Le Méchant Petit Journal des Profs*

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Ayant toujours été un élève totalement discipliné qui écoutait les consignes, qui levait le doigt en classe de manière polie et avec un air sérieux, qui recevait ainsi bon nombre de boulettes de papier pré-mâchées ou divers chewing-gums, j’avais donc au départ la même envie vis-à-vis de mes élèves une fois passé du côté obscur de la farce. Mais, au bout de quelques années de pratique-du-jeune-de-lycée-pro, j’ai appris à changer mon fusil d’épaule.

Oui.

Ma vision du doigt avait changé.

Et ce pour au moins quatre raisons :

Raison 1 :

En lycée pro, le doigt n’est pas vraiment le centre des préoccupations de l’enseignant. Le professeur, en bon navigateur des savoirs, doit savoir osciller entre Charybde et Scylla pour arriver à bon port. Donc d’un côté nous avons ces classes, qui, lorsque nous posons une question, nous permettent d’analyser la tessiture de notre voix. Et le silence qui s’ensuit nous jette dans l’abîme : l’œil était dans la tombe et regardait Caïn. Dans ces classes on rêverait qu’un doigt se lève, ne serait-ce que le majeur, ne serait-ce que pour une insulte sur le métier de nos mamans. Et, de l’autre côté, il y a ces classes ou de toute manière la question se perd dans les méandres bruyants de votre manque d’autorité. Vingt doigts se lèvent et il faut trier : « Baissez la main ceux pour les toilettes, ceux pour l’émission de télé d’hier soir, oui j’ai acheté un jean skinny donc baissez la main, non on peut pas faire un pendu ».

Que reste-t-il ?

 

Raison 2 :

Car lever le doigt est dépassé. Non mais sérieux, qui lève encore le doigt à l’ère du numérique ? Tous mes élèves sont 2.0. Je pense qu’il y aura bientôt une appli pour voir apparaître le doigt sur un smartphone, qu’on pourra customiser avec des filtres de lapin ou des émoticônes. Qu’on appellerait dogtoticone du coup. Non sérieux, moi les élèves m’envoient un texto quand ils veulent prendre la parole ; et je leur réponds sur Twitter :  #monprofestunboloss.

 

Raison 3 :

Car en lycée pro, on n’est plus dans un questionnement bêta comme on peut trouver dans le premier degré ; on n’a pas à demander qui veut jouer le rôle du ramasseur de bouts de gomme ou qui veut aller nourrir Paul, le hamster obèse mascotte de la classe. Nous, on prépare les jeunes à la vie active, on prépare l’avenir, le boulot, le futur, LA VIE. Au travail, vous levez souvent le doigt pour répondre ?

«  Oui, ben je peux réparer votre fuite d’eau. »

«  Alors moi je pense que votre livre se trouve dans l’allée B, j’ai bon ? »

«  MOI, MOI, MOI Docteur, moi j’ai des fuites urinaires. »

Ridicule. On ne peut pas préparer les jeunes à se recevoir des quolibets toute la sainte journée.

 

Raison 4 :

Car le doigt dressé peut être un signe de rejet, et de discrimination et que l’enseignant, en bon praticien de la laïcité et de l’égalité de tous et toutes, saura éviter l’ornière dans laquelle le doigt va le jeter. On critiquera ainsi la manucure ratée de Jessica, qui n’a pas fait la french comme on lui a apprise ! Lucas, qui continue à se ronger les ongles et qui atteindra l’os du métacarpe d’ici deux mois. Frank, qui a les mains jaunes, mais rien à voir avec le tabac ou le shit c’est une jaunisse qui passe pas. Depuis deux ans. Quand même.

Non, non. On montre pas les doigts. On garde ses membres pour soi. Et tout ira pour le mieux en classe.

 

Car après tout, n’est-on pas enseignant pour flairer les ennuis avant qu’ils nous arrivent ?

Une chronique de Frédéric Lapraz

*Une fois par mois, deux enseignants prennent les commandes du Petit Journal. Second degré garanti !

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