Les origines

Point de départ de cette chronique : une amie, future psy, m’annonçait lors d’un repas qu’une étude disait que le professeur est par définition encore et toujours un adolescent. Qu’il choisit ce métier pour ne jamais quitter les bancs de l’école, et donc ne jamais avoir un « vrai » métier dit normal.

origines

Alors, au départ, je riais. Gorge déployée tout ça. Le pélican pédagogique. Et puis en réfléchissant un peu la nuit, entre deux rêves de préparation de séquences, j’ai réfléchi à cette remarque sibylline, à cette recherche poussée faite sans doute par des éminences grises.

Et je me suis dit : OUI.

Je comprenais tout d’un seul coup. Mon parcours, ma vie, mon œuvre. J’avais l’impression d’être délivré de la matrice, mais sans le côté gluant et les fils partout sur le corps.

Flashback

Mais revenons en arrière. J’ai 17 ans.

Je viens de passer le baccalauréat, section L. Ça c’est fait. Bon, et maintenant Fred ?

Tu vas faire quoi ?

Ne voulant pas embrasser la carrière de manœuvre, pour des raisons évidemment de sous-puissance physique, je décidai de faire comme la plupart des bacheliers de ma lignée, c’est-à-dire de m’inscrire à la faculté de lettres. Il fallait choisir.

Lettres modernes. J’aimais déjà bien les lettres, j’écrivais des poèmes en secret dans un calepin, digne de l’hermétisme de Mallarmé. Je me croyais unique et talentueux. L’écrivain maudit avec le foulard tête de mort et la laque pour-faire-cheveux-dans-le-vent.

J’aimais aussi le moderne. J’avais un 3310.

C’était donc parti pour trois ans de littérature, de linguistique créole, de phonologie, de latin et autres joyeusetés. J’étais conquis. Et au bout. La Licence.  Ça c’est fait. Bon, et maintenant Fred ?

Tu vas faire quoi ?

Continuons ! Ça coûte rien. Une maîtrise.

Un DEA. Même plus ça existe tellement les gens faisaient ça car ils savaient pas quoi faire.

Ok. Ok. Encore un an.

Et là. Ça c’est fait. Bon, et maintenant Fred ?

TU VAS FAIRE QUOI ?

Faire une thèse ? Devenir le premier thésard de la famille. Cela me donnerait-il le droit à du rab de daube à table ? Je ne le croyais guère.

J’enchaînais donc les petits boulots jusqu’à ce fameux lundi de février où on m’appelait pour un poste d’aide éducateur dans un lycée pro. Mon nom était sur les listes du rectorat.

Quelqu’un avait dû me dénoncer.

Ce gars-là ne voulait pas VRAIMENT bosser.

Le kif

Et là premier contact avec la jeunesse. Et c’est comme une évidence. J’aimais les jeunes.

Je reformule. Avant d’avoir des ennuis. J’aimais bosser avec les jeunes.

Formule qui devenait par la suite : « Je kiffais les jeunes. »

Car voilà, à force de partir le matin dans une sorte de gouffre spacio-temporel qui vous propulse vers votre jeunesse, vous en venez à adopter le langage des individus avec qui vous passez le plus clair de votre temps. Il est donc naturel de dire à votre mère que son escalope milanaise est tarpin bonne, à votre copine qu’elle est fraîche.

Plus tard à votre fils que s’il finit pas son assiette vous allez appeler sa daronne. Et finir en faisant un dab sous ses yeux médusés.

Syndrome de Peter wesh gros Pan.

Je me souviens à quel point j’adorais me lever le matin, enfiler mon plus beau jean pour aller bosser. À cette époque, jadis, des « emplois jeunes », (bordel, j’étais jeune), j’étais le confident, le pion à qui on aimait parler, se confier.

Je découvrais donc qu’il y avait des problèmes plus importants que celui de ne pas réussir à finir The Legend of Zelda ou de ne pas avoir assez d’argent pour se payer un ciné. Sans être caricatural et archétypal, c’était vraiment un nouveau monde auquel je faisais face, avec de réels problèmes d’intégration, de violence, de drogue, assez de sujets pour couvrir un an de « Complément d’enquête » ou toute autre émission avec une voix off angoissante et oppressante. Et de ce choc culturel, j’ai beaucoup appris.

Qu’on ne mettait pas uniquement un survet quand on avait gymnastique. Déjà la base.

Ou qu’on pouvait niquer la mère de son pote métaphoriquement, sans forcément qu’il nous en tienne rigueur.

J’ai appris d’eux et de moi-même, ôtant un début de nombrilisme que j’avais pu acquérir tout au long de mon adolescence. Et à cette époque il n’y avait pas encore de graisse autour.

Et de cet échange parfois explosif entre eux et moi.

La vocation tardive.

De ne jamais les quitter et de continuer à leur apporter mon soutien, mes connaissances, mes savoir-faire et mon savoir-être.

Ça c’est fait. Bon, et maintenant Fred ?

TU VAS FAIRE QUOI ?

J’allais donc devenir enseignant.

 

C’était ça ou redevenir jeune de toute manière.

Une chronique de Frédéric Lapraz

Une réponse

  1. Elle n’a pas tout à fait tort, la psy. Ce maintien du lien avec l’enfance me semble réel, ce qui n’a rien à voir avec un manque _ou un refus_de maturité.
    Envie de demeurer dans ce cadre scolaire que je pratiquais depuis si longtemps, avec ses rythmes propres, ses codes, ses traditions, cela avait un côté rassurant, sécurisant.
    Par ailleurs, j’avais connu « l’autre monde du travail », pour avoir toujours travaillé pendant les vacances d’été pour gagner quelques picaillons; et je préférais rentrer au bercail.
    Je suis entré à l’école à deux ans. J’y suis toujours. Cela dure depuis 54 ans… et ce pas encore fini.
    Il y a tout de même un aspect un peu monstrueux à passer une si longue durée dans le même milieu, un peu à l’écart du monde réel; même s’il y a toujours la volonté des « plaideurs » d’ouvrir l’école sur la société, ce qui veut dire tout et son contraire; d’autant que nous ne sommes tout de même pas au monastère de La pierre qui vire. On sort. On reçoit…
    Allez ! encore 3 ou 4 ans et je raccroche les gants (mais je m’efforcerai de conserver l’enfant qui est en moi).

Laisser un commentaire

buy windows 11 pro test ediyorum