Comme un accord

Voilà 3 siècles que nous apprenons tous que « le masculin l’emporte sur le féminin. » C’est un accord tellement admis que nous n’y réfléchissons plus. Mais il n’a jamais été décidé d’un commun accord. En 1980 la première femme, Marguerite Yourcenar, est rentrée à l’Académie Française. Les hommes y ont donc régné seuls, pendant 350 ans. Aujourd’hui,  moins de 10 % des « immortels » sont des « immortelles ».

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Autant d’inégalités… que d’injustices

Le salaire des femmes reste inférieur au salaire des hommes (- 25 %), même 45 ans après la loi visant le principe d’égalité de rémunération entre les hommes et les femmes.
Les tâches ménagères ne sont toujours pas équitablement partagées.
Les enfants sont davantage éduqués par les femmes que par les hommes. Plus de 44 % des mères de familles nombreuses travaillent à temps partiel, contre 5 % des pères. La liste est longue, des inégalités.

Les femmes se taisaient sur le harcèlement, sur les agressions sexuelles ou les petites humiliations quotidiennes qui les réduisent à l’état d’objet : une avalanche inimaginable de paroles s’est abattue, et nous avons réalisé à quel point la honte imposait le silence, à quel point nous étions conditionnées à accepter l’intolérable. À quel point cette violence était répandue. Comme Ève avec son histoire de pomme, les femmes devraient porter le poids du péché des hommes et être coupables ? Cette prise de conscience ne peut pas être inutile.

Si le combat pour l’égalité n’est pas nouveau, il serait temps qu’il ne soit plus une lutte afin que l’égalité devienne une évidence.

 

Quand la langue est ainsi faite qu’elle autorise l’humiliation des femmes, alors son « bon usage » est un usage mauvais. Le rôle des enseignants est d’apprendre aux enfants ce qui est JUSTE. La règle qui parvient à nous convaincre que le masculin l’emporte sur le féminin est insidieuse pour ne pas dire perverse. Surtout quand on connait son origine, c’est-à-dire le choix délibéré d’exprimer la supériorité masculine.

L’enseignement du français structure chacun dans sa relation au monde

Un problème est soulevé, une solution est proposée : le manifeste pour que le masculin  ne l’emporte plus et la pétition qui l’accompagne, adressée au ministre de l’Éducation Nationale.

Ce n’est pas une solution miracle, elle n’exclut pas les autres actions, elle ne suffira pas à changer ce qui est profondément ancré, mais peut contribuer à assainir notre perception.

Il ne s’agit pas uniquement de l’écriture inclusive mais juste de cesser de conditionner nos enfants à intégrer la domination masculine comme une règle. Ne plus dire « Le masculin l’emporte sur le féminin ». Il est proposé de laisser le choix. Tolérer la règle de proximité, ou l’accord de majorité, ou l’accord au choix. Rien d’exagéré donc. Juste une alternative. Les hommes et les femmes pourront être fortes. Les hommes et les femmes pourront être forts. Et pour ceux qui veulent les femmes et les hommes pourront être forts. 

Pourtant, le ministre s’y oppose car « La langue ne doit pas être instrumentalisée […]. Elle est un socle de vie que nous devons aux enfants. »

Oui, la langue est un socle de vie, justement, qui doit porter nos valeurs de respect et d’égalité. Le synonyme de « l’emporter sur » est le verbe « dominer ». Peut-on apprendre aux enfants que le masculin domine le féminin sans conséquences ? Même si nous devons distinguer le genre grammatical du genre humain, féminin/femme et masculin/homme,  l’association même inconsciente est bien réelle.

« L’enseignement du français consolide les compétences des élèves pour communiquer et vivre en société, structure chacun dans sa relation au monde et participe à la construction de soi ». C’est inscrit dans les programmes. La langue façonne notre pensée et notre perception du monde.

Trouver l’accord

Une langue vivante est faite pour évoluer. L’ancien n’est pas détruit puisque les accords de proximité et de majorité étaient utilisés avant que les académiciens décident la supériorité du masculin ! Là se trouvait l’instrumentalisation.

Bien sûr, les enseignants doivent respecter les programmes et les règles grammaticales ; mais faire réfléchir les élèves sur la possibilité d’une règle de proximité ou de majorité n’est pas répréhensible. Surtout dans la mesure où ils évoqueront l’accord qui est « académique ». Ce n’est pas un acte de rébellion comme certains le prétendent. C’est seulement une piste, un pas, un petit moyen d’agir pour plus d’égalité. Les élèves comprendront très bien.

La langue française ne devrait-elle pas tendre vers davantage de justesse et de justice ? Trouver l’accord juste pour l’harmonie.

 

Pour en savoir plus :

Une chronique de Claire Nunn

4 réponses

  1. Après avoir lu cette chronique,avoir regardé le débat entre madame Cahen et monsieur Vitoux, bien réfléchi (avec mes connaissances de prof de français et de linguiste), j’ai envie de faire quelques remarques:
    – lutter contre les stéréotypes et œuvrer pour l’égalité femme/homme est un combat que j’approuve;
    – la langue n’appartient à personne; elle nous préexiste; elle évolue, lentement, le lexique plus vite que la grammaire; ce qu’on appelle « règles de grammaire » sont d’abord des constats de fonctionnement et deviennent ensuite des préconisations;
    – la langue n’est pas le reflet du monde (et vice versa); et elle dit le monde de manière imparfaite; sinon, il faut supprimer des expressions comme « Le soleil se lève » (scientifiquement, c’est faux; ça pourrait induire les élèves en erreur ?)
    – croire que la langue façonne entièrement nos représentations du monde et nos actions relève d’une certaine méconnaissance et du fonctionnement de la langue et de celui de nos représentations et des mécanismes de décisions; en Allemand, il y a trois genres grammaticaux; ça pose un problème aux élèves ?; dans la langue des petits vietnamiens, il n’existe pas de mot pour désigner la couleur verte; ils ne voient pas le vert ? Si nous sommes conditionnés par la langue, les pays qui utilisent une langue où l’accord se fait avec le genre grammatical féminin, ou avec le genre grammatical du mot le plus proche, doivent être des pays champions de l’égalité femme/homme dans lesquels les stéréotypes sexistes ne doivent pas exister ( à vérifier);
    – je ne crois pas que ce soit compliqué d’expliquer aux enfants et adolescents que le genre grammatical n’a rien à voir avec le sexe des individus; que « le mot chien n’aboie pas » (les mots ne sont pas les choses qu’ils désignent); on peut leur raconter l’histoire de la langue; on peut leur expliquer le neutre grammatical; les faire réfléchir à leurs représentations; les éduquer dès l’école maternelle (avant les leçons de grammaire de l’école élémentaire) à se respecter (CF les ABC de l’égalité)
    – et enfin: faisons un parallèle avec le solfège (système arbitraire, s’il en est): vous savez qu’un blanche vaut deux noires ? On fait une pétition ?

  2. L’accord de majorité me paraît le meilleur et quand l’égalité existe les deux accords devaient être tolérés ( .l’écriture inclusive complique la lecture et alourdit l’écriture, le style,à proscrire donc!)
    ainsi notre grammaire ferait écho à la démocratie!

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