solitude du prof

Rien de mieux, me dis-je, que de montrer une photo d’enfance pour lancer le débat sur l’évolution de la technologie.

Fausse bonne idée.

Un élève goguenard, lève la main et me demande si la photographie en couleur existait déjà quand j’étais petite. Si on est du genre pédagogue positif, on se dit que l’élève a bien intégré notre différence d’âge. Si on est réaliste on se dit que le meilleur humour est souvent à vos dépens.

Et souvent, les élèves ont oublié que nous aussi on a été à leur place.

On a aimé se moquer du prof devant nous, de ses tics de langage, de ses mimiques de ses peurs bleues.

Je me souviens même qu’un de nos camarades (pas moi bien sûr) avait laissé le prof le compter lors d’un premier appel, était sorti par l’une des deux portes de la salle sans bruit, et était rentré par l’autre, l’air innocent, laissant notre prof d’allemand interdit, car il était certain de l’avoir vu deux minutes plus tôt.

Je me souviens de la cravate rouge de mon prof de Français, de sa coupe en forme de savant fou et quand il lançait son cartable de la porte de la classe sur le bureau dans un silence de mort.

Nos copies étaient dedans, et au vu de son expression, elles n’étaient pas bonnes. Et nous, on encaissait ces piteuses comme des balles de revolver, sans fléchir. On devait avoir le même air triste que le petit garçon de la chanson d’Henri Dès Dans le Cartable http://musicouleur.free.fr/cartablemus.htm

Je me souviens de l’odeur de tabac au miel de mon prof de grec qui fumait dans le couloir (le siècle dernier je vous dis) et qui s’éloignait dans un nuage de réflexion. De la peau de lapin, ( de son chat…on n’a jamais su) de ma prof de Physique qui la frottait sur une règle en plastique carrée pour nous prouver les mystères de l’électricité statique. Du trou dans la semelle de mon prof de littérature anglaise à la fac qui nous parlait plans fixes à New York quand le billet coûtait 10 000 francs (1500 euros pour les pré 2001). Je me souviens de la Mini Cooper trop petite de mon prof d’Allemand trop grand, de sa blouse de ses blumen sind schön…

Car nous aussi, faut pas croire,  on déployait des trésors d’inventivité pour tricher : mots dans la trousse, sur la gomme, dans le cahier de textes et on guettait du regard le prof qui faisait le tour de la classe, mains dans le dos.

Aujourd’hui, les élèves sont convaincus que l’air qui nous sépare n’est pas transparent et que quand ils fixent leurs écharpes sur la table, on sait pertinemment que quelque chose ne tourne pas rond.

Et pourtant, je lui ai demandé à Charlotte pourquoi elle regardait son foulard.

Je lui ai laissé le temps de le ranger ; et même quand je me rapproche, tel un oiseau de proie sifflant et battant des ailes, elle ne le range même pas son téléphone à 450 euros cassé (une malédiction qui frappe tous les portables lycéens,parce que les coques c’est pas « style » prononcé /staile/) et me regarde, interrogatrice quand je lui indique que je n’évaluerai pas la biographie de Edward Hopper recopié sur Wikipedia.

Ah oui, parce que quand on punit un élève, vaut mieux avoir son accord.

Et la question suivante : « parce qu’il fallait l’apprendre la bio ? »

Le plus classique, c’est le cahier posé par terre dans l’allée, et le cours placé sous la couverture transparente et l’élève qui se penche et qui fixe le sol, pour trouver l’inspiration bien sûr.

Plus perfide, le cours photographié sur son téléphone et on le fait voir à son voisin de derrière car le professeur ne quitte pas sa chaise pendant le contrôle (conversation volée dans le trawway)

Parfois la mode est anti triche : les pantalons slims ça n’est pas bon pour les smartphones. Impossible de cacher la bosse sur la cuisse. « Comment ? Votre calculatrice ? »

Je me souviens d’une classe de STG qui m’avait bluffée.

Quand je leur donnais un contrôle écrit, je retrouvais le cours du bon élève sur les copies en diagonale. Je ne comprenais pas, je les surveillais ces élèves. Enfin, je le croyais. En fait, avec le recul, je pense qu’ils me distrayaient, qui avec une question, qui avec un stylo jeté par terre et voilà qu’ils profitaient  de ma demi-seconde d’inattention pour passer la copie du pauvre bon élève qui avait intérêt à la passer au voisin.

Un jour, en ayant assez de ces rituels qui n’étaient qu’une mise en boîte déguisée, j’ai décidé qu’il fallait y mettre un terme. Une classe de 35, des tables tassées, pas moyen de séparer la terreur de la classe de son camarade meilleur.

Impossible de l’empêcher de tricher sur son voisin. Deux copies très bonnes alors que mon cancre ne comprenait rien.

Jour de remise de copies : deux notes, différentes. Une bonne et une mauvaise. La bonne note donnée au mauvais. J’attends.

Une discussion, deux têtes qui se penchent. Une main qui se lève. « Je ne comprends pas, on a la même copie et pourtant, on a une note différente. » Moi, l’air surpris. « Comment ? Les mêmes réponses en effet. Mais alors, qui a copié sur l’autre ? » Un silence. Les élèves baissent la tête. J’avais gagné. Au contrôle suivant, j’avais deux copies différentes.

Il y a aussi les bonnes vieilles méthodes : l’antisèche avec les conjugaisons irrégulières avant un contrôle d’Espagnol. Le ventre mou de ce plan, c’est d’oublier sa trousse dans le couloir.

De ne pas prévoir que Je vais passer, la ramasser, l’ouvrir pour voir à qui elle appartient, frapper à la porte, la donner à ma collègue et glisser à son oreille ce que l’effrontée avait en tête. Regard noir de cette dernière qui se voit démasquée.

Il y a plus technique : imprimer une nouvelle étiquette pour son soda avec des équations ou sur sa gomme. Faut pas que la colle lâche.

Question lancée par un élève pendant une surveillance de Bac Blanc. « Une souris, dans les cheveux ? Dans mon sac ? Qui passait dans l’herbe ? Un pc, il veut un pc ? »

Non, non. Pas de rongeurs, pas de pc en vue. Un élève de 2015, qui me demande un Blanco, un Typex, un correcteur.

Il paraît que ça s’appelle aussi un lapin…

O tempora, O mores.

Une chronique d’Amélie Silvert

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