L’arbre qui cache la forêt

Dans un précédent article, j’avais raconté comment nous étions sortis de la notation pour généraliser l’évaluation par compétences de la 6e à la 3e dans toutes les disciplines. Plutôt que de poursuivre le récit de cette expérimentation, je souhaite simplement partager avec vous la façon dont nous avons pensé le Brevet blanc, notre gimmick de début d’année, à nous autres profs de collège. Cette mission partagée par tous les enseignants préparant leurs 3e au DNB me paraît probante pour montrer en quoi  l’évaluation par compétences c’est (vraiment) plus efficace qu’une notation chiffrée.

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Pour qu’elle soit profitable aux élèves, l’épreuve doit leur permettre de faire le point sur leurs apprentissages, et le temps de correction de comprendre où et comment progresser. Consciencieusement, nous avons avec ma collègue et mes stagiaires lu et repris le format du sujet 0. Et là, forcément, on retrouve les compétences à évaluer mais on retombe aussi sur l’obligation de noter les élèves. L’épreuve d’HGEMC est sur 50 points mais cette année nous ne leur avons pas mis une seule note. Alors, comment concilier les attentes institutionnelles (une note sur 50 au DNB) avec une pratique partagée dans l’établissement (l’abandon des notes pour une évaluation par compétences) ? Va t-on être obligé d’en revenir à une double évaluation combinant notes et compétences ? Cette pratique est chronophage pour le correcteur. Elle me paraît aussi peu efficace car sur une copie, la note c’est un peu l’arbre qui cache la forêt…

Montrer les possibles : l’exemple du brevet blanc

Finalement, c’est l’outil numérique qui a rapidement résolu le problème. Sur le logiciel SACoche, nous avons entré les six compétences que nous souhaitions évaluer en les coefficientant pour coller au format de l’épreuve (Géo /20 = coeff’ 4 – Histoire /20 = coeff’ 4 – EMC /10 = coeff’ 2). Rien de bien sorcier.

À l’aide d’un barème commun en correction , nous avons positionné les élèves sur un des quatre niveaux d’acquisition. Le positionnement de l’élève sur les six compétences suffit au logiciel pour déterminer une moyenne des scores exprimée en % (voir bilan d’items ci-dessous), qu’il suffit de diviser par deux pour obtenir la note sur 50. C’est donc par une véritable évaluation par compétences que nous sommes arrivés à la note attendue par l’institution. D’ailleurs, ces notes ne dépareillent pas avec le niveau de l’élève.

En procédant ainsi, pas de double évaluation (noter + positionner), pas de perte de temps. Et surtout, un bien meilleur accompagnement des élèves !

L’évaluation par compétences : qu’en pensent les collègues ?

Quand on se lance dans une expérimentation, il est toujours nécessaire de prendre le temps d’évaluer le dispositif.  Où en sont les collègues, notamment ceux fraîchement mutés au collège, méfiants voire résistants à l’évaluation par compétences ? Anticipant des questions techniques ou de fond sur l’utilisation du logiciel SACoche, nous avons en tant que référents numériques pensé un questionnaire avant les vacances d’automne 2017 pour faire le point sur l’appropriation par les collègues de SACoche et de l’évaluation par compétences. Si plusieurs disciplines avaient déjà arrêté l’évaluation chiffrée l’année précédente (Anglais, Espagnol, EPS, Histoire-Géographie pour une partie de l’équipe), beaucoup de collègues expérimentaient vraiment pour la première fois cette façon d’évaluer. Les résultats au questionnaire nous ont permis de dégager plusieurs points utiles pour étayer encore notre accompagnement auprès des collègues.


• Plus de 70 % des collègues se sont appropriés SACoche le trouvant d’un usage « simple et pratique ». Seuls 15 % disent avoir besoin d’être aidés ou accompagnés pour son utilisation.
• 62 % des collègues adhèrent à l’esprit de l’évaluation par compétences et la majorité se montre satisfaite de sa généralisation.
• 24 % des enseignants du collège qualifient l’évaluation par compétences d’ « usine à cases ». Parmi eux, beaucoup d’enseignants souvent en complément de service arrivés en début d’année et dont l’accompagnement a été minime en septembre.

La réunion qui a suivi au retour des vacances d’automne a permis de faire un point d’étape sur l’appropriation du logiciel et de l’évaluation par compétences tout en proposant aux collègues de calibrer ensemble la maquette du bulletin de compétences en harmonisant l’interprétation des résultats en direction des familles.

La lecture d’avis négatifs…

• « Non, ça ne parle pas beaucoup aux élèves ni aux parents. Ce n’est pas révélateur du niveau réel de l’élève : un 12 ou un 16 sur 20 n’est pas la même chose, sur SACoche ça s’équivaut. »
• « Je trouve ce système à la fois rigide (les cases où il faut nécessairement rentrer), et flou (il ne permet pas de valoriser un travail particulièrement réussi et les tous petits progrès que peuvent faire certains élèves en difficulté sont peu voire pas visibles). De plus, la formulation des compétences est souvent jargonnante, je ne suis pas sûre que les élèves en grande difficulté et les familles qui maîtrisent mal le français en tirent un quelconque bénéfice. »

… nous a permis de réfléchir ensemble aux finalités de l’évaluation par compétences et de désamorcer les problèmes ou une posture de résistance en réexpliquant la démarche partagée par la majorité des collègues. Comme le dit François Muller qui pendant six ans a occupé les fonctions de chef de projet au Département recherche-développement innovation et expérimentation, « en matière d’innovation, on sait combien l’injonction et l’imposition par le haut peuvent être inefficaces et même avoir des effets contreproductifs. Expérimenter, innover et créer de nouvelles méthodes pédagogiques nécessite une approche contextualisée, impliquant étroitement les acteurs de terrain et prenant en compte prioritairement leurs interrogations, leurs besoins et leurs attentes.»

Bref, pour que les enseignants adhèrent à ce nouveau mode d’évaluation, il faut qu’ils trouvent un intérêt immédiat pour eux comme pour leurs élèves. L’évaluation par compétences doit leur permettre de mieux accompagner les élèves dans leurs apprentissages en  offrant des outils que l’évaluation chiffrée ne donne pas. Et si en plus, on passe moins de temps à corriger pour se concentrer vraiment sur la manière de faire progresser nos élèves, c’est parfait.

Une chronique d’Emmanuel Grange

Une réponse

  1. Quand je vous lis, je m’attriste : tant de générations sacrifiées sur l’autel de l’évaluation par notes, tant d’adultes traumatisés, tant de névrosés dans les entreprises et les administrations aujourd’hui, tant de parents amères et revanchards … toute une société qui foule aux pieds la formation et l’éducation qu’elle a reçues, au nom de la modernité et du tout numérique. Laissons à la machine le soin d’évaluer d’abord puis petit à petit d’enseigner et d’éduquer à notre place. Il y aura toujours des gens derrière les ordi pour manipuler et formater nos esprits.

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