Le 22 septembre 2016, lettre ouverte à Alexandre.

 

Mon cher Alexandre,

 

J’ai bien lu ta lettre suite au projet sur lequel je vous avais demandé de réfléchir : « Trouve un moyen pour changer le monde ». Je vais tenter de te répondre point par point afin de t’aider à aller plus loin dans tes réflexions.

1 –  Je suis d’accord avec toi lorsque tu dis que pour pouvoir changer le monde, « il faudrait d’abord changer l’école car les enfants sont l’avenir du monde ». De là à proposer que ce soit les enfants qui la dirigent, tu y vas fort parce que je ne donne pas longtemps avant que ce soit une vaste pagaille… La littérature est féconde sur ce point : lis ou relis Les enfants de Timpelbach de Henry Winterfeld ou Deux ans de vacances de Jules Verne et tu me diras ce que tu en penses.
Mais je suis d’accord, il faut en effet faire évoluer l’école tout en gardant en tête que nous sommes contenus dans le cadre qui est le nôtre actuellement : un ministère de l’Education Nationale qui décide et valide des décisions, un rectorat, des programmes, tout un système hiérarchique que nous devons respecter. C’est plutôt à notre niveau que l’on pourrait faire évoluer les choses ensemble, dans notre collège. Que peut-on faire qui soit à notre portée pour que notre collège évolue dans le sens du bien-être de tous ? Que pourrais-tu proposer d’applicable et de concret ?

2 – « Choisir ses horaires », pourquoi pas ? Seulement une petite question me taraude : toi qui est champion de natation et qui t’entraine chaque soir, comment pourrais-tu envisager d’aller à l’entrainement uniquement quand tu le souhaites ?
Mais soit, essayons de réfléchir…Un planning de modules permettrait de choisir, à la carte, le cours qui intéresserait l’élève. Le problème est qu’il ne pourrait pas y avoir de suivi, de travail de fond, d’approfondissement. L’élève viendrait écouter un cours qui ne pourrait être que « magistral » c’est à dire sans beaucoup d’applications, sans exercices pratiques, dans lequel l’élève ne s’investirait pas vraiment car pas sûr de suivre le second… Une forme de zapping de l’école… pas sûr que ce soit efficace quand même. Lorsque tu zappes devant ta télé, tu ne regardes rien vraiment.
Tu sais, à l’université c’est un peu ce que font les élèves de 1ère année et 50% d’entre eux abandonnent soit au cours de l’année, soit à la fin parce que c’est très dur de travailler comme ça, sans cadre et sans suivi. Si c’est difficile à 18 ans, alors imagine à 12 ans…
Par contre on pourrait imaginer de s’inscrire à des cursus de cours complets avec l’obligation de tous les suivre pour valider une compétence dans un domaine. Par exemple : je m’inscris en cursus de conjugaison pour renforcer mes acquis, je m’inscris en géométrie 2ème niveau, je vais m’instruire sur la musique baroque, je vais jouer au volley, etc.… Pourquoi pas. Nous verrons peut-être ce type de fonctionnement émerger dans les prochaines années…

3 – Concernant les notes que tu voudrais supprimer, demande toi avant tout à quoi servent les notes. En natation, à quoi ça sert de te chronométrer ? Pourquoi ne peux-tu pas t’en passer ?
En tout cas, des expériences ont été menées dans ce sens : supprimer notes, évaluations, contrôles, etc. Elles n’ont pas été probantes partout, les élèves cherchant toujours par un moyen ou un autre à recevoir la sacro-sainte évaluation de leur « valeur ». J’ai remarqué que si je ne note pas, un élève me demande « si vous m’aviez noté, combien j’aurais eu ? ».
La note nous permet de mesurer notre effort et l’écart qui nous sert à parcourir pour que le savoir ou la compétence qu’on attend des élèves soit acquis. Mais soit, on pourrait en effet essayer et voir ce que ça donne sur une année ou deux. J’avoue que j’ai un peu de mal à savoir comment je pourrais avancer sans connaître le niveau de mes élèves, mais c’est peut-être à moi de réfléchir pour le coup…

 

4 – « Faire recruter les profs par un comité d’élèves chargé de réaliser des castings » ? Ah oui je vois ça d’ici… À ton avis, sur quel critère un enfant pourrait-il choisir un adulte référant ? Un physique sympa, genre cool, qui donne des bonbons aux enfants, qui joue avec eux dans la cour ? Tu ouvres la porte au loup et au parfait glauque, quoi… Pour ma part, dans ce cas, j’aimerais avoir la possibilité de choisir mes élèves sur casting aussi, si tu n’y vois pas d’inconvénients. Ainsi je ne prendrais que les plus agréables à regarder, ceux qui ne mettent pas leur doigt dans leur nez, se tiennent bien, ne bavardent et sont super bons en classe. Tu es d’accord ? Oui mais alors, que fait-on des élèves dont personne ne veut ?

 

5 – Voici le point le plus important de ta prose : « de toutes façons ça ne sert à rien d’apprendre les leçons étant donné que, quand on a besoin d’une information, il suffit de consulter internet ou, éventuellement d’ouvrir un livre. D’ailleurs (et c’est ce que je préfère dans ta phrase) c’est ce que font les profs pour préparer leur cours »… hum !
Tout d’abord, as-tu regardé de près le sens du mot « information » ? Il y a plusieurs définitions, mais celle qui nous intéresse est celle-ci : « Indication, renseignement, précision que l’on donne ou que l’on obtient sur quelqu’un ou quelque chose. » Larousse.
Cela signifie probablement que si l’information est à l’endroit où on la cherche, c’est que quelqu’un l’y a mise, non ? Et si quelqu’un l’y a mise, c’est que des gens ont réfléchi, ont travaillé, ont expérimenté… Comment la science pourrait-elle progresser si elle vivait sur ses acquis ? Et puis, je te rappelle quand même qu’internet est relativement récent, que nous ne l’avons pas toujours eu et que le cerveau humain est une matière souple capable d’ingérer des données relativement faciles à restituer même hors connexion ! Si, si ! Crois-tu à une société qui ne compterait que sur la machine intelligente pour exister ? Que fais-tu de ta libre pensée, du fruit de tes expériences, de tes opinions, du cumul de tout ce que tu as vu, lu, entendu, sans parler de l’école ? Et crois-tu que le savoir des profs ne vient que d’internet comme tu l’écris ? Que je prépare mes cours sur Wikipédia ??
Pense aussi qu’il y a bien des endroits du monde où internet n’est qu’un mot étranger… Essaie de réfléchir au danger d’être sujets d’une machine plutôt que le contraire. La machine doit être à notre service mais nous devons toujours savoir faire sans elle. Est-ce qu’une information brute trouvée sur internet permet de mieux comprendre le monde, à ton avis ? Est-ce que c’est elle qui va, par exemple, te permettre d’avoir un regard bienveillant sur ton nouveau camarade qui arrive du Kosovo ? Réfléchis à ces questions et demande toi à quoi servirait une information qui ne ferait pas fonctionner ton cerveau, ton cœur, ton être, ton humanité ?

6 – Tu écris « les trois quarts des choses apprises ne sont d’aucun intérêt »
À quoi ça sert de nager ? Pour ton voisin, rien. Mais pour toi ? As-tu conscience que tes os grandissent sans que tu les sentes ? Que sans t’en rendre compte tu vas prendre 10 cm cette année ? Et bien pour le savoir c’est pareil. Il semble que sur l’ensemble du programme scolaire, tout soit étudié pour être réutilisé un jour, si ce n’est pas immédiatement, ce sera dans ton métier pour ta culture personnelle – celle là même que tu voudrais remplacer par un ordinateur (voir ci-dessus)… – Tu crois oublier les choses apprises parce que tu vis dans l’immédiateté, un peu comme la cigale qui chante tout l’été… mais détrompe toi, elles sont bien là et ressortiront à bon escient. Alors bien sûr pas tout, il y a un petit pourcentage de « déchets », je te l’accorde, mais ton déchet à toi ne sera peut être pas celui de ton voisin. Tu seras surpris de constater, dans quelques années, que tu n’as pas tout oublié comme tu sembles le penser.

7 – « Les programmes scolaires devraient être réalisés en concertation avec les enfants » écris-tu. Tu rigoles non ? Comment pourrais-tu écrire un programme lorsque tu ne sais même pas de quoi sera fait ton cours de maths ou d’histoire de l’année ? As-tu les connaissances suffisantes pour décréter qu’il faut étudier la Renaissance, les algorithmes ou le participe passé ? Aurais-tu une sorte de science infuse que je n’aurais pas détectée en toi ? Lorsque tu avais 6 mois, est ce que tu donnais à ta mère des ordres pour ton menu ? Non, tu lui faisais confiance, elle savait choisir ce qui était bon pour toi à cet âge précis… Et bien tu vois c’est un peu le travail des pédagogues et des professeurs qui réfléchissent sur ton programme scolaire. À chacun son rôle.

8 – Venons-en au menu de la cantine… Je suis bien d’accord avec toi, c’est largement améliorable ! Mais de là à « mettre des chefs étoilés derrière nos modestes fourneaux » comme tu le suggères,  je crains que ça ne coute un peu trop cher à tes parents. Il y a un juste milieu à trouver : un cuisinier qui aime son métier et surtout qui puisse cuisiner comme il l’entend sans être obligé de se plier à des normes sanitaires totalement stupides qui lui font préférer de la compote en boite plutôt que faite avec des pommes écrasées achetées chez nos paysans. Plus de fraicheur, plus de produits de saison, à circuit court (surtout dans une région comme la nôtre où nous sommes entourés de bons produits fermiers), respectueux des animaux et de l’environnement comme tu le réclames très légitimement… Bon, mais maintenant qu’on s’est bien lamenté, que proposes-tu de concret et d’applicable ? Qu’est ce que tu peux faire changer à ton niveau ? Des pistes possibles : proposer qu’une semaine par an ce soit un groupe d’élèves volontaires qui composent le menu ou même qui se mettent aux casseroles ?

9 – Tu m’écris « j’ai du mal à me projeter dans le monde des adultes, incompréhensible, parce que trop compliqué, mais il me semble que le monde idéal serait un monde de liberté et d’égalité ». Je suis bien d’accord avec toi. Mais au fond, qu’est ce qui te gêne le plus dans le fait d’être un adulte ? Qu’est ce qui te fait peur ? Peux-tu y réfléchir ? Que penses-tu faire, lorsque tu seras grand pour que les choses changent autour de toi et pour que tes propres enfants aient envie de devenir adultes à leur tour ?
Sois déjà un enfant, puis un ado, ne cherche pas à aller trop vite, vis et profite de chaque étape de ton existence. Si la nature a crée ces différentes phases de développement, ce n’est pas pour rien. Et puis oui, allez, tu as raison, le monde des adultes n’est pas terrible. N’est ce pas Saint Exupéry qui lui même l’écrit ? « J’ai beaucoup vécu chez les grandes personnes. Je les ai vues de très près. Ça n’a pas trop amélioré mon opinion. »

Continue à réfléchir… et Carpe diem !

Ta prof.

Une chronique de Sophie

7 réponses

  1. J’espère que cette lettre ouverte donnera l’occasion d’un partage entre les deux protagonistes… A mon avis, il y a des zones de rencontres et d’autres de frottement possibles et sûrement intéressantes à aller investir !! Bon débat !

  2. Je pense que beaucoup des propositions de cet élève méritent vraiment qu’on s’y attache, certaines ont d’ailleurs déjà été expérimentées, et le sont encore, lire l’excellent ouvrage « Le lycée autogéré de Paris, une fabrique de libertés » http://editionsrepas.free.fr/editions-repas-livre-une-fabrique-de-libertes pour un aperçu de ce qui peut être fait si on ose sortir du confort des habitudes (témoignage sans angélisme, ce récit retrace l’expérience en ne taisant pas les doutes, les hésitations, les ratés, les difficultés).

    Évidemment l’école française est castratrice, de + en + au fur et à mesure qu’on monte dans les niveaux depuis la maternelle jusqu’aux classes préparatoires, summum du « moulage/formatage/bâchotage » typiquement français. Laisser les élèves décider s’ils viennent en cours ou pas est un magnifique défi, celui de remettre cette responsabilité entre leur mains et de révolutionner le système, vous qui dites vouloir changer le système devriez vous pencher avec attention sur cette proposition: l’élève qui a le choix ne pourra plus s’affaler sur sa chaise en disant que de toutes façons il s’emm–de en classe et n’a pas envie d’y être, il sera obligé de se demander pourquoi il choisit de venir. Et non, proposer des cours « à la carte » n’impose pas de ne faire que des cours magistraux, bien au contraire.

    Je nuance toutefois ces propos en fonction de l’âge des élèves, en reprenant un extrait de la lettre nvp n°24: il faut pouvoir « expérimenter concrètement la prise de responsabilités dans un cadre adapté à son âge et à son degré de maturité » (http://education-nvp.org/wp/wp-content/uploads/2012/12/Lettre-n%C2%B024.pdf)

    Écoutons les propositions des élèves, considérons-les comme des personnes à part entière, ce n’est pas être démagogue qu’être à l’écoute!

  3. Trop lourd.
    Et ton trop cassant même si ce n est pas volontaire.
    Il y a un fossé manifeste entre ce jeune et son enseignant que ce texte ne va absolument pas combler.

    Je pense qu il faut travailler à partir de l acquis de notre jeune pour pouvoir comûniquer efficacement avec lui.
    Et ne pas trop fermer le propos pour pouvoir dialoguer
    Eric
    FCPE 71

    1. A les faire avancer dans leurs réflexions, à aller jusqu’au bout… Poser 7 fois la question « pourquoi » pour trouver la bonne réponse. 🙂

    2. Alors la bonne réponse est donc celle de l’enseignant… Peut-être donc que la bonne question serait « Trouve le moyen qui plairait à ton professeur pour changer le monde ? »… Effectivement, je trouve que le ton est cassant, ce ne sont pas les arguments que je réfute mais la manière dont ils me semblent « écraser » l’élève sous leurs dehors raisonnables.
      A mon avis, suite à cela l’élève n’a plus envie de débattre…

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