghetto avait été en grande partie vidé, ainsi que celui de Czestochowa. Les témoins sont incapables de fournir une information sur le sort des déportés et ils étaient restés sans nouvelles des disparus. Ces témoignages permettent une vision à l’échelle européenne du projet nazi et confirment les nouvelles de l’été en provenance de Genève.
Le 22 novembre 1942, le bureau de l’Agence juive communique sur ces témoignages en Palestine, et dans les jours qui suivent, la presse juive de Palestine publie les récits des rescapés et les nouvelles mentionnant l’existence, en Europe orientale, de bâtiments en béton abritant des chambres à gaz et un rapport affirmant que des trains emmènent les Juifs « vers de grands fours crématoires situés à Oswiecim, près de Cracovie. » C’est le déclenchement d’une vraie prise de conscience parmi les Juifs de Palestine. Le 3 décembre, Abraham Stupp de l’Agence juive, à Tel Aviv, envoie un câble au Congrès juif mondial qui contient les informations des réfugiés palestiniens. Le rapport est riche en informations. 70 000 Juifs ont été déportés de Lublin, 7 000 ont été envoyés à Majdanek, aucune trace ne reste des 63 000 autres, qui ont sans doute été assassinés. En mai 1942, seulement 6 000 Juifs restent à Cracovie, tous les autres habitants juifs de la ville ont été déportés vers une destination inconnue et on présume qu’ils ont été tués. 10 000 Juifs ont été déportés de Tarnow, puis une autre fois 7 000 de la gare. Les déportations de Varsovie ont commencé le 22 juin 1942 (en fait 22 juillet) à raison de 7 000 personnes par jour ; en octobre 1942, il ne restait que 36 000 personnes de la population juive de la ville ; les déportés ont été envoyés à Treblinka, où les Juifs « [sont] amenés [dans un] soi-disant bâtiment de bains qui [est] fermé hermétiquement. L’air de la chambre était pompé [de sorte que] les gens suffoquaient. D’autres rapports dirent [que les] Juifs [sont] tués par gaz-poison. » Le fait est que, quelle que soit la méthode utilisée, personne n’a quitté le « bâtiment des bains » en vie. Les cadavres sont continuellement incinérés. À compter de janvier 1942, les Juifs du Warthegau ont été expulsés vers le village de Chelmno (Chelmno Nad Nerem) et assassinés dans des camions à gaz. Le câble poursuit en décrivant d’autres atrocités, et conclut par une demande que les gouvernements alliés mettent fin à ces crimes. Une copie du câble est envoyée aux chefs des nations démocratiques. Il est signé par Anselm Reiss en tant que représentant de la communauté juive polonaise.
C’est aussi à la date du 23 novembre 1942 que le Département d’Etat américain reçoit de son ambassade en Suisse deux lettres de Varsovie et un télégramme révélant qu’un éminent citoyen helvète non juif (il s’agissait du Dr. Carl Burckhardt, haut fonctionnaire de la Croix-Rouge internationale) a appris de deux hauts responsables dans l’administration du Reich que l’ordre d’élimination physique des Juifs avait été donné par le quartier général de Hitler. Le 24 novembre, le sous-secrétaire d’Etat Summer Welles reçoit le rabbin Wise pour lui annoncer la terrible et dans la soirée, Wise donne une conférence de presse. Aux journalistes il dit avoir appris, grâce à des témoignages confirmés par le Département d’Etat, que 2 millions de Juifs ont été tués dans le cadre d’une « campagne d’extermination » dont le but est l’élimination totale des Juifs en Europe nazie. (9)

Carl Burckhardt

Dr. Carl Burckhardt

Sumner Welles

Summer Welles

Stephen Wise

Stephen Wise

Le 25 novembre 1942 est la date de l’arrivée à Londres de Jan Karski, qui a déjà effectué en 1940 deux missions de messager pour le Gouvernement de son pays en exil, jusqu’en France à l’occasion de la première. (10) A la fin de l’été 1942 précédent, il reçoit de deux membres de la Delegatura, le leader bundiste Léon Feiner et le leader sioniste Menachem Kirschenbaum, une déclaration adressée aux dirigeants alliés les appelant à informer la population allemande des crimes contre les Juifs ordonnés par ses dirigeants et à bombarder l’Allemagne explicitement en représailles contre la poursuite de ces crimes. Cette rencontre s’accompagne de deux entrées de Karski dans le ghetto de Varsovie, puis quelques jours après d’une visite dans la petite ville d’Izbica Lubelska, où se trouve un ghetto de transit. Cette ville se situe à mi-chemin entre Lublin et Belzec, et Karski assiste au chargement terrible d’un train à destination du centre de mise à mort. Arrivé à Londres, il s’entretient notamment avec Anthony Eden, le secrétaire aux Affaires étrangères, puis plus tard aux Etats-Unis avec le secrétaire d’Etat Cordell Hull, Felix Frankfurter de la Cour suprême, et il est reçu en entretien pendant une heure par le président Roosevelt le 10 août 1943 (presque un an après sa visite du ghetto de Varsovie).

Jan Karski

Zdzislaw Jezioranski (plus connu sous un de ses surnoms dans la clandestinité, Jan Nowak) est un autre messager du Delegat, envoyé à Londres en 1943 et 1944, qui rapporte des informations sur le soulèvement du ghetto de Varsovie, et qui rencontre le chef du département central du Foreign Office et le secrétaire particulier de Churchill. Son témoignage est passé inaperçu. (11) Tadeusz Chciuk-Celt est un autre émissaire, parachuté deux fois en Pologne. A l’issue de son premier séjour (en Pologne entre décembre 1941 et juin 1942, puis à Budapest jusqu’en novembre 1942), de retour en Angleterre en juin 1943, il rapporte – tardivement – des informations sur les liquidations des ghettos de Radom et de Varsovie.

Jan Nowak Jezioranski

Jan Nowak Jezioranski

Tadeusz Chciuk-Celt

Tadeusz Chciuk-Celt

Les informations sur l’ Aktion Reinhard

En janvier 1942 arrivent à Varsovie les premières informations concernant les gazages dans des unités mobiles à Chelmno. Des collaborateurs d’Emanuel Ringelblum rapportent le témoignage de trois fossoyeurs qui ont réussi à s’évader de ce premier centre de mise à mort sur le territoire polonais (12) et qui est transmis à Londres et aux Etats-Unis où il est largement diffusé dans des publications de la communauté juive, (13) mais pas dans les grands organes de presse américains.
Avant la mi-mars, et le début de l’Opération Reinhardt, une longue lettre du Bund parvient à Londres et décrit le ghetto de Varsovie comme un « grand camp de concentration » où les Juifs, coupés du reste de la ville et du monde, mourraient de façon horrible. Puis, à la fin du mois de mars et au mois d’avril 1942, l’A.K. collecte des nouvelles des déportations des Juifs de Lublin, puis de Lwow, entamées les 17 et 18 mars. Ils sont acheminés à Belzec, la destination est vite localisée et, n’ayant plus de nouvelles des déplacés, la finalité est vite établie aussi. Mais l’A.K. ne dispose pas de données précises sur la façon dont sont tués les détenus de Belzec. A Londres, on demande des éclaircissements concernant les rumeurs sur les exécutions massives dans les territoires de l’Est, et la confirmation d’information sur les activités des Einsatzgruppen vient en même temps que les premières informations sur le démarrage de la liquidation des ghettos du Gouvernement général.
Une réponse du Delegat arrive le 8 avril et confirme les informations concernant l’assassinat de milliers de Juifs en Galicie orientale, dans la région de Vilnius, dans celle de Lublin et en Biélorussie. En mai 1942, le Bund de Varsovie fait parvenir un rapport au Gouvernement polonais en exil à Londres sur les activités des Einsatzgruppen, décrivant en détail les méthodes utilisées et avançant des bilans chiffrés précis et terribles : 30 000 personnes tuées à Lwow, (14) 15 000 à Stanislawow, (15) 5 000 à Tarnopol, (16) 2 000 à Zloczow, (17) 4 000 à Brzezany. Des massacres ont eu lieu dans toute la Galicie orientale, à Zborow, Kolomyja, Stryj, Sambor, Drohobycz, Zbaraz, Przemslany, Kuty, Sniatyn, Zaleszczyki, Brody, Przemysl et Rawa Ruska. Le 19 juin, le Jewish Chronicle de Londres informe que des « nouvelles ont filtré des récents massacres épouvantables de Juifs dans l’Europe nazie. Quelques 85 000 hommes, femmes et enfants sont mentionnés dans les rapports manuscrits. »
Le 18 mai 1942, le New York Times publie le reportage envoyé de Lisbonne d’un correspondant de l’agence United Press, Glen Stadler, qui a été arrêté en Allemagne fin 1941, et qui est libéré dans le cadre d’un échange de ressortissants détenus. Faisant la synthèse de plusieurs rapports, il affirme que les Allemands ont abattu plus de 100 000 Juifs dans les pays baltes et presque autant en Pologne.
Au cours du mois de mai, la lettre du Bund en Pologne transmise au Gouvernement polonais, déjà évoquée, établit une liste des massacres contre les Juifs sur le territoire national, ville par ville, mois après mois. Elle est accompagnée du rapport d’Emanuel Ringelblum sur le centre d’extermination de Chelmno et l’utilisation des camions à gaz. Grâce à la persévérance des deux membres juifs du Conseil national polonais à Londres – Szmul Zygielbojm, du Bund, et le Dr. Ignacy Schwarzbart, du groupe sioniste –, ces informations nouvelles sont diffusées par la BBC le 2 juin, qui reprend le chiffre estimé de 700 000 Juifs tués mais qui ne conclue pas à la mise en place d’un programme d’extermination. (18) Une semaine plus tard, le Conseil national polonais informe officiellement les gouvernements alliés du contenu du rapport. Le 25 juin, Zygielbojm communique à la presse le texte intégral du document et il en diffuse, le lendemain, un résumé sur les ondes de la BBC. A la fin du mois, Schwarzbart, pour la section britannique du Congrès juif mondial, donne des renseignements supplémentaires au cours d’une conférence de presse. Et le 8 juillet, le Conseil national polonais réitère son avertissement aux Alliés, ajoutant qu’il dispose de nouveaux éléments prouvant que se prépare la destruction systématique des Juifs de Pologne, mais aussi de Polonais non juifs.

Emanuel Ringelblum

 Emanuel Ringelblum

Szmul Zygielbojm

Szmul Zygielbojm

Ignacy Schwarzbart

Ignacy Schwarzbart

Puis, l’O.S.S. reçoit un rapport en date du 20 juin 1942, en provenance de Lisbonne, d’un officier britannique qui s’est échappé de captivité et s’est caché pendant un certain temps dans le ghetto de Varsovie, avant d’atteindre le Portugal. Le rapport commence par ces mots : « L’Allemagne ne persécute plus les Juifs. Elle les extermine systématiquement. » L’officier britannique affirme que Himmler a rendu visite à Hans Frank au printemps pour l’informer du mécontentement de Hitler de ne pas voir les Juifs polonais disparaître suffisamment vite, (19) et que des convois sont organisés à destination de la gare de Sobibor dans l’Est du district de Lublin, (20) et que les paysans ont quitté les fermes voisines en raison de la puanteur venant d’un nouveau camp.
Les télégrammes Riegner des 10 et 11 août 1942, envoyés respectivement au Foreign Office et au Département d’Etat, donnent l’information que Hitler a ordonné l’extermination des Juifs européens par le gaz : « Reçu rapport alarmant indiquant que dans quartier général du Führer un plan a été et est discuté selon lequel totalité des Juifs dans pays occupés contrôlés par Allemagne estimée à trois et demi à quatre millions de Juifs devrait après déportation et concentration dans Est être exterminée en un seul coup de manière à résoudre une fois pour toutes question juive en Europe – stop – On rapporte que action est prévue pour automne méthodes d’exécution toujours en discussion – stop – Acide prussique a été évoquée – stop – Transmettons information sous toutes réserves son exactitude ne pouvant être confirmée – stop – Informateur considéré comme ayant rapports étroits avec les plus hautes autorités allemandes et comme communiquant nouvelles en général fiables. ». (21) Le plan est déjà alors élaboré et est appliqué depuis le second semestre 1941. Les Alliés peuvent alors traduire sans erreur le sens de la formule « solution finale de la question juive en Europe ».
Le président de l’organisation juive orthodoxe Agudath Israel World Organization, Jacob Rosenheim, à New York, reçoit le 3 septembre un télégramme d’Isaac Sternbuch, le représentant en Suisse de l’organisation : « Selon nombreuses informations authentiques issues de Pologne autorités allemandes ont récemment évacué ghetto de Varsovie et bestialement assassiné 100 000 Juifs environ. Ces massacres continuent. Les corps des victimes servent à la fabrication de savon et d’engrais artificiels. Sort semblable attend les Juifs d’autres territoires occupés déportés vers la Pologne. Suppose que seules mesures énergiques prises par l’Amérique peuvent stopper ces persécutions. Faites tout votre possible pour causer une réaction américaine et arrêter ces persécutions. » Séparément, les époux Roosevelt reçoivent une copie du message, mais aucune réaction de leur part à cet envoi n’est connue. A la demande des dirigeants juifs, qu’il reçoit le 10 septembre, Welles diligente une enquête qui conclut à l’authenticité de la plupart des révélations de Sternbuch, confirmée par de nouveaux rapports venus de Pologne (sauf sur le sujet du savon produit à partir de restes humains). Sternbuch disposait de moyens de communication clandestins presque partout dans les territoires européens soumis aux pays de l’Axe.
A la fin de septembre 1942, le Jewish Morning Journal publie des informations provenant d’un homme d’affaires suédois qui a voyagé à travers la Pologne et est passé par Varsovie, Lodz, Cracovie et Lwow, et qui a appris que la moitié des Juifs des ghettos de ces villes ont été tués. Dans son numéro d’octobre, le National Jewish Monthly, magazine de l’organisation d’entraide communautaire B’nai B’rith, affirme : « Il est à craindre que les nazis n’aient choisi de recourir au massacre à grande échelle, préférant tuer les Juifs que de s’en servir comme main-d’œuvre. » Dans un numéro spécial, bordé de noir, paru en novembre 1942, le Jewish Frontier déclare : « On est en train de mettre en application, dans les pays européens occupés, une politique dont le but avoué est l’extermination de tout un peuple. C’est une politique d’assassinat systématique de civils innocents qui, par ses dimensions, sa férocité et son organisation, est unique dans l’histoire de l’humanité. »
On le sait, le mois de novembre 1942 fut par bien des événements militaires sur les différents fronts majeurs le mois-tournant de la Seconde Guerre mondiale. Concernant la connaissance de la Solution finale en cours, l’historien américain David S. Wyman écrit : «Le 24 novembre 1942 marqua un tournant dans l’histoire de l’Holocauste. A compter de ce jour-là, les renseignements concernant le plan de Hitler pour l’anéantissement des Juifs furent à la disposition de tous ceux qui, dans le monde démocratique, désiraient savoir. » (22) Le jour où le rabbin Wise reçoit du sous-secrétaire d’Etat Welles des documents assurant que c’est bien un plan d’élimination générale des Juifs qui est à l’œuvre dans l’Europe occupée par les nazis, le gouvernement polonais à Londres, d’après de nouvelles informations transmises par la résistance polonaise, affirme que Himmler a ordonné que la moitié des Juifs polonais soient tués avant la fin de l’année 1942. (23) Les informations reçues et rendues publiques à Londres comprennent des descriptions très concrètes des convois de wagons où les Juifs sont entassés, beaucoup mourant par manque d’eau et par suffocation, acheminés vers des « camps spéciaux » à Belzec, Sobibor et Treblinka où les survivants de ces voyages sont assassinés. Le lendemain, ces informations sont reprises dans le New York Times, et à Londres Ignacy Schwarzbart déclare à la presse qu’un million de Juifs polonais ont péri depuis le début de la guerre, que « les Juifs sont gazés et à Belzec sont tués par électrocution ». Le 27 novembre, Henryk Strasburger, ministre des Finances dans le Gouvernement polonais de Londres, déclare à New York qu’« au moins un million de Juifs polonais ont été tués ».
A Londres, Szmul Zygielbojm ne cesse de relayer les informations lui parvenant sur le sort des Juifs en Pologne. Pendant les derniers mois de 1942, il continue à recevoir des messages des membres restants du Bund à Varsovie. Daté d’août 1942, il reçoit un long rapport sur Treblinka I et II rédigé par Léon Feiner (24) ; un autre, daté du 2 octobre affirme que 300 000 Juifs de Varsovie ont été tués ; un autre du 15 décembre, qu’« il reste environ 40 000 Juifs dans le ghetto ». (25) En décembre 1942, à l’occasion de la révélation de l’appel lancé aux Alliés par les représentants du Delegat à Varsovie, et acheminé à Londres par Karski, Zygielbojm déclare sur la BBC : « Si l’appel à l’aide des Juifs de Pologne reste sans effet, Hitler aura atteint l’un de ses buts de guerre – détruire les Juifs d’Europe quel que soit le résultat militaire final de la guerre. »

Léon Feiner

Léon Feiner

Au début de l’année 1943, Washington et Londres reçoivent un nouveau télégramme de Gerhart Riegner, expédié de Suisse, écrit en collaboration avec Richard Lichtheim, de l’Agence juive pour la Palestine. Il donne les informations suivantes : en Pologne, ce sont 6 000 Juifs qui sont tués quotidiennement ; Vienne est pratiquement vidée de sa population juive ; de nouvelles déportations ont lieu à Berlin et à Prague ; en Roumanie, sur 130 000 Juifs déportés vers la Transnistrie, 60 000 sont morts et les survivants sont dans le plus grand dénuement.

La réception des informations à Londres

A Londres, en septembre 1942, un député libéral, Geoffray Mander, demande au gouvernement anglais de se positionner sur l’information de l’utilisation de procédés de gazage par les Allemands contre les Juifs sur le territoire polonais. Au Foreign Office, les nouvelles parvenant de Pologne pendant l’année 1942 suscitent le scepticisme. On sait bien que les Juifs des pays de l’Axe et des pays occupés sont maltraités, mais les annonces de l’élimination physique systématique (26) rencontrent en général l’incrédulité, voire la méfiance face à des informations qui peuvent paraître comme des tentatives de manipulations des responsables occidentaux, comme celle de la fabrication de savon et d’engrais à partir des cadavres. (27)
Frank Savery, de l’ambassade de Grande-Bretagne auprès du Gouvernement polonais en exil, mène une enquête en septembre 1942 sur le témoignage des trois fossoyeurs de Chelmno évadés au mois de janvier précédent, qui a été consigné à Varsovie par le groupe de Ringelblum, et retient dans son rapport le commentaire d’un fonctionnaire du ministère de l’Information polonais qui se dit « très sceptique quant à la vérité de l’histoire tout en avouant ne pas être en mesure d’en vérifier l’authenticité ». De plus, les Polonais se plaignent de la question formulée par le député, car sa publicité peut mettre en danger les filières d’information du gouvernement polonais de Londres. L’ambassade de Grande-Bretagne auprès du Gouvernement polonais en exil en conclut qu’il faut demander au député de retirer sa question, car le gouvernement ne saurait lui donner qu’une « réponse très réservée ».
Pour Walter Laqueur, la réaction du Gouvernement britannique soulève un certain nombre de questions. Il y avait eu de nombreux autres rapports de sources polonaises et juives sur l’extermination massive menée dans toutes les régions de Pologne. En fait, le fait de pousser le député à retirer sa question traduit bien que l’on considère comme exact ces informations, mais W. Laqueur estime que les doutes portent sur le procédé des assassinats, et qu’un blocage psychologique gêne bien des responsables pour accepter de croire que les victimes étaient bien asphyxiées. (28)
Le 3 décembre 1942, le Foreign Office reçoit, par son ambassade auprès du Gouvernement polonais, du ministre de l’Intérieur, Stanislaw Mikolajczyk, un rapport traduit très détaillé sur la liquidation du ghetto de Varsovie venant d’un policier polonais en poste dans le ghetto, un autre du Delegat, sur le ghetto de Varsovie encore et sur le camp de Belzec (en fait le camp de transit d’Izbica Lubelska). (29) Tous ces documents ont été publiés en anglais et en polonais par le Gouvernement polonais en exil dans sa publication officielle, Polish Fortnigntly (1er décembre 1942). F. Savery, qui transmet le dossier au Foreign Office, annote : « J’estime que nous pouvons tenir pour vrai tout ce qui est dit dans le rapport sur les événements survenus à Varsovie et dans les localités voisines. » Mais il émet des doutes sur les informations concernant Belzec où il est évoqué que les victimes sont électrocutées. Une grande publicité a été donnée à ces informations dans la presse britannique et sur les ondes de la BBC, dans toutes les langues, pendant la semaine qui a suivi la déclaration des Nations alliées sur les crimes nazis contre les Juifs européens.
Le 7 décembre 1942, le secrétaire au Foreign Office, Anthony Eden informe l’ambassadeur britannique à Washington qu’il a à présent « peu de doute qu’une politique d’extermination progressive de tous les Juifs, sauf pour les travailleurs hautement qualifiés, soit menée par les autorités allemandes. Le gouvernement polonais a récemment reçu des rapports qui tendent à confirmer ce point de vue. Il considère ces rapports comme fiables. »

Aux Etats-Unis, les réserves du Département d’Etat et la discrétion de la Maison Blanche

Dans son édition du 1er juin 1942, le Seattle Times annonce en manchette : « Le total des Juifs assassinés s’élève à 200 000 ! ». C’est un des rares cas, pendant la Seconde Guerre mondiale, où une information concernant la destruction des Juifs d’Europe bénéficie d’un titre majeur en première page d’un journal. Les informations du rapport du Bund de mai 1942 sont reprises dans le Boston Globe, dans son édition du 26 juin, avec un titre sur trois colonnes (« Les massacres de Juifs en Pologne dépassent la barre des 700 000 morts. »), mais en bas de la page 12. Le 27 juin, le New York Times consacre cinq centimètres au rapport du Bund, reprenant les informations d’une déclaration de Zygielbojm sur la BBC la veille, et reprise par la station de radio CBS aux Etats-Unis. La conférence de presse que le Congrès juif mondial tient à Londres le 29 juin pour dresser un bilan, pays par pays, des actions menées contre les Juifs par les nazis, est couverte, pour les médias américains, par les agences Associated Press et United Press International qui en fournissent des comptes rendus complets. Mais, les journaux américains publient au plus de brèves notes. En fait, seule une petite partie des nouvelles concernant les crimes contre les Juifs atteint le public américain et les médias ne les signalent que de manière épisodique et sans développer presque toujours. Quelques revues abordent le sujet (30) et les publications chrétiennes n’en disent presque rien. Les massacres des Juifs sont présentés dans le cadre général des crimes commis par les nazis contre les populations civiles en Europe.
Dans la presse juive américaine (à New York, Day, Forward, Jewish Morning), la catastrophe est au contraire abondamment traitée évidemment. Des organisations, telles que le Congrès juif américain, le B’nai B’rith et le Jewish Labor Committee, organisent le 21 juillet 1942 (31) au Madison Square Garden, à New York, une grande manifestation pour exprimer l’indignation face aux massacres, pour sensibiliser l’opinion publique américaine et pour obtenir ouvertement un soutien des responsables politiques. L’opération est une réussite médiatique. La salle accueille 20 000 personnes, et des milliers d’autres restent à l’extérieur. Les principaux intervenants sont le rabbin Stephen Wise, le gouverneur Herbert Lehman, le maire Fiorello La Guardia, l’évêque méthodiste Francis McConnell et William Green, le président de la grande centrale syndicale AFL. Le président Roosevelt fait parvenir un message dans lequel il déclare que le peuple américain « ferait en sorte que la responsabilité des auteurs de ces crimes soit très strictement pesée au jour du jugement qui ne manquerait pas d’arriver ». Winston Churchill fait parvenir aussi un message dans lequel il affirme que « les Juifs étaient les premières victimes de Hitler ». Mais lors de cette soirée personne n’aborde le sujet d’opérations de sauvetage à entreprendre. Mais cette réunion est suivie d’autres dans le pays, à Chicago, à Los Angeles, à Milwaukee, à Cincinnati,… bien couvertes par les médias locaux. Ces manifestations contribuent à mettre fin à l’ignorance presque totale de la population américaine sur le sort des Juifs d’Europe. Devant cette montée de la prise de conscience, le président Roosevelt cependant avertit une nouvelle fois les puissances de l’Axe, le 21 août 1942, que les auteurs de crimes de guerre seront traduits en justice après leur défaite (mais sans faire aucune allusion aux victimes juives), et les gouvernements américain et britannique travaillent au projet d’une commission des Nations unies pour enquêter sur les crimes de guerre. En octobre, Roosevelt fait une nouvelle déclaration sur ce sujet, et précise que les Alliés n’auront pas recours à des représailles massives contre les populations civiles des pays de l’Axe. (32) Mais jusqu’à la fin de 1943, à l’occasion de ses conférences de presse bihebdomadaires, Roosevelt n’a jamais été interrogé sur le sort des Juifs européens et il ne l’évoqua jamais.
A la suite des révélations du 24 novembre 1942, le quotidien non juif qui informe le plus les lecteurs américains est le New York Times, mais toujours en page intérieure, à l’exception d’un article en première page sur la déclaration des Nations unies du 17 décembre. Parmi les magazines, seuls le Reader’s Digest et l’American Mercury rendent compte de l’extermination, contrairement aux grands magasines d’information comme Time, Newsweek et Life. Pour la seule fois pendant toute la durée de la Seconde Guerre mondiale, le président Roosevelt reçoit le 8 décembre 1942 (pendant une demi-heure) un groupe de dirigeants juifs américains : Stephen Wise, Henry Monsky (B’nai B’rith), le rabbin Israel Rosenberg (Union of Orthodox Rabbis), Maurice Wertheim (American Jewish Committee) et Adolph Held (Jewish Labor Committee). Le contenu des échanges est connu grâce aux notes de Held qui confirment que le président est pleinement conscient de l’existence du programme de destruction des Juifs d’Europe. La Maison Blanche autorise la publication suivante d’un communiqué de presse du groupe : « Le président est profondément bouleversé d’apprendre que deux millions de Juifs ont péri par suite de la domination et des crimes nazis […] Le peuple américain fera en sorte que la responsabilité des auteurs de ces crimes fût très rigoureusement pesée au jour d’un jugement qui ne manquera pas de venir. » Mais la perspective d’une opération de sauvetage n’est toujours pas abordée.
A l’initiative du gouvernement britannique, sous la pression de la presse, des parlementaires, des groupes juifs, de l’Eglise anglicane et du gouvernement polonais en exil, les gouvernements des Alliés publient, le 17 décembre 1942, la première reconnaissance officielle collective des rapports sur les atrocités commises en Pologne et en Europe de l’Est, spécifiquement contre les Juifs. Le pays alliés – la Grande-Bretagne, les Etats-Unis, l’Union soviétique, la Belgique, la Tchécoslovaquie, la Grèce, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Norvège, la Pologne, la Yougoslavie et le Comité national français – dénoncent « l’intention d’exterminer la communauté juive d’Europe » du gouvernement allemand et condamnent « dans les termes les plus énergiques possible cette bestiale politique d’extermination sans pitié ». Ils s’engagent à punir les responsables. Mais les partisans d’une assistance aux Juifs restent déçus, car rien sur ce sujet n’est abordé. Malgré les interventions du Département d’Etat pour limiter la portée de la déclaration, celle-ci constitue la plus vigoureuse que les Alliés aient publiée durant la Seconde Guerre mondiale au sujet des crimes commis contre les Juifs d’Europe. A la Chambre des communes le jour même, Anthony Eden fait lecture de la déclaration, énumère les crimes connus commis par les nazis contre les Juifs, assure que les coupables seront pourchassés, puis, fait exceptionnel dans l’histoire du Parlement britannique, deux minutes de silence sont respectées par les députés.
La presse américaine relaie largement la déclaration des Nations unies, en faisant l’information sur la question juive la plus couverte depuis le début de la guerre. Et comme pour appuyer la portée de cette déclaration, deux jours après, le bureau d’information des Nations unies établi à New York publie un rapport qui résume les informations les plus sûres et les plus terribles concernant le génocide en possession des Alliés : des preuves concernant les centres d’extermination de Chelmno et de Belzec, une analyse pays par pays des persécutions subies par les Juifs.
Rares sont les sondages aux Etats-Unis qui abordent pendant la guerre la question des violences faites aux Juifs européens. Une enquête Gallup du 7 janvier 1943 pose la question suivante : « On dit que 2 millions de Juifs ont été tués en Europe depuis le début de la guerre. Pensez-vous que cela est vrai ou qu’il s’agit seulement d’une rumeur ? » 47 % des personnes interrogées estiment que c’est la vérité, 29 % une rumeur et 24 % sont sans opinion. On peut estimer que dans ce dernier quart figure un grand nombre de personnes n’ayant pas connaissance des nouvelles de l’extermination, et la proportion de trois quarts des personnes interrogées ayant une opinion montre que les efforts de communication, surtout des organisations juives, avant et après la déclarations des Nations unies, n’ont pas été vains.
Au printemps 1943, des manifestations publiques comme celle de l’été 1942 se multiplient dans le pays. Le Congrès juif américain, associé aux deux grands syndicats américains (AFL et CIO), organise le 1er mars un grand rassemblement, de nouveau au Madison Square Garden, sur le thème et avec le slogan « Arrêter Hitler maintenant ! » 20 000 personnes sont présentes dans la grande salle new-yorkaise, des dizaines de milliers à l’extérieur (75 000 participants au total selon la police), pour entendre les discours de William Green, président de l’AFL, de Fiorello La Guardia, maire de New York, et de plusieurs autres personnalités non juives, ainsi que ceux de Stephen Wise et de Chaïm Weizmann (chimiste de réputation mondiale et futur premier président de l’Etat d’Israël). Un programme en onze points d’actions à mener pour des sauvetages est adopté ; le sujet est enfin ouvertement abordé.
Le 9 mars, toujours au Madison Square Garden, c’est le Committee for a Jewish Army qui présente un spectacle, (33) mêlant théâtre, récitations, musique, intitulé « Nous ne mourrons jamais », qui entend honorer la mémoire des Juifs européens assassinés, et qui bénéficie de l’engagement de professionnels renommés. Le producteur est Billy Rose, l’auteur du scénario Ben Hecht, le metteur en scène Moss Hart, le compositeur de la musique originale Kurt Weil et les principaux récitants sont les acteurs Paul Muni et Edward G. Robinson. La manifestation réunit 40 000 personnes, car les organisateurs décident de doubler la représentation le même soir, et le spectacle est retransmis en direct à la radio. D’une durée de 90 minutes, il se présente en trois temps : la contribution des Juifs à l’histoire de l’humanité, de Moïse à Einstein ; le rôle des Juifs dans les forces armées alliées ; une vision d’un monde pacifié dans lequel des Juifs morts de la main des nazis viennent raconter leur anéantissement et demander aux vivants de se souvenir d’eux. Dans tout le pays, les médias (presse, stations de radio et actualités cinématographiques) traitent largement cet événement et le spectacle est unanimement salué. Il est donné Washington, à Philadelphie, à Chicago, à Boston et à Hollywood. A Washington, il réunit plus de 100 000 spectateurs et est donné en présence d’Eleanor Roosevelt, de six juges à la Cour suprême, de membres du gouvernement, de quelque trois cents membres du Congrès, de nombreuses personnalités militaires et de diplomates étrangers.
La cause pour pousser le gouvernement américain à entreprendre des opérations de sauvetage progresse. Le 15 mars, huit organisations juives (34) créent un Comité d’urgence, le JEC (Joint Emergency Committee on European Jewish Affairs) qui se donne comme première tache d’organiser dans tout le pays de grands rassemblements comme celui du 1er mars à New York. Au cours du printemps 1943, une quarantaine de manifestations sont organisées dans vingt Etats différents, avec le soutien des sections locales des huit organisations affiliées, et souvent avec celui des Eglises chrétiennes et des sections locales des syndicats AFL et CIO. Si le succès populaire est au rendez-vous, la couverture médiatique reste limitée.
Alors que le JEC se fixe comme second objectif de pousser le Congrès à voter des mesures en faveur d’opérations de sauvetage, en Grande-Bretagne, les nouvelles concernant la destruction des Juifs et les appels aux actions de secours sont plus énergiques qu’aux Etats-Unis. C’est aussi pour diminuer cette pression que le gouvernement britannique a entamé le processus qui mène à la déclaration du 17 décembre. Mais cette déclaration, par sa réalisation, autorise en fait les partisans d’un sauvetage des Juifs d’Europe à se manifester encore plus ouvertement. En janvier, l’épiscopat anglican demande au gouvernement de prendre des mesures immédiates afin de sauver les Juifs et d’offrir un sanctuaire à tous ceux qui peuvent quitter l’Europe nazie. Un appel identique est lancé conjointement par le cardinal Hinsley, la plus haute autorité catholique du pays, le grand rabbin d’Angleterre J. H. Hertz et John Whale, le président du Free Church Federal Council. Les preuves continuent à s’accumuler.
Là encore, c’est pour lever cette pression, que les gouvernements britannique et américain acceptent d’organiser une conférence internationale sur la question des réfugiés de guerre dans les pays occupés par l’Allemagne. Mais celle-ci ne doit pas être spécifiquement consacrée au cas des Juifs européens. Elle s’ouvre à Hamilton aux Bermudes le 19 avril 1943, (35) et sans que les membres du Congrès juif mondial puissent y assister. Les discussions ne mènent à rien : les Américains insistent sur l’utilisation de l’expression « réfugiés politiques », ce qui masque la vraie nature du problème, et ils refusent d’augmenter leurs quotas d’immigration pour les réfugiés juifs (qui de plus sont loin d’être atteints depuis le début de la guerre) ; les Britanniques refusent l’ouverture de la Palestine à une nouvelle immigration juive et sont assurés du silence américain sur cette question. Toute discussion avec les Allemands sur la libération des Juifs, tout échange de prisonniers de guerre allemands contre des détenus juifs sont exclus. Les discussions portent sur la réactivation de la commission internationale pour les réfugiés, créée lors de la conférence d’Evian en 1938, mais comme toute discussion avec les Allemands est impensable, cette décision ne sert à rien et la conférence ne débouche sur aucune décision concrète. La conférence des Bermudes apparaît comme le point culminant des manœuvres dilatoires, en particulier du bureau des affaires européennes du Département d’Etat américain, sur le sujet des opérations de sauvetage pour les Juifs européens. (36)
Le désastre de la conférence des Bermudes a en fait desservi les tenants de l’inaction sur la question des sauvetages. En mai, a lieu en réaction face à l’échec de la conférence le débat officiel le plus complet sur le problème de l’extermination des Juifs jamais organisé au Congrès pendant la seconde Guerre mondiale, à la suite de la parution d’une large annonce dans le New York Times achetée par le Committee for a Jewish Army (CJA) qui accuse la conférence d’avoir été « une parodie et une cruelle plaisanterie ». Le CJA, en désaccord avec le Congrès juif américain, convoque une conférence, dite d’urgence (Emergency Conference to Save the Jewish People of Europe), à New York en juillet 1943. 1 500 personnes assistent aux séances qui ont lieu à l’hôtel Commodore entre le 20 et le 25 juillet, se répartissant dans des groupes de travail consacrés aux transports, aux négociations diplomatiques, aux affaires militaires, à la publicité, au rôle des Eglises, et la conférence profite des interventions de personnalités (La Guardia, Herbert Hoover). La conférence conclut que beaucoup peut être entrepris sans gêner l’effort de guerre des Alliés, et que la priorité est la création d’une agence gouvernementale américaine spécialement chargée du sauvetage des Juifs. Elle est transformée, avant sa clôture, en un Comité d’urgence pour sauver la population juive d’Europe (Emergency Committee to Save the Jewish People of Europe) qui reçoit le soutien ouvert du magnat de la presse William Randolph Hearst pour sa publicité. Mais malgré un contact ponctuel avec Eleanor Roosevelt, en août, la Maison Blanche reste fermée aux demandes d’entrevue du Comité d’urgence, de même qu’à la pétition de 400 rabbins du pays, qui se réunissent à Washington le 6 octobre, et qui ne peut être remise au Président.
En fait, le salut des partisans du sauvetage est venu de Suède : au mois d’octobre 1943, Danois et Suédois parviennent à sauver presque l’ensemble des 8 000 Juifs du Danemark qui sont acheminés vers la Suède, montrant au reste du monde que les sauvetages sont possibles. La conférence de Moscou, ce même mois, qui réunit pendant deux semaines les ministres des Affaires étrangères américain, britannique et russe, et qui est conclue par une sévère mise en garde contre les criminels de guerre, ne fait aucune mention de la question des Juifs européens pendant ses débats. La « contre-attaque » du Comité d’urgence intervient alors le 9 novembre, avec le dépôt simultané de la même résolution au Sénat (par le sénateur Guy Gillette) et à la Chambre des représentants (par Will Rogers et Joseph C. Baldwin) qui réclame du Président la création d’une « commission d’experts diplomatiques, économiques et militaires » chargés de faire des propositions d’actions immédiates pour sauver les Juifs encore en vie en Europe.
Dans le Gouvernement général de Pologne, cela fait quelques jours que Himmler et Globocnik viennent de clore l’Aktion Reinhard.
En janvier 1944, Roosevelt accepte de créer, au sein du ministère des Finances, un Bureau des réfugiés de guerre chargé de faciliter l’aide aux réfugiés en péril. Des Juifs de Hongrie, dans ce pays où se trouve alors la dernière grande communauté juive en Europe, ont pu bénéficier de son action.

Au-delà de l’argument répété par les gouvernements américain et britannique de garder prioritaires les objectifs militaires et de considérer que le sauvetage des Juifs le plus sûr dépendait de la rapidité de la victoire, et de l’argument moins facilement avoué de ne pas prêter le flanc à la propagande allemande accusant les Alliés de faire la guerre pour la « juiverie internationale », le facteur expliquant sans doute le mieux l’insensibilité des Alliés relève des personnes et de la culture collective. Il se trouve dans l’attitude commune de nombreux politiciens, fonctionnaires, diplomates et personnels militaires américains et britanniques, allant de l’incrédulité à l’apathie, manifestant opportunisme de groupe ou préjugés. N’oublions pas que les pensées et les propos antisémites étaient communs dans le monde d’avant la Shoah.

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(1) Ce texte propose la synthèse d’informations tirées des ouvrages de référence sur ce que les Britanniques et les Américains savaient de l’exécution de la « Solution finale » (ce sont les éditions françaises qui sont citées ici quand elles existent) : Arthur D. Morse, Pendant que six millions de Juifs mouraient, Paris, Robert Laffont, 1968, 368 pages ; Bernard Wasserstein, Britain and the Jews of Europe, 1939-1945 (second edition), Leicester University Press et Jewish Policy Research, 1999, 352 pages (1979 pour la première edition par Oxford University Press et l’Institute of Jewish Affairs) ; Walter Laqueur, Le terrifiant secret. La « solution finale » et l’information étouffée, Paris, Gallimard, collection Témoins, 1981, 290 pages ; David S. Wyman, L’abandon des Juifs. Les Américains et la solution finale, Paris, Flammarion, 1987, 468 pages ; David Engel, In the shadow of Auschwitz. The Polish Government-in-Exile and the Jews, 1939-1942, The University of North Carolina Press, 1993, 342 pages ; David Engel, Facing a Holocaust. The Polish Government-in-Exile and the Jews, 1943-1945, The University of North Carolina Press, 1987, 320 pages ; Richard Breitman, Secrets officiels. Ce que les nazis planifiaient, ce que les Britanniques et les Américains savaient, Paris, Calmann-Lévy/Mémorial de la Shoah, 2005, 368 pages ; Laurel Leff, Relégué en page 7. Quand le New York Times fermait les yeux sur la Shoah, Paris, Calmann-Lévy/Mémorial de la Shoah, 2007, 464 pages ; Les informations du site Aktion Reinhard Camps (ARC – www.deathcamps.org) ont aussi été utilisées.

(2) Cf : R. Breitman, op. cit., 2005.

(3) Government Code and Cypher School, ancêtre du service de renseignement électronique britannique.

(4) Par ailleurs, le 20 août 1942, The New York Times, rapportant des informations publiées dans l’édition de la veille du quotidien France Soir, déclare que les Juifs de France sont déportés en Silésie polonaise. A cette date, 21 convois étaient déjà partis de France, depuis mars 1942, tous à destination d’Auschwitz-Birkenau.

(5) W. Laqueur, op. cit., p. 134.

(6) W. Laqueur, op. cit., p. 93.

(7) Florent Brayard, Auschwitz, enquête sur un complot nazi, Paris, Le Seuil, 2012.

(8) Au Département d’Etat, la section des Affaires européennes ne retient pas les révélations de Riegner car elles sont jugées comme totalement incroyables.

(9) David S. Wyman, op. cit., p. 79. L’historien américain écrit plus loin : « Le 24 novembre 1942 marqua un tournant dans l’histoire de l’Holocauste.

(10) Karski est arrêté et torturé par la Gestapo pendant sa deuxième mission, en juin 1940.

(11) Jan Nowak a publié ses mémoires à Londres en 1979. Pour l’édition française : Jan Nowak, Courrier de Varsovie, Paris, collection « Témoins », Gallimard, 1983.

(12) Sur le territoire du Warthegau, annexé au Reich.

(13) Dans un numéro spécial, le 5 août 1942 du périodique du Jewish Labour Bund, The Ghetto speaks, puis dans le quotidien new yorkais Jewish Frontier, et plus tard dans l’ouvrage réalisé par The American Federation for Polish Jews, The Black Book of Polish Jewry, publié en octobre 1943 (pp. 115-119).

(14) Ces bilans chiffrés de victimes intègrent en fait les déportations vers Belzec quand elles ont déjà concerné ces villes au printemps 1942 Pour Lwow, le chiffre est exact. Les pogroms répétés du mois de juillet 1941 (menés par des nationalistes ukrainiens, à l’arrivée des Allemands et avec la collaboration d’une unité de l’Einsatzgruppe C dans la ville, et à la fin du mois à l’occasion des « journées de Petlioura ») ont fait 6 000 victimes environ, puis le transfert des Juifs dans la ville vers le quartier du ghetto s’est accompagné de 5 000 nouveaux assassinats sur le pont de la rue Peltewna, et entre le 16 mars et le 1er avril, 15 000 personnes ont été raflées et envoyées à Belzec. Soit, à la fin du printemps 1942, un total d’environ 26 000 victimes juives à Lwow depuis le début de l’occupation allemande, onze mois auparavant (sur 160 000 Juifs présents dans la ville avant l’offensive de juin 1941).

(15) Ce chiffre semble exact : sur une population juive avant l’été 1941 d’environ 40 000 personnes, les Allemands exécutent environ un millier parmi les élites sociales de la communauté en août 1941, puis la grande action du 12 octobre 1941 consiste en l’exécution de 10 000 personnes dans le cimetière juif de la ville, et la deuxième grande action du 31 mars 1942 entraîne la mort de 5 000 autres Juifs (envoyés à Belzec pour la plupart, tués dans le ghetto ou noyés dans la rivière Bystrzyca).

(16) A l’arrivée de la Wehrmacht, les Allemands et les Ukrainiens massacrent dans Tarnopol 5 000 Juifs entre le 4 et le 11 juillet 1941. Le 23 mars 1942, 700 Juifs sont emmenés dans la forêt de Yanovka et y sont exécutés.

(17) Les Allemands sont arrivés à Zloczow le 2 juillet, et à partir du 4 juillet, pendant trois jours, les Ukrainiens massacrent 3 000 personnes parmi la population juive de la ville qui compte de plus de 7 000 personnes.

(18) Dans son journal, Emanuel Ringelblum, à Varsovie, note que pour la première fois la BBC a évoqué des massacres de Juifs de grande ampleur en Pologne et a mentionné le nombre des victimes : 700 000.

(19) C’est lors de sa visite à Krüger et à Globocnik du 19 juillet 1942, que Himmler donne l’ordre d’accélérer la destruction des Juifs dans le Gouvernement général et de la terminer pour la fin de l’année. Selon son agenda, sa précédente visite à Cracovie et à Lublin date du 14 mars 1942, soit juste avant le démarrage de l’Aktion Reinhardt. Cf : Der Dientskalender Heinrich Himmler 1941-1942, éd. Christians, Hamburger Beiträge zur sozial- und Zeit-Geschichte, 1999.

(20) Le premier convoi à destination du centre de mise à mort de Sobibor est parti de Komarow (au sud-est de Zamosc), avec 2 000 personnes, le 3 mai 1942.

(21) Florent Brayard reprend le texte du télégramme reproduit dans l’article de Christopher Browning, « A Final Hitler Decision for the « Final Solution »? The Riegner Telegram Reconsidered », in Holocaust and Genocide Studies, vol. 10, n° 1, automne 1996, p. 3.

(22) David S. Wyman, op. cit., p. 90.

(23) Son ordre du 19 juillet 1942 porte en fait sur la totalité des Juifs polonais.

(24) Le texte de Feiner décrivant Treblinka II (le centre de mise à mort) a été reproduit, sous l’anonymat, dans The Black Book of Polish Jewry, op. cit., 1943 (chapitre 9 du livre). Fin juillet 1942, après seulement une semaine de fonctionnement, la nature exacte et les détails du fonctionnement du centre de Treblinka étaient connus dans le ghetto de Varsovie et de la résistance polonaise.

(25) 50 à 60 000 avant l’insurrection du printemps 1943.

(26) En mai le message du Bund sur Chelmno, en juillet l’information de l’Agence télégraphique juive sur les déportations des Juifs du ghetto de Varsovie, et en août le télégramme Riegner sur le plan d’extermination et les gazages.

(27) Information figurant dans télégramme de l’Agudath Israel reçu à Londres le 11 septembre 1942.

(28) W. Laqueur, op. cit., p. 268.

(29) Il s’agit des informations récoltées par Karski qui ont précédé de quelques jours son arrivée à Londres.

(30) De façon régulière pendant toute la guerre pour les périodiques libéraux Nation et New Republic

(31) Choisie pour des motivations différentes de part et d’autre de l’Atlantique, cette date, qui était cette année-là la veille de la commémoration de la destruction du Temple de Jérusalem, est celle où les Allemands annoncent à Adam Czerniakow le début de la déportation des Juifs du ghetto de Varsovie vers l’Est.

(32) Ce qui répond – avant l’heure – à la demande formulée par les deux membres de la Delegaturat rencontrés par Karski dans l’enceinte du ghetto de Varsovie.

(33) Mais en désaccord avec les dirigeants juifs qui avaient préparé la soirée du 1er mars 1943.

(34) L’American Jewish Committee, l’American Jewish Congress, le B’nai B’rith, le Jewish Labor Committee, le Synagogue Council of America, l’Agudath Israel of America, l’Union of Orthodox Rabbis (une organisation très proche de l’Agudath Israel), et l’American Emergency Committee for Zionist Affairs (un groupe de pression politique représentant plusieurs organisations sionistes). Non reconnu par les grandes organisations communautaires, le Committee for a Jewish Army (CJA) n’est pas inclus dans ce Comité d’urgence, bien qu’il ait demandé d’en faire partie.

(35) Le hasard fait qu’il s’agit aussi du premier jour de l’insurrection du ghetto de Varsovie.

(36) Le suicide de Szmul Zygielbojm à Londres, le 12 mai 1943, est la conséquence directe de l’inaction des délégations à la conférence des Bermudes et le geste ultime et désespéré de ses propres efforts pour alerter le reste du monde depuis près d’un an alors.

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