… étrangère en France en 1960
Ce sont toujours les autres qui ont l’accent, n’est-ce pas…? En arrivant en France j’ignorais absolument cette différence qui allait pourtant faire de moi une élève « à part ». J’étais déjà, dans ma Tunisie natale, une enfant timide. Ma mère était un jour venue voir la maîtresse, mes notes en poésie n’étant pas bonnes alors que je savais ma leçon par cœur. « On » avait alors conclu à une extrême timidité et Madame Taillol, mon institutrice, m’enjoignit, sans autre forme de procès, de réciter mes poésies sur l’estrade, le dos tourné, le nez vers le tableau.
Dans les années cinquante, on ne coupait pas les cheveux en quatre et on ne se demanda donc pas : pourquoi cette petite fille est-elle si timide ?
Dans les années cinquante, à la rentrée en CM2, il y eut dans la classe deux « Simone Cattan ». La maîtresse décréta : « Pas de problème, tu t’appelleras Monette ».
Ainsi, lorsque les résultats de l’examen d’entrée en sixième parurent dans le grand quotidien du soir, il y eut dans les admis, par ordre alphabétique : Monette Cattan, Simone Cattan. Et ce fut dans ces années-là, précisément en 1959, que mes parents nous annoncèrent précipitamment, un beau matin, sans autre forme de procès, que nous allions partir pour la France.
Pourquoi, comment ? Je l’ignore, mais je me suis retrouvée en 48 heures au lycée Victor Duruy, boulevard des Invalides, pensionnaire, moi qui ignorais même la notion de demi-pension.
Comme nous étions supposés partir pour un pays très froid, mes parents nous avaient acheté de gros vêtements très chauds et de lourds bottillons. Une odeur de cuisine au beurre me souleva d’entrée le cœur, moi l’enfant habituée à la seule huile d’olive. Mais, surtout, je dus, chaque dimanche soir, suivre le cours de danse du Petit Salon bleu, chaussée de mes godillots alors que toutes les filles du lycée évoluaient en Repetto. Ma voisine de lit était une des filles Giscard d’Estaing. Je pleurais chaque samedi car mes parents arrivaient toujours avec une petite minute de retard, je sanglotais à nouveau dès le dimanche matin à l’idée de quitter ce petit hôtel un peu glauque qui nous abrita quelque temps.
Et j’avais l’accent. L’accent, vous savez ? Je ne parlais pas comme vous.
Quand mes parents emménagèrent dans un appartement, on me fit quitter le pensionnat en plein milieu d’année et me voilà la nouvelle élève de l’élégant lycée d’Enghien les Bains. C’est là que je pris définitivement conscience de ma différence, et que je me mis à redouter plus que tout d’avoir ce « houit sur vingt », ou même « dix-houit sur vingt », qui allaient provoquer l’hilarité générale.
Dans les années cinquante, on ne se plaignait pas de ses professeurs. Ainsi, lorsque Monsieur Couillerot, mon professeur de latin, me rendit ma première copie, certes ratée, et qu’il la ponctua d’un retentissant « si c’était pour ça, il fallait rester en Tunisie », je ne dis rien à mes parents. Plus précisément je leur présentai ma mauvaise note et fus punie.
Mais dans les années cinquante, existaient déjà des rencontres magiques. Je fis ainsi la connaissance de Monsieur Bonin, et je devins plus tard, comme lui, professeur de lettres classiques, et docteur en linguistique. Histoire d’en savoir un peu plus sur… l’accent… et le reste.
Dois-je vous dire que comme vous, mais peut-être un tout petit peu plus que vous, je fus un enseignant particulièrement attentif à l’entrée en classe, en cours d’année, d’un jeune étranger.
Serez-vous étonnés que j’eus utilisé, toute ma vie, le prénom de Sarah.